Wrong Cops : la Glorification du Rire Gras

Wrong Cops, Quentin Dupieux39e Festival du Film Américain de Deauville
Premières

La mode est au subversif : lesbianisme chez Kechiche, lieux de drague chez Guiraudie, sadomasochisme/nymphomanie chez Lars Van Trier. Dans une période où le cinéma est en pleine révolution sexuelle (et donc en plein questionnement du rapport à l’image), l’éclectique Quentin Dupieux nous rappelle que la subversion se décline également par le biais de l’humour. Wrong Cops est une œuvre complètement jouissive tournée vers le renversement des codes sociaux, mais surtout moraux des sociétés occidentales représentées par l’ « universelle » société américaine. Le réalisateur français pousse à son paroxysme le personnage-type du mauvais flic (wrong cop). Il tire de ses personnages presque burlesques un foisonnement de situations comiques (voire hilarantes) qui tutoient le culte : si la génération précédente citaient les répliques de La Cité de la Peur ou des Bronzées, nous réciteront religieusement les sketchs de Wrong Cops au sein d’une culture mondialisée. Quentin Dupieux n’est ni un auteur mainstream, ni un réalisateur qui doit prouver son talent (Rubber, Wrong) : c’est par cette liberté absolue dans le processus de création qu’il maîtrise entièrement – il est réalisateur, monteur, directeur de la photographie et compositeur de la musique de ses films – qui lui permet, justement, de tout se permettre. Aucun tabou, pas de politiquement correct ; l’hilarité est là ! Wrong Cops livre la vision d’un cinéma entièrement débridée, qui plus qu’une œuvre non-sérieuse se révèle anti-sérieux.

Wrong Cops, Quentin DupieuxTout l’art de Dupieux réside dans une traque des représentations conventionnelles, et donc du sérieux,  par le prisme de l’absurde. Après l’introspection psychologique dans le délire sociopathe d’un pneu (Rubber) et la télékinésie entre un chien et son maître (Wrong), c’est à la nature vicieuse et destructrice de l’homme que s’attaque le réalisateur. Il renverse, avec délice, la question de l’éthique morale des hommes de lois – généralement déshumanisés et réduits au rang de vertus vivantes. Ici, ce sont les citoyens lambda qui tentent de freiner les électrons libres que sont les wrong cops. Ces derniers profitent de l’impunité gagnée par leurs badges pour commettre leurs exactions : Duke (Mark Burnham, excellent) est trafiquant de drogue qu’il cache avec délectation dans des rats ou des poissons morts (génialissime scène d’ouverture) ; Shirley (Arden Myrin) est maître-chanteur ; Renato (Eric Wareheim) est un pervers sexuel. Dans cet environnement absurde, Quentin Dupieux rajoute des gags percutants comme un homme blessé par balle qui ne meurt jamais, une policier sans talent qui se rêve DJ.

Wrong Cops, Quentin DupieuxMais la limite de Wrong Cops est peut-être justement là, dans ce trop-plein de gags dans lequel se perd un peu l’œuvre de Dupieux. Moins percutantes et réfléchies que ces précédentes œuvres, ce long-métrage est tiraillé entre deux volontés : celle de faire un bad­ movie absolu, et celle de faire une réflexion aussi bien sur les sociétés contemporaines que sur le cinéma en général. En choisissant de se focaliser sur la première, Dupieux fait tomber son œuvre dans une suite de scènes cultes, une suite de sketchs sans véritable finalité aux premiers abords.

Wrong Cops, Quentin DupieuxNéanmoins malgré ce bémol, Wrong Cops est une œuvre qui se doit d’exister et qui se doit d’être vu. Le style inimitable de Dupieux permet de montrer la pluralité du cinéma, et d’autant plus du cinéma comique écrasé par les insipides super-comédies américaines ou françaises. C’est jouissif, c’est bon, c’est « contre-la-crise » !

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆✖✖ – Bien

Fruitvale Station : Il était une fois … le Sentimentalisme

Fruitvale Station, Ryan Coogler

39e Festival du Cinéma Américain de Deauville
Compétition
Prix du Public & Prix de la Révélation Cartier

La nuit du 1er Janvier 2009, une bavure policière ôte la vie d’Oscar Grant – jeune homme noir de 22 ans – à la Station de Fruitvale Station (San Francisco). Le long-métrage de Ryan Coogler narre les dernières vingt-quatre heures d’un homme devenu martyr. Un fait réel à l’américaine dont s’empare le jeune réalisateur pour son premier film. Une audace qui paie puisque l’œuvre devient « la sensation » de Sundace remportant sur son passage l’adhésion du jury (Grand Prix) et des spectateurs (Prix du Public). Une réussite presque naturelle dans un pays qui préfère ériger en martyr des hommes plutôt que de se questionner sur les dérives qui ont causé leur mort. Fruitvale Station est une œuvre marquetée pour les Etats-Unis, alors pourquoi remporte-t-il également 2 prix à dernier Festival de Deauville (Prix du Public, Prix de la révélation cartier) ?

Fruitvale Station, Ryan Coogler

Simplement parce qu’il suffit seulement de lire le synopsis de Fruitvale Station pour sentir en soi une affliction face à la fragilité de la vie, une révolte face aux dérapages qu’entraîne le délit de faciès. Ryan Coogler a déjà asservi le spectateur à sa cause avant même que l’œuvre ne démarre en projetant les véritables images, filmées avec un portable, de la bavure. Un coup de feu retenti, l’écran devient noir, le titre du film apparaît. Le souffle du spectateur est coupé, absorbé par la réalité. Le réalisateur projette le spectateur dans la société ghettoïsée de San Francisco dans laquelle une population noire déambule dans la misère portée par l’espoir qu’ils ont en Dieu et en Oprah Winfrey – les deux figures tutélaires des noirs américains. C’est le temps de la fiction qui démarre avec son lot de sentimentalisme parfois sauvé par la justesse des comédiens aussi bien confirmés (Octavia Spencer) que débutants (Michael B. Jordan, Mélonie Diaz).

Fruitvale Station, Ryan Coogler

Fruitvale station devient alors un récit hagiographique autour de la figure fantasmée d’un noir américain exemplaire poussé à enfreindre la loi pour contrer les inégalités qui gangrènent la société. S’il est dealer, c’est parce qu’il ne peut trouver d’emploi (étant sans diplôme). S’il menace physiquement son ancien employeur, c’est parce qu’il est poussé à bout par la société. Le film devient un plaidoyer ridicule cherchant à faire d’Oscar la victime parfaite d’un complot sociétal. Il doit devenir la figure du père modèle étant présent pour sa fille, de l’époux attentionné et du fils aimant. Un mélange qui lui fait perdre toute humanité pour devenir un personnage avec autant d’envergure que les princes Disney. Fruitvale station tombe alors complètement dans l’absurde en essayant de lui ajouter l’étiquette du rédempteur : comment expliquer rationnellement qu’il balance une quantité importante de drogue (sur une musique touchante) quelques minutes seulement avant une transaction ? Ce comportement n’est aucunement réaliste, tout comme la réaction du client qui le comprend et soutient presque son geste. Oscar n’est que le pantin d’un réalisateur moraliste et utopiste qui le fait même caresser un chien errant qui mourra renversé quelques secondes après sur une musique dégoulinante de bons sentiments.

Fruitvale Station, Ryan Coogler

Le jeune réalisateur parvient cependant à créer une tension intense lors de sa reconstitution de la bavure policière. Mais est-elle vraiment le fruit de sa caméra ou du talent des comédiens ? Et si seulement, Fruitvale Station pouvait se clore sur l’horreur qui parcoure la société américaine. Mais Ryan Coogler préfère continuer le pathos et tenter de sauver son messie. Une tentative inutile – puisque le spectateur en connait déjà l’issue – qui ne permet que de montrer que les acteurs savent (bien) pleurer et qu’un noir peut être médecin.

Fruitvale Station, Ryan Coogler

Pour affliger une dernière fois son spectateur, Ryan Coogler achève Fruitvale Station avec un retour à une dure réalité : les véritables images d’une commémoration pour Oscar durant laquelle sa jeune fille pleure. Une utilisation tellement grotesque sans doute rajouté pour faire pleurer les plus récalcitrants d’entre nous.

Fruitvale Station, Ryan Coogler

Fruitvale Station est l’archétype même du sentimentalisme américain, néanmoins Ryan Coogler montre à travers certaines scènes qu’il est potentiellement un réalisateur (de la tension) et qu’il dirige ses comédiens avec réussite.

Le Cinéma du Spectateur
☆✖✖✖✖ – Mauvais

All is lost : Dériver dans l’ennui

All is Lost, J.C. Chandor

39e Festival du Cinéma Américain de Deauville
Compétition

Il y a des œuvres dont l’intrigue est si restreinte qu’elles ne peuvent se passer  d’une approche soit conceptuelle soit esthétisante pour sortir d’une banalité suicidaire. All is lost, se penchant sur la dérive d’un homme au cœur de l’Océan Indien, ne bouscule en rien les codes scénaristiques du « survival movie » si ce n’est que par l’âge (discutable) de son protagoniste. J.C. Chandor, jeune réalisateur encensé pour Margin Call (2011) qui ne m’avait déjà pas séduit, fait alors le choix de la recherche conceptuelle d’un dépouillement cinématographique à l’extrême. All is Lost joue sur une unité de temps censé montrer l’acharnement des éléments sur l’homme. Si je salue le choix d’exclure le moindre pathos en ne donnant aucune information biographique par le biais de flash-backs, le dépouillement psychologique du personnage empêche la mise en place d’un lien entre le personnage et le spectateur. Le personnage joué par Robert Redford est tellement lisse que même l’intérêt du spectateur glisse sur lui. Ce dernier ne se souciant finalement que peu du sort de ce héros mutique.

All is Lost, J.C. ChandorJ.C. Chandor dépouille sa mise en scène pour ne garder qu’une succession de plans rapprochés qui sont inadaptés à son ambition. Il enferme le personnage dans le cadre de sa caméra sans se soucier de l’Océan, pourtant ennemi pernicieux tout au long du film. Comment le spectateur peut se rendre compte de la solitude d’un être perpétuellement proche de lui ? C’est le paradoxe d’All is Lost qui prône une solitude extrême dans son fond, mais n’y parvient pas par sa forme. Si l’œuvre de J.C. Chandor déçoit, c’est surtout car elle pourrait s’inscrire dans la renaissance des survival movies. Il n’y a pas de prouesses techniques comme dans Gravity (Alfonso Cuaron), de poésie comme dans L’Odyssée de Pi (Ang Lee), de tensions comme dans 127 Heures (Danny Boyle). Le minimalisme d’All is lost est tel que l’œuvre devient vide de sens. J.C. Chandor signe une suite de tutoriels sur la survie en pleine-mer : comment réparer son bateau, comment réparer une radio, comment ouvrir un radeau, comment trouver de l’eau…

All is Lost, J.C. ChandorUne œuvre basée sur la solitude repose intégralement sur l’aura de son protagoniste et donc sur l’acteur qui se glisse derrière. C’est sur le jeu transcendant de James Franco que repose le survival claustrophobique de Danny Boyle (127 heures) ou sur celui de  Tom Hanks chez Robert Zemeckis (Seul au monde). Or Robert Redford est un acteur vieillissant, comme réveiller d’un autre temps, qui ne parviendra jamais à devenir la bouée de sauvetage du naufrage de J.C. Chandor. Son jeu est toujours excessif – un manque de modération qui le fait tomber dans un comique clownesque qui ne sied pas à l’ambiance que tente de créer le film.

All is Lost, J.C. ChandorAll is lost est bien une œuvre de survie, celle du spectateur. L’œuvre s’enlise, traîne en longueur, pour finir dans une scène finale aberrante qui rompt totalement avec le réalisme souhaité. Un retournement de veste affligeant qui amène le navire All is lost à toucher le fond de la mer.

Le Cinéma du Spectateur
☆✖✖✖✖ – Mauvais

Snowpiercer : L’art du mouvement

Snowpiercer, Bong Joon-Ho

39e Festival du Cinéma Américain de Deauville
Film de Clôture

Snowpiercer n’est pas une énième production américanisée (et donc aseptisée) d’un réalisateur sud-coréen en quête d’une popularité mondiale. Il faut dire que l’exportation des talents sud-coréens n’a pas fait de miracle : le « cinglé » Kim Jee-Woon s’enlise avec Schwarzy dans Le Dernier Rempart pendant que Park Chan Wook (Old Boy) signe un film mineur avec Stoker. Bong Joon-Ho, quant à lui, ne fait pas l’erreur de répondre à l’appel d’Hollywood. Le cinéaste est à la tête d’une production mondiale à l’image de son histoire. Réalisateur multifacette aussi à l’aise dans le drame psychotique (Mother) que dans la réécriture du film de monstre (The Host), Bong Joon-Ho ne tombe pas dans l’action purement pyrotechnique des Blockbusters. Snowpiecer est non seulement une réflexion sur l’humanité, mais aussi un challenge filmique que le réalisateur surmonte par la maestria de sa réalisation.

Snowpiercer, Bong Joon-Ho

Snowpiercer, librement inspiré de la BD française « Le Transperceneige », est une œuvre transgenre : futuriste, apocalyptique, politique, sociale. Dans un train – réunissant les derniers hommes – lancé à vive allure autour d’une Terre gelée, une lutte des classes oppose la misère des derniers wagons (les « Queutards ») à l’opulente richesse de l’avant du train. Cet arche de Noé mécanique est alors paradoxal : symbole du génie salvateur de l’homme survivant à sa propre extinction, le train est pourtant rétrograde socialement avec le retour d’une lutte armée riche/pauvre. Métropolis (Fritz Lang) horizontal, Snowpiercer exprime la puissance du désir de l’homme de renverser les structures sociales inégalitaires. L’œuvre n’est pas réellement l’histoire d’un personnage, celui de Curtis (Chris Evans), mais plutôt d’une idée, d’un mouvement, d’une rébellion. C’est le combat du collectif contre l’individuel. Bong Joon-Ho ne se veut pas portraitiste, il ne s’attarde pas sur les caractéristiques de ses personnages. L’importance scénaristique d’un personnage ne signifie pas sa survie, c’est dans ce sens que le réalisateur séduit faisant venir la mort avec un vicieux hasard.

Snowpiercer, Bong Joon-Ho

Mais Bong Joon-Ho ne se contente pas d’un banal récit de révolte. Le cinéaste signe une réflexion sur le pouvoir corrosive. « Contrôler la machine, c’est contrôler le monde » répète les personnages ne se rendant pas compte de l’asservissement de l’homme à la technologie. L’homme est dépassé par la propre étendue de sa connaissance, par les outils qu’il a créée. Une scène est d’ailleurs symbolique : la rébellion plongée dans le noir semble vouée à mourir quand la rétrogradation des techniques la pousse à revenir à la simple maîtrise du feu. Celui qui détient la Machine (Wilford joué par Ed Harris) détient le pouvoir suprême. Une suprématie qui lui permet d’assoir une domination qui s’appuie aussi bien sur les croyances – celle de la divine machine – et sur l’histoire. En effet, la rébellion arrive dans un wagon-école ce qui permet au réalisateur de montrer la mainmise de Wilford sur les consciences. En ayant le pouvoir, il montre le monde à sa façon : il détourne l’éducation pour en faire le moyen d’instaurer un culte personnel. Une véritable dictature obsolète qui se cristallise autour du bras droit Mason (Tilda Swinton, une nouvelle fois sublime). Un personnage qui permet à Bong Joon-Ho de montrer la lâcheté des dominants une fois qu’ils deviennent dominés.

Snowpiercer, Bong Joon-Ho

Snowpiercer n’est pourtant pas une œuvre basée seulement sur son récit, mais un film qui doit tout à sa réalisation. Bong Joon-Ho se fait virtuose en composant perpétuellement avec l’espace. Il privilégie les lignes de fuite pour servir le mouvement et joue avec les angles pour multiplier l’espace confiné du train. Bong Joon-Ho donne la même importance à la lutte morale (celle issue des dialogues) qu’à celle physique qu’il chorégraphie à merveille. Il inscrit sa réalisation, perpétuellement inattendue, dans la quête du mouvement que dessine l’œuvre. Jamais la tension ne retombe dans une course effrénée pour la liberté dans laquelle le mouvement est nécessaire à la survie : s’arrêter, c’est devenir une proie. Si Snowpiercer est continuellement épique, c’est parce que les personnages participent à la création d’un mouvement multiple chacun étant une force autant unique que collective. Le ralentissement ne pourra se faire que par la violence, l’horreur ou les rebondissements scénaristiques.

Snowpiercer, Bong Joon-Ho

Snowpiercer n’est pas un blockbuster, et encore moins une œuvre mineure. C’est une épopée haletante qui repose autant sur ses personnages, sa mise en scène que sur la beauté des images. Une œuvre retentissante qui donne (enfin) de l’espoir en un cinéma d’action intelligent.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆✖✖ – Bien

Shérif Jackson : Un tir à blanc

Sherif Jackson, Logan & Noah Miller

39e Festival du Cinéma Américain de Deauville
Compétition

Shérif Jackson aurait pu être une œuvre séduisante, mais ce n’est finalement qu’un film de seconde zone qui s’enlise à suivre les productions américaines de son temps. Les Frères Miller ne réalise pas une œuvre singulière, mais tente (maladroitement) de réécrire le cinéma des nouveaux chefs du cinéma américain que sont Tarentino – surtout – et les Frères Coen. Une volonté de filiation qui amène un échec et pose la question de l’assèchement de la production cinématographique américaine qui peine à se renouveler. En s’attaquant au Western, genre royal des Etats-Unis, les Miller se posent un challenge. En effet, le film de « cow-boy » dont les cinéphiles proclament la mort depuis des années ne peut sortir de sa lente agonie que par l’innovation. Les réalisateurs confirmés qui ont tenté l’expérience doivent leur réussite à la transposition de leur univers et mode de création sur le Western. Les Coen amène dans True Grit leur génie de la réplique et leur personnage clé du raté magnifique. Tarantino crée le Western « moderne » avec Django Unchained en y amenant les codes du gore de notre époque. Shérif Jackson ne dévoile aucune nouveauté et aucune réflexion propre au Western.

Sherif Jackson, Noah et Logan Miller

Les Frères Miller livrent surtout un navrant sous-Tarantino. On sent l’ombre du réalisateur dans chacun des plans. Shérif Jackson tend alors vers la même glorification de la violence en poussant encore plus à l’extrême le côté cartoon des combats. Un dépassement qui ne fait que tomber le film dans la Série B. Même l’humour qu’ils essayent d’insuffler dans les scènes de violence ne parvient pas à les sauver. Ils ne parviennent pas à saisir la justesse de la distance que met Tarantino avec la Série B, il s’en inspire sans jamais pourtant être pleinement dedans. Les personnages sont également des archétypes des héros du cinéma de Tarantino. Sarah (January Jones) est une Black Mamba (Kill Bill) en costume dont l’insipide vengeance ne permet de mettre en valeur que son manque de profondeur. Les Miller collent au sujet central du Western avec ce récit de femme vengeresse d’un mari mort pour s’être opposé au dogme du Prophète Josiah campé par un Oscar Isaacs dont le jeu est en dilettante. Le Shérif Jackson (Ed Harris) est quant à lui pompé entièrement sur le Dr King Schultz de Django. Mais encore une fois oser la comparaison avec le génie comique de Christopher Waltz est un pari risqué que perdent une nouvelle fois les deux frères.

Shérif Jackson, Noah & Logan Miller

Shérif Jackson souffre d’ailleurs de ce trop-plein de personnages centraux. En ne privilégiant pas un angle de lecture, les Miller n’amènent aucune profondeur à leur récit. Ils effleurent leurs personnages sans organiser une véritable utilisation psychologique. Sarah, Josiah ou Jackson ne sont que des pantins au service de rocambolesques saynètes. Le film avait pourtant moyen de gagner en profondeur à travers eux, et cette possibilité qui rend le spectateur encore plus amère. Sarah n’est pas la figure de femme forte qu’elle aurait pu être. Elle aurait teinté le film d’un féminisme intéressant et permit de dialoguer sur la place de la femme dans le genre. Le personnage du Prophète Josiah ne sera pas utiliser pour amener une réflexion sur le fanatisme religion aux Etats-Unis, et le poids de la religion dans les décisions politiques d’une zone dont l’Etat est absent.

Shérif Jackson, Noah & Logan Miller

Shérif Jackson est une œuvre qui souffre de ses modèles. Les Frères Miller ne peuvent avancer en étant bloqué avec tant de ferveur vers le passé cinématographique de leur idole. Ils ont tenté le duel, mais l’ont perdu.

Le Cinéma du Spectateur

Robin Miranda / ☆☆✖✖✖ – Pas Terrible
Ambre Philouze-Rousseau / ☆☆✖✖✖ – Moyen

Blue Jasmine : Welcome Back Home, Mr. Allen

Blue Jasmine, Woody Allen

39e Festival du Cinéma Américain de Deauville
Premières

Certains réalisateurs sont incrustés à un tel point dans un milieu social ou/et géographique que la moindre tentative d’exotisme entraîne un dessèchement artistique. Une fuite en avant qui ne fait que mettre en lumière que leur talent appartient bien aux œuvres passées. Woody Allen est l’archétype même de ces derniers. Sans doute quitte-t-il le New-York bourgeois et bohème de peur de se répéter ou par pure envie d’évasion, mais c’est les meilleurs films de sa filmographie qu’il laisse derrière. Son voyage européen est allé de mal en pis : une réussite avec Match Point – son œuvre qui lui ressemble le moins –, puis le thé refroidi, le tapas se rassit (Vicky Cristina Barcelona), le pain est mangeable (Minuit à Paris) et la pizza carbonisée (In Rome with Love). Une délocalisation qui semble de plus en plus économique qu’artistique. C’est à la vue de ses dernières créations que Blue Jasmine marque son retour, voire même sa résurrection. C’est d’ailleurs le thème du « retour » qui parcoure tout le long-métrage.

Blue Jasmine, Woody Allen

Blue Jasmine marque le retour du scénario typiquement allenien : un débit de paroles frénétique, des personnages névrosés à en faire pâlir un psychologue. Il ne suffira que de la scène d’ouverture pour que les appréhensions du spectateur soient balayées. Woody Allen amène l’égocentrisme de son personnage à un tel degré que c’est seule qu’il la fait discuter. Une absurdité qui fait réapparaître son cynisme des névroses perdu depuis Whatever Works (2009). Il renoue avec ce qu’il connait le mieux – et ainsi ce qu’il critique le mieux : la (très) haute bourgeoisie newyorkaise. Grâce au personnage de Jasmine, c’est avec tout son génie qu’il se réconcilie et qu’il livre l’un de ses personnages les plus fascinants flirtant avec la folie comme jamais.

Blue Jasmine, Woody AllenRevisitant l’histoire de l’escroc Bernard Mardoff, Woody Allen s’intéresse à ceux qui survivent au naufrage : la femme délaissée et ruinée. Ex-bourgeoise quand certains sont ex-chômeur, c’est une identité que doit retrouver Jasmine. Blue Jasmine est une œuvre qui s’axe sur une double dualité : l’une temporelle avec une narration alternée entre le faste passé et le pauvre présent, l’autre sociale entre les deux sœurs. Ces miroirs inversés permettent au réalisateur d’amener un comique récurrent à travers l’inadaptation de Jasmine à sa nouvelle vie ascétique que seul des valises Vuitton, des perles et l’alcool égayent. Un retour à sa première vie, celle d’orpheline, qu’elle a oubliée dans l’opulence. La désincarnation de l’être par l’argent, Woody Allen l’amène frontalement avec le pseudonyme de Jasmine. Une perte d’identité qui se gradue à la perte des repères financiers. 

Blue Jasmine, Woody AllenSi l’univers de Jasmine est détruit, celui de sa sœur Ginger (l’adorable Sally Hawkins) le sera également toujours dans cette logique de dualité. Un dualisme qui se rejoint dans cette question perpétuelle du « retour », du passé dans un sens péjoratif. Jasmine doit reprendre à zéro une évolution sociale que la chance d’une rencontre lui avait permise. Un « retour » financier qu’elle tentera progressivement de résoudre. Celui de sa sœur, finalement bien plus grave, est sentimentale. Caissière à la vie simple dont le seul écart est un divorce, Ginger replonge dans ses rêveries chevaleresques. Elle voit dans la vie de sa sœur une possibilité de s’émanciper d’un monde qui pourtant lui convient. Elle entre alors dans un élan autodestructeur brisant son bien-être en espérant ce qu’elle ne pourra jamais avoir.  

Blue Jasmine, Woody Allen

Blue Jasmine est une réussite (surtout) grâce à Cate Blanchett. Elle livre une performance incroyable – déjà favorite pour les prochains Oscars – qui fait évidemment écho à celle de Gena Rowland dans Une Femme sous Influence (1974), le chef d’œuvre de John Cassavetes, sous Xanax. Elle ramène au sein du cinéma de Woody Allen la figure féminine : personnage fascinant et névrosée. L’actrice devient la personnification même de la muse et estompe sans vergogne les fantômes des incursions de Scarlett Johansson, et même de Penelope Cruz. Elle donne au film ses ruptures de tons, sa fragilité, son émotion. Cate Blanchett y trouve son doute son plus grand rôle et montre un talent comique inné.

Blue Jasmine, Woody AllenBlue Jasmine est bon Woody Allen, et il sera donc automatiquement adoubé par la critique française qui le suit souvent à l’aveugle. Une œuvre plaisante sublimée par Cate Blanchett. Cependant, le tableau n’est pas si idyllique. Le film pêche du côté de ses seconds leur donnant plus le rôle d’accessoires que d’entités vivantes. Ils sont conviés, mais resteront toujours les invités du personnage de Jasmine. Blue Jasmine est également un film inégal qui stagne en son milieu, un passage à vide dû surtout à l’explosion du talent scénaristique d’Allen dans les premières scènes. Mais on serait presque prêt à tout lui pardonner tant il est agréable de le retrouver. Espérons seulement que ce « Welcome Back Home » se transforme en « Home Sweet Home ». 

Le Cinéma du Spectateur

Robin Miranda / ☆☆☆✖✖ – Bien
Ambre Philouze-Rousseau / ☆☆☆✖✖ – Bien

Les Amants du Texas : Amour Précoce

Les Amants du Texas, David Lowery

39e Festival du Cinéma Américain de Deauville
Compétition

Les Amants du Texas de David Lowery est une œuvre qui ne peut sortir de son contexte cinématographie – position à double tranchant –. Symbole de la vitalité artistique du cinéma indépendant américain, le film fait également parti d’un genre devenu Roi dont le manque de nouveauté commence à se faire sentir : le Southern Gothic. Adoubé par Terrence Malick – chef de file logique -, il prône un cinéma naturaliste avec une constante recherche du mouvement et de la lumière. Ce genre s’inscrit dans une volonté de mettre au point des films d’atmosphère plus que des films de récit, comme pour mieux ressembler à la nature luxuriante et inquiétante des Etats du Sud dans laquelle l’homme est mis face à sa solitude et sa bestialité. Le Southern Gothic devenu routine du cinéma américain, n’ayant plus les grâces de la nouveauté, ne laisse ainsi éclore que les plus talentueux : Jeff Nichols (Take Shelter, Mud) ou Ben Zeitlin (Les Bêtes du Sud Sauvage). David Lowery est-il la prochaine révélation ?

Les Amants du Texas, David LoweryLes Amants du Texas, suivant un modèle à la Terrence Malick, est une œuvre qui base son récit sur la digression. David Lowery entoure ainsi son histoire d’un mystère – forcément séduisant – en ne mettant pas le spectateur dans une position omnisciente, un confort que les réalisateurs lui octroient trop souvent. Le spectateur ne dispose pas d’explication, il suit le récit à la hauteur des personnages. Décrivant son œuvre comme une « chanson folk », le réalisateur américain signe des scènes-couplets qui prônent une certaine instantanéité de la vie et qui se catalysent autour d’un refrain : l’amour solaire que se portent Ruth (Rooney Mara) et Bob (Casey Affleck). L’ellipse devient alors un véritable mode de narration. David Lowery ne suit plus la mémoire événementielle de ses personnages, mais une mémoire sentimentale. Il fait papillonner son récit  en insufflant une douceur à ce couple dramatique. Le spectateur s’immisce alors dans un quotidien plus fort car plus proche d’une certaine notion de l’épopée. 

Les Amants du Texas, David LoweryLe long-métrage de David Lowery se veut proche d’une vision antique de la tragédie en reprenant le thème récurrent des amoureux transis. Souvent comparé à « Bonny & Clyde », Les Amants du Texas ne cherche pas l’héroïsme mais plutôt à la prétention de toucher au sublime. Les scènes de violence ou de coup de feu sont brèves et semblent tourner plus par nécessité narrative que par volonté de créer une acmé. David Lowery tente d’amener une notion chevaleresque du romantisme avec la dénonciation fatale de Bob pour sauver sa femme, pourtant coupable. Un sacrifice amoureux qui a pour but de protéger la vie, l’enfant que Ruth porte. Cependant, les personnages n’ont pas de profondeur. Cela n’a rien à voir avec le talent de comédiens de Rooney Mara et Casey Affleck qui illuminent l’œuvre, mais plutôt au fait que les rôles ne sont vu que par le prisme de leur couple. Ruth sera du début à la fin la femme attentiste, et Bob le fugitif. Ils n’ont qu’une seule facette dans une histoire qui pourtant se veut aux confins du drame psychologique avec le retour Patrick (Ben Foster) le policier sur lequel Ruth à tirer. 

Les Amants du Texas, David LoweryDe plus, David Lowery abandonne progressivement dans cette deuxième partie son mode narratif elliptique. Le film s’enlise alors dans ce récit plus classique et perd le charme qu’il avait su créer depuis son ouverture malickienne dans un champ baignée de lumière vers laquelle se tourne sans cesse la caméra. Enfin, le scénario des Amants du Texas donne une certaine facilité et aisance à la fugue de Bob. Une facilité qui entache alors un peu la vraisemblance globale du récit. Presque jamais il ne sera inquiété par les forces de l’ordre, il vagabonde aisément dans un milieu qui devrait pourtant lui être hostile.  

Les Amants du Texas, David Lowery

Les Amants du Texas permet à David Lowery de montrer qu’il est tout de même un réalisateur et un scénariste prometteur. Cependant, il faut qu’il s’émancipe de ses modèles qui le rattrapent, surtout Terrence Malick.

Le Cinéma du Spectateur

Robin Miranda / ☆☆✖✖✖ – Moyen
Ambre Philouze-Rousseau / ☆☆✖✖✖ – Moyen

Ma Vie avec Liberace : Les Dorures du Biopic

Ma vie avec Liberace, Steven Soderbergh

39e Festival du Cinéma Américain de Deauville
Premières

1977, Las Vegas. Bob Black amène son ami-amant voir le show d’un pianiste fantasque. Ils pénètrent dans une salle pleine de ménagères quinquagénaires redevenant des filles en fleur le temps d’une soirée. Au-dessus des gloussements, une mélodie au piano enrobe la pièce d’un cocon séducteur. Sur scène, un piano triomphe orné d’un candélabre. Sous les plumes, les strass et les paillettes, Scott Thorson (Matt Damon) découvre – tout comme le spectateur – l’exubérant Liberace. Steven Soderbergh ne pouvait rendre mieux grâce à son sujet en le montrant au premier abord dans tout son rayonnement, presque sa sacrosainteté. Une image marquetée dont le film s’éloigne presque immédiatement : « mais comment ne voient-ils pas qu’il est gay ? » s’étonne le prochain Mr. Liberace. Ma vie avec Liberace, ou plutôt Behind the Candelabra, est justement le récit de l’envers du décor, une sorte d’introspection derrière le faste, derrière le personnage.  

Ma Vie avec Liberace, Steven SoderberghInconnu en France, Liberace est une figure majeure de l’Entertainment américain. Pianiste émérite, il est adoubé par la société américaine qui lui offre sa propre émission télévisée. Il modernise le genre – s’adressant directement à la caméra pour la première fois – et devient l’artiste le mieux payé au monde durant des années. Un train de vie qui lui permet d’ériger un royaume à son image. Summum du kitsch, son univers outrancier dans lequel le bling-bling est roi sert d’écrin à son plus grand secret : son homosexualité. Un palais digne de « Louis II de Bavière » qui devient un harem à la gloire du corps masculin regroupant divers Adonis de passage. L’intelligence de la mise en scène de Steven Soderbergh est de participer à la glorification des fantasmes du Pianiste-Roi. Il surprend le spectateur amenant sa caméra où le regard homosexuel se pose. Il dévoile le visage de Scott Thorson à travers les jambes du Majordome ultra-moulé dans son minishort. Le regard de Soderbergh atteint un degré de sensualité palpable sur ces corps nus. Il se place dans un culte de la beauté qu’il partage avec son personnage avide de rester jeune par la chirurgie ce qui amène plusieurs scènes d’anthologie avec le Dr. Jack Startz (Rob Lowe, hilarant). 

Ma Vie avec Liberace, Steven SoderberghMa vie avec Liberace doit sa réussite et sa sensualité à l’époustouflant travail de composition de Matt Damon et Michael Douglas. Aidés par un remarquable maquillage, ils apportent à leur personnage une fragilité palpable, un sentiment que la cassure est toujours à fleur de peau. Matt Damon renforce sa position d’acteur de composition. Michael Douglas, renaissant, ne semble pas jouer mais véritablement incarner cet empereur mégalo avec un air taquin et humoristique qu’aucun réalisateur n’avait encore percé. Jamais il ne tombe dans une démesure gratuite, il est cette « vielle folle » – comme le dit Scott – dont le fantasque amuse et finalement séduit même le spectateur. Michael Douglas ironise d’ailleurs en résumant le film à « une histoire d’amour entre Jason Bourne et Gordon Greko » – rôle emblématique des deux acteurs. Plaçant ainsi le film totalement dans son contexte homosexuel. Il faut dire que si le film dresse un portrait de l’homosexualité à la fin des années 1970 dans un show-business qui opte pour la politique de l’autruche devant l’évidence. Même à sa mort, les attachés de presse de Liberace nieront qu’il est mort du sida. Ma Vie avec Liberace amène également la question de l’homosexualité dans le cinéma contemporain. Steven Soderbergh s’est en effet vu fermer les portes de nombreux studios en raison de son thème. Le plus troublant étant la place de la liberté de l’art et de sa parole face à une logique coûts/bénéfices.  

Ma Vie avec Liberace, Steven SoderberghSteven Soderbergh livre un des films sur l’homosexualité les plus aboutis. En dehors des clichés gays que véhiculent Liberace et que Soderbergh ne peut amputer à son histoire, Ma Vie avec Liberace dissèque au plus profond les thématiques et les réflexions homosexuelles : l’orientation sexuelle d’abord avec la bisexualité de Scott Thorson, puis la question de la position de chacun dans le couple (le refus de passivité de Scott), pour enfin traiter de l’évolution d’un couple non-reconnu par une entité administrative et dont la seule sauvegarde se fait par une absurde adoption. Bien que centré autour de la figure tutélaire de Liberace, le film est également l’éducation sentimentale et sexuelle de Scott Thorson. Une histoire d’amour touchante et dévastatrice entre deux êtres blessés par la vie et perpétuellement abandonnés : Scott dans son enfance, Liberace par la célébrité. 

Ma Vie avec Liberace, Steven SoderberghSoderbergh enferme le couple dans des lieux constants dans lesquels les scènes semblent se rejouer. C’est ainsi de la répétition que jaillit le détail et la finesse du traitement psychologique des personnages. A la manière d’un cercle, le film suit son cours emprisonnant les deux hommes dans la fatalité de leur condition : leur amour naît et meurt au sein de la même sphère. Soderbergh ne s’attarde alors seulement dans trois lieux distincts. La loge, lieu écrasé par l’aura artistique de Liberace, verra naître l’intérêt mais aussi l’indifférence. Le Jacuzzi amène la sensualité et l’ambiguïté pour y opposer avec encore plus de force les vides et les silences qui s’y installent. Enfin, la chambre d’abord antre de la passion ne sera plus que frustration et routine. L’œuvre de Soderbergh se clôt d’ailleurs à la manière d’un cercle, s’il s’ouvre sur la prestation de Liberace, c’est pour finir sur son plus grand drame – sa mort – que Scott transforme en un dernier spectacle dantesque.

Ma Vie avec Liberace, Steven SoderberghMa Vie avec Liberace repose également sur un savant mélange des genres, ne tombant ainsi dans aucun des pièges du biopic larmoyant. Soderbergh apporte à son traitement de l’homosexualité, et par extension à la société des années 1970, un humour percutant qui se joue des clichés. Le réalisateur américain tire sa révérence cinématographique en redonnant enfin au biopic ses lettres de noblesse. Il livre une œuvre qui renoue avec une narration « historique » intelligente, brillamment ciselée et qui assume ses digressions.  

 Le Cinéma du Spectateur

Robin Miranda / ☆☆☆☆✖ – Excellent
Ambre Philouze-Rousseau / ☆☆☆☆✖ – Très Bien

Le Majordome : S’asservir à l’Amérique bien-pensante

Le Majordome, Lee Daniels

39e Festival du Cinéma Américain de Deauville
Premières

Le Majordome de Lee Daniels n’est pas un cas isolé. Dernièrement, les cinéastes américains replongent dans leur Histoire pour mettre en avant les grands moments qui ont fait des Etats-Unis une terre de liberté et de démocratie. Ressasser le passé comme pour mieux montrer le manque de risques politiques des derniers Présidents américains dont Obama se montre l’héritier (outre l’« Obamacare »). Une Histoire qui ne peut se détacher de la question de la population noire : une communauté en quête de liberté, puis en quête d’égalité. Ainsi après le givré Django Unchained de Tarantino et l’abolitionniste Lincoln de Spielberg, Lee Daniels continue la mise en image de l’émancipation du peuple noir. Le Majordome qui suit la vie de Cecil Gaines de 1926 à 2008 s’inscrit également dans la volonté de faire de l’Histoire une affaire personnelle et de mettre en avant les petits gens qui sans le savoir auraient marqué leur époque et permis un avancement. Quoi de mieux pour le public américain que de suivre les aventures d’un « nègre de maison » sous la direction de 7 Présidents américains, de Eisenhower à Reagan ?

Le Majordome, Lee Daniels

Il faut dire que les américains sont bien-pensants, moralisateurs, mais surtout aveugles. Ils semblent se lamenter sur les conséquences d’un racisme qui bien que devenu illégal sévit encore brutalement. Le Majordome vogue sur cette rédemption nationale regroupant à son bord la crème de la star afro-américaine : Lenny Kravitz, Mariah Carey, Forest Withaker, et surtout la Reine Oprah Winfrey ; auxquels s’ajoute une pléiade de noms comme Jane Fonda ou Robin Williams. L’énorme casting tient la route, mais semble se presser devant la caméra à des fins caritatives. Avoir son nom au générique, c’est affirmer l’adage pourtant logique : « le racisme, c’est mal ». Ajoutez à cela le fait que Monsieur Obama soutient le film pour en faire un atout politique d’un pays où le noir gagne, malheureusement ce n’est que du cinéma.

Le Majordome, Lee DanielsIl est toujours navrant de voir des histoires extraordinaires, comme celle de Cecil Gaynes, devenir de mauvais film. Avec Le Majordome, Lee Daniels ne dispose pas seulement d’une biographie rocambolesque au plus proche du pouvoir, mais d’une réelle réflexion sur l’engagement. Si le cinéaste tente de choquer par une scène d’ouverture faiblarde, le véritable commencement intellectuel du film se situe lorsque Cecil Gaynes rencontre un « nègre de maison » qui lui donne la clé de la réussite des Noirs au sein d’une société gangrenée par le proche passé esclavagiste. L’homme noir doit avoir deux visages, l’un pour l’homme blanc et un autre pour sa communauté. Cette dualité devient palpable entre les parcours simultanés de Cecil et de son fils, Louis. Pour ce dernier,  son père n’est autre que le maillon encore visible de la puissance dominante de l’homme blanc. Il n’est qu’un vulgaire laquais. A l’inverse, ce n’est que la délinquance et le danger que voit Cecil Gaynes dans la passion libertaire de son fils. 

Le Majordome, Lee DanielsLe Majordome c’est finalement l’ascension sociale d’un noir qui gagne à fréquenter les blancs qui se voit à travers l’évolution de l’intérieur cosy des Gaines dans lequel déambule sa femme (Oprah Winfrey) perdue au milieu du conflit familiale. Une aisance que refuse le fils et qui amène donc la dualité à son paroxysme. Mais c’est pourtant les mêmes finalités qui unit les deux hommes, faire de l’homme noir l’égale de l’homme blanc chacun à son échelle. Louis Gaynes s’inscrit dans un macrocosme prônant un changement radical et rapide quitte à tomber dans des groupuscules violents. Tandis que son père cherche une égalité au sein du microcosme qu’est la Maison-Blanche avec la question de salaires des employés noirs. C’est la figure tutélaire de Martin Luther King qui réhabilite d’ailleurs la place du domestique noir dans la lutte pour les droits civiques. Discutant avec Louis dans un motel, il fait du nègre de maison « l’agent le plus subversif de l’intégration des noirs ». Le Majordome est un être de confiance, de discipline et de politesse. C’est par cette image rassurante que passe également l’insertion des noirs dans la société américaine. 

Le Majordome, Lee DanielsLa faiblesse du Majordome tient d’ailleurs d’une volonté de rassurer le public américain. Il faut dire que Lee Daniels doit faire oublier l’indigente farce sexo-vulgaire Paperboy. Sans aucun risque ni dans la mise en scène ni dans le scénario, le film n’est qu’une fade œuvre académique taillée pour les Oscars. Pour garder une étiquette « tout public », Lee Daniels détruit les scènes qui auraient pu amener au film la profondeur qui lui manque. Jamais l’horreur, pourtant palpable, n’est montrée. L’apport historique est aseptisé pour répondre à l’ironique non-violence du cinéma américain. Lee Daniels avait entre les mains une histoire fascinante au sein de la Maison-Blanche – dont le nom sonne comme un ultime coup raciste – avec des scènes qui auraient pu être haletantes (l’entrainement des étudiants noirs pour résister à l’oppression, l’attaque du bus …). Mais à trop chercher à sauvegarder le public en favorisant l’ellipse ou le montage alterné, il affadie son propos. Le Majordome devient alors un ultime biopic lacrymal emplie de bons sentiments dont les ressorts sont mal exploités. Il suffit de voir l’image des différents Présidents qui défilent pour comprendre que le véritable problème du cinéma américain est qu’il manque de profondeur et tombe rapidement dans le cliché psychologique. Il en ressort un manichéisme enfantin. 

Le Majordome, Lee DanielsFaire pleurer Obama et réunir des « stars » n’est pas gage de succès. A trop vouloir plaire au plus grand nombre, c’est dans la masse justement que Lee Daniels coule. Le Majordome est un biopic fade qui passe à côté du principal : la beauté de son histoire. 

Le Cinéma du Spectateur

Robin Miranda / ☆☆✖✖✖ – Moyen
Ambre Philouze-Rousseau / ☆☆✖✖✖ – Moyen

Festival Américain de Deauville 2013 : Jours 8-9

Les Garçons et Guillaume, à table !, Guillaume Gallienne

Prix Michel D’Ornano – Les Garçons et Guillaume, à table !, Guillaume Gallienne
Robin Miranda / ☆☆☆☆✖ – Excellent
Ambre Philouze-Rousseau / ☆☆☆☆✖ – Excellent

Breathe In, Drake Doremus

Compétition  Breathe In, Drake Doremus
Robin Miranda / ☆☆☆✖✖ – Bien
Ambre Philouze-Rousseau / ☆☆✖✖✖ – Moyen

Le Majordome, Lee Daniels

Premières – Le Majordome, Lee Daniels
Robin Miranda / ☆☆✖✖✖ – Moyen
Ambre Philouze-Rousseau / ☆☆✖✖✖ – Moyen