Millennium Actress : Les sept spectres de Chiyoko

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Sortie nationale le 18 décembre 2019

Curieusement resté inédit en France, Millennium Actress (2001) est pourtant la quintessence du discours cinématographique de Satoshi Kon. Ses œuvres ont continuellement repoussé les limites interprétatives entre la réalité et la fiction – que cette dernière évoque le rêve pur, l’imaginaire ou le récit de sa propre vie. Cette maestria est indissociable des techniques et possibilités infinies de l’animation qui, seule, semble pouvoir recueillir les fabuleuses folies scénaristiques et formelles du cinéaste japonais. À travers la quête mémorielle de l’actrice autrefois adulée Fujiware Chiyoko, Millennium Actress exprime une autre facette, moins sombre tout en étant nimbée de mélancolie, de la filmographie de Satoshi Kon. En effet, il s’agit de l’unique œuvre où l’altérité de la réalité n’est pas envisagée à travers un prisme pessimiste : de la paranoïa meurtrière de Perfect Blue (1997), à la dérive technologique de Paprika (2006) en passant par les projections de traumatismes passés sur le rêve de construire une famille de Tokyo Godfathers (2003).

Millenium Actress, Satoshi Kon

Millennium Actress se concentre sur les souvenirs de Chiyoko dont la vie n’aura été qu’une poursuite après l’être aimé, un révolutionnaire en fuite mis sur sa route par le hasard. Satoshi Kon fait de la mémoire une matière malléable qui, bien que linéaire, déconstruit l’espace et le temps avec pour seul fil conducteur le bouillonnement des sentiments. Il compose des paysages mentaux témoignant de la force d’un amour qui n’est qu’un élan infatigable vers l’autre (réel ou fantasmé). Le cinéaste se rapproche ainsi d’une définition baudelairienne du spleen : la frustration d’un idéal, ici romantique, auquel le protagoniste ne renoncera jamais et qui s’exprime par une rage de vivre. Le spectateur est guidé à travers les méandres sentimentaux de Chiyoko par deux reporters venant recueillir les souvenirs de cette légende oubliée du cinéma japonais. D’abord témoins muets, ils prennent progressivement part à l’action. Ils annihilent, par leur complémentarité, les deux postures dans lesquelles le spectateur peut se murer, à savoir la rationnelle perplexité (le cameraman) et la sensiblerie excessive (l’intervieweur), afin de ne laisser la voie qu’à l’émotion dans sa plus pure acceptation.

Millenium Actress, Satoshi Kon

Face aux changements impétueux de la société japonaise d’après-guerre, Chiyoko place dans le cinéma, et les rôles qu’elle interprète, le dernier espoir de retrouver l’homme qu’elle aime : « j’ai pensé qu’il pourrait toujours voir un de mes films ». En incorporant à son récit des séquences d’œuvres fictives, Satoshi Kon brouille davantage la frontière entre la réalité et la fiction. Il fusionne la femme et l’actrice montrant ainsi comment le cinéma, et par extension l’art, est le miroir de nos espérances et de nos regrets autant pour ceux qui le fabriquent, l’incarnent ou le regardent. La fiction devient un chemin de traverse dans lequel la ferveur de la quête de Chiyoko peut survivre au-delà de l’implacable impossibilité du réel. Millennium Actress devient alors une déclaration d’amour aux femmes de l’histoire du cinéma japonais : celles luttant contre l’oppression chez Mizoguchi, celles vertueuses et courageuses chez Kurosawa ou celles libres et modernes chez Ozu (la vie de Chiyoko rappelant d’ailleurs celle de son actrice fétiche, Setsuko Hara). Satoshi Kon rend hommage à une cinéphilie qui, comme les studios Ginei devant lesquels passent les deux reporters pour se rendre dans la maison reculée de l’actrice, n’est vouée qu’à devenir un vestige.

Millenium Actress, Satoshi Kon

Millennium Actress affirme ainsi la place essentielle du cinéma, et de l’art, dans la société comme seul moyen d’effleurer une histoire de l’émotion. En faisant de Chiyoko la mémoire vivante du Japon du siècle dernier, Satoshi Kon loue alors la persévérance d’une femme-nation voyant dans la recherche d’un idéal, plutôt que dans sa réalisation, la vitale promesse d’un futur à parcourir.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆– Excellent

Que garder des années 2000 ?

Récemment, j’ai sollicité votre opinion pour réaliser un sondage : « quels sont les films des années 2000 qui vous ont le plus marqué ? ». Vous avez été plus d’une vingtaine à me faire part de vos coups de cœur, je vous remercie. Je vous dévoile ainsi les films qui sont pour vous les plus audacieux, les novateurs, les plus cultes.

1. In the Mood for Love, Wong Kar-Wai (Hong-Kong, 2000)

In the Mood for Love, Wong Kar-Wai

2. Le Seigneur des Anneaux : la Communauté de l’Anneau, Peter Jackson (Etats-Unis/Nouvelle-Zélande, 2001)

Le Seigneur des Anneaux : la Communauté de l'anneau, Peter Jackson

3. Kill Bill : volume 1, Quentin Tarantino (Etats-Unis, 2003)

Kill Bill : volume 1, Quentin Tarantino

4. Le Seigneur des Anneaux : le Retour du Roi, Peter Jackson (Etats-Unis/Nouvelle-Zélande, 2003)

Le Seigneur des Anneaux : le Retour du Roi, Peter Jackson

5. Le Seigneur des Anneaux : les Deux Tours,  Peter Jackson (Etats-Unis/Nouvelle-Zélande, 2002)

Le Seigneur des Anneaux : les Deux Tours

6. Le Voyage de Chihiro, Hayao Miyazaki (Japon, 2001)

Le Voyage de Chihiro, Hayao Miyazaki

7. Valse avec Bachir, Ari Folman (Israël, 2008)

Valse avec Bachir, Ari Folman

8. Good Bye, Lenin !, Wolfgang Becker (Allemagne, 2002)

Good Bye, Lenin !, Wolfgang Becker

9. Gran Torino, Clint Eastwood (Etats-Unis, 2008)

Gran Torino, Clint Eastwood

10. Million Dollar Baby, Clint Eastwood (Etats-Unis, 2004)

Million Dollar Baby, Clint Eastwood

Votre classement montre plusieurs tendances. Le retour d’une cinéphilie des blockbusters avec la présence des 3 volets du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson,. En effet, les années 2000 sont marquées par l’arrivée de véritables réalisateurs déjà encensés pour d’autres œuvres : Christopher Nolan révolutionne Batman, Sam Raimi s’en prend à Spider-man, Chris Columbus adapte Harry Potter. Voilà que des œuvres que vous avez mentionnées. Le spectateur peut alors enfin conjuguer divertissement et plaisir cinéphile comme dans les années 1970-80 avec George Lucas, Steven Spielberg ou Chris Columbus (déjà).

Les années 2000 marquent aussi l’éclosion d’une animation plus mature. Le monopole du style Disney s’effrite déjà : les Studios Ghibli de Miyazaki et Pixar amènent une nouvelle concurrence. Un cinéma qui dépasse la sphère de l’enfance et qui atteint même les festivals de cinéma puisque Le Voyage de Chihiro est présenté à Berlin, Valse avec Bachir à Cannes tout comme Persépolis et Les Triplettes de Belleville que vous avez aussi plébiscité. L’animation entre également dans un service de mémoire dont dispose le cinéma.

Les années 2000 sont également le théâtre d’un passage de relais au sein des réalisateurs américains. Seul Clint Eastwood parvient encore à atteindre des sommets critiques et publics, il réalise durant les années 2000 ses plus grands films qui installent son style à Hollywood presque en modèle. Les vieux de la vieille sont remplacés par de jeunes réalisateurs qui confirment leur succès des années 2000 comme Quentin Tarantino ou les Frères Coen. Mais c’est surtout de nouveaux visages qui deviennent des références : Peter Jackson, Christopher Nolan, James Gray, Sofia Coppola. Il en est de même en France avec Michel Gondry, Jacques Audiard, Michel Hazanavicius ou Maïwenn.

Je vous fais d’ailleurs part du classement des réalisateurs :

1. Peter Jackson – Trilogie Le Seigneur des AnneauxKing-Kong
(4 longs-métrages, 14 votes)

2. Clint Eastwood – Million Dollar BabyGran TorinoLettres d’Iwa Jima
(3 longs-métrages, 7 votes)

3 ex-aequo. (3 longs-métrage, 4 votes)
Pedro Almodovar – VolverLa Mauvaise EducationEtreintes Brisées
Jacques Audiard – Un ProphèteDe Battre mon coeur s’est arrêtéSur mes lèvres

5 ex-aequo. (3 longs-métrages, 3 votes)
Alejandro Gonzales Inarritu – Babel, 21 Grammes, Amours Chiennes
Christopher Nolan – Memento, Le Prestige, The Dark Knight

7. Wong Kar-Wai – In the Mood for Love, My Blueberry Nights
(2 longs-métrages, 7 votes)

8. Quentin Tarantino – Kill Bill, Inglorious Basterds
(2 longs-métrages, 6 votes)

9. Chris Columbus – Harry Potter 1, Harry Potter 2
(2 longs-métrages, 4 votes)

10 ex-aequo. (2 longs-métrages, 3 votes)
Michel Gondry – Eternal Sunshine of the Spotless Mind, La Science des Rêves
Paul Thomas Anderson – There Will Be Blood, Magnolia

Pour finir, je vous dévoile le podium des longs-métrages français qui font également part des mêmes remarques.

1. Persépolis, Marjane Satrapi, Vincent Peronnaud (2007)

2. Un Prophète, Jacques Audiard (2009)

3. OSS 117 – Le Caire, nid d’espion, Michel Hazanavicius (2006)

Je vous remercie une nouvelle fois, je vous dévoilerai prochainement le top 10 du Cinéma du Spectateur.