Les Enfants Loups – Ame & Yuki: Surpasser l’Animation

Les grands noms sont rares dans le milieu du cinéma d’animation, mais Mamoru Hosoda s’est automatiquement placé comme l’héritier du demi-dieu Hayao Miyazaki. Hosoda est un perfectionniste, il suffit de voir le sublime qui se dégage de ses paysages: les arbres, les plantes, les décors deviennent des pièces d’orfèvrerie. C’est dans cette nature, pourtant endémique, que surgit le fantastique. Cette immersion dans le réel visuel lui donne une connotation douce et presque légitime. Les marques de fabrique des oeuvres nippones répondent présentes: Perfectionnisme et Poésie du Merveilleux. Cependant, Hosoda apporte son propre fonctionnement narratif qui diffère de Miyazaki. Si ce dernier choisit d’ouvrir un monde nouveau et fabuleux à son spectateur – que ce soit la tribu de « Princesse Mononoké » au monde parallèle du « Voyage de Chihiro » en passant par le monde sous-marin de « Ponyo sur la Falaise » -, Mamoru Hosoda prend à contre-pied le récit miyazakien. Il ne favorise ni le dépaysement, ni la novation, ni la progression dans ce monde stupéfiant. Chez Hosoda, la narration consiste soit à la transformation du réel par le fantastique (« La Traversée du Temps », 2007) ou à la progression du fantastique dans le réel (« Summer Wars », 2010), soit aux moyens mis en place par ses protagonistes pour occulter leur différence (« Les Enfants Loups », 2012). La différence est pourtant cruciale. Car, en ne s’attardant par sur la féerie, Hosoda crée de véritables psychologies humaines. Il ne ballade pas ses personnages, il les fait vivre. Ils se libèrent de leur caractéristique picturale pour devenir des êtres à part. Par cette prouesse, Hosoda se distingue du film d’animation standard qui empathie constamment de son statut même de film d’animation. L’animation rime dans l’imaginaire collectif avec enfance et ficelles (visibles) mélodramatiques. Le caractère pictural empêche l’identification, et les histoires rocambolesques et absurdes (puisque les enfants sont moins cartésiens) interdisent une quelconque probabilité. Pourtant, on pourrait dire que Hosoda cherche le fantastique: Ame et Yuki ne sont-ils pas mi-loup mi- humain ? Mais, ce n’est pas cette caractéristique qui les définit. Ame sera une petite fille pleine de vie, Yuki un être fragile. Après tout, le film aura pour sujet non pas ces enfants extraordinaires, mais le portrait de cette mère courage (Hana) qui permettra l’épanouissement de cette famille contre vents et marées.

Les Enfants Loups, Mamoru Hosoda

La frontière entre animation et oeuvre filmique se voile également sous le talent de Hosoda. Au delà de la consistance psychologique de ses personnages, Hosoda se place en véritable réalisateur. Il construit ses cadres et ses plans avec les mêmes armes que ses collègues qui travaillent hors de l’animation. Il filme ses corps animés comme s’il voulait nous montrer qu’ils étaient des êtres en chair et en os. Il ne se contraint pas dans sa mise en scène, puisque l’animation permet tout, mais il filme à la manière d’un Casavettes. On pourrait croire qu’il a posé une caméra dans les pièces de la maison d’Hana et qu’il laisse déambuler et vivre, sous nos yeux, des êtres qui sont pourtant la définition même d’imaginaire: car dans une oeuvre filmique (en général) si la psychologie est fictive, le physique lui renvoie toujours à une réalité hors-caméra. Hosoda montre comme un respect envers ses protagonistes qui se laissent approcher. Il utilise aussi des plans surprenants pour l’animation: des plans d’ensemble, des plans dans lesquels les personnages déambulent de dos, ou encore des plans qui cachent leur visage. Il porte un regard sur eux qui leur donne une présence charnelle. Le visage est le maître du cinéma d’animation, c’est le moyen d’excellence pour que le spectateur comprenne l’émotion que le personnage doit faire transparaître. Mais Hosoda préfère à cela la retenue et les détails de la gestuelle, de la voix. Pourtant il s’inscrit dans l’art du manga où la finesse de l’émotion est la moins subtile, il dépasse les lacunes de ses prédécesseurs. Il crée des entités qui acceptent d’être le temps d’une oeuvre les sujets d’un récit qui leur est propre et il donne de l’humanité à ce qui en à le moins.

Les Enfants Loups, Mamoru Hosoda

Les oeuvres d’Hosoda sont singulières dans le monde de l’animation. Il transcende les genres cinématographiques, accouplant la beauté formelle de l’animation, la puissance de la mise en scène et la finesse psychologique des grands observateurs de l’âme humaine.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆☆✖ – Excellent

L’Important, c’est d’aimer: Fantasque et Réaliste

Le film de Zulawski ressort sur les écrans français. 37 ans sont passés sous les ponts et pourtant, « L’Important c’est d’aimer » s’inscrit toujours autant dans l’histoire du cinéma français par sa singularité. Andrzej Zulawski est un réalisateur complexe qu’on pourrait rapprocher tantôt de Godard pour sa capacité à insuffler le cocasse et l’absurde dans une réalité banale, et tantôt de Lars Van Trier (même si ce dernier lui est contemporain) pour sa fascination pour les corps charnels et le sublime que dégage les déviances humaines. « L’important c’est d’aimer » brouille les limites entre un cinéma purement réaliste, j’entends par là qui parle de ce qui pourrait réellement et facilement se passer hors du spectre cinématographique, et le fantasque.

L'Important c'est d'aimer, Andrzej Zulawski

D’un point de vue du réel, Zulawski est un grand observateur des relations humaines. Il cerne avec justesse la complexité et les incompréhensions de l’homme en société face à ses semblables. Il dresse le portrait amoureux d’un trio dans lequel la femme est reine et centrale, mais aussi fragile et manipulable. Un « Carmen » à trois où flotte « Si tu ne m’aimes pas, je t’aime / Et si je t’aime, prends garde à toi ». L’amour est illusoire, la nécessité et l’argent viennent la quérir. « Une femme çà s’achète, quoi qu’elle en dise ». Ici, c’est un amour courtois moderne qui se met en place, l’honneur a disparu pour être remplacé par une dette de vie, une dette d’attention et de prise en charge. Zulawski dresse un portrait de l’amour désabusé et cruel, une vérité que la réalité tente de nous faire comprendre et dont l’homme refuse de croire par orgueil, voulant nier sa quête de l’intérêt. Nadine/Schneider et Servais/Testi seront la bouée de cette humanité à la dérive, l’apparition d’un amour qui malheureusement ne fonctionnera pas.

L'Important c'est d'aimer, Andrzej Zulawski

Zulawski ne déconstruit pas seulement l’amour, mais aussi toutes les relations qui lient les hommes. La figure du père apparaît ici comme un être parasitaire qui apporte l’insécurité et amène à une sorte d’esclavage sociale. L’amitié consiste en une simple trahison: Servais n’a-t-il pas couché avec la femme de son meilleur ami ? Et l’absurdité de la figure d’une grand-mère prévenante apparaît à travers le personnage de Madame Mazzeli. Elle permet et tolère une violence (un passage à tabac) qu’elle teintera presque d’ironie en y ajoutant  un dérisoire « Prends soin de toi, je t’aimais ». A travers eux, Zulawski est fasciné par la marginalité dont l’homme est capable. Ces êtres pourtant si ancrés dans la société et dont le regard des autres permet de vivre (actrice, photographe, collectionneur)  sont alors les fers de lance d’une humanité qui choisit de vivre comme elle l’entend, une humanité où l’homme est laid, immoral et méprisable. Cette vision atteindra son paroxysme à travers l’entreprise fantasmatique du personnage de Mazzeli où l’avidité sexuel de l’homme est comblée. La société se résumerait à un groupe d’illuminés sexuels qui prendrait place dans un « Sodome et Gomorrhe » général. Mais les Héros de Zulawski se limitent dans la société dépravée qu’il crée à une vie simple. C’est leur rejet de la société qui leur permet d’avoir une meilleure compréhension de l’homme, de voir sa vrai nature. L’homme est secret, et ses secrets sont bien sombres. Leur désinhibition fait d’eux une sorte d’évolution de l’être humain. La suppression des tabous entraînent chez eux la fin des dérives.

L'Important c'est d'aimer, Andrzej Zulawski

Andrzej Zulawski approche, par le fantasque, au plus près de l’homme véritable, vicieux par nature. Ces marionnettes extravagantes mise à mal peinent étrangement à se frayer un chemin dans ce monde qui leur ressemble mais où l’ombre est pour eux lumière. Ils apparaissent d’abord comme des hommes de petites vertus, des ratés. Mais ce sont eux finalement qui par la pureté de leur mise à nu permettent une certaine rédemption de l’image humaine. Certes l’amour ne triomphe pas, mais c’est l’homme qui tient ici une victoire à travers leur moral et leur mode de vie.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆☆☆ – Chef d’Oeuvre

The Dark Knight Rises: Les Funérailles d’un Héros

Christopher Nolan est un réalisateur à part dans le cinéma mondial actuel. Il est la rencontre même entre l’art et le divertissement. Le renouveau des films de super-héros, c’est grâce à lui. Sa trilogie autour de l’homme chauve-souris est d’une telle qualité visuelle et scénaristique que les grands studios américains ont maintenant décidé d’aller chercher des réalisateurs de talent pour réaliser leurs films. L’explosion ne fait plus recette, il faut maintenant un scénario, ce que les producteurs auront mis du temps à découvrir.  Michel Gondry pour « The Green Hornet », Kenneth Brannagh pour « Thor », et dernièrement Marc Webb pour « Spider-man »… Impensable si Christopher Nolan n’avait pas amené le genre du super-héros dans un genre cinématographique et non seulement dans un genre économique. Il faut tout de même signaler que cette transformation est aussi due, avec moindre importance aux « Spider-man » de Raimi. Mais « The Dark Knight Rises » remet en question la puissance de la trilogie si bien amorcée par « Batman Begins » et sublimée avec « The Dark Knight » (le film manifeste d’un genre qui choisit enfin la qualité). Nolan met fin à Batman en se plantant une épine dans le pied.

The Dark Knight Rises, Christopher Nolan

Tout commence par un scénario, si ce dernier n’est pas bon, même le plus grand réalisateur du monde ne peut rien y faire. Mais que dire quand le scénario provient du réalisateur même, pourtant réputé ingénieux scénariste (« Inception », « The Dark Knight »). Sans doute, une manque d’inspiration, ou tout simplement une overdose de Batman. Il faut dire que Nolan était attendu au tournant après deux épisodes réussis. Ici, tout n’est que cliché et attendu: méchant musclé, héros qui chute pour renaître et se dépasser, le dépassement de soi pour faire comme un … enfant, les histoires d’amour grosses comme des buildings. C’est un retour au super-héros d’avant Nolan et Raimi. Il n’y a plus de psychologie propre aux personnages, plus de méchants psychopathes mais des camionneurs bodybuildés ex-taulard de pays exotiques ; plus de dialogues mais des explosions. Ici, Nolan privilégie l’action pure et dure en oubliant justement ce qu’il a réussi à créer avec les deux premiers opus. Bruce Wayne n’est qu’une sorte de faire-valoir pour montrer des gros engins, des explosions, des tirs et des coups de poing. Et ce n’est pas le pseudo retournement de la fin, si ridicule qu’imprévisible, qui sauvera ce navire qui coule.

The Dark Knigt Rises, Christopher Nolan

Un autre problème empêche le fonctionnement de « The Dark Knight Rises » et son rapprochement aux précédents opus: la disparition de Gotham. En effet, Christopher Nolan avait tout fait pour que le rapprochement entre Gotham (mégalopole verticale imaginaire) et New-York (mégalopole verticale réelle) ne puissent se faire. « Batman Begins » ne marquait pas encore cette envie de créer une nouvelle ville à la « Métropolis » de Lang, mais le but de « The Dark Knight » était de créer un Gotham à travers des images d’autres villes existantes et dont les images sont moins gravées dans l’imaginaire collectif. Le tournage aura alors lieu à Chicago, en ajoutant des visions de Los Angeles et de Baltimore et un soupçon de Hong-Kong qui attire par son ultra-verticalité les tournages du monde entier. Même si techniquement, le tournage de « The Dark Knight Rises » condense Pittsburgh, Los Angeles et New-York pour continuer de créer un Gotham unique. Le réalisateur fait l’enfantine erreur de faire des plans globaux vue du ciel de New-York pour montrer cette ville-île coupée du monde et qui doit se battre contre elle-même. Il ne faudra même pas une demi-seconde pour que le spectateur place le nom de « New-York » sur ces images et détruisent à tout jamais la ville crée par Nolan. Cette erreur est bien plus grave qu’il n’y paraît. Car l’univers de Batman fonctionne extraordinairement bien justement parce qu’il est situé dans une sorte de monde parallèle au notre où le fantastique est permis et où il peut s’épanouir. Mais par l’identification de ces images de New-York, le spectateur va se rendre compte de l’impossibilité d’un tel fonctionnement social au sein d’une réalité qui est la sienne. Les incohérences font surface, et ne pourront plus être mise de côté. Un super-héros dans un monde réel est dur à accepter et facilement pointer du doigt par son absurdité.

The Dark Knight Rises, Christopher Nolan

Nolan ne parvient pas à tutoyer les mêmes cieux que dans les précédents opus. Il enterre sa trilogie en détruisant ce qu’il avait pourtant si brillamment réussi à créer. Il n’arrive pas une troisième fois à créer la magie technique et scénaristique. Les funérailles de Batman sont alors douloureuses avec une pointe de regrets. C’est la dernière impression qui marquera la trilogie et elle est teintée d’amertume.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆✖✖✖ – Moyen

Prometheus: La Reproduction du Déjà-vu

Ridley Scott est un réalisateur complexe. Son oeuvre montre une profonde dualité.  Il y a deux Ridley Scott complètement différents dont les deux modes de traitement visuel sont sans aucun atome crochu, et parfaitement hermétique l’un envers l’autre. D’un côté, le cinéaste récompensé, et parfois acclamé, avec des films dramatiques dérivant de plus en plus vers le film de cape et d’épée façon Blockbuster. De l’autre, le réalisateur qui a (re)créé un cinéma de science-fiction exigeant en mettant au centre de son oeuvre la claustrophobie, l’angoisse de l’inconnu, l’avancée dans le flou. C’est cette ignorance qui entraîne les comportements qui dirigent ses films: la curiosité sera plus forte que la mort. Une seule chose unit cependant les deux cinémas de Ridley Scott: une volonté de recréer des époques, des cultures, des modes de vie. Et c’est pour cela que son oeuvre mise une grande partie de sa réussite sur la direction artistique. « Prometheus » n’échappe pas à la règle: Ridley Scott  (à travers Arthur Max, son chef décorateur) crée lui-même une civilisation, n’oubliant aucun détail (langage, art), dans laquelle l’obscurité est reine et le noir se nuance de métal ou de pétrole. Si nous sommes le peuple de la lumière (l’omniprésence du blanc dans le vaisseau Prometheus), eux seront engloutis par les ténèbres de leur propre civilisation.

Prometheus, Ridley Scott

« Prometheus » marque le grand retour du cinéaste vers la Science-Fiction. Et pour réussir son opus, Ridley Scott s’approprie toutes les valeurs sûres du genre. Conséquence, « Prometheus » perd toute individualité. Il ne fait que partie des films de genre assez banals. Scott ne révolutionne plus la Science-Fiction avec des trouvailles techniques et scénaristiques: il réchauffe ce qui fonctionne (assurément) sur le public venu pour trembler, se cacher les yeux. Le point de vue subjectif des caméras pour une mise en abyme du rôle de spectateur, pour que ce dernier se sente encore moins capable d’intervenir, pour amplifier sa passivité et l’horreur d’assister à des morts en direct. Et le pire dans tout çà, c’est que Ridley Scott ne pousse pas le vice jusqu’au bout, pourquoi revenir au point de vue objectif lors de l’attaque, pourquoi ne montrer que l’angoisse des personnages ? L’originalité de l’oeuvre nous trouble encore lorsqu’il reprend ses propres thèmes: héberger en son propre corps l’ennemi, une des plus grandes trouvailles de Scott, malheuresement, Noomi Rapace n’est autre qu’un double de John Hurt (Kane dans « Alien ») qui a déjà endossé ce rôle … 32 ans auparavant. Enfin, Michael Fassbender est l’extension du HAL 9000 de Stanley Kubrick dans « 2001: l’Odyssée de l’Espace ». Mais cette version humanoïde perd la puissance d’un simple cercle de lumière rouge. Les actes de HAL 9000 sont imprévisibles car aucune identification n’est possible. Sa froideur est implacable, on comprend que l’homme n’a aucune emprise sur lui. Michael Fassbender apparaît plus comme un homme psychorigide qu’une véritable menace. Ridley Scott copie mais ne surpasse jamais, il prend les effets mais néglige de les entretenir, de les pousser à leur paroxysme.

Prometheus, Ridley Scott

Une autre remarque montre ce sentiment de ne pas aller au bout des choses, mais cette dernière pourrait s’avérer fausse dans la suite prévu à « Prometheus ». Ridley Scott pose avec ce film un questionnement intéressant sur les origines de l’Homme. Qui nous a créé, pourquoi sommes-nous là, Dieu existe-il ? Mais si la sujet intéresse, il n’est aucunement traité. Il n’amène aucune réponse aux questions de ses propres personnages. La Science-Fiction n’est pas intellectuelle, elle dérive peu à peu vers le Blockbuster pur et dur. Sans doute que le bruit des cris, de la taule déchirée ne nous permette pas d’entendre les pistes apportées par le réalisateur. Et si Dieu, ce n’était tout simplement pas lui ? Il est bien celui qui permet la vie fictive des acteurs. Ridley Scott crée une image, mais ne crée pas de contexte. Il interroge dans le vent. Mais les réponses seront sans doute présentes dans le deuxième opus qui donne l’eau à la bouche rien que par son nom: « Paradis ». Espérons que le scénario ne dérive pas à la sur-enchère de l’angoisse, encore une fois.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆ – Moyen

To Rome With Love: Quantité ou Qualité ?

Woody Allen s’est toujours placé dans le rôle du génie incompris, sauf que dans son cas, ce n’est pas le reste du monde qui ne le comprend pas, mais lui-même. Cette posture psychologique face à son propre art lui a toujours permis d’éviter les foudres de la presse qui reçoit ses films en chefs d’œuvre ou tièdement. Mais, il est certain que Woody Allen est en train de couler. Son radeau esquissé par « Minuit à Paris » ne fonctionne finalement pas. Sans doute que l’air parisien lui sied mieux que celui de Rome. Depuis « Match Point » en 2005, film étonnant dans sa filmographie, Woody Allen se perd dans un voyage européen qui s’éternise. Il est le cinéaste de la ville, le cinéaste de la classe bourgeoise d’un New-York dont il est l’âme. Mais, le Woody Allen globe-trotteur ne rassemble dans son sac à dos que les mauvais côtés de son cinéma. Certes, il a toujours des éclairs de génie: le rôle de Pénélope Cruz dans « Vicky Cristina Barcelona » (le seul grand rôle de l’actrice non-écrit par Almodovar), l’alter-égo d’Allen dans « Whatever Works »… Mais son cinéma est devenu bavard. On peut dire qu’Allen a toujours été le cinéaste des dialogues, le scénariste de la parole. Mais, le contenu n’est plus. Il reste seulement un assemblage de phrases creuses. Où est passé l’humour si spécial de l’auteur ?

To Rome with Love, Woody Allen

Pour palier sa vision péjorative de sa filmographie, Woody Allen a toujours dit qu’il privilégiait la quantité à la qualité, en espérant que dans le tas, un ou deux films seraient réussis. Mais, vu les chefs d’oeuvre qu’il laisse derrière lui, ne devrait-il pas maintenant prendre le temps de faire des films aboutis. « To Rome With Love » donne l’impression d’être un film fait à la va-vite. Le réalisateur ne se pose pas sur la ville de Rome, il la survole seulement. Il n’apporte qu’une vision superficielle de Rome et de ses habitants. Les clichés pleuvent sur Rome, les monuments à voir sont vus. Mais dans tout cela, Woody Allen ne crée rien. Certains se plaignaient du côté carte postal du Paris allenien, mais que diront-ils alors du Rome qu’il dessine ?

To Rome with Love, Woody Allen

« To Rome With Love » montre le nouvel amour du cinéaste pour le film choral. Sauf que l’intérêt du film choral ne réside qu’uniquement dans l’entrelacement des histoires. « Babel » de Alejandro Gonzales Inarritu n’aurait certainement pas la même saveur si les histoires n’étaient pas relier par la vente d’un fusil des années auparavant. « To Rome With Love » n’est alors qu’un banal film à sketchs. Woody Allen aurait du moins éparpiller son scénario dans la futilité de certaines histoires: la partie avec Benigni est si mauvaise que sa présence à l’écran en devient agaçante, l’inutilité du rôle de Alec Baldwin dans le segment Eisenberg-Page. Mais l’esprit de Woody Allen perce quand même de temps à autre le brouillard qui s’abat sur son film. Le Segment Eisenberg-Page rappelle le trio amoureux de « Vicky Cristina Barcelona » sans folie meurtrière, le côté doux et soft. N’oublions pas également la partie qui marque le retour en tant qu’acteur de Allen. C’est dans cette partie que ressort l’absurdité comique qui parcourt certains films de son oeuvre. Sa frénésie, son débit de parole, et les travers de son personnage sont le charme même des scénarios alleniens. Cependant, les moments de répit dans la lourdeur de « To Rome With Love » sont bien trop minces pour oublier les défauts et les ficelles (si visibles) de ce film touristique.

Il ne reste plus qu’une chose à faire pour sauver le cinéma de Woody Allen: lui offrir un billet pour New-York.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ✖✖✖✖✖ – Nul

Sur la Route: Du littéral au visuel

Walter Salles savait qu’il serait attendu au tournant en adaptant le roman de la « Beat generation ». Son entrée dans la compétition cannoise et une bande-annonce réussie laissaient croire que l’esprit de Kerouac avait été retrouvé. Mais, il faut savoir que Kerouac n’a pas écrit un simple ouvrage. « Sur la Route » est le manifeste d’une Amérique qui prospère, qui se retrouve au paroxysme de sa puissance après les deux guerres mondiales. Cela entraîne un changement des consciences: ces héros de papier veulent seulement vivre, ou plutôt jouir de la vie (sexe, alcool, drogue, musique, ne pas réfléchir aux conséquences). Une seule règle les dirige: aucun attachement matériel ou géographique. Il faut vouloir prendre la route, écouter son appel et vivre, dans la misère parfois. La sensation est reine.
Le réalisateur brésilien ne réalise pas un mauvais film (certes un peu long), il oublie juste l’esprit de Kerouac. Si l’on ne prend ce film non en tant qu’objet à part, mais en tant qu’adaptation du roman, il est raté. Son problème ne réside pas dans sa réalisation, ses acteurs, ou sa qualité plastique (réussie). Il réside dans le fond même.

Sur La Route, Walter Salles

« Sur la Route » n’est plus, d’abord, le symbole de la route. Walter Salles transforme les espaces de Kerouac pour les amener vers un confinement qui ne sied guère. Les personnages déambulent dans une succession d’endroits clos, perdant toute liberté, toute capacité de mouvement. Salles les paralysent, les enlisent dans l’Amérique qu’ils essaient justement de fuir, celle des conventions, celle des biens matériels. La route n’est plus le personnage central, c’est la voiture qui prend le relai. Et c’est encore une fois le confinement qui rapproche ces corps entassés dans la taule. Ils ne sont plus guidés par cette envie de partir.

Sur la route, Walter Salles

De plus, Salles cherche (intelligemment) à retrouver le caractère subversif qu’a eu le roman lors de sa parution en 1957. Mais le monde a bien changé, et les moeurs sont largement moins farouches. La seule solution pour Salles est de ne s’attacher qu’à la drogue, qu’au sexe. « Sur la Route » version 2012 n’est alors qu’un raccourci stérile de l’oeuvre de Kerouac devenant un Best-Of des scènes érotiques, et des prises de substances. Bien sur qu’elles parsèment le roman, mais elles ne sont que le moyen d’expression de leur sentiment. Salles place la périphérie au centre, perdant l’intérêt et la perspicacité de Kerouac.

Sur la Route, Walter Salles

Enfin, Salles n’a pas la finesse psychologique de Kerouac. Kerouac a le génie de donner du réalisme dans des personnages loufoques, extravagants. Le plus bel exemple réside dans le personnage de Jane (joué par Amy Adams). Salles en fait une folle (attention, cela est souligné par le fait qu’elle ne soit pas peignée – la folle est toujours ébouriffée) si peu crédible qu’il y perd son propos. Le seul personnage réussi est celui de Camille (Kirsten Dunst) puisqu’elle montre son désaccord avec la façon de vivre de Dean (présente dans tous les personnages du roman). Elle montre l’ambiguité car c’est la séduction de la différence qui l’a poussée à cette lassitude destructrice. Son personnage est l’âme de l’oeuvre originelle.

« Sur la Route » était jugé inadaptable, Walter Salles le confirme.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆✖✖✖ – Moyen

Le romancier Beigbeder s’essaie au cinéma: coup médiatique ou réussite cinématographique ?

L’écrivain porte à l’écran son propre roman « L’Amour dure trois ans ». Dans cette oeuvre d’inspiration autobiographique, il suit les mésaventures amoureuses d’un chroniqueur mondain du nom de Marc Marronnier. Mais Beigbeder se vend comme le « hipster » ultra-branché qu’il se dit être. Mais finalement, est-il véritablement un auteur à part entière ? Change-t-il vraiment les choses, les codes déjà en vigueur ? Son arrivée dans le milieu du cinéma est-elle une réussite ou un échec ?

L'Amour dure trois ans, Frédéric Beigbeder

A la lecture du synopsis, on voit déjà se dessiner les prémices de la comédie romantique assez banale. Une déception face à l’amour, la désillusion amoureuse, et puis PAF! l’être aimé apparaît. Comme c’est beau – et cliché. Mais bon, on se dit: « C’est Beigbeder, l’homme qui fait tout, donc il va jouer de son statut de comédie romantique, il ne peut tomber si facilement dans ce genre ». Et bien si, s’il ne s’écarte que par des pseudo-phrases chocs, il recentre son sujet dans la banalité de l’amour au cinéma, happy end à l’appui.

L'Amour dure trois ans, Frédéric Beigbeder

Mais ce qui sans doute est le plus agaçant dans ce film, comme l’oeuvre entière de son auteur, c’est cette propension à vouloir se donner un rôle – celui du je-m’en-foutiste qui est censé faire valser nos idéaux sur la société qui nous entoure à coup de phrases chocs ou du moins qui doivent l’être. Il suffit de voir la scène où dans sa chute Marc Marronnier écrit son livre se transformant au fur et à mesure que des phrases du gourou Beigbeder ornent les murs. Des phrases qui veulent faire sourire, dévoiler des vérités crues que l’homme lambda n’aurait pas pu comprendre ou voir, puisqu’il n’est pas le philosophe qu’est Beigbeder.

L'Amour dure trois ans, Frédéric Beigbeder

Le film dégage une envie de montrer une haute-société que le spectateur ne connaîtra jamais et qui lui semble fausse: entre alcool, homosexualité avoué – le coming out peu crédible d’un Joey Starr qui n’est pas utilisé à la hauteur de son immense talent d’acteur – petites pilules. Mais cette image de Bobo ne serait pas celle même de Beigbeider ? Pour apprécier le film, il aurait fallu déjà passer une sorte de marché avec l’auteur. Puisque le corrosif n’est qu’illusion, et le profondeur qu’éphémère.

Un petit résumé: déception.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆✖✖✖✖ – Mauvais