Le Vent se lève : Un monde désenchanté

Le Vent se Lève, Hayao Miyazaki

Tandis que la voix de Yumi Araï accompagne le générique, des applaudissements retentissent dans la salle. Une démonstration d’affection assez rare dans les salles françaises plutôt habituées à un élégant silence monacale. Mais il est nécessaire de déroger à la règle pour saluer une dernière fois l’un des plus brillants conteurs du cinéma mondial. Hayao Miyazaki est incontestablement une figure majeure du cinéma, pas seulement de l’animation, dont les œuvres intemporelles ont bercées des générations d’enfants et d’adultes souhaitant retrouvés la magie perdue. Maître de la poésie et de l’onirisme, l’animateur japonais semble signer une œuvre en totale contradiction avec sa filmographie : un ovni réaliste. Mais Le Vent se lève n’est-il pas justement la meilleure manière de clore son œuvre ?

Le Vent se lève, Hayao MiyazakiLe Vent se lève marque l’inattendue incursion du cinéma de Miyazaki dans la réalité historique : il y narre, librement, la vie de l’ingénieur aéronautique japonais Jiro Horikoshi qui a mis au point l’avion de chasse Mitsusbishi A6M utilisé durant la Seconde Guerre Mondiale. Ce dernier se débat face à un environnement hostile qui ne cesse de lui montrer les limites : d’abord  celles de son propre corps puisque sa vue l’empêche de devenir pilote d’avion, puis celles d’un monde fragile lors de l’incroyable scène du tremblement de terre qui secoua le Japon en 1923. Seul un élément le guide tout au long de sa vie : le Vent. Un vent rédempteur qui lui permet un détachement total d’une réalité souvent triste empreinte de miasmes (épidémie, montée des nationalismes). Un vent divinisé qui sert à Miyazaki de deus ex machina : n’est-ce pas ce dernier qui sert perpétuellement d’entremetteur entre Jiro et Nahoko en faisant s’envoler le chapeau de Jiro puis le parasol de Nahoko ?

Le Vent se lève, Hayao MiyazakiLe Vent se lève s’inscrit alors pleinement dans la filmographie de Miyazaki en partageant ce souffle libertaire qui s’exprime par la nécessité de conquérir le ciel afin d’atteindre une utopique pureté (Le château dans le ciel, 1986), de se démarquer de l’humanité (Kiki la petite sorcière, 1989) ou de retrouver une plénitude perdue (Porco Rosso, 1992).  Ici, le rôle du ciel est double : d’un côté lieu métaphorique à conquérir, de l’autre expression même du génie humain. Jiro ne voit alors dans l’aviation qu’un moyen d’y parvenir et permettre à l’homme d’atteindre une certaine utopie du perfectionnement.

Le Vent se lève, Hayao MiyazakiLe Vent se lève est ainsi une œuvre doucement cynique sur l’aveuglement d’un homme par sa propre passion. L’œuvre s’ouvre d’ailleurs sur un rêve qui agite un Jiro enfant comme pour montrer au spectateur qu’il va suivre une histoire certes « historique » mais d’après le point de vu d’un homme qui vit en dehors du monde qui l’entoure trop occupé à suivre son rêve. L’aviation pour Jiro est, comme il l’a déjà été dit, l’expression du génie de l’homme qui arrive à faire d’un rêve (celui de voler) une réalité. Jamais l’ingénieur ne se pose la question de l’utilisation de sa création, il vit dans une utopie idyllique à l’image de ses rêves dans lesquels l’aviation n’a pour finalité que le transport d’hommes personnifié par l’ingénieur Caproni. Miyazaki réussit alors brillamment à montrer le détachement de Jiro face au monde qui l’entoure : il ne sera pas secouer par les montées dangereuses du nationalisme qu’il voit au Japon et lors de son voyage en Allemagne. D’ailleurs, il est intéressant de remarquer que l’union germano-nipponne ne s’illustre seulement que par la connaissance d’une chanson allemande chantée dans une bucolique auberge japonaise.

Le Vent se lève, Hayao MiyazakiC’est ce détachement d’une réalité pourtant en plein délitement qui entraîne Jiro a focalisé sa vie sur la création de son avion au détriment de son entourage : une sœur perpétuellement oubliée et une épouse martyr. Le Vent se lève dégage une mélancolie intense que Miyazaki parvient à atteindre par la dure réalité psychologique de ses personnages qui pêche bien trop souvent dans l’animation. L’histoire d’amour entre Jiro et Nahoko est certes un peu (trop) romancée dans ses débuts mais elle reflète par la suite totalement l’immuabilité psychologique des personnages : l’unilatérale dépendance de Nahoko à Jiro tandis que ce dernier reste focalisé sur l’aviation. La mort de cette dernière ne deviendra d’ailleurs palpable seulement lors d’une immersion de cette réalité dans les rêves de Jiro. 

Le Vent se lève, Hayao MiyazakiLe Vent se lève est une œuvre doublement mémorable qui s’inscrit tout simplement dans la mémoire du spectateur et qui entraîne une longue réflexion sur l’œuvre en elle-même et aussi sur la place de l’animation dans le cinéma qui n’est plus seulement cantonnée au divertissement des enfants.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆☆ – Chef d’œuvre

Jacky au Royaume des Filles : l’arroseur arrosé

Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf

Projection Presse
Critique-Ouverte

La naissance de Riad Sattouf en tant que réalisateur (Les Beaux Gosses, 2009) s’est faite sous les meilleurs auspices : une présentation à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs, près d’un million d’entrées et le César du Meilleur Premier Film. Il signait une comédie atypique trouvant ses meilleurs ressorts comiques dans l’exacerbée banalité d’un adolescent de 15 ans. Il signait un film ingrat sur l’âge ingrat. Une œuvre qui plaçait Riad Sattouf parmi les plus beaux espoirs du cinéma français. Un titre qu’il ne conforte pas avec Jacky au Royaume des Filles : comédie plus futile que politique.

Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf

L’œuvre de Riad Sattouf est, comme la précédente, un ovni cinématographique. Un fourmillement de détails qui donne corps au loufoque monde de Bubunne, dictature matriarcale. Une société inversée dans laquelle les hommes affublés de voileries s’occupent des tâches domestiques pendant que les femmes tiennent les magasins, dirigent l’armée ou paradent sur des motos. C’est d’ailleurs sur ce renversement de nos images sociales que repose l’intégralité comique du film : le père de Jacky mort en l’éjaculant, les avances sexuelles des femmes, les rivalités sororales. Jacky au Royaume des Filles n’est autre qu’une réécriture foutraque du mythe de Cendrillon. Un rôle que tient Jacky (Vincent Lacoste) rêvant de se rendre au Bal des Gueux durant lequel la magnifique Colonelle (Charlotte Gainsbourg) choisira son époux.

Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf

L’œuvre se veut cependant réflective sur la question de la soumission et de son intériorisation. Riad Sattouf cherche à comprendre ce qui empêche sa Cendrillon de se rebeller contre un monde qui le met à mal. Il fait alors de son récit une farce politique pour montrer l’évidence : les rêves des individus sont le fruit des conventions sociales ce qui explique que Jacky préfère devenir le Gueux suprême plutôt que de fuir avec son oncle vers la liberté. La dictature est un état de fait qu’il est impensable de surmonter pour la majorité des gens qui se complaisent alors dans un enfermement physique (les voileries) et mentale (la peur, les conventions). Riad Sattouf s’attaque également aux institutions religieuses qui abaissent les hommes à croire au grotesque. Bubunne sanctifie les cheveux et les poneys qui auraient des dons télépathiques.

Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf

Cependant, le projet philosophique de l’œuvre est affadi par une perpétuelle course aux gags qui entraîne parfois l’œuvre dans des scènes manquant de subtilités. De plus, l’inversion homme/femme est mise à mal par la figure subversive de l’oncle Julin (Michel Hazanavicius). Il n’est pas le lien souhaité entre notre monde et celui de Bubunne mais semble plutôt un individu anachronique à l’univers du film notamment sur sa façon de se prostituer qui ne différent en rien du gigolo que nous connaissons au sein de nos sociétés. D’ailleurs, la mise en scène de Riad Sattouf manque d’audace ; n’aurait-il pas pu créer également une manière de filmer proche du cinéma soviétique pour rentre compte même dans le traitement de l’image du formatage de Bubune ? Il y a certes un travail énorme de création d’un point de vue plastique (entre Corée du Nord et la Russie de Staline), mais qui s’oppose à un certain académisme filmique.

Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf

Enfin, Jacky au Royaume des Filles se confronte à des problèmes de méthode philosophique. Inverser une situation de manière grotesque est-il véritablement un moyen suffisant pour dénoncer un état de fait ? Si les sexes échangent leur place, les caractéristiques des domines et des dominants restent les mêmes. Le regard de Sattouf n’est alors qu’une transposition du problème sans regard novateur. L’originalité qu’on pouvait trouver à l’œuvre devient discutable. De plus, poser une critique du réel dans un lieu fictif ne dénaturerait-il pas le propos que cherche à défendre le réalisateur ? Certes le film s’inscrit dans une réalité de décors édifiante avec cette ville géorgienne qui applique à la lettre l’idéologie égalitaire communiste, mais Bubunne est un lieu qui n’est pas palpable dans l’esprit du spectateur. Le projet politique devient une simple farce altérée par le caractère fictif de l’œuvre.

Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf

Le deuxième long-métrage de Riad Sattouf laisse le spectateur sur la touche. Les images sont plaisantes, certaines moments décrochent un rire, mais l’ambition du réalisateur se noie dans trop plein d’intentions.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆✖✖✖ – Moyen

Fruitvale Station : Il était une fois … le Sentimentalisme

Fruitvale Station, Ryan Coogler

39e Festival du Cinéma Américain de Deauville
Compétition
Prix du Public & Prix de la Révélation Cartier

La nuit du 1er Janvier 2009, une bavure policière ôte la vie d’Oscar Grant – jeune homme noir de 22 ans – à la Station de Fruitvale Station (San Francisco). Le long-métrage de Ryan Coogler narre les dernières vingt-quatre heures d’un homme devenu martyr. Un fait réel à l’américaine dont s’empare le jeune réalisateur pour son premier film. Une audace qui paie puisque l’œuvre devient « la sensation » de Sundace remportant sur son passage l’adhésion du jury (Grand Prix) et des spectateurs (Prix du Public). Une réussite presque naturelle dans un pays qui préfère ériger en martyr des hommes plutôt que de se questionner sur les dérives qui ont causé leur mort. Fruitvale Station est une œuvre marquetée pour les Etats-Unis, alors pourquoi remporte-t-il également 2 prix à dernier Festival de Deauville (Prix du Public, Prix de la révélation cartier) ?

Fruitvale Station, Ryan Coogler

Simplement parce qu’il suffit seulement de lire le synopsis de Fruitvale Station pour sentir en soi une affliction face à la fragilité de la vie, une révolte face aux dérapages qu’entraîne le délit de faciès. Ryan Coogler a déjà asservi le spectateur à sa cause avant même que l’œuvre ne démarre en projetant les véritables images, filmées avec un portable, de la bavure. Un coup de feu retenti, l’écran devient noir, le titre du film apparaît. Le souffle du spectateur est coupé, absorbé par la réalité. Le réalisateur projette le spectateur dans la société ghettoïsée de San Francisco dans laquelle une population noire déambule dans la misère portée par l’espoir qu’ils ont en Dieu et en Oprah Winfrey – les deux figures tutélaires des noirs américains. C’est le temps de la fiction qui démarre avec son lot de sentimentalisme parfois sauvé par la justesse des comédiens aussi bien confirmés (Octavia Spencer) que débutants (Michael B. Jordan, Mélonie Diaz).

Fruitvale Station, Ryan Coogler

Fruitvale station devient alors un récit hagiographique autour de la figure fantasmée d’un noir américain exemplaire poussé à enfreindre la loi pour contrer les inégalités qui gangrènent la société. S’il est dealer, c’est parce qu’il ne peut trouver d’emploi (étant sans diplôme). S’il menace physiquement son ancien employeur, c’est parce qu’il est poussé à bout par la société. Le film devient un plaidoyer ridicule cherchant à faire d’Oscar la victime parfaite d’un complot sociétal. Il doit devenir la figure du père modèle étant présent pour sa fille, de l’époux attentionné et du fils aimant. Un mélange qui lui fait perdre toute humanité pour devenir un personnage avec autant d’envergure que les princes Disney. Fruitvale station tombe alors complètement dans l’absurde en essayant de lui ajouter l’étiquette du rédempteur : comment expliquer rationnellement qu’il balance une quantité importante de drogue (sur une musique touchante) quelques minutes seulement avant une transaction ? Ce comportement n’est aucunement réaliste, tout comme la réaction du client qui le comprend et soutient presque son geste. Oscar n’est que le pantin d’un réalisateur moraliste et utopiste qui le fait même caresser un chien errant qui mourra renversé quelques secondes après sur une musique dégoulinante de bons sentiments.

Fruitvale Station, Ryan Coogler

Le jeune réalisateur parvient cependant à créer une tension intense lors de sa reconstitution de la bavure policière. Mais est-elle vraiment le fruit de sa caméra ou du talent des comédiens ? Et si seulement, Fruitvale Station pouvait se clore sur l’horreur qui parcoure la société américaine. Mais Ryan Coogler préfère continuer le pathos et tenter de sauver son messie. Une tentative inutile – puisque le spectateur en connait déjà l’issue – qui ne permet que de montrer que les acteurs savent (bien) pleurer et qu’un noir peut être médecin.

Fruitvale Station, Ryan Coogler

Pour affliger une dernière fois son spectateur, Ryan Coogler achève Fruitvale Station avec un retour à une dure réalité : les véritables images d’une commémoration pour Oscar durant laquelle sa jeune fille pleure. Une utilisation tellement grotesque sans doute rajouté pour faire pleurer les plus récalcitrants d’entre nous.

Fruitvale Station, Ryan Coogler

Fruitvale Station est l’archétype même du sentimentalisme américain, néanmoins Ryan Coogler montre à travers certaines scènes qu’il est potentiellement un réalisateur (de la tension) et qu’il dirige ses comédiens avec réussite.

Le Cinéma du Spectateur
☆✖✖✖✖ – Mauvais