Les 10 films de 2015 : Réenchanter l’image

Au début de l’année 2015, Réalité (Dupieux, France) apparaît comme un manifeste dans sa réaffirmation de l’image, dans sa simplicité, comme langage fantastique proprement cinématographique. En entremêlant réel et fiction, il forme un labyrinthe fantasmagorique où les créateurs et les monstres (les télévisions exploseuses de cervelles) jouent sur le même de degré de réalité. Il y a une autonomisation du récit filmique où le fantastique joue le rôle de déclencheur à l’instar de l’ouverture de Fou d’Amour (Ramos, France). La tête fraîchement tranchée d’un curé (Melvil Poupaud) transgresse les règles de la vraisemblance pour raconter ce qu’il a amené à être jugé par des hommes face à des spectateurs jouant le rôle de Dieu au moment du jugement dernier. Les éléments fantastiques trouvent alors une existence à nu, sans l’appui des effets spéciaux, pour devenir non plus un gadget, mais une réalité alternative acceptée par le spectateur. Selon cette idée, Vincent n’a pas d’écailles (Salvador, France) présente le premier super-héros sans trucage numérique. Ce premier film inscrit son univers fictionnel, cinégénique, dans la réalité d’un village rural. De cette volonté de rendre tangible l’intangible, Vers l’autre rive (Kurosawa, Japon) tire sa force et sa beauté. Ses fantômes sont des êtres sensibles et palpables qui subliment une réflexion onirique sur la souffrance du deuil vue comme la perte d’un sens premier, le toucher, entre des corps réels et absents. Dans Les Nuits blanches du facteur (Kontchalovski, Russie), la confrontation s’étend aux espaces qui se nourrissent, lors d’une scène en barque entre Alexei et son jeune voisin, des mythes faisant de la forêt le sanctuaire d’une créature magique. La magie et la peur se lient par la force paradoxale de la suggestion, de l’invisible.

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La disparition est un élément central d’un cinéma cherchant une spiritualité ou une histoire disparue. Les corps évanescents des soldats de Ni le Ciel Ni le Terre (Cogitore, France) font écho aux différentes représentations du monde, l’ultra-rationalisme des Occidentaux et l’imaginaire de croyances des bergers afghans. Chacun cherche une vérité, sa vérité, face à un destin onirique échappant aux contrôles des hommes.Valley of Love (Nicloux, France) rejoint cet aveuglement rationnel face à l’absence avec ce couple séparé depuis des années, formé par Huppert et Depardieu, qui se retrouve dans la Vallée de la Mort pour attendre le retour de leur fils mort depuis 6 mois. Le corps absent joue le rôle de créateur de vie, un appui pour entamer une reconstruction personnelle et mentale. Il y a l’idée qu’il faut voir pour croire, que l’image rétinienne ou filmique apporte une vérité, une explication sur le monde qui nous entoure. Avec Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin (Israël), Amos Gitaï fait du corps supprimé du Premier ministre israélien une source d’interrogations politique et cinématographique qu’il résout en créant un dialogue entre les images réelles (archives) et les images fictionnelles (reconstitution). L’image cinématographique remplit les vides de l’Histoire. Ce rapport cinéma/histoire pose la question du travail de la mémoire au sein de l’image, mais aussi des actions des protagonistes. Dans Le Fils de Saul (Nemes, Hongrie), Saul (G. Röhrig) lutte, non plus pour la survie des corps, mais pour la survie mémorielle d’une communauté vouée à disparaître. Le corps comme transmission se retrouve dans un scène sublime de Cemetery of Splendour (Weerasethakul, Thaïlande). A travers le corps de deux femmes dont l’une médium, les époques dialoguent. Une forêt se transforme, par la force de l’esprit, en ancienne résidence princière. Leurs corps ne répondent plus au temps présent, mais à celui du passé : parties dans un réalité autre que celle du spectateur, elles esquivent des poutres invisibles, cherchent des portes absentes et regardent des trésors déjà disparus.

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L’année 2015 est parcouru ainsi par la nécessité de (re)créer une mythologie à des sociétés désubstantialisée par la crise mondiale. Avec ses récits des Mille et Une Nuits (Portugal), Miguel Gomez offre à son pays sclérosé un nouvel imaginaire, une nouvelle échappatoire : les prisonniers de la crise rêvent de faire chanter les oiseaux tandis que les djinns prennent leur envol ou le fantôme d’un chien devient le lien qui unit les habitants d’un immeuble. Au-delà des Montagnes (Zhang-Ke, Chine) suit la même logique en créant une épopée moderne autour des démunies de la mondialisation, les provinciaux chinois. Oeuvre à dimension prophétique, elle scelle le destin d’un pays qui disparaît, comme sa langue et ses racines dans la 3e partie se déroulant en 2025, face à son expansion exponentielle. Ce volonté de rattachement au passé qui nourrit le personnage de Dollar (D. Zijian) obsède également le journaliste Ibn Battutâ de Révolution Zendj (T. Teguia, Algérie/Liban). Après un reportage sur des affrontements communautaires au sud de l’Algérie, il part sur les traces de révoltes oubliées du IXe mettant en résonance le passé et le présent. Histoire de Judas (Ameur-Zaïmeche, France) tient sa force également de la juxtaposition de temporalité avec sa réécriture de l’épisode de l’arrestation de Jésus-Christ. Les personnages s’inscrivent dans les palais en ruine montrant la chute future de ceux qui dominent alors le monde, les Romains. Ces différents films défendent la capacité du cinéma à porter les espérances d’un peuple, d’une société ou de l’humanité tout entière. Taxi Téhéran (Panahi, Iran) montre, en jouant sur les rapports entre le réel et la fiction, la nécessité de s’approprier les images (en tant que cinéaste, mais aussi simplement en tant que spectateur ou pirate) pour créer un discours, une mythologie, propre à soi.

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Le cinéma documentaire a aussi été parcouru par cette volonté de s’approprier les évènements traumatiques de l’Histoire pour donner corps et image aux disparus. Le Bouton de Nacre (Guzman, Chili) trouve sa grandeur dans ses passerelles entre le massacre des Amérindiens et celui des opposants à la dictature au Chili. Le cinéma de Guzman est profondément mémoriel en servant de témoignage pour le futur (la beauté du récit de voyage d’une vieille Amérindienne dans sa langue natale vouée à s’éteindre) et pour le passé (la reconstitution avec un mannequin du processus de disparition des corps sous Pinochet). Dans Parole de Kamikaze (Sawada, Japon), il y a également une reconstruction, distanciée par le biais de jouets, de la manière dont les kamikazes attaquaient les navires ennemis fait par celui qui choisissait ceux qui allaient mourir. Le réalisateur confronte ainsi le bourreau à des corps absents déjà engloutis par la guerre. Joshua Oppenheimer (The Look of Silence, Danemark/Indonésie) organise, quant à lui, véritablement une confrontation entre les bourreaux et le frère d’une victime lors de l’ « épuration » idéologique  de 1965 en Indonésie. Au lieu de reconstruire des évènements, Aleksandr Sokurov s’attèle à reconstruire des hommes dans Francofonia. Dans le Paris de 1940, il retrace la rencontre entre Jacques Jaujard, directeur du musée du Louvre, et le comte Franz von Wolff-Metternich, chef de la Kunstschutz, qui s’unissent pour préserver les collections du musée. Dans une scène grandiose, Sokurov supprime la distance de la reconstitution en filmant les deux hommes frontalement pour leur raconter en voix-off leur futur : l’oubli pour le premier, la reconnaissance pour le second. Il montre que l’Histoire n’est pas une réalité, mais véritablement une construction qui choisit, parfois maladroitement, ses figures et ses héros.

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Une oeuvre semble être à contre-courant de cette volonté d’un réalisme social et historiciste, Mia Madre (Moretti, Italie). En montrant par le biais du film réalisé par sa protagoniste (Margherita) l’impossibilité d’un cinéma politique, Nanni Moretti se focalise sur la sphère intime ébranlée par les derniers jours d’une mère mourante. Régi par les sentiments dont la peur du deuil et de sa propre mort, le film questionne le réel, l’altère et le déforme. Les personnages cherchent une échappatoire face à l’inévitable : un moyen de se détacher du sol de la même manière que Sangaïlé (J. Steponaityte) dans Summer (A. Kavaïté, Lituanie). De s’émanciper du monde, de ses enjeux politiques ou sociaux, pour partir à la conquête du sentiment pur !

Top. 10 : 

1. Cemetery of Splendour, Apichatpong Weerashetakul (Thaïlande)
2. A la folie, Wang Bing (Chine)
3. Mia Madre, Nanni Moretti (Italie)
4. Les Secrets des Autres, Patrick Wang (Etats-Unis)
5. Le Bouton de Nacre, Patricio Guzman (Chili)
6. Les Mille et une nuits, Miguel Gomez (Portugal)
7. Tangerine, Sean Baker (Etats-Unis)
8. Le Dernier jour d’Yitzhak Rabin, Amos Gitaï (Israël)
9. Il est difficile d’être un Dieu, Alexei Guerman (Russie)
10. Taxi Téhéran, Jafar Panahi (Iran)

Le Cinéma du Spectateur

Mia Madre : Le Vertige de la Mort

Mia Madre, Nanni Moretti

68e Festival de Cannes
Compétition Officielle

Des ouvriers se révoltent contre le rachat de leur usine par une entreprise américaine qui prévoit de les licencier. L’ample mouvement ascendant à la grue qui capte ainsi cet assaut rappelle les prises des citadelles moyenâgeuses en s’attachant à la force du collectif comme moyen d’action. La puissance de ce plan, et de cette symétrie historique, est d’inverser les rôles : les assiégeants sont les ouvriers italiens dehors face à la grille symbolisant non plus leur rêve, mais leur réalité (leur travail). A cela s’ajoute la dimension d’une Italie fratricide où s’oppose ouvriers et policiers défendant le riche pour donner aux riches à coup de bombes lacrymogènes et de jet d’eau. Soudainement, la caméra inverse son cheminement pour filmer les répercussions de cette violence, voire en jouir. Une voix hors-champs met fin à l’action, c’est celle de la réalisatrice Margherita (Margherita Buy, extraordinaire) qui s’oppose à cette spectacularisation de l’opprimé. En arrêtant ainsi l’action, Nanni Moretti interroge directement la question de la représentation des luttes. Il met en avant l’impossibilité nouvelle de mettre en images des élans politiques dans une société de plus en plus individualiste où le collectif ne peut plus exister comme force.

Mia Madre, Nanni Moretti

Cette impuissance à rendre compte du politique engendre même un questionnement vis-à-vis de la représentation du social dans une société qui ne se hiérarchise plus par les sentiments d’appartenance à une classe sociale homogène. Comment mettre en images un ouvrier précaire alors qu’il s’identifie par les mêmes moules sociétaux que ses oppresseurs ? Margherita prend pleinement conscience de ce nouvel enjeu lors du tournage d’une scène d’altercation entre les ouvriers et le patron dans une cantine remplie de figurants. La caméra de Moretti avance parmi ces derniers en dévoilant la superficialité de leur accoutrement (extensions capillaires, faux ongles, sourcils épilés). La cinéaste s’insurge de ce manque d’authenticité alors que son chef opérateur pointe la normalité de ce panel de citoyens et ainsi son détachement d’un réel non-fictif. Elle se retrouve ainsi écartelée entre la superficialité du réel et l’artificialité de son propre imaginaire social étant un objet proprement cinématographique.

Mia Madre, Nanni Moretti

L’artificialité du film de Margherita s’exprime ainsi constamment à travers la lourdeur de l’industrie cinématographique. Sa construction fictionnelle se délite face au réel en rencontrant de perpétuelles contraintes logistiques. Cela se ressent dans la scène cocasse où Barry Huggins (John Turturro, sensationnel en acteur incompétent) doit conduire et jouer, dans un souci de réalisme, alors qu’il ne peut faire ni l’un – gêné par les caméras – ni l’autre – stressé par la situation –. Ici, Moretti montre le formatage de cette réalité reconstituée qui ne parvient pas à saisir aussi bien les actions, répétées sans cesse, que les discours, à l’instar des dialogues oubliés d’Huggins. Dans ce monde politique en délitement, Margherita semble néanmoins voir l’acteur comme la dernière figure sacrificielle ouvrière, donnant son corps pour la cause. Ce dernier doit exister alors en  dehors de son rôle comme elle le répète à ses comédiens. Mais, c’est plutôt le cinéma de Moretti qui se retrouve à côté de cet enjeu : littéralement ob-scène, en dehors de la réalité du monde social.

Mia Madre, Nanni Moretti

La beauté de Mia Madre est de se construire autour d’un rapport à l’intime. Si la caméra s’élevait en ouverture à l’usine, elle fait à l’inverse un mouvement descendant le long de la perfusion de la mère malade de Margherita, Ada (Guila Lazzarini), amenant une certaine fatalité sur son sort. A l’effondrement du corps social, s’ajoute ainsi celui du corps en tant que chair imposant une durée de vie à toute chose. L’éternité chez Moretti ne peut exister qu’à travers la transmission, celui ici de cette ancienne professeure de Latin donnant des conseils à sa petite-fille jusqu’à son dernier souffle. Dans ce drame de l’intime s’opère également un jeu de miroir vis-à-vis de la personne de Nanni Moretti. Etant proche de l’autofiction – le cinéaste perdant sa mère durant le tournage de Habemus Papam –, la réalisatrice Margherita se veut directement connectée à celle de Nanni Moretti. Néanmoins en jouant le frère Giovanni (le cinéaste ayant une sœur), il brouille l’identification. Cette ambivalence est sublime, car elle entraîne une dualité au sein même de la représentation du cinéaste entre la figure héroïque de Giovanni (quittant son travail) et celle dans le déni de Margherita.

Mia Madre, Nanni Moretti

Mia Madre se refuse le sentimentalisme scénaristique ou la grandiloquence formelle. C’est justement dans le sentiment, comme facteur de destruction, qu’il trouve ses plus belles réussites. Progressivement, l’œuvre s’engouffre dans le vertige de la mort. Elément anxiogène, la peur de la mort est double. Elle représente autant la mort de la mère que la propre mort de Margherita. En effet si la majorité de ses cauchemars tourne autour de l’annonce de la mort de sa mère, la réalisatrice s’entrevoit comme la prochaine proie : elle entame déjà un retour sur sa propre vie (le rêve où elle remonte la queue devant un cinéma) et prend littéralement la place de sa mère (le rêve où elle remplace sa mère au volant pour empêcher un accident inévitable). Dans un processus de flottement entre le réel et le rêve, ces peurs trouvent un écho dans la vraie vie de la réalisatrice. Après une mystérieuse et soudaine fuite d’eau en pleine nuit, elle est obligée de vivre dans l’appartement laissé vide de sa mère.

Mia Madre, Nanni Moretti

Mia Madre se trouve alors à la rencontre entre ce processus de déconstruction de la fiction par le réel, l’impossibilité d’un cinéma politique,  et ce processus de déconstruction du réel par la fiction, les rêves de Margherita. Il étend ainsi le vertige de son personnage au spectateur qui perd ses repères questionnant continuellement la véracité des images. Ce n’est que la finalité des scènes qui lui permet de comprendre ce qu’il vient de voir : de l’apparition des techniciens pour les scènes de tournage au réveil de Margherita pour les scènes du quotidien. C’est par cela qu’il touche au sublime et qu’il s’inscrit indéniablement comme l’une des plus grandes œuvres de l’année 2015, et comme le plus grand oublié du palmarès cannois.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆☆ – Chef d’Oeuvre

Les Cowboys : Pas de Cowboy sans Indien

Les Cowboys, Thomas Bidegain

68e Festival de Cannes
Quinzaine des Réalisateurs

Dans une prairie française aux allures de Midwest américain, des familles se retrouvent pour un rassemblement de country-western. Les chapeaux sont vissés sur les têtes, les ceinturons habillent les pantalons, les différents stands sont montés et les banjos résonnent. Alain (François Damiens) est appelé à chanter quelques couplets sous les applaudissements de sa famille puis à danser avec sa fille. Dans cette reconstitution fantasmée de l’Amérique, le bonheur affleure alors même qu’aucun dialogue n’a encore été prononcé entre les personnages. Tout est ainsi factice, de la photographie publicitaire aux sentiments échangés, pour mieux cacher l’incommunicabilité des êtres. Dans cette parenthèse utopique, Kelly s’évapore d’abord pour rejoindre son petit-ami Ahmed, dont la famille ignorait l’existence, puis pour partir faire le djihad. Ce qui intéresse alors Thomas Bidegain (scénariste des derniers films de Jacques Audiard) pour son premier film, c’est de propulser une famille lambda aux milieux des enjeux mondiaux, ceux de la Grande Histoire.

Les Cowboys, Thomas Bidegain

Le parti-pris des Cowboys est alors de traiter la recherche de cette fille disparue comme un western. La caméra devient le support des illusions mentales d’Alain. Il voit dans cet événement tragique la possibilité d’avoir sa propre conquête de l’Ouest, celle de l’Orient, en parcourant les paysages munis de son chapeau et de son destrier motorisé. Il entre notamment dans Charleville-Mézières comme dans un territoire comanche regardant depuis sa voiture les « Indiens » avant de prendre le courage de rentrer dans un campement où les tentes se sont transformées en caravanes. S’il joue au cowboy, c’est uniquement son fils, Kid (Finnegan Oldfield) qui en deviendra un. C’est lui qui monte véritablement à cheval. C’est lui qui fume littéralement le calumet de la paix avec les Talibans. Les Cowboys repose ainsi sur le dépassement de son propre imaginaire pour catalyser sa propre violence : de celle explosive du père à celle contrôlée du fils.

Les Cowboys, Thomas Bidegain

Néanmoins en faisant de Kelly un corps absent, Thomas Bidegain se refuse toute compréhension ou explicitation des raisons qui poussent une jeune lycéenne des Ardennes à partir faire le djihad dans les années 1990. La moindre réflexion est annihilée par une temporalité volontairement déstructurée autour d’ellipses évinçant les prises de décision, les retours sur soi ou encore le moindre discours. Pour seoir à son spectateur, Les Cowboys préfère miser sur le pathos familial avec les sempiternelles scènes de disputes, de cris ou de larmes accompagnées évidemment d’une musique grandiloquente. L’œuvre se sabre au profit d’une sorte de pensum subjectif porté par des personnages sans enjeu politique et/ou social. Si Bidegain choisit de mettre en avant les codes du western, il en prend également les nocifs schémas scénaristiques d’avant la révolution de la fin des années 1960  sur la place des Indiens portée notamment par Elliot Silverstein (Un homme nommé cheval, 1969) ou Arthur Penn (Little Big Man, 1970).

Les Cowboys, Thomas Bidegain

Thomas Bidegain cantonne les Arabes à n’être que des tâches hostiles dans l’arrière-plan comme les silhouettes sur les toits des cités d’Anvers. Ainsi lorsqu’un Arabe parvient enfin à prendre la parole en invitant Alain chez lui pour lui parler de ses conditions de vie, ce dernier lui répondra : « J’en ai rien à foutre » ! Si ce refus de misérabiliste peut être louable, il montre bien l’occidentalocentrisme de l’œuvre. On retombe alors dans le problème du point de vu qui émanait d’American Sniper (Clint Eastwood, 2015). La barbarisation orchestrée par les personnages occidentaux (« sauvage », « jeu d’Arabe ») se distille alors insidieusement dans la mise en scène avec une accentuation de l’horreur des sociétés arabes comme ce pendu laissé toute la nuit. La seule beauté serait alors uniquement les paysages comme laisse entendre le personnage pesant et grotesque de John C. Reilly.

Les Cowboys, Thomas Bidegain

Cette prise de position choque d’autant plus qu’elle continue lorsque l’intrigue passe sous l’égide de Kid, censé être véritablement cowboy parce qu’il considère les Indiens comme le montre grossièrement la scène finale où il construit un arc. En effet, la deuxième partie du film fait passer les Arabes de terroristes à peuples miséreux à aider. L’Occidental devient alors l’homme providentiel sauvant la veuve et l’orphelin de l’injustice des lois locales. L’Arabe chez Bidegain n’a le choix qu’entre participer à la violence contre l’humanité (occidentale, évidemment) ou subir l’horreur de sa condition. Il suffit de voir le traitement du personnage de Shazhana (Ellora Torchia) – jeune femme « sauvée » pour le réalisateur, arrachée à sa société pour d’autres – pour comprendre la position messianique donnée à cette famille ouverte d’esprit, car prenant littéralement chez elle une « ennemie » dont le seul malheur serait de parler arabe et de porter un voile.

Les Cowboys, Thomas Bidegain

Ainsi, c’est le traitement cinématographique de l’œuvre qui est sujette à polémique : Comment représenter, et faire exister, l’autre ? Comment ne pas se laisser dépasser par la vision racisée de son personnage ? Les Cowboys ne répond à aucun des enjeux qu’il pose en préférant, comme dans les scénarios de Bidegain pourJacques Audiard (Deephan), voir ses personnages souffrir que comprendre.

Le Cinéma du Spectateur
☆ – Mauvais

Les Suffragettes : « Être une femme libérée, tu sais, c’est pas si facile »

Les Suffragettes, Sarah Gavron

1912, Londres. La caméra de Sarah Gavron s’engouffre âprement dans une blanchisserie du quartier populaire de Bethnal Green. Elle se heurte alors aux vapeurs brumeuses des cuves et ne peut regarder uniquement ses femmes que par le biais d’une flaque gisant sur le sol. La situation des femmes au début du XXe siècle est alors habilement posée : elles sont des domestiques sociaux qui ne peuvent exister de manière frontale. Elles subsistent dans un monde d’hommes dont le regard est soit autoritaire soit libidineux à l’instar du patron de la blanchisserie. L’œil de Gavron se déplace alors dans cette prison de métal pour se poser sur Maud Watts (Carey Mulligan, convaincante). Travailleuse depuis l’âge de 7 ans, contremaitre depuis ses 20 ans, elle est pour Les Suffragettes l’ironique symbole de la réussite féminine et populaire de son époque. Son corps fluet ne s’affirme aucunement tantôt masqué par les vapeurs tantôt écrasé par les formes anguleuses du décor. Sarah Gavron et sa scénariste, Abi Morgan, choisissent ainsi astucieusement au début d’immiscer le spectateur dans la pénibilité des conditions sociales des femmes plutôt que de mettre en avant le pathos ou le spectaculaire.

Les Suffragettes, Sarah Gavron

Les Suffragettes exprime alors une volonté de faire s’entrechoquer histoire et micro-histoire. Le mouvement des suffragettes ne sera esquissé qu’à travers le prisme d’une femme ordinaire, un personnage fictif, qui devient la personnification de l’éveil des consciences à la cause féminine par les femmes britanniques dans le début des années 1910. Le scénario se veut alors un petit précis des étapes du militantisme : l’engagement, le but et le sacrifice. Pour le spectateur, Maud sert surtout de moyen de côtoyer les plus grandes figures du mouvement : Edith Ellyn (Helena Bonham Carter, plus sobre qu’à son habitude), Violet Miller (Anne-Marie Duff) ou encore Emily Wilding Davison (Natalie Press). La bonne idée de casting est de faire coïncider l’aura politique d’Emily Pankhurst – chef de file des Suffragettes – à celui artistique de Meryl Streep. Si la performance de cette dernière n’est pas forcément convaincante, elle permet de comprendre l’importance de cette femme qui se doit de disparaître de la société après avoir appelé à la violence nécessaire du mouvement en 1912.

Les Suffragettes, Sarah Gavron

Néanmoins, Les Suffragettes perd rapidement sa vigueur en tombant dans une double infertilité. D’abord, une infertilité narrative en oubliant dans un premier temps le récit militant pour se focaliser sur les pérégrinations familiales de Maud. Si ces dernières peuvent se justifier par la nécessité d’un sacrifice en renonçant à tout ce qui attache cette femme à son époque (travail, famille), elles semblent faites pour le plaisir – presque masochiste – du spectateur des années 2010 friand de pathos « historiques ». La dureté de sa condition se doit d’exister à l’écran, mais elle ne peut devenir soudainement le sujet central d’une œuvre destinée à un mouvement militant. Dans un second temps, le personnage est soudainement oublié pour la cause disparaissant alors derrière une suite d’actions terroristes qui sont présentées non pas comme des moyens de bousculer la société, mais comme un long catalogue des possibilités d’action des Suffragettes. L’enjeu de transmission historique dont se targuait l’œuvre n’est réduit finalement qu’à quelques phrases sur des images d’archives montrant pleinement l’échec de symboliser l’effervescence du mouvement.

Les Suffragettes, Sarah Gavron

Ensuite, l’œuvre tombe dans une infertilité de sa puissance politique. S’il est louable de porter (enfin) à l’écran le destin des Suffragettes, il est dommage de les réduire seulement à leur radicalisation en 1912 et à la cinégénie de leurs actions. Le parti-pris logique de l’œuvre est d’éliminer les hommes du processus narratif. Ils ne font pas l’action et se retrouvent cantonner à des rôles archétypaux : le parton vicieux, le mari compréhensif ou encore l’homme misogyne. En faisant ainsi, Les Suffragettes se prive alors de toute sa perspective historique en ne permettant aucun discours possible. Le film prend même une tournure tautologique en suivant la logique réussite de ce processus social démarré quelques années plus tôt. Il est d’autant plus dommage que le peu de confrontations réelles entre les sexes sont finalement les seules scènes véritablement signifiantes comme celles avec Sonny Watts (Ben Whishaw), le mari de Maud, également emprisonné par les pressions sociales de son temps.

Les Suffragettes, Sarah Gavron

Au fur et à mesure que l’œuvre avance, le spectateur se désolidarise du destin de Maud en trouvant alors son seul véritable intérêt dans le traitement des questions des évolutions de la communication et des renseignements dans le Londres du début des années 1910. Il assiste donc à la mise en pratique d’une société pleinement communicationnelle déjà amorcée par la Presse au XIXe siècle, mais qui s’intensifie de manière exponentielle par l’image. Les Suffragettes met alors en tension le besoin des Suffragette de s’appuyer sur l’image par le spectaculaire des leurs actions et celui de Scotland Yards de récupérer des preuves visuelles et implacables de leurs activités « terroristes ». Le film témoigne ainsi de manière très documentée du progrès technique des services de renseignement anglais qui mettent au point un service de surveillance photographique révolutionnaire pour traquer les Suffragettes. Le rapport à l’image est alors multiple : celle de l’œuvre faite pour témoigner, celle des Suffragettes pour interpeller et celle des policiers pour les interpeller.

Les Suffragettes, Sarah Gavron

Cependant, cela ne parvient pas à réinvestir l’œuvre de sa dimension historique. Les Suffragettes n’est pas un mauvais film, mais les partis-pris justifiables de Sarah Gavron mettent plus en avant les caractéristiques cinégéniques de ses protagonistes, alliant pathos et spectaculaire, que les véritables motivations militantes de ses femmes. La cinéaste rend hommage à des actions et à des faits plutôt qu’à des véritables femmes !

Le Cinéma du Spectateur
☆☆ – Moyen

Macbeth : Que du bruit, que de la fureur…

Macbeth, Justin Kurzel

68e Festival de Cannes
Compétition Officielle
Sortie nationale le 18 Novembre 2015

En 2011, les esprits avaient été marqués par la violente perversité qui émanait d’un premier coup de maître australien présenté à la Semaine de la Critique : Les Crimes de Snowtown. Il aura fallu quatre années à Justin Kurzel pour revenir à Cannes, adoubé par une présence en compétition, pour y présenter Macbeth. L’annonce d’une énième adaptation de cette pièce iconique – notamment après Welles et Polanski – aurait pu rebuter. Néanmoins, l’animalité et la fougue qui caractérisaient sa première œuvre laissaient entrevoir la possibilité de toucher au plus près « le bruit et la fureur », pour reprendre les mots de Shakespeare, des vies des époux Macbeth. La noirceur des personnages se fait alors, dans un enjeu formaliste, l’écho des paysages d’Ecosse se teintant progressivement du sang versé. Le romantisme allemand, et surtout les tableaux de Friedrich, s’engouffre ainsi dans l’image pour appuyer le déchiquètement des montagnes et l’isolement des vallons.

Macbeth, Justin Kurzel

L’intéressante dualité de cette adaptation réside dans cette volonté de construire à la fois une œuvre cinématographique, s’appuyant sur l’image comme moteur d’émotions, et, et une œuvre théâtrale, fascinant par le biais de la parole. A la manière des sorcières de Macbeth, Justin Kurzel fait de la parole un véritable acte prophétique. Sa valeur performative crée aussi bien le récit que l’image : des sœurs du destin amenant le couronnement fictif puis réel de Macbeth (Michael Fassbender, impressionnant) – dont la duplicité altérée exprime l’intégralité de la philosophie de l’œuvre – au plan de Lady Macbeth (Marion Cotillard, envoutante) prenant littéralement forme lors de son énonciation. Se dégage alors l’idée que la parole est la seule véritable arme du récit shakespearien. Elle a autant une valeur créatrice (faisant les Thanes et les Rois) que destructrice (amenant la mort et la perfidie). Les fantômes des vers de Shakespeare, heureusement gardés intacts, permettent justement cette union entre le délitement psychologique de Macbeth et celui crépusculaire des paysages.

Macbeth, Justin Kurzel

Le cinéaste australien juxtapose ainsi une double temporalité dans son Macbeth, notamment dans l’ouverture guerrière rappelant l’esthétique des vidéoclips de Woodkid. Il fait s’encroiser un temps réel, celui des hommes marqué par la vivacité des corps devenus animaux, et un temps étiré, celui des Dieux pouvant intercéder dans cette malléabilité du temps offerte par l’usage du ralenti. La force de ce dispositif devrait ensuite laisser place à la juxtaposition du réel et de la folie de Macbeth. Néanmoins outre la scène du fantôme sanglant – scène centrale de la pièce –, Justin Kurzel laisse s’essouffler son œuvre en faisant de la folie de son protagoniste un acquis qui doit se passer d’expression visuelle. En condensant à l’extrême les caractéristiques des personnages, le cinéaste les contraint à des retournements psychologiques triviaux et sans fondement. Le non-connaisseur de l’œuvre de Shakespeare ne pourra jamais comprendre l’ambivalence de Lady Macbeth réduite à quelque vers.

Macbeth, Justin Kurzel

Si la mise en scène de Kurzel tend parfois (puis souvent) vers la grandiloquence, elle cherche également à s’inscrire dans une stabilité et une frontalité de l’image propre au théâtre et à la position du spectateur. Les personnages se livrent directement à ce dernier par le maintien astucieux des monologues que le cinéaste dynamise uniquement par une multiplication des échelles et des angles de prises de vue. Kurzel donne ainsi une certaine aura divine aux spectateurs écoutant les épanchements de ces personnages esseulés dans l’image. Ensuite, il multiplie les plans frontaux (aussi bien de corps seul que de groupe) qui – au-delà d’apporter une puissance visuelle – produisent une mise en scène entre les personnages eux-mêmes : ils représentent l’hypocrisie et les faux-semblants se cachant derrière des rencontres protocolaires qui devraient, malgré les intrigues, être prédéfinies et immuables.

Macbeth, Justin Kurzel

Macbeth trouve pourtant ses plus belles images quand Kurzel choisit de limiter les moyens de l’action à des simples enjeux cinématographiques. En effet lors de la dernière confrontation entre Macbeth et Banquo (Paddy Considine) sur la plage alors que ce dernier s’apprête à fuir pour sauver son fils – Fleance – appelé à devenir roi selon la prophétie des Sœurs du Destin, le face-à-face prend une tournure différente usant de l’image pour inscrire un discours dépassant les simples cadres du temps présent. L’échange est déséquilibré dans un premier temps avec un Macbeth décentré laissant alors la possibilité de l’apparition en hors-focale de Fleance symbolisant l’obstacle à son ambition. La scène se clôt magistralement avec un échange de regards direct entre le roi actuel et son futur successeur qui impulse le mouvement devançant son père à l’image d’un roi suivi de son serviteur.

Macbeth, Justin Kurzel

Macbeth est une œuvre qui, malheureusement, se veut didactique par l’image. Elle sur-interprète le récit pour lui donner une résonnance grandiose proche de l’épopée. Kurzel fait de l’œuvre de Shakespeare un film guerrier certes époustouflant, mais qui perd son enjeu véritable : le combat psychologique d’un homme détruit par l’ambition.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆ – Moyen

Mon Roi : L’Amour est mort, vive l’Humiliation !

Mon Roi, Maïwenn

68e Festival de Cannes
Prix d’Interprétation Féminine (Emmanuelle Bercot)
Sortie le 21 Octobre 2015

Le Cinéma français tue l’Amour ! Après en avoir fait un art – des obsessions rohmériennes aux mélodies d’Honoré –, il le dépèce sans vergogne de sa dramaturgie et de sa naïveté poétique pour n’en faire qu’une étiquette commerciale. L’Amour n’est plus qu’un accessoire qu’on confine à sa transcription pornographique (Love de Gaspard Noé, 2015) ou à son délitement mélodramatique (Amour de Michael Haneke, 2011). Le rejet du sentiment, comme matériel brut de récit, devient le moyen d’entrer dans un cinéma d’ « auteur », humanophobe, vénérant l’aseptisation des cœurs pour laisser éclater la noirceur des esprits pervertis. Ces cinéastes radicalisent ainsi le rapport à l’image, renforçant la position du cinéma comme attraction moderne de représentations morbides : la lointaine réalité de l’exécution publique se substituant à la proximité virtuelle de l’humiliation. La subversion, tangible plutôt dans les coups marketings que dans les œuvres, est le leitmotiv vital de ce cinéma ne répondant qu’aux besoins, faussement cathartiques, du sadomasochisme sociétal.

Mon Roi, Maïwenn

Dans ce processus de vulgarisation de la dimension humiliatrice de l’image, le cinéma de Maïwenn tient un rôle considérable qui ne devient palpable qu’avec Mon Roi. A travers ses œuvres précédentes, la jeune cinéaste s’est faite la porte-parole d’une sorte de nouveau cinéma du réel cachant ses artifices scénaristiques par des impressions de mises à nues, soit conceptuelle (les discours pseudo-biographiques du Bal des Actrices en 2009) soit filmique (l’immersion à vif dans l’unité policière de Polisse en 2011). Elle cachait ainsi sa frontalité écrasante par des sujets forts et intenses où ses acteurs étaient comme des fauves lâchés les uns contre les autres. L’incursion de cette machine attractionnelle dans la sphère intime du couple de Mon Roi ne fait que souligner les ficelles d’un cinéma calculé et calculateur qui avale les émotions de ses personnages. Présentée par la réalisatrice, elle-même, comme une « histoire d’amour », l’œuvre se révèle, bel et bien, aride sur ce terrain. Sur 2h10, l’amour affleurera uniquement à deux reprises : une fois dans les dialogues échangés dans un lit – qui tient plus de la complicité des acteurs que d’un véritable travail de construction de l’intime – ; une autre par un véritable procédé filmique, l’ultime fragmentation érotisée du corps de Georgio (Vincent Cassel faisant, encore, du Vincent Cassel).

Mon Roi, Maïwenn

Le sujet central de Mon Roi est, par conséquent, à trouver ailleurs, ni dans l’obsession amoureuse de Tony (Emmanuelle Bercot, en dents de scie) ni dans le portrait de l’énième pervers-narcissique du paysage cinématographique actuel. Il réside véritablement dans la victimisation qu’impose la réalisatrice à son personnage principal féminin. Elle lui assène une humiliation constante qui possède un caractère double dérangeant : une humiliation psychologique du personnage et une humiliation corporelle de l’actrice. Emmanuelle Bercot est réduite à n’être qu’un corps en décomposition émotionnelle (par le scénario) et visuelle (par sa nudité exacerbée). Mon Roi permet alors de s’interroger sur le degré de voyeurisme qui fait passer la qualification d’une œuvre d’intimiste à infamante. Peut-on, sous couvert d’une position d’auteur et d’une volonté de réalisme, faire de la nudité un accessoire superflu ? Il n’est aucunement question d’imposer une moralité à l’image, mais de poser l’enjeu de cette installation malsaine de la gratuité de la subversion du corps – évidemment féminin –.

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Avant la projection de Mon Roi, Maïwenn refusait de cataloguer son film de « féministe » puisqu’il n’était pas « contre les hommes ». Outre la vision étriquée d’une pensée sociale, cette affirmation montre le positionnement de ses personnages féminins vis-à-vis des hommes. Il n’est pas question de mettre en cause la soumission psychologique de Tony à Georgio étant le principe même du pervers-narcissique. Mais plutôt de s’interroger sur le traitement par l’hystérie du personnage joué par Emmanuelle Bercot. Archétype du « rôle à récompenses », Tony ne s’exprime que par la violence de ses émotions ou de son corps. Elle s’inscrit alors dans une dialectique de l’outrance dans une œuvre qui, dans la tradition du cinéma de Maïwenn, se veut plutôt portée vers le réalisme. Le récit stagne alors entre les deux blocs monolithiques que sont l’introspectif Georgio et l’extrospective Tony.

Mon Roi, MaÏwenn

Ce croupissement du récit s’opère dans l’utilisation piège que fait Maïwenn du récit elliptique jumelé d’un jeu temporel entre passé (l’histoire d’amour) et le présent (la rééducation du genou de Tony). L’ellipse étant une omission d’éléments narratifs dans le but de créer un effet de raccourci, elle est, par définition même, une construction artificielle à laquelle il faut réinsuffler de la vie. Si elle y parvient dans les premiers temps du film en se focalisant sur la construction de l’intimité du couple, la cinéaste ne fait de son scénario qu’un balancement entre des acmés émotionnelles (les innombrables disputes) et des acmés physiques (les mésaventures de son genou). Le liant est alors réduit à l’assimilation premier-degré d’une rééducation des traumatismes de l’esprit par le corps. Maïwenn joue ainsi uniquement sur la corde de la surenchère émotionnelle faisant craquer le verni de l’intérêt de son spectateur avant celui du caractère malsain de son couple.

Mon Roi, Maïwenn

Cependant, l’œuvre aurait pu se rattacher à ses rôles secondaires pour questionner l’altération de la perception d’une même histoire d’amour, saine pour ceux qui la vivent et maladive pour ceux qui y assistent. Mais Maïwenn choisit d’en faire des pions comico-burlesques d’un récit oscillant tantôt vers le one-man-show (Vincent Cassel) tantôt vers la promotion d’un humoriste (le nombre et la durée des plans sur Norman – fait des vidéos -). Cette tendance à la bouffonnerie vaudevillesque se synthétise autour du rapport à la vitre, pâle symbole de l’aveuglement, que les personnages sont réduits à briser (Emmanuelle Bercot) ou à se prendre (Vincent Cassel). L’amélioration psychique de Tony, et l’ouverture d’esprit en dehors du monde bobo-parisien qui en découle, est néanmoins le point le plus problématique de Mon Roi. Comme chez Audiard (Dheepan, 2015), les jeunes de banlieue sont réduits à des archétypes : ici, le rôle de bouffon social croquant la misère de sa vie par l’humour. Ces scènes sont pernicieuses, car elles impliquent une classification des êtres par des imaginaires sociaux en apposant la question de leur représentation.

Mon Roi, Maïwenn

Le Roi de Maïwenn est donc bien pauvre pour s’asseoir sur le trône de la sélection cannoise. Il synthétise les différents écueils du cinéma français de son temps : l’absence d’une psychologie des sentiments au profit de l’omniprésence d’un réalisateur-bourreau qui joue avec le corps même de ses acteurs.

Le Cinéma du Spectateur
☆ – Mauvais

Chu & Blossum : La Singularité du Déjà-vu

Chu & Blossum, Charles Chu & Gavin Kelly

Sortie nationale le 28 Octobre 2015

Chu, un étudiant sud-coréen, débarque dans une ville de seconde zone des Etats-Unis pour y réaliser un échange international pendant un an. Si l’idée de départ ne laisse transparaître aucune innovation narrative, Chu & Blossum rejoint pourtant à prime abord cette branche du cinéma indépendant américain qui choisit de s’illustrer par une poésie du décalage. Le spectateur, tout comme Chu (Charles Chu, également co-réalisateur), se retrouve plongé dans cet univers simplifié à l’extrême par la barrière de la langue. Dans un contexte de nécessité de trouver des résonnances entre deux cultures – sud-coréenne et américaine –, le cliché devient alors une forme particulière de rhétorique déliant les langues par la banalité des représentations réciproques. Le cliché du canevas scénaristique propre aux récits d’initiation permet, quant à lui, à Chu et Gavin Kelly d’avoir une assise confortable pour véritablement proposer une vision singulière : celle d’être en décalage aussi bien avec dans son environnement extérieur qu’intérieur.

Chu & Blossum, Charles Chu & Gavin Kelly

Chu & Blossum trouve alors son expressivité dans la volonté paradoxale de montrer la solitude d’un personnage par son omniprésence. Il habite l’image sans pour autant arriver à s’y incruster. Il se superpose à son environnement comme lorsqu’il se retrouve dans les premières images du film superficiellement inséré à la peinture murale léchée de l’université. L’arbre desséché, esseulé au milieu des autres verdoyants, devient alors son égal : un être présent et pourtant absent de la société. Chu doit alors progressivement dompter un espace vide par ses propres émanations : il accroche des origamis, son armée qui lui viendra en aide ; il photographie les détails qui affleurent dans la ville pour rendre compte des laissés-pour-compte de la perception humaine.

Chu & Blossum, Charles Chu & Gavin Kelly

L’élan du long-métrage réside alors dans cette capacité à sortir du simple récit de déracinement inter-national pour gagner une dimension intra-nationale. Chu & Blossum se veut alors le portrait d’une humanité autre qui se reconnaît en dehors des frontières tracées justement par cette altérité. Chu rencontre alors Butch Blossom (Ryan O’Nan), un artiste-fou incompris, et Cherry Swade (Caitlin Stasey), une camarade de classe anticonformiste. Il s’agit ainsi pour chacun des trois personnages de parvenir à s’inscrire dans son propre espace mental. Le film se nourrit de cette image de la locuste, une larve restant 17 ans sous terre, pour leur permettre de déployer les ailes de leur propre autonomie, de leur propre liberté. Le cas de Chu est le seul véritablement travaillé par la mise en scène. Les réalisateurs font s’entrechoquer les différentes strates de la pensée du personnage : de sa propre faiblesse à son modèle fraternel décédé en passant surtout par les strictes parents sud-coréens qui arrivent quant à eux, malgré la distance, à s’installer dans l’image de Kelly et Chu.

Chu & Blossum, Charles Chu & Gavin Kelly

Les personnages secondaires parviennent à créer parfois un décalage supplémentaire amenant un peu d’humour comme les différentes scènes montrant Blossum, déluré, travaillant à forger un esprit contestataire à des enfants dans la bibliothèque municipale où il travaille. Néanmoins tout comme la sonorité de leurs noms, ils ne parviennent jamais à dépasser leur statut d’archétype d’une Amérique de pellicule. Ils sont uniquement le fruit d’un fantasme de ses outlaws contemporains. En reprenant les codes paradoxaux de l’originalité éculée, les réalisateurs imposent une sur-fiction à un récit qui gagnait dans un premier temps justement sur le tableau inverse de la poésie du quotidien.

Chu & Blossum, Charles Chu & Gavin Kelly

L’œuvre patine alors justement dans sa deuxième partie d’une volonté de montrer une singularité par la fade banalité des péripéties du récit initiatique et de la prise de conscience. Chu & Blossum commençait presque, sur une tonalité mineure propre aux films secondaires, sur les chemins d’un cinéma d’introspection cherchant l’étincelle intérieure de la même manière que la caméra cherchait la lumière. Pourtant, il ne peut s’empêcher de se conformer progressivement à ce que son schéma narratif le cantonnait : une réflexion en demi-teinte sur l’initiation. Les cinéastes oublient la question de l’inscription dans l’espace pour alors barboter dans les eaux troubles du sentimentalisme notamment par le biais de flashbacks naïfs sur le deuil fraternel.

Chu & Blossum, Charles Chu & Gavin Kelly

Chu & Blossum est, par extrapolation, un ascenseur émotionnel : un objet filmique sans-attente qui surprend par sa tonalité de douce comédie existentielle pour se heurter au déjà-vu de plus en plus constant du cinéma indépendant américain.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆ – Moyen

Dheepan : La Mécanique sans Coeur

Dheepan, Jacques Audiard

68e Festival de Cannes
Palme d’Or

Personne n’aura été surpris à l’annonce de la Palme d’Or pour Dheepan tant le palmarès cannois est devenu la vitrine des trophées des super-auteurs du festival. De Haneke à Audiard en passant par Sorrentino, tous se pressent chaque année dans l’optique d’obtenir la consécration ultime avec en prime la victoire sur les autres ardents prétendants. Il suffit de repenser aux remerciements d’Audiard vis-à-vis de la non-présentation d’un nouveau Haneke – qui l’avait battu en 2009 (Le Ruban Blanc) et en 2012 (Amour) – pour comprendre à quel point Cannes fonctionne à circuit fermé. Dheepan démontre, par son caractère infiniment secondaire dans la filmographie de son auteur, que l’œuvre n’est plus décisive dans cette course à la consécration. Le jury mené par les frères Coen récompense avant tout un cinéaste qui a attendu son heure plutôt que la superficielle audace de cette incursion d’Audiard dans le cinéma social.

Dheepan, Jacques Audiard

Sa récente déclaration au Figaro (« avant Dheepan, je ne savais pas placer le Sri Lanka sur une carte ») montre à quel point Audiard se sert d’un contexte pour asseoir ce qui a toujours nourri son cinéma, le besoin de violence. Il feinte dans la première partie de l’œuvre, à coup de réalisme social, de s’intéresser au destin de cet homme, cette femme et cette fillette forcés de simuler une famille pour fuir l’horreur de la rébellion tamoule. Il s’appuie sur la misère pour créer des images marquantes au premier abord mais qui ne servent finalement qu’à enfoncer des portes ouvertes à l’instar de ses oreilles de Minnie clignotantes dans la nuit comme les phares du capitalisme. L’œuvre n’a aucune véritable portée comme le montre cette cité francilienne lavée de tout enjeu politique, religieux ou sexuel pour ne devenir qu’un lieu de Far-West. Audiard tombe dans le piège habituel en pensant que le cinéma de genre, ici celui du vigilante movie – ces protagonistes faisant justice eux-mêmes –, doit se défaire de tout contexte voire même de toute réalité sociale.

Dheepan, Jacques Audiard

Dheepan illustre seulement la pensée anthropologique sur l’instinct de violence qui était déjà sous-jacente dans De Rouille et D’Os (2012). S’inscrivant dans ce que les Cahiers du Cinéma nomment le cinéma de salaud, Audiard ne fait exister ses personnages que par et pour la violence. Il se complaît dans l’humiliation de ses personnages – violentés, bourrés, sanglotants –. Le cinéma d’Audiard est dérangeant par son automatisme et son artificialité. Jamais il ne prend le temps de laisser vivre ses personnages. Jamais il ne prend la peine de questionner leur psychologie. Il préfère les écraser avec la spirale de violence assenée par un scénario manipulateur et même sadique dans son besoin de générer la souffrance d’autrui. On ne peut expliquer autrement la disparition de l’histoire de la fillette dont le parcours scolaire n’est vu qu’à travers le prisme d’une bagarre.

Dheepan, Jacques Audiard

Le véritable problème de Dheepan est de réduire ses protagonistes à la violence, dans son caractère le plus barbare, comme pour montrer qu’elle est partie prenante de leur identité. L’œuvre reposerait alors sur l’idée qu’on ne dépose jamais vraiment les armes oubliant alors la trajectoire même de son acteur principal, Antonythasan Jesuthasan, passé d’enfant soldat à romancier. L’œuvre nie la capacité de l’homme à survivre et à avancer dans son propre intérêt. Elle le réduit à une violence surfaite et stéréotypée comme le prouve le parcours punitif de Dheepan amorcé à coups de machette. D’où peut bien sortir cette machette – l’a-t-il amenée du Sri Lanka comme pour symboliser l’impossibilité de surmonter la guerre ? Elle ne sert finalement à Audiard qu’à nourrir le fantasme occidental de l’étranger barbare.

Dheepan, Jacques Audiard

Dheepan est une œuvre qui a le défaut de vouloir être grandiloquente par une surenchère d’effets visuels et scénaristiques. Audiard, ainsi que son scénariste Thomas Bidegain, oublie que bien souvent la grandeur naît des silences et des moments de répit qui permettent aux personnages de devenir des êtres et non des instruments. La Palme d’Or revient alors à un marionnettiste qui n’aura eu que pour lui la malheureuse coïncidence de la médiatisation des conditions misérables des immigrés.

Le Cinéma du Spectateur
☆ – Mauvais

La Niña de Fuego : Mourir par volonté

La Niña de Fuego, Carlos Vermut

Le dernier roi couronné du cinéma espagnol, Pedro Almodovar, tente depuis des années d’adouber une nouvelle génération de réalisateurs. Il tend la main vers son dernier protégé en le présentant comme « la révélation espagnole de ce siècle ». Cependant, La Niña de Fuego – étonnant vainqueur du Festival de San Sebastian – ne contredit pas l’impression que le cinéma espagnol traverse une profonde et durable crise artistique. N’arrivant ni à se réinventer ni à trouver des nouvelles figures de proue, il présente annuellement des ébauches ou des ersatz d’un cinéma louchant de plus en vers le cinéma de genre inspiré de l’exception culturelle sud-coréenne. Les cinéastes espagnols, comme Vermut (La Niña de Fuego) ou Rodriguez (La Isla Minima) cette année, cherche à imposer le même singularisme espagnol dont le précepte serait de retranscrire la violence physique et morale qui parcourt une société en crise.

La Niña de Fuego, Carlos Vermut

Autour du personnage énigmatique de Barbara, une ribambelle de personnages moralement discutables dessine une intrigue fantasque qui aspire presque à un certain mysticisme du corps. Celui de Barbara parcouru de cicatrices, fameuse niña de fuego, est l’allégorie d’une Espagne marquée par les stigmates de la crise et de son non-renoncement à ressentir. Convoquant sans véritablement de succès le cinéma de David Lynch, Carlos Vermut y ajoute une société masochiste secrète se symbolisant par une obscure porte. L’œuvre aurait pu alors prendre une dimension autre en osant afficher les perversions des Hommes et en ne s’arrêtant pas à l’entrée de cette porte métaphorique qu’il ouvre lui-même. Cherchant à choquer tout en éludant la violence de l’image, la suggestion du cinéaste ne peut fonctionner en dehors d’un récit imposant son mystère à coup de ficelles scénaristiques. Le cinéaste espagnol ne parvient pas à trouver la force du mélodrame qui faisait dire à Sidney Lumet qu’il pouvait rendre vraisemblable l’invraisemblable.

La Niña de Fuego, Carlos Vermut

Le film est écrasé par la volonté de son réalisateur d’asseoir sa propre position et d’affirmer ses aspirations. « On est comme ça les Espagnols, comme les corridas, entre l’émotion et la raison » clame un personnage. Carlos Vermut aurait dû le prendre pour leitmotiv tant il oublie d’insuffler de la vie à ses personnages devenu des pantins instrumentalisés. Obnubilé par son envie de choquer le spectateur à coup de plans chirurgicaux ou de phrases assassines (« j’imagine ta tête si je jetais le bébé par la fenêtre »), il livre un cinéma aseptisé et désincarné autour de personnages privés de toute substance autre qu’entourer le personnage de Barbara. Il annihile ce feu qu’il tente péniblement de libérer. Il n’insuffle pas à l’instar de ses inspirations, sud-coréenne ou lynchienne, une sorte d’irréalité affleurant à la réalité.

La Niña de Fuego, Carlos Vermut

La Niña de Fuego trouve ses plus belles images dans le préambule à l’histoire de Barbara. L’œuvre tient alors plus du cinéma social voire politique : les livres se vendent au poids qu’il soit des chefs-d’œuvre de la littérature ou des manuels de bricolage, les bijoutiers regardent avec suspicion le moindre passant regardant leurs bijoux en vitrine. Dans ce monde en délitement culturel, Carlos Vermut laisse entrevoir ce qui aurait pu faire sa force, un cynisme savoureux qu’il néglige trop rapidement pour continuer à remplir son cahier des charges.

Le Cinéma du Spectateur
☆ – Mauvais

Jurassic World : Archaïque World

Jurassic World, Colin Trevorrow

Il faut de l’audace pour décider de prolonger une des sagas les plus mythiques du cinéma, Jurassic Park. 22 ans avant Colin Trevorrow, Steven Spielberg démontrait pleinement son génie en montrant les possibilités inimaginables que permettaient les images de synthèse lançant un renouveau dans le cinéma fantastique porté ensuite par Kubrick (A.I. Intelligence Artificielle, terminé par Spielberg), Lucas (les prologues de Star Wars) ou encore Peter Jackson (Le Seigneur des Anneaux, King Kong). Jurassic World ne dément pas cette volonté de dépasser les techniques visuelles. Le spectateur est comme les visiteurs du gigantesque parc d’attractions : il est envoyé au cœur du passé dans une nature luxuriante.

Jurassic World, Colin Trevorrow

Néanmoins, cette quête de réalisme – presque sensoriel – est contredite par une course au spectacle que le film critique lui-même. Tout comme le premier opus, Jurassic World blâme une humanité qui joue à l’apprenti sorcier pour un simple souci de divertissement. C’est dans cette tonalité que l’œuvre trouve ses meilleures images avec toutes les trouvailles qui impliquent l’utilisation des dinosaures (comme ceux transformés en poneys pour les enfants) ou les stands de souvenirs servant ironiquement de cachette aux protagonistes. L’invraisemblance est graduelle dans un scénario qui ne peut s’empêcher de tendre vers la série B avec une entraide finale entre dinosaures – inexplicable – qui ne ferait pas rougir les finals des parodiques Megashark. Niant toute réalité scientifique, à l’inverse de Spielberg, la version de Trevorrow se noie dans son propre cahier des charges de divertissement. Il faut surprendre à tout prix un spectateur de plus en plus habitué aux monstres : ce sera à qui rugit le plus fort et à qui sera le plus gros.

Jurassic World, Colin Trevorrow

Quasiment calqué sur le scénario de Jurassic Park, Jurassic World passe à côté de la principale force de Spielberg : une poésie ambiguë entre l’homme et l’animal. Le cinéma de Spielberg est marqué par ce thème de la rencontre avec une altérité d’autant plus marquante qu’elle n’est pas humaine étant soit futuristes (le robot d’A.I., E.T.) soit préhistorique comme c’est le cas ici. Jurassic World perd cette logique en superposant des problématiques humaines à celles qui lient les hommes aux dinosaures. Les différents conflits familiaux sont jetés à l’œil interloqué de ses bêtes ne servant plus qu’à faire prendre conscience de l’importance de la famille. Le film n’est alors qu’un autre symptôme de l’éclatement familial qui gangrène le cinéma américain depuis (trop) longtemps. Le directeur du parc dit que Jurassic Park permet de montrer aux hommes qu’ils sont petits face à la nature mais Jurassic World montre plutôt que l’homme combat de manière dérisoire des moulins à vent émotionnel.

Jurassic World, Colin Trevorrow

La version de Trevorrow est surtout nécrosée par une misogynie rarement exprimée aussi explicitement au cinéma. Si sur le papier il paraît intéressant de voir le rôle-titre occupé par une femme, Claire Dearing (Bryce Dallas Howard), nous sommes bien loin du féminisme de la Furiosa de Mad Max : Fury Road. Elle est l’archétype même de la femme qui pour réussir dans le monde du travail aurait dû sacrifier sa propre humanité. Elle n’est qu’un robot dilapidant des chiffres auquel les hommes reprochent sans cesse son manque d’humanité quand ils ne lui assènent pas des remarques sexistes sur son physique. Claire Dearing est un sujet de blague permanent ne sachant jamais comment survivre – alors qu’un enfant et un adolescent survivent à toutes les étapes et réparent des voitures sans aucun problème de cohérence. Elle est une proie faiblarde autant pour les dinosaures que pour ses propres partenaires : ses neveux préférant rester avec l’inconnu Owen Grady (Chris Pratt), cliché du macho « alpha ». Elle se définit d’ailleurs par lui puisque son seul sourire sera quand l’un de ses neveux dira « ton petit-copain est un badass ». Mais le plus choquant dans un film destiné aux familles, c’est que ce personnage féminin se retrouve poussé à avoir un instinct maternel et à regretter sa réussite professionnelle.

Jurassic World, Colin Trevorrow

Jurassic World est peut-être en adéquation avec son époque dans son étalage de technicités mais honteusement dépassé par un scénario affadi copiant une œuvre vieille de 22 ans où s’insèrent des mentalités des années 1950. Colin Trevorrow ne parvient aucunement à retrouver la magie qui avait permis à Spielberg de livrer un blockbuster réfléchi et donc intéressant.

Le Cinéma du Spectateur
☆ – Mauvais