Pacifiction – Tourment sur les îles : Crépuscule nucléaire

75e Festival de Cannes
Compétition Officielle
Sortie le 9 novembre 2022

Par un imposant plan-séquence sur le port automne de Papeete avalé par la nuit, l’île de Tahiti se révèle par la fatalité économique de son rapport avec l’ailleurs. Les premiers personnages de Pacifiction – Tourment sur les îles, des marins de l’armée française sur un bateau pneumatique, rejouent un mirage funeste de la colonisation. Les relations entre Tahiti et l’extérieur prennent forme sous les traits du Haut-commissaire de la République De Roller (Benoît Magimel, époustouflant). Dans la lignée des protagonistes de ses précédentes œuvres, De Roller s’inscrit comme une figure romanesque à l’instar de Don Quichote (Honor de cavallería, 2006) ou de Louis XIV (La Mort de Louis XIV, 2016). Mercenaire volubile, il traverse les plans – et s’en empare – dissimulé sous son armure néocoloniale : un costume d’un blanc immaculé et des lunettes aux verres teintés. Chez Albert Serra, le politique est une mise en scène qui s’exprime par le biais du corps. Après la débauche charnelle de Liberté (2019) que l’entre-soi érotique de la boîte de nuit « Paradise Night » ravive, Pacification – Tourment sur les îles prône une débauche verbale qui se vautre dans une vacuité formalisée. L’étirement des séquences transforme les échanges entre De Roller et les concitoyen·ne·s en des monologues absurdes louant le néant des manœuvres du pouvoir. Albert Serra évoque l’artificialité de nos représentants annonçant que « la politique [est] comme une discothèque : une soirée avec le diable ». 

Tandis que les rumeurs s’intensifient sur l’île, le Haut-commissaire enquête sur la menace invisible d’une reprise des essais nucléaires qui ont contaminé la région entre 1966 et 1996. Au crépuscule, il scrute depuis les hauteurs d’une colline l’immensité de l’océan en quête des traces d’un sous-marin français. Albert Serra altère le réel faisant apparaître ledit navire tel un monstre marin mythologique, imposant un doute permanant à ses protagonistes tombant dans une sombre paranoïa à la manière de l’amiral (Marc Susini) dont l’alcool démultiplie les « ennemis ». Pacification – Tourment sur les îles est un thriller politique dont l’intrigue n’est qu’un prétexte pour épaissir le brouillard se levant sur un monde contemporain nébuleux. De Roller s’acharne sur des pistes concrètes, la fréquentation régulière du « Paradise Night » par l’équipage de l’amiral ou la présence énigmatique d’étrangers – un Portugais (Alexandre Melo) dont le passeport diplomatique aurait été dérobé et un Américain (Mike Landscape) guettant les moindres faits et gestes du Haut-commissaire. Alors qu’il l’observe, l’Américain indique que De Roller « tourne en rond », empêtré dans une « spirale descendante ». En effet, ce dernier déambule dans sa Mercedes blanche dans les mêmes lieux de l’île à la recherche d’une lumière pour éclairer ce territoire tourmenté, pareillement à la lumière artificielle d’un stade lors d’une averse qui semble le recharger. 

Porté par le jeu magnétique de Benoît Magimel, De Roller est un personnage ambivalent à la magnanimité hypothétique. S’il prône la nécessité de « se désincarner » pour être un bon politicien, il n’est qu’un pion étatique pour maintenir l’ordre (l’intérêt de la France) qui ne prend en compte l’intérêt commun des Tahitien·ne·s que lorsqu’il rencontre ses propres névroses paranoïaques. Le Haut-commissaire se laisse progressivement dévorer par le territoire tahitien d’apparence paradisiaque. Lors de la séquence magistrale de la compétition de surf, son embarcation se heurte aux vagues immenses le faisant disparaître du plan. Alors qu’un surfeur déclare que « tous les jours [son] lieu de travail essaie de le tuer », ces paroles résonnent avec la situation de De Roller, ballotté. À la manière de cette séquence qui aurait pu n’être qu’une façade touristique, le cinéma d’Albert Serra va à l’encontre de toute exotisation. Il dépeint une société tahitienne dont la révolte de la jeunesse gronde en filigrane. Pacifiction – Tourment sur les îles se fait le miroir critique, transcendé par les néons du « Paradise Night », d’un exotisme difforme où le·a Tahitien·ne n’est vu·e – par les personnages blancs – qu’à travers leurs propres fantasmes : des serveur·se·s dénudé·e·s aux danseur·euse·s, seul·e·s autorisé·e·s à témoigner d’une violence politique encadrée par les limites rassurantes d’un spectacle pour touristes.  

Avec son rythme obsédant, Pacifiction – Tourment des îles est un cauchemar politique déguisé en rêve touristique. L’œuvre est autant une réflexion sur la vacuité rhétorique d’une classe politique blanche paranoïaque que sur le péril d’une masculinité primaire libidineuse. Face à eux, Albert Serra exalte des personnages autochtones déterminés à reprendre en main leur destin et celui de l’île à l’instar de l’hôtesse Shannah (Pahoa Mahagafanau, envoûtante), muse de De Roller.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆☆ – Chef d’Oeuvre

Jacky Caillou : La forêt dont les miracles sont faits

75e Festival de Cannes
Programmation ACID
Sortie le 2 novembre 2022

Dans la maison rustique où il vit avec sa grand-mère, Jacky Caillou (Thomas Parigi) traverse les différentes pièces à la recherche de sons dissimulés, une marche qui craque, ou triviaux, une tronçonneuse au loin, qu’il conserve via un enregistreur cassette. Dès la séquence d’ouverture, Lucas Delangle invite ainsi le.a spectateur.rice à saisir l’infime pour dépasser la superficialité confortable du quotidien. Dans cet espace banal, l’univers de Gisèle Caillou (Edwige Blondiau) – magnétiseuse-guérisseuse – se manifeste hors-champ à travers des sons nébuleux se mouvant progressivement en prières. Alors que Jacky se rapproche de la porte fermée d’où émane la liturgie afin d’épier par le trou de la serrure, le cinéaste fait correspondre le regard, et par extension la perception du monde, du protagoniste et du spectateur.rice. Jacky Caillou sera un récit d’initiation autant pour l’un que pour l’autre menant à réécrire la simplicité du réel à l’aune du merveilleux.

Tandis que la magnétiseuse-guérisseuse laisse progressivement son petit-fils pressentir son propre don, c’est l’horizon de ce dernier qui déborde. Il envisage son propre corps d’une manière nouvelle, guettant depuis ses mains l’invisible magnétisme.  À l’instar du thérémine avec lequel il compose sa musique, Jacky doit appréhender les variations dissonantes des êtres humains en vue du retour d’une harmonie perdue.  Toutefois, Gisèle met en garde le jeune homme sur le fait qu’ « [il ne doit pas courir] après le miracle, ça n’existe pas ». Autant dans la forme pastorale que dans le fond mystique, Jacky Caillou s’inscrit dans un territoire où la nature est omnisciente. Immuable, elle semble être une sorte de passage vers les souvenirs délaissés et les vies arrêtées comme ces tombes de roche nichées au cœur des Alpes auxquels Jacky confie les mots suivants : « je devrais partir, sauf si tu me dis de rester ». Lucas Delangle signe une œuvre animiste réinsufflant une aura spirituelle dans un monde sauvage réduit, pour les villageois.es, à la peur atemporelle d’un loup. 

Elsa (Lou Lampros) – jeune femme dont le corps se couvre d’une étrange tâche – surgit d’ailleurs mystérieuse de la nature pour consulter Gisèle, comme si elle était enfantée directement par elle. Depuis les forêts environnantes, les arbres sont parti-prenantes du récit, autant dans la genèse de la malédiction qui touche Elsa (les trois peupliers disparus) que comme exutoire vital à Gisèle/Jacky afin de « se purger » des malheurs des autres oppressant jusque dans le corps même du.de la magnétiseur.se. Dans cet écrin bucolique, Lucas Delangle métamorphose peu à peu son naturalisme en fantastique allant jusqu’à déstructurer l’image lors d’un cauchemar anamorphique où les ombres des branches emprisonnent le corps d’Elsa. Le cinéaste laisse surgir la part de monstruosité, figuration des désirs et des peurs enfouis sans jamais perdre son élégante quête curative. S’il y a un miracle, il réside dans la révélation d’un amour absolu permettant aux protagonistes de vivre une vie sans limite dans une recherche inaltérable de lumière. 

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆ – Bien

Bowling Saturne : L’Origine du mâle

75e Festival international du film de Locarno
Concorso internazionale
Sortie le 26 octobre 2022

Le macrocosme de Bowling Saturne éclot dans la violence par l’annonce abrupte d’une mort révélée par un conducteur interpellant un passant. Le défunt est Armand, père des deux hommes et gérant d’un bowling souterrain donnant son titre à l’œuvre. Dans le rythme inchangé d’une ville bétonisée sans nom, Armand (Achille Reggiani) – bâtard cadet portant le même prénom que le père qui l’a renié – erre dans l’attente de son travail d’agent de sécurité au sein d’une boîte de nuit banale dans laquelle il peut dormir contre quelques heures de ménages supplémentaires. Les plans larges de Patricia Mazuy capturent une vie nocturne à rebours, isolant des individus en quête désespérément d’une interaction. Dans les lumières factices des néons se manifestent la noirceur des âmes – « j’avais le démon en moi » confesse une jeune femme dans sa lettre d’adieu. Corps populaire au travail, Armand est réduit à l’invisibilité sociale dans cette atmosphère érotique. Un foulard coincé dans la fenêtre d’une voiture flottant gracieusement au vent lui offre une odeur sur laquelle il peut apposer son désir frustré.

Or, cette mort initiale confère à Armand un nouveau statut social (et donc sexuel). Il devient le nouveau gérant du bowling familial après le renoncement de Guillaume (Arieh Worthalter), fils aîné et commissaire de police. Au-delà même du prénom qu’ils partagent, les frontières identitaires entre les deux Armand – père défunt et fils renié –  se brouillent progressivement. Patricia Mazuy orchestre une métamorphose ambiguë dans laquelle le souvenir du père, aussi absent qu’omniprésent, (re)modèle le corps et la personnalité du fils. De l’appartement-safari à la veste noire en python, Armand se réapproprie un héritage qui prend les atours d’une malédiction. Entouré des proies de son père chasseur, il devient lui-même un prédateur, un membre de la meute. La violence, inhérente à la société dépeinte par le film, est partie intégrante du patrimoine familial. Les deux frères œuvrent sur leur propre territoire, le commissariat (intégré dans le récit sécuritaire) et le bowling (les bas-fonds, au sens littéral), dans une même logique de domination. 

Dans chacun des territoires, Patricia Mazuy filme les séquences de drague comme des scènes de chasse où le prédateur et la proie entrent dans une valse funeste codifiée. La séduction réaffirme ici ses caractéristiques animales dont l’odorat, « tu sens le flic » énonce Xuan (Y-Lan Lucas) à Guillaume avant leur premier baiser. De la sorte, Bowling Saturne est une œuvre qui sacralise le silence, comme espace de discussion primitive des corps. L’œuvre trouve sa plus grande force dans cette corporéité de la violence mettant sur un pied d’égalité formel le désir sexuel et celui de tuer. À travers le personnage d’Armand, ces deux pulsions suivent un même processus de ritualisation conçu autour des mêmes outils (couteau de chasse, bâche, camionnette). Sans complaisance, la cinéaste étire ses séquences pour expérimenter la cruelle durée du temps présent. Elle saisit le basculement tragique entre le plaisir et la mort. Bowling Saturne saisit la violence du monde contemporain envers le corps des femmes en disséquant ses origines immémoriales, cette racine coriace émergeant de la tombe du père. 

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆ – Bien

Juste sous vos yeux : La femme qui est revenue

74e Festival de Cannes
Cannes Première
Sortie le 21 septembre 2022

Sorti d’un songe sans rêve, le nouveau long-métrage du prolifique Hong Sang-soo s’inaugure sur des paroles sibyllines : « toutes les choses devant mes yeux sont une bénédiction […] seul le moment présent est le paradis ». Pour Sangok (Hye-Young Lee) – une actrice disparue revenant après de longues années en Corée du Sud, son présent se heurte à celui de son pays natal qui a continué à vivre sans elle. Durant une journée, elle traverse une société aussi familière qu’étrangère semblant se dérober face à elle, à l’instar de ces commerces étonnement vidés de leurs propriétaires. Le déracinement choisi par Sangok ébranle également sa relation avec sa sœur Jeongok (Yunhee Cho), devenue une quasi-inconnue dont les contours se discernent dans un brouillard de souvenirs lointains. Le présent est justement ce qui les sépare. Prise dans cette confrontation mémorielle, la protagoniste retrouve la maison de son enfance dont le jardin auparavant si immense lui paraît maintenant plus exigu, symbole d’un horizon raccourci. 

Malgré tout, le jardin reste un écrin de verdure dans une capitale coréenne uniformément bétonisée. Alors qu’il filme en contre-plongée des tours en construction, Hong Sang-soo recentre sa caméra sur les deux sœurs marchant vers un parterre de fleurs. Proposant une ville à échelle humaine, le cinéaste offre à ses personnages des refuges naturels où recueillir leurs émotions, comme cette passerelle permettant à l’ancienne actrice de fumer à l’abri des regards. Teinté de romantisme, l’espace naturel et/ou architectural devient progressivement autant l’expression des sentiments intérieurs de Sangok que le support d’un mysticisme verbalisé dans ses prières. Le sublime, interprété ici comme un état d’âme, réside dans la « bénédiction » qu’offre un quotidien dont la trivialité se meut en trésor pour celleux qui apprendront à l’explorer. Le titre Juste sous vos yeux est un commandement destiné aux spectateur.rice.s afin qu’iels cherchent dans les détails de l’image les révélateurs des non-dits des personnages. 

Lors de son rendez-vous avec Sangok, le cinéaste Jaewon (Hae-hyo Kwon), en admiration devant les rôles précédemment interprétés par l’actrice, déclare que « le secret de [son] authenticité était [sa] pureté ». Or, cette phrase décrit tout autant le cinéma de Hong Sang-soo, et particulièrement Juste sous vos yeux. Le minimalisme formel, dont l’épure sacralise le réel, encadre et magnifie la puissance des émotions qui se révèlent alors que l’alcool se montre libérateur. Le choix d’une image numérique prosaïque, pixellisée et surexposée, participe à cette valorisation d’un réel appréhendé à travers une neutralité esthétique technologique. Alors que la mort englobe insensiblement l’œuvre, la banalité du présent acquiert une aura sacrée à condition que la possibilité d’un futur s’estompe. Dans cette impasse, la douce cruauté de Juste sous vos yeux se manifeste : voir dans la mort menaçante la seule clé pour admirer les possibilités infinies du présent.  

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆– Excellent

107 Mothers : La Mélancolie des autres

78e Mostra de Venise
Orizzonti – Prix du meilleur scénario
Sortie le 14 septembre 2022

Dans un cabinet d’auscultation rudimentaire où des femmes enceintes défilent comme du bétail, un papier peint décrépit représentant une montagne désaturée par le soleil incarne le seul horizon possible. Les patientes sont les détenues de l’établissement pénitentiaire n°74 d’Odessa (Ukraine) où de jeunes mères peuvent purger leur peine avec leurs enfants jusqu’à leurs trois ans. Face à l’enfermement, la caméra de Peter Kerekes privilégie les plans fixes faisant corps avec la rigidité de l’institution carcérale qui transforme les jours en années. Dans cette temporalité figée, 107 Mothers se concentre sur les visages des détenues devenant l’unique territoire affectif d’une quête collective de maternité. Face au rôle mutique de Lyesa interprété par Maryna Klimova – seule actrice professionnelle du casting, le cinéaste parvient à libérer une précieuse parole empathique issue d’une enquête réalisée auprès de 107 mères-détenues. La force de l’œuvre réside d’ailleurs dans cette vérité sous-jacente, unissant le réel et la fiction, qui transforme une prison en scène et d’authentiques prisonnières et gardiennes en actrices.

Lors de l’accouchement de Lyesa, Peter Kerekes juxtapose, conformément à l’implacable procédure pénitentiaire, le plan d’une frontalité purement médicale de l’expulsion de l’enfant et celui du retour en fourgon surveillé de la jeune mère et de son nouveau-né. Dans cette séquence, le seul champ-contrechamp créant une interaction se produit entre Lyesa et la gardienne Iryna (Iryna Kiryazeva, dans son propre rôle). Bien que les détenues composent une communauté sororale, 107 Mothers déconstruit l’antagonisme usuel du genre carcéral entre prisonnier.e.s et gardien.ne.s. Ici, les femmes partagent des aspirations communes et subissent des pressions sociales semblables des deux côtés des barreaux. Aussi bien psychologue qu’institutrice, l’omnisciente gardienne occupe une place hégémonique dans la vie des détenues s’immisçant jusque dans les courriers qu’elle censure et dans les conversations des parloirs qu’elle écoute. Avec une timide joie, Iryna vit par procuration les histoires amoureuses des prisonnières, loin de son oppressante figure maternelle jouant à son tour le rôle de gardienne des préceptes hétéronormatifs et patriarcaux. 

Pour les détenues, la vie est suspendue entre deux absences fatales. La première résulte du meurtre de leur conjoint, avec en filigrane la question des violences conjugales, qui les a conduites au sein de l’établissement pénitentiaire n°74. Le pardon chez Kerekes n’a aucune dimension chrétienne d’absolution, mais n’est qu’une comédie à destination des avocats qu’il est nécessaire de répéter en amont afin d’obtenir une liberté conditionnelle. Cette dernière permet d’éviter la seconde absence : le départ programmé de l’enfant après son troisième anniversaire. Cependant, les visages des pères ne disparaissent pas entièrement, leur fantôme vivant dans les traits de leurs enfants. Au fur et à mesure que l’enfant de Lyesa grandit, l’œuvre articule une mélancolie collective dictée par les départs successifs et le vide qu’ils créent autant pour les mères que pour les enfants. Portrait d’une maternité en marge, 107 Mothers irradie d’une compassion d’une sororité circonstancielle, alternative à l’ostracisme familiale, éclosant dans la douceur de  la photographie de Martin Kollar cheminant des tons froids de l’hiver à ceux chaud de l’été d’Odessa. 

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆ – Bien

Magdala : Sculpter l’invisible

75e Festival de Cannes
Programmation ACID
Sortie le 20 juillet 2022

Au sein d’une forêt intemporelle, Marie-Madeleine (Elsa Wolliaston) erre, recluse, en quête d’un chemin spirituel qui la reconduira auprès de son Christ bien-aimé. Depuis la mort de Jésus, les stigmates d’un temps endeuillé se sont installés dans son cœur et dans son corps. Harassée et en haillon, elle espère une mort salvatrice. À mi-chemin entre la vie et la mort terrestres, la vieille femme parcourt une nature à la fois édénique et hostile. Dans cette cathédrale de verdure, le calvaire de Marie-Madeleine se mue en une messe sensorielle célébrant une harmonie de la résilience unissant les êtres vivants en présence. À travers le corps touché par la grâce d’Elsa Wolliaston, Damien Manivel compose, en prônant une radicalité cinématographique transcendantale, une chorégraphie de l’agonie. Figure majeure de la danse contemporaine, la danseuse ritualise, sublime et spiritualise un vocabulaire corporel prosaïque. Dans la quiétude silencieuse de la nature, le corps se fait parole et le geste se fait verbe. 

Toutefois, Magdala n’est pas qu’une œuvre survivaliste austère. Damien Manivel embrasse entièrement la psyché de sa protagoniste, épousant les contours mystérieux d’une spiritualité en construction. Alors que Marie-Madeleine enlace un arbre ordinaire, se matérialisent soudainement au bout de ses lèvres les pieds ensanglantés de Jésus sur la croix. Cette première apparition marque le basculement allégorique d’un long-métrage questionnant les représentations d’une foi chrétienne originelle. Le cinéaste ressuscite une spiritualité préchrétienne dépouillée de tout diktat ecclésiastique. Marie-Madeleine forge son propre culte christique trouvant dans son rapport intime avec Jésus une passerelle émotionnelle entre les temporalités et les réalités. Avec ardeur et délicatesse, Magdala replace l’individu au centre de la notion de spiritualité offrant à sa protagoniste, via la puissance figurative du medium cinématographique, le don de sculpter l’invisible.

Chez Damien Manivel, la dévotion de Marie-Madeleine est le fruit d’une obsession sentimentale et d’un lyrisme sensuel. Dans Magdala, la frontière entre le désir spirituel et le désir charnel est poreuse. Au crépuscule de son existence, Marie-Madeleine chérit la présence lumineuse et surtout physique d’un homme qu’elle a autant adoré que désiré. Face au vide assourdissant laissé par l’absence de Jésus, elle utilise quelques mots en araméen, « mon amour », pour énoncer ce qui serait une première prière. Face à ce mutisme, le corps de Marie-Madeleine devient le territoire même du deuil. Dans ce chemin de croix littéralement tracé par les frêles croix de bois qu’elle laisse sur son passage, elle atteint de manière absolue son statut de sainte. Jusqu’à un dernier souffle octroyé telle une caresse sous le regard compatissant d’un ange, Magdala incarne la persistance d’un souffle mythologique dans une spiritualité, chrétienne ou non, dont la beauté brute 

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆– Excellent

Qui à part nous : Premiers désirs

36e édition des Premios Goya
Meilleur Documentaire
Sortie le 20 avril 2022

En 2016, Jonás Trueba filmait des jeunes adolescent.e.s madrilènes pour son long-métrage de fiction La reconquista. Pressentant qu’une autre histoire était à raconter cette fois-ci dans le temps présent du documentaire, le cinéaste les a suivi.e.s pendant 5 ans afin de réaliser le portrait choral de la jeunesse espagnole contemporaine. Qui à part nous est une œuvre collective qui s’érige doublement autour de la notion centrale du « nous ». D’une part, Jonás Trueba s’intéresse aux forces coercitives qui constituent un groupe, instituant une frontière générationnelle et affective entre le « nous » et le reste de la société. D’autre part, il s’agit de soulever un enjeu cinématographique et politique du cinéma, principalement documentaire, en cherchant à créer un lien direct entre le sujet et la narration. Comme annoncé en préambule de l’œuvre, Qui à part nous se vit de manière « immersive » dans un dispositif où le.a spectateur.rice ne sera que le réceptacle d’une génération qui se livre, se regarde et s’invente uniquement par et pour elle-même. Dès la séquence d’ouverture, Jonás Trueba détruit la notion de quatrième mur en enregistrant la conversation virtuelle, pandémie oblige, réunissant les acteur.rice.s/sujets qui découvrent collectivement le film pour la première fois. En conclusion de son œuvre, le cinéaste espagnol reproduit le même procédé d’identification au groupe, au nous, en captant les réactions de lycéen.ne.s ému.e.s devant Qui à part nous. Jonás Trueba consacre alors sa position d’observateur d’une jeunesse pleinement acteur de sa représentation et consciente de son héritage. 

À la manière de Sébastien Lifshitz (Adolescentes [2020]), l’ambition première de Qui à part nous est de redonner une voix empathique à l’adolescence au cinéma. En se mettant à leur hauteur, Jonás Trueba questionne les jeunes sur la manière dont iels se sentent représenté.e.s au cinéma. Alors qu’iels affirment que leurs vies sont dramatisées à outrance – notamment par le prisme de l’addiction à la drogue, l’une des adolescent.e.s avoue qu’elle souhaiterait qu’iels soient représenté.e.s « comme des personnes ». La simplicité de la réponse témoigne avec force de la distance qui s’est instaurée entre la jeunesse et celleux qui les regardent. Alors qu’iels explorent les moyens formels de contrecarrer cette distance, une solution émerge : l’apparition d’une voix-off pour être au plus près de la psyché des personnages adolescents. Car, cette psyché n’est que rarement envisagée dans les représentations adolescentes comme une individualité singulière et surtout dans son propre rapport à la solitude – considérée autrement que comme le résultat d’un harcèlement scolaire. Avec poésie, Ricardo confessera que « dès qu’[il] rentre dans [sa] chambre, c’est incroyable tout ce qui se passe dans [sa] tête », ouvrant un nouveau champ des possibles. Qui à part nous embrasse alors le parti-pris de la voix-off en lui donnant une ampleur collective. Les images hybrides, oscillant entre le documentaire et la fiction, sont ainsi explicitées et contextualisées par une voix-off collégiale formant un chœur à la manière du théâtre grecque antique scellant le destin commun du groupe. La fiction chez Trueba s’insère comme révélateur du réel, comme la mise en situation sociologique et émotionnelle transformant le témoignage en récit. 

Qui à part nous esquisse le portrait d’années formatrices où le microcosme adolescent entre en friction avec un macrocosme inhospitalier où la place occupée par l’individu est une lutte perpétuelle. Jonás Trueba témoigne de l’effervescence des questionnements qui bouillonnent dans les cerveaux adolescents composant progressivement une conscience politique. Avec perspicacité, iels cherchent à définir qui iels sont et surtout qui iels deviendront. Des jeunes radicaux et anarchistes qui proclament qu’une révolution est nécessaire, que restera-t-il alors qu’iels sont elleux-mêmes témoin de la droitisation de leurs parents ? La longue durée de l’observation (5 ans) permet justement de voir comme les pensées révolutionnaires, voire utopiques, se confrontent à l’implacabilité d’un réel élaboré pour museler ces voix alternatives. Dans une conversation passionnante sur la manière dont la lutte doit/peut prendre forme face à cette désillusion politique naissante, la légitimation de la violence comme seul moyen d’action est proposée. Face au désaccord, le groupe s’unit à nouveau autour d’un cri commun : qui à part nous doit tenir ce rôle de contre-pouvoir ? Qui à part nous prône dans son discours, comme dans la forme que prend la singulière filmographie de Jonás Trueba, une action politique du quotidien qui passe par la beauté des micro-actions. La force de l’œuvre est justement de mettre en lumière des révolutionnaires du quotidien, d’un quotidien qu’iels font leur. Cette vitalité est malheureusement balayée par la pandémie de la COVID-19 rétractant encore plus l’horizon d’une génération hantée autant par la peur de la mort que par la peur de la vie.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆– Excellent

Retour à Reims (Fragments) : la vitale renaissance politique du prolétariat

74e Festival de Cannes
Quinzaine des Réalisateurs
Sortie le 30 mars 2022

Dans l’essai sociologique de Didier Eribon, Jean-Gabriel Périot trouve un point d’ancrage à un discours cinématographique sur le monde ouvrier français de l’après-guerre à nos jours. Ici, les fragments de Retour à Reims sont des épisodes biographiques, choisis par le cinéaste, de la trajectoire sur trois générations de la famille Eribon, dont la destinée a été tracée, voire muselée, par une suite de déterminismes sociaux. À travers sa famille (et la distance acquise par son statut de transfuge de classe), le sociologue produit une réflexion microsociologique intime qui illustre, par la banalité de la reproduction sociale, le portrait d’une classe sociale tout entière. En juxtaposant aux observations d’Eribon des entretiens audiovisuels contemporains, Jean-Gabriel Périot participe à ce changement d’échelle. En effet, entre le témoignage sociologique d’Eribon – interprété par Adèle Haenel – et les aveux des ouvrier.e.s issus des archives de Périot, un discours de la domination économique dans la France du XXe siècle émerge et cristallise une résilience commune, presque inhérente, face à un désespoir et une précarité partagés.  

Ce sentiment d’appartenance à la communauté ouvrière est justement ce qui passionne Jean-Gabriel Périot. Retour à Reims (Fragments) marque alors les bordures rhétoriques d’un groupe social dont l’existence collective est le seul rempart à l’invisibilisation individuelle. La beauté du documentaire réside dans la représentation politique qu’il (re)donne à ces hommes et ces femmes proclamant ensemble, uni.e.s par le montage de Périot, la dignité inéluctable du monde ouvrier. Dans la France d’après-guerre, cette dignité résonne à travers le Parti communiste français (PCF). Or, l’échec de la Gauche institutionnelle (cf. la désillusion des deux septennats de Mitterrand et la déception du quinquennat d’Hollande) ébranle profondément l’identité ouvrière. Ainsi, l’extrême-droite devient le porte-parole d’une classe populaire meurtrie et nourrie par un racisme ordinaire – reposant sur l’illusoire besoin de l’ouvrier.e blanc.he d’exprimer une supériorité quelconque.

Avec la même rigueur méthodologique que le sociologue, Jean-Gabriel Périot documente la montée de cette dérive nationaliste. Cependant, le cinéaste refuse ce constat et propose, non sans emphase, un épilogue militant. De fait, Retour à Reims (Fragments) retrace également l’histoire de la représentation audiovisuelle du monde ouvrier : du noir et blanc des pellicules anonymes ou célèbres (de Zéro de conduite [Jean Vigo, 1933] à Chronique d’un été [Jean Rouch et Edgar Morin, 1961]), Périot conduit le.a spectateur.rice jusqu’aux images en haute définition des manifestations des gilets jaunes. Il dresse le portrait poétique d’un militantisme populaire, encore présent dans l’inconscient collectif, qui doit se reconstruire en dehors d’un populisme opportuniste. À l’instar de la joie – rapidement éteinte – d’un père de famille au moment de l’élection de François Mitterrand en 1981, il est nécessaire de pouvoir (ré)apprendre à ses enfants le verbe vivre (tristement supplanté par survivre) et la manière de le conjuguer à l’indicatif.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆ – Bien

Bruno Reidal : La petite mort

74e Festival de Cannes
Semaine de la Critique
Sortie le 23 mars 2022

Bruno Reidal, confession d’un meurtrier éclate dans une frénésie violente et sanguinaire. Alors que la caméra opère un mouvement circulaire dans une forêt anodine du Cantal, elle surprend soudainement la décapitation de François Raulhac, un enfant de 12 ans, par Bruno Reidal (Dimitri Doré). La mise à mort est hors-champ. Vincent Le Port se concentre sur le visage du paysan séminariste de 17 ans qui se révèle dans la monstruosité morale de son acte. Par ce geste originel, il sort de sa condition d’anonyme que lui impose l’appartenance à la paysannerie du début du XXe siècle. À travers le regard du professeur Alexandre Lacassagne (Jean-Luc Vincent) chargé de réaliser un rapport médical, la société intellectuelle française reconnaît son existence. Cobaye psychosociologique, il est d’emblée défini par sa corporéité : « 1m62, 50kg, apparence délicate, carrure faible… ». Littéralement mis à nu, il se meut en bétail sacrificiel, déjà condamné, semblable au cochon égorgé chaque année chez les Reidal dont le cinéaste saisit dans le regard une certaine sensibilité. Dans la frontalité déséquilibrée (par la présence d’une estrade appuyée grâce à la caméra de Vincent Le Port) du face-à-face entre Bruno et le corps médical, le jeune homme est à la fois l’antagoniste (moral et social) et le protagoniste (narratif) d’un récit qu’il doit se réapproprier. 

Lorsque l’interrogatoire se confronte au caractère taiseux du condamné, le professeur Lacassagne lui manifeste qu’ « [ils ne sont pas ses] juges » et qu’ « [ils doivent] tout savoir ». Libérant le récit de toute moralité, cette annonce permet une bascule dans une nouvelle vérité dépassant la simple factualité policière. Le professeur propose à Bruno de retracer dans un journal sa vie et les événements qui ont conduit à la mort de François Raulhac. Par le biais de l’écriture d’abord factuelle (son milieu social, sa famille) puis poétique, Bruno se libère – non dans le sens d’une franchise chrétienne expiatoire, mais dans la démonstration sincère, car ressentie, d’une perversité assumée. Bruno Reidal est une œuvre qui se dissèque elle-même à l’instar des multiples degrés de confession de son protagoniste. À travers ses écrits énoncés en voix-off, Bruno n’est plus uniquement le sujet du regard des médecins (et par extension du spectateur.rice), il devient l’acteur d’un récit qu’il contrôle entièrement. Vincent Le Port transcende le fait divers pour livrer une cartographie mentale à la première personne, territoire fertile pour le jeu magnétique de Dimitri Doré. 

Récit d’apprentissage, Bruno Reidal narre la découverte conjointe de la sexualité et de la violence chez Bruno, dont les frontières sont brouillées par un viol subi à l’âge de 10 ans par un berger de passage. Ainsi, le désir s’érige à la fois en tant que pulsion sexuelle et soif de domination. L’École, seul espace de sociabilité, devient alors le réceptacle de cet éveil (homo)sexuel contraint par une jalousie maladive envers les plus brillants. Cette jalousie se restructure, dès l’entrée au séminaire où il fréquente – par le biais d’une bourse – les jeunes bourgeois locaux, autour d’une dimension socio-économique. La jouissance sexuelle et/ou mortifère réside uniquement dans la possibilité d’inversion des rapports de domination préexistants permise par la possession, voire l’humiliation, de l’autre. À travers l’angélique Blondel (Tino Vigier), son comportement obsessionnel prend une tournure sacrée : faisant de l’objet désiré une entité sacro-sainte. L’impossible refoulement de ce double désir charnel inconciliable avec la foi chrétienne conduit Bruno à trouver une victime sacrificielle. 

         Reprenant la forme circulaire des obsessions (« tuer », « se masturber », « Blondel ») de Bruno Reidal, Vincent Le Port met en scène une nouvelle version du meurtre initial de François Raulhac. Sa présence physique dans cette variante ne lui donne paradoxalement aucune singularité aux yeux de son meurtrier. À son tour, il n’est qu’un « bon pâtre de campagne » en référence au viol de Reidal. Alors que Bruno contemple la tête tranchée du jeune garçon comme un trophée, l’exultation du meurtre – sa jouissance quasi-érotique – se dissipe pour laisser place, dans le silence de la forêt, à une déception cruelle. Cet acte unique met fin au désir du meurtrier, par sa confrontation à l’implacable réel, dont l’excitation résidait dans le fantasme d’une domination suprême : pour Bruno Reidal, « les scènes de meurtre sont […] pleines de charme ». 

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆– Excellent

After Blue (Paradis sale) : La conquête du désir

74e Festival International de Locarno
Concorso internazionale
Sortie nationale le 16 février 2022

Dans l’ultra-noir cosmique, la musique synthétique et baroque de Pierre Desprats déchire le néant. Alors que la planète After Blue émerge majestueusement au centre du plan, deux voix – Roxy (Paula Luna) et la Vérité (Nathalie Richard) – relatent l’effondrement de la civilisation humaine et son exil sur After Blue, une mystérieuse planète habitable où l’intégralité des hommes périt étouffée par des poils poussant à l’intérieur de leur corps. After Blue (Paradis sale) s’appréhende comme une société matriarcale, utilisant le sperme terrien uniquement pour sa propre survie, où les femmes vivent dans des communautés fermées aux allures de sectes néo-sabbatiques. L’espace, territoire omniscient de l’inquisitrice Vérité, laisse aussitôt sa place à la minéralité fantasque d’After Blue. Chez Bertrand Mandico, la science-fiction se construit dans un rapport à la terre, à la matérialité. L’action jaillit lorsque Roxy libère la criminelle Kate Bush (Agata Buzek) des sables où elle a été ensevelie. À partir du triple meurtre commis par la tueuse dissimulant un troisième œil entre ses jambes, After Blue (Paradis sale) prend la forme d’un revenge western

Cependant, la quête vengeresse de Roxy et de sa mère Zora (Elina Löwensohn) n’est qu’un prétexte pour Mandico. After Blue (Paradis sale) est un western en négatif où la confrontation, usuel apogée, est inlassablement éludée par lâcheté ou désintérêt : Zora préférant rentrer avec un faux cadavre plutôt que de continuer cette chasse à la femme. Dans un genre traditionnellement masculin, les cowgirls de Mandico délaissent la mort au profit de la petite mort. Au sein de la brume métallique d’After Blue, les pulsions sont exclusivement érotiques. Comme Roxy l’énonce à la factuelle Vérité, la vérité comme réalité subjective absolue réside uniquement dans l’émotion. En partant à la conquête de leurs propres désirs, ces icônes cinématographiques, sublimées par les costumes de Pauline Jacquard et les maquillages de Bénédicte Trouvé, pervertissent – avec noblesse –  le western. Clé de voûte du cinéma de Mandico, les actrices, dont le jeu est aussi protéiforme que la biosphère fantasmagorique qu’il imagine, participent à la métamorphose du genre à l’instar de l’approche pathético-burlesque d’Elina Löwensohn ou encore de celle sibylline de Vimala Pons (dans le rôle de Stenberg). 

Toutefois, l’artificiel paradis sale d’After Blue est le fruit des fantasmes d’un homme, Bertrand Mandico. Une discordance malaisante s’installe entre le projet d’une planète matriarcale fictive et la réalité des images masculo-normées qui en résultent. L’univers d’After Blue recèle astucieusement des traces de la société patriarcale terrestre. Si l’idée que les marques de luxe soient devenues des marchands d’arme est cocasse, le maintien de la domination sexo-patriarcale dans les multiples insultes (« salope », « sale chienne ») questionne davantage. Le monde fétichiste conçu par Bertrand Mandico est foncièrement phallocentrique et aboutit sur un androïde « Louis Vuitton » doté d’un multi-pénis tentaculaire. Le traitement unilatéralement orgasmique du personnage de Roxy, élément défectueux du scénario, évoque plus l’archétype féminin dans le Hentai que la libération du désir féminin. Alors qu’elle aime métaphoriquement s’engouffrer toute entière dans des trous minéraux de plus en plus étroits, c’est la pluralité sensorielle de After Blue (Paradis sale) qui se rétrécit graduellement.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆ – Moyen