Cinéma Français, mon amour !

Article rédigé pour Baz’art
Magazine culturel de Paris 1
N°2

Baz'ArtLe « made in France » serait-il seulement viable dans le domaine de la culture ? Il faut dire que le rayonnement de la France repose bien plus sur sa culture que sur son économie. Les cinéastes français, sélectionnés dans tous les festivals majeurs, font resplendir le savoir-faire français et la langue de Molière à travers le monde. Une vitalité qui passe autant par le nombre croissant des festivals consacrés au cinéma français à travers le monde que par le record de nominations (36) à l’Oscar du meilleur film étranger. Un cinéma aimé partout, sauf en France. Paradoxe du spectateur français qui se tourne plus vers les œuvres américaines que françaises sauf pour amener des succès programmés à des divertissements familiaux. Il est vrai qu’on pourrait dire que le cinéma français est bavard, lent ou sentimental. Mais le cinéma français est un art qui dépasse la question du divertissement. L’année 2013 est parfaite pour déclarer son amour à notre cinéma unanimement salué par une Palme d’Or à Cannes avec La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche offerte par les mains du roi d’Hollywood, Steven Spielberg.

La Vie d'Adèle, Abdellatif Kechiche

La force du cinéma français réside dans sa liberté morale : pas d’interdiction de sujets, de scènes ou de mots. Une structure privilégiée qui l’empêche de tomber dans un puritanisme qui gangrène le cinéma américain. Un affranchissement moral qui permet au cinéma français d’être polémique comme ce fut le cas pour La Vie d’Adèle, voyeurisme ou artistique ? Kechiche n’est pas un pornographe mais un réalisateur du corps. Il inclut, par la proximité de sa caméra, le spectateur dans le jeu de séduction charnel qui s’opère entre Adèle et Emma. Une situation qui ne fait qu’accentuer la position de voyeur du spectateur. Alain Guiraudie (L’Inconnu du Lac) filme les lieux de drague homosexuelle à la manière d’une fable. Les corps se vêtissent et se dévêtissent suivant la volonté des corps. Seul le désir charnel s’exprime, une logique qui ne peut se passer de l’exultation de l’acte sexuel comme finalité des désirs. Le réalisateur suit une logique narrative dans laquelle il ne peut jouer le jeu naïf de l’amour platonique. Avec Mes séances de lutte, Jacques Doillon fait d’ailleurs de la frustration sexuelle un moyen d’intensifier la confrontation des corps. Ici, les corps s’entrechoquent dans une violence libératrice pour devenir un ballet d’émotions. Le sexe retrouve sa logique fondatrice. On retrouve également cette instrumentalisation des corps dans La Vénus à la fourrure de Polanski qui confronte deux dominateurs, un metteur en scène et une actrice, dans une valse masochiste. Le sexe devient le fruit du hasard et de la perversion de l’homme chez Yann Gonzalez, Les Rencontres d’Après-minuit, avec cette partouze Buñuelienne sans cesse reportée par les angoisses des participants.

Mes Séances de Lutte, Jacques Doillon

Si le cinéma français peut paraître cru, c’est par un mélange de genres chargé de symboles et de poésie qu’il parvient à s’extirper du simple fait de montrer gratuitement des faits. Un retour à la tradition d’un cinéma purement narratif, un glissement vers le conte. L’Inconnu du Lac n’est alors plus une œuvre homosexuelle, mais un conte sur la séduction avec une distinction entre un bien naïf (Franck) et un mal séduisant (Michel) mis en place par une conscience (Henri). Une thématique du conte qu’on retrouve chez Agnès Jaoui (Au Bout du Conte) qui met en situation des personnages caractéristiques : la princesse, le méchant loup, la marraine, le prince charmant. Des anachronismes séduisants qui amènent un humour recherché. L’humour du cinéma français se fait également par le mélange des genres. Guillaume Gallienne (Les garçons et Guillaume, à table !) signe la comédie la plus rafraîchissante de l’année en faisant de sa vie une douce farce sur la perception des genres. Admirer les femmes, induirait forcément un penchant homosexuel ? C’est dans ces questionnements qu’il parvient à tirer un humour à contre-pied, un génial comique de situations et de quiproquos. Chaque sujet peut devenir une habile farce sociale : le procès d’un globophage chez Dupontel (9 mois ferme), un commissariat et la police des polices chez Bozon (Tip Top).

Les Garçons et Guillaume à table, Guillaume Gallienne

L’onirisme à la française n’est pas seulement le fruit d’un scénario ciselé, mais d’un travail sur l’image et ses représentations. La France fourmille de réalisateurs qui sont de véritables artisans visuels. En adaptant l’œuvre de Boris Vian – L’Ecume des Jours–, Michel Gondry parvient à créer un ciné-sthésie visuel qui mélange le cinéma et les arts plastiques pour créer un monde chimérique. Une absurdité, au sens de Camus, visuelle sublimée par les bricolages de Gondry. On retrouve cette habilité dans le premier long-métrage du dessinateur Sylvain Chomet (Attila Marcel) qui narre le voyage dans la conscience de Paul à la recherche des souvenirs  de ses parents à l’aide d’un poétique potager d’appartement. Des inspirations diverses marquent alors le lyrisme à la française : La Fille du 14 Juillet d’Antonin Peretjatko fait revivre le Godard de la Nouvelle-Vague ; Queen of Montreuil de Solveig Anspach retrouve le cinéma de Méliès ; tandis que Les Rencontres d’Après-Minuit tend vers le surréaliste et les lignes de fuite du cinéma expressionniste allemand des années 1920. Un cinéma référencé mais profondément novateur.

L'Ecume des Jours, Michel Gondry

L’avenir du cinéma français est prometteur avec un groupe de jeunes réalisateurs ambitieux. Avec son deuxième long-métrage Grand Central, Rebecca Zlotowski irradie en signant cette histoire d’amour passionnel sur fond de nucléaire. Elle dissèque la mise en place du désir entre ses personnages pour retrouver la logique contaminatrice des particules nucléaires. Une ambition d’observation qu’on retrouve également dans La Bataille de Solférino de Justine Triet. Dans son deuxième long-métrage, la réalisatrice fait s’entrechoquer microcosme et macrocosme. Elle englobe le récit de deux divorcés se disputant les enfants de la ferveur de l’élection de François Hollande en 2012. Une ébullition sensorielle qui explose dans une hystérie populaire entre fiction et réalité. Cette recherche de saisir une réalité se retrouve chez Virgil Vernier qui lie l’histoire d’une strip-teaseuse et des cérémonies pour Jeanne d’Arc dans Orléans. Des œuvres atypiques qui brouillent les frontières entre documentaire et fiction pour amener le spectateur dans une nouvelle vision de percevoir le cinéma. Un cinéma qui se politise également chez Thierry de Peretti (Les Apaches) qui met en scène la violence chez les jeunes corses entre immigration et gangs. Le nouveau cinéma français ne se tourne pas seulement vers le réalisme social, il est aussi empreint de percées lyriques comme dans La Fille du 14 Juillet (Antonin Peretjatko), Les garçons et Guillaume, à table ! (Guillaume Gallienne) ou Les Rencontres d’Après-minuit (Yann Gonzalez).

Les rencontres d'après-minuit, Yann Gonzalez

Le cinéma français a encore de beaux jours devant lui. Une vitalité éclatante et multiple qui séduira n’importe lequel d’entre vous.

L’Inconnu du Lac : Conte Erotique

L'Inconnu du Lac, Alain GuiraudieAlain Guiraudie livre avec L’Inconnu du Lac le conte qu’il manquait au cinéma français. C’est par ce charme, cette dialectique enfantine, que son œuvre marque le spectateur qui se laisse presque naïvement plonger dans cette relecture des codes du conte. « L’Inconnu », c’est ce qui est extérieur au lac : lieu unique à la manière des tragédies grecques. L’Inconnu du lac ne s’inscrit dans aucune géographie, dans aucune vision politique ou idéologique. Les personnages ne s’expliquent et n’axent leur comportement qu’en fonction de ce lieu et de l’intrigue qui s’y dessine progressivement à travers la valse des voitures. Le superflues des vies, des métiers et des situations préalablement effacés permet à l’œuvre de Guiraudie d’atteindre une douceur et de focaliser le spectateur sur ce monde diurne ou nocturne qui peuple le lac.

L'Inconnu du Lac, Alain GuiraudieDu conte, Alain Guiraudie garde la dualité de la forêt, aussi bien lieu d’attraction que de danger. Côté face, l’excitation et la fascination d’un lieu caché dans lequel les hommes errent, presque de manière surnaturelle, pour assouvir leur bestialité charnelle. Côté pile, le danger morbide avec le monstre prédateur (Michel) qui rôde autour des proies. La forêt, comme le lac, dispose ainsi d’une aura séduisant mais morbide que le réalisateur unit habilement filmant de manière identique les ébats sexuels et la mise à mort. La nature, chez Guiraudie, est un personnage à part entière qui suit les âmes humaines. La lumière est maîtresse dans L’Inconnu du Lac. Le monde diurne et nocturne s’opposent. Ainsi le crépuscule devient un moment clé où les masques tombent. La nuit pour Franck signifie la fin d’une journée d’idylle et de sa relation puisque Michel n’est envisagé que par le lac et le jour ; pour Michel, c’est le réveil de ses instincts et de sa brutalité. C’est dans la pénombre que se joue le film et que le drame survient.

L'Inconnu du Lac, Alain Guiraudie

La nature se quadrille alors par des frontières factices. D’abord celle du lac qui sépare ce monde érotique et enchanteur de la « normalité » des vacances familiales et dont Henri fait le lien. Puis, la limite visible et palpable du bois faisant tomber aussi bien les masques que les vêtements. A cela s’ajoute les frontières de convention humaine : celle faîte par Henri qui s’exile loin du « lieu de drague », ou encore celle du copain de Eric avec les buissons séparant les hommes volages des couples libertins. Les personnages hissent ainsi eux-mêmes des limites et des conventions dans un lieu qui pourtant en était dépourvues. En découle alors une vision pour les personnages d’un bien et d’un mal malléable à merci et répondant seulement aux envies de l’instant. C’est de ces limites qu’Alain Guiraudie tire également la partie sarcastique et humoristique de son film par le biais des décalages et des confrontations entre les différentes sphères de pensées qui s’y créent.

L'Inconnu du Lac, Alain Guiraudie

L’Inconnu du Lac fonctionne également autour d’un trio de personnages rappelant les contes. Franck est le protagoniste naïf et sentimental (le seul finalement à parler d’amour ou à y croire) qui amène le spectateur dans l’histoire. Une histoire qui sera contée que par son biais, Alain Guiraudie ne se sépare jamais de son personnage principal même lors de la noyade de l’amant de Michel. Ce n’est que de derrière les buissons que le long plan séquence saisissant se déroule, et donc de Franck. La question bien/mal s’axe par le personnage enivrant de Michel, sorte de Barbe-bleue homosexuel,  qui séduit et amène Franck dans le mensonge, le déni. S’oppose alors Henri, personnage moral et docile qui tente de se faire une place d’acolyte et qui n’y parviendra que par un ultime sacrifice.

L'Inconnu du Lac, Alain Guiraudie

Alain Guiraudie se rapproche, dans le traitement de la passion amoureuse, paradoxalement d’un réalisme cru. L’Inconnu du Lac se fiche de la séparation arbitraire et bien-pensante entre une passion charnelle et une passion platonique devenu le symbole d’un romantisme de papier glacé au cinéma. Plus d’ « amour-amitié » comme il la nomme, mais l’apparition (enfin) d’une passion humaine et finalement également sexuelle. L’Inconnu du Lac ne livre pas une sexualité gratuite ou outrancière mais montre la passion charnelle de deux hommes répondant aussi bien par leur corps que par leur parole à ce qui les dévore.

L'Inconnu du Lac, Alain Guiraudie

L’Inconnu du Lac est une œuvre au charme fou qui subjugue et qui entraîne le spectateur dans un monde réel mais peuplé de légendes (silure) et contes. Alain Guiraudie livre un long-métrage réussi qui divertit à la manière de ses voitures sur le parking dont le spectateur tente de trouver les propriétaires se posant à son tour la question : « Michel sera-t-il là ? ».

Le Cinéma du Spectateur

Note : ☆☆☆☆☆ – Chef d’Oeuvre