Un cinéma désenchanté

Le « désenchantement du monde » théorisé par Max Weber marque le recul de la superstition, des croyances et de la religiosité des sociétés occidentales. Le cinéma n’a pas attendu 2012 pour traiter la question de la religion. Cependant, c’est dans le fond de la critique qu’il faut voir un renouveau. M.A.S.H (1970) de Robert Altman ironisait sur l’apport illusoire de la Religion dans le milieu humain qu’est la guerre, mais ce n’est qu’un épisode presque mineur de cette satire. On peut également penser à Amen (2002) dans lequel Costa-Gavras s’attaque à l’inaction de la Chrétienté durant le génocide juif de la Seconde Guerre mondiale, cependant ce sont les actions de la Religion et non sa nature propre qui est remise en cause. Le cinéma a été, au cours de l’année qui s’est écoulée, intransigeant envers la religion et ses conséquences dans les sociétés actuelles. Il ne faut pas voir là une émancipation ou un athéiste cinématographique mais seulement une nécessité d’analyser la société par ses éléments fondateurs. La Religion ne dispose plus de cette sacro-sainteté qui empêchait tout regard critique. Cette mise à nue permet d’ouvrir les yeux sur les dérives de la religion, mais surtout sur le leitmotiv lancé par le cinéma : la Religion est obsolète !

Le Cinéma, comme la Religion, trouve son essence dans l’auditoire présent. Un auditoire fidèle et discipliné qui accepte de recevoir la Parole sans chercher la vraisemblance du récit. C’est sur cet aveuglement que fonctionne L’Odyssée de Pi (2012) d’Ang Lee qui montre au travers de sa beauté visuelle une présence divine. « Vous croirez en Dieu après que je vous ai raconté mon histoire » avertie même le narrateur. Ang Lee crée une symbiose entre le Céleste et le Terrestre par le biais d’une mer-miroir qui permet au récit de s’engouffrer dans les confins de l’imaginaire. Cependant notre intérêt se porte sur la première partie du film, c’est-à-dire sur les péripéties religieuses et formatrices du jeune Pi qui se conclue d’une manière cocasse: « Je suis un bouddhiste-musulman-chrétien ». De cet amalgame d’histoires religieuses sort des recoupements et des similitudes qui ancrent la Religion dans une logique de contes multiples. Ainsi, elle se place seulement au rang de croyance et non de vérité. Cette pensée est personnifiée à travers le rationalisme du Père qui prône une croyance en la Science. La Mère ne défend d’ailleurs que la Religion pour ce qu’elle apporte à l’imagerie de l’enfant : « C’est bon pour lui à son âge ». De son côté, Abel Ferrara réduit dans son film apocalyptique 4h44, Dernier jour sur terre (2012) la religion à la masse ne montrant non plus des figures humaines mais des ouailles regroupées dans les clôtures que forment les lieux saints. Le réalisateur américain dépeint une humanité qui ne voit dans la religion que le moyen d’assouvir sa soif d’immortalité et ne trouve donc là qu’une solution pour l’au-delà. Même ses personnages marginaux tombent dans les affres du spirituel s’enlaçant une dernière fois bordés par le serpent ancestral qui marque les confins du monde.

4h44, Dernier jour sur Terre - Abel Ferrara

4h44, Dernier jour sur terre, Abel Ferrara (Etats-Unis, 2012)

De la puissance coercitive de la Religion, Rachid Djaïdani tire une histoire d’amour maudite entre un chrétien noir et une musulmane par une religion castratrice et dominante. Le problème n’est plus la croyance mais le sectarisme qui en découle dans nos sociétés. Rengaine (2012) est donc le symbole de ce communautarisme extrême qui empêche l’émergence d’une culture multi-ethnique à l’identité propre. Il tourne alors en dérision la rengaine française : Liberté, Egalité, Fraternité. Cristian Mungiu (Au-Delà des Collines, 2012) s’insurge aussi de voir une Orthodoxie dictatoriale et réfractaire bloquer la quête de rationalité de son pays, la Roumanie. Si le village aux allures de vestiges médiévaux est « au-delà des collines », c’est pour mieux montrer que la Religion ne doit plus faire partie de la vie civique. Elle est attachée à l’obscurantisme passé faisant des protagonistes les véritables martyres. L’aberration saisit le spectateur lorsqu’un médecin propose de soigner une malade non pas par la médecine mais par la lecture de psaumes. Mungiu clôt son film sur la mise en accusation d’un Religion trop souvent blanchie. Une scène du long-métrage Les Hauts du Hurlevent (2012) d’Andrea Arnold fait d’ailleurs un intéressant rapprochement entre la Religion et l’esclavage. Modifiant l’histoire en faisant d’Heatcliff un jeune noir probablement ancien esclave, la réalisatrice britannique montre la violence par laquelle la religion s’impose dans la vie des hommes. Ce baptême forcé lors duquel Heatcliff est violemment pris par le cou, plongé et maintenu dans l’eau bénite fait alors échos à ses précédentes tortures. La Religion n’est souvent pas un choix volontaire mais le fruit d’une socialisation dans le domaine privé. Les membres spirituels contraignent alors à la croyance et place sous le drapeau de la religion de nombreuses exactions : les croisades évangélistes, massacres orchestrés pour et par la Religion.

Au-delà des Collines - Cristian Mungiu

Au-delà des Collines, Cristian Mungiu (Roumanie, 2012)

Néanmoins, le Cinéma ne tente nullement de prendre la place de la Religion en devenant un médium divinatoire qui prônerait une attitude à suivre. Il ne constate que les carences de l’immuable institution religieuse. Certes à travers Prometheus (2012), Ridley Scott crée sa propre théologie partant à la recherche de nos créateurs. Il survole alors les débats pour nous proposer sa version de la création de l’homme. Il s’inscrit donc dans la lignée des faiseurs de mythe en privilégiant le fantastique. Ce qu’il faudrait retenir de cette année anticléricale, c’est une réflexion sur la place qu’occupe la religion dans nos sociétés. Elle est nécessaire à l’homme qui se rattache tant bien que mal à sa condition de mortels comme chez Ferrara, mais elle ne doit plus être un des piliers de notre culture. Il faut enclencher un basculement de la sphère publique à la sphère privée.

2011: L’Humanisme cinématographique

Il est assez paradoxal de commencer un blog par un bilan, mais le moment de l’année me le permet. L’année 2011 touche à sa fin et se révèle d’une qualité impressionnante. Ce n’est pas l’année 2010, où seul le Mother de Joon-Ho Bong se démarquait du paysage cinématographique. On suit ici un schéma tout autre. On assiste au retour de nombreux cinéastes: Lars Van Trier, Les Frères Dardennes, Steve McQueen, Sofia Coppola, Gus Van Sant, David Cronenberg, Darren Aronofsky, Danny Boyle mais surtout le retour triomphant et magnifique de Terrence Malick. C’est aussi les rendez-vous annuels (et répétitifs) des habitués: Clint Eastwood, Pedro Almodovar, les Frères Coen, Roman Polanski, Woody Allen. Voilà pour une rapide vision des réalisateurs.

On assiste à un retour sur l’homme, sur la vision que l’humanité à d’elle-même. Ce n’est que par cette introspection que le cinéma atteindra d’ailleurs (sauf exception) son sublime.  C’est l’homme face au danger inévitable, l’homme anéanti et en voie de disparaître qui permet aux réalisateurs de raconter les plus beaux contes cinématographique. La genèse de l’humanité prend son sens par la peinture métaphysique de Terrence Malick, son Tree of Life pousse à son paroxysme l’onirisme par des images, ou plutôt des oeuvres créatrices de sentiments, de sensations, d’impressions. L’au-delà se dessine alors dans la religion avec l’envoûtant refrain susurré par les acteurs « Father, mother ». La mort hante aussi le cinéma de plusieurs réalisateurs: le cosmos séduit Lars Van Trier qui signe avec Melancholia une éradication grandiose de l’humanité par cette planète qui signe inévitablement la fin d’un monde ponctué par la peur, la colère, l’appât du gain. La destruction est la réponse à la gangrène qui ronge la Terre de l’intérieur. Lorsque que le cosmos n’intervient pas, c’est alors les éléments qui se déchaînent: pour son film annuel, Clint Eastwood se penche sur la reconstruction de personnages touchés par la mort, et c’est l’histoire qui inclue Cécile de France qui illustre notre réflexion.

Jamais l’homme ne sera tranquille, s’il ne trouve pas sa souffrance dans le cosmos, c’est parce qu’il endure déjà son microcosme. Valéry Donzelli (La guerre est déclarée) sera sans doute la plus touchante en racontant l’histoire (personnelle) de son enfant atteint dès la naissance d’une tumeur au cerveau, elle aura le génie et le savoir-faire nécessaire pour ne jamais tomber dans le pathos, et trouvera la force d’en faire un film mixte qui mélange brillamment les genres du drame et de la comédie, car si on pleure, on rit. C’est également la devise de Maïwenn qui  avec Polisse, justement récompensé d’un Prix du Jury au Festival de Cannes, s’immisce dans la Brigade de Protection des Mineures (BPM) troquant la dureté de ses propos par des scènes comiques réellement hilarante. Mais lorsque je parle de dérèglement du microcosme je vois deux voies possible: d’un côté le mal qui ronge la société sous différente forme (la violence dans l’incroyable premier film Les Crimes de Snowtown, qu’on retrouve le thriller sud-coréen de Kim Jee-woon intitulé J’ai rencontré le diable; l’accident fatal dans On the Ice; ou encore une sorte de folie de l’homme moderne que Polanski illustre à merveille en adaptant la pièce de Yasmina Reza avec Carnage), de l’autre la maladie qui détruit l’intérieur de l’homme pour finalement le rendre plus vivant, le dé-diviniser: Restless les fait sans doute partir trop tôt, mais cela est égal puisque face à la mort nous perdons dans tous les cas, Steve McQueen (Shame) empêche son héros de vivre, il le fige dans une obsession sexuel, et ne pouvons nous pas voir chez Darren Aronofsky (Black Swan) la folie de l’homme, son sentiment fou d’être toujours persécuté, mise à mal.

C’est face à ses propres combats qu’il peut s’en sortir et retrouver la gloire qu’il a perdu au profit de la nature, des forces de l’univers, c’est à dire ce qu’il ne maîtrise pas. Il ne maîtrise pas la nature, qu’il n’a d’ailleurs jamais maîtrisée. Les catastrophes géologiques qui ont eu lieu au cours de l’année le prouve bien: séisme, raz-de-marrée … Danny Boyle est un représentant de cette humanité vaillante qui peut avoir foi en elle, en sa survie. C’est en effet en offrant le rôle (son plus beau) d’ Aron Ralston à James Franco pour 127 Heures qu’il montre le potentiel souvent sidérant de l’homme, son courage face à ce qui paraît une situation perdu d’avance. Certes, vous pouvez me dire qu’Aron Ralston n’est pas n’importe qui, que tout le monde n’aurait pas la force et l’envie de survivre 127 heures, le bras coincé sous un rocher et n’avoir comme solution seulement l’auto-amputation de son membre. Mais, il n’est que le messie de l’optimisme en l’homme, d’un homme qui s’accroche à tout ce qu’il a pour vivre.

Certains d’entre vous peuvent voir autre chose dans l’année 2011 au cinéma, je me suis, quant à moi, intéressé à cela. La place que les cinéastes donne à l’homme m’a littéralement, ou plutôt cinématographiquement fasciné. Il est ni bon, ni mauvais, c’est le cadre qui l’entoure qui le façonne et le rend fragile. Il suffit, pour finir, de voir The Murderer du Sud-coréen Hon-jin Na pour le comprendre à travers le portrait de cette homme qui pour survivre ne peut que accepter de tuer cet homme qu’il ne connaît pas. L’homme n’est pas une certitude mais une multitude de possibilité qui restent ouverte au cinéma. La voie commencée par le cinéma mondial de 2011 semblent continuer sur sa lancée avec le très bon Take Shelter sortie en début d’année 2012.