A la recherche de l’Acteur perdu !

Article rédigé pour Baz’art
Magazine culturel de Paris 1
N°1

Baz'Art

L’acteur est un être paradoxal. Il troque constamment son identité pour voyager, à sa guise, entre les époques et les genres. Il se dévoile comme personne pour montrer en somme ce qu’il n’est pas. Sa présence à l’écran, qui pourtant nous remplit totalement, ne cache finalement que son absence. L’acteur se dérobe à toute interprétation humaine, il ne se définit que par les rôles qu’il joue. Il n’est plus homme, mais image. Il est d’ailleurs, pour Joseph von Sternberg (réalisateur autrichien des années 1920-1950), qu’un « vil instrument » au service du réalisateur. L’acteur fait figure de faire-valoir esthétique au même titre qu’un costume ou qu’un décor. C’est pour lui que les studios déboursent des fortunes, mais l’acteur est le parent « pauvre » du cinéma. Adulé, mais jamais (ou trop peu) reconnu pour son apport artistique,  il n’est qu’un accessoire qui prononce des mots choisis par un scénariste de la manière voulue par un réalisateur. Rappelons que le premier entretien d’un acteur aux Cahiers du Cinéma est celui de Jane Fonda en 1963 ! Une reconnaissance tardive pour le métier d’acteur qui est, et surtout devient, bien plus qu’une image de papier-glacé. Alors, les acteurs, où en êtes-vous ? 

Josef Von SternbergIl fut un temps où la seule présence d’un acteur engendrait un succès. La célébrité outrancière des castings était, à l’instar d’un bon scénario, la préoccupation première des studios. Mais l’échec surprise de The Tourist (2010) qui réunissait pourtant les rois d’Hollywood, Angélina Jolie et Johnny Depp, marque un changement dans l’attente des spectateurs. Faire recette sur le nom d’un acteur n’est plus possible. C’est autour de Johnny Depp, célébrité adoré, que se cristallise d’ailleurs les échecs : Rhum Express (2011) ou Lone Ranger (2013) – dont les résultats déçoivent les Studios Disney. Pour Jacqueline Nacache, professeur à Paris 7, la célébrité est la faille de l’acteur. Elle écrit dans son ouvrage L’Acteur de Cinéma : « [l’acteur] n’est pas le personnage de fiction, je ne peux les confondre, surtout s’il s’agit d’un visage connu chargé de vies antérieures ». C’est la célébrité de Brad Pitt qui emprisonne le personnage de Gerry Lane dans World War Z puisque l’illusion de création ne peut fonctionner. L’acteur peut-il à un niveau excessif de célébrité encore devenir un personnage ?

Johnny Depp, Lone Ranger

L’acteur est une construction de l’image. Il est la synthèse d’un montage, d’une lumière, d’un costume et d’un maquillage. C’est par le travestissement physique que Johnny Depp tente de venir à bout de son image. Pirate, vampire, chapelier, indien, il se perd dans cette outrance et ne devient qu’un acteur clownesque sans visage. Il perd l’humanité même qui fait la beauté de l’acteur. L’adéquation parfaite entre rôle et acteur se fait autour des nouveaux visages que nous découvrons chaque année. Ces révélations nous transportent car leur corps ne prend vie que pour être un personnage précis. Il suffit de voir Isidora Simijonovic dans Clip (Maja Milos, 2013) habitée par le personnage de Jasna – archétype de la jeunesse serbe dépravée – pour comprendre que c’est justement son anonymat qui empêche de douter de sa sincérité. Jasna et Isidora ne font qu’une dans l’esprit du spectateur. C’est également le cas de Souleymane Démé dans Grigris(Mahamat Saleh Haroun) dont la véritable jambe morte ne peut qu’accentuer l’identification et lui permettre de transcender l’écran. Mais alors, faut-il être l’acteur d’un seul rôle ?

Isidora Simijonovic, Clip« Les meilleurs acteurs sont ceux qui savent le mieux ne rien faire » formulait avec ironie Alfred Hitchcock. De cette petite phrase se dégage le fait qu’une interprétation pour être juste doit paraître naturelle. Le meilleur sera celui qui parviendra alors à gommer son effort. Cette recherche d’un jeu moins théâtral est dûe à l’arrivée du parlant à la fin des années 1920. C’est la fin des héros burlesques, des comédiennes (trop) démonstratives. La parole amène une retenue qui se colle ainsi à la réalité. La façon de jouer continue cependant d’évoluer de nos jours avec l’émergence des acteurs-auteurs. Ces derniers participent grandement à la fabrication de leur personnage. La sensation de justesse tient alors d’une manière de parler moins posée et moins réfléchie. On retrouve cette fluidité notamment dans Before Midnight(2013), qui clôt la trilogie de Richard Linklater, qui réunit Julie Delpy et Ethan Hawk. Greta Gerwig, quant à elle, prend entièrement en charge l’écriture du scénario de Frances Ha (2013) avec Noah Baumbah. S’écrivant un rôle en or, elle donne sa meilleure interprétation. Elle se dévoile et irradie éloignant ainsi par son naturel la question de la justesse de jeu.

Greta Gerwig, Frances HaCette effervescence artistique des acteurs provient en partie du cinéma indépendant américain. C’est au début des années 2000 qu’apparait ce que l’on nomme le courant Mumblecore (de mumble, marmonner). Ces long-métrages fauchés favorisent l’improvisation et s’entourent souvent d’acteurs non-professionnels. L’acteur et le personnage sont unis par une réflexion identique et un même besoin viscéral de communiquer. Lynn Shelton, une des principales figures du mouvement, proposait au début de l’été Ma meilleure amie, sa sœur et moi duquel se dégage cette symbiose acteur/rôle. Le spectateur regarde véritablement des gens vivre. Le degré de jeu ne peut atteindre un degré plus haut de naturel. Où se trouve alors l’avenir des acteurs ?

Ma Meilleure amie, sa soeur et moi, Lynn SheltonLe Congrès d’Ari Folman s’interroge sur l’avenir droit à l’image. Robin Wright se voit proposer de vendre son image à un studio qui fera jouer cette dernière, tandis que la véritable actrice ne devra plus jamais jouer. « Nous voulons posséder une chose nommée Robin Wright » annonce le directeur montrant bien que l’acteur est une image et donc se rapproche plus d’un bien que d’un homme. C’est pourtant avec ce procédé que l’actrice vivra son plus grand succès, le fictif Robin Rebel Robots, ne pouvant plus détruire sa carrière par un mauvais libre arbitre faisant écho à sa véritable traversée du désert. Cependant, la réalité n’est pas si loin. Les grandes avancées technologiques dans le domaine des effets spéciaux amènent des nouveaux débats. Incarné quelqu’un par le biais de la motion capture doit-il être considéré comme jouer ? C’est toute la question qui a entouré les nominations ou non aux Oscars des acteurs d’Avatar (James Cameron, 2009) ou d’Andy Serkis pour le singe César dans La Planètes des Singes : les origines (2011). L’acteur devient alors complètement une image, un être sans corps. 

Robin Wright, Le Congrès Le Cinéma du Spectateur

Before Midnight : Péroraison amoureuse

Before Midnight, Richard LinklaterAvec Before Midnight, Richard Linklater approfondie et clôt son étude de la vie de couple. De son œuvre se dégage finalement non pas forcément l’idée romantique des âmes sœurs, mais plutôt une sorte de fatalité amoureuse. Céline (Julie Delpy) et Jesse (Ethan Hawke) sont destinés à vivre une histoire malgré la rencontre furtive de Before Sunrise (1995), la vie les rattrape et les unit dans Before Sunset (2004). Before Midnight, en dernier volet de la trilogie sentimentale de Linklater, se focalise alors sur ce basculement qui fait que l’amour devient famille, et qu’aimer rime avec routinier. « C’est le début de la rupture » clame d’ailleurs Julie Delpy lors d’un long plan séquence au début du film donnant le ton au règlement de comptes et aux vieilles rancœurs emmagasinées durant les 9 ans qui ont fait de ce couple un ménage avec enfants. Cependant en gardant sa logique de « fin ouverte », le réalisateur américain ne clôt pas une histoire et laisse au spectateur le choix romantique et idéalisé du maintien du couple ou plutôt une logique de mettre la poussière sous le tapis qui fera exploser leur histoire plus tardivement.

before-midnightBefore Midnight, Richard LinklaterBefore Midnight n’est finalement pas une comédie romantique, mais plutôt un questionnement sur les relations hommes/femmes. Richard Linklater donne alors à chacun le rôle que la société souhaite lui donner : Céline s’occupe des enfants face à un Jesse, écrivain, absent et ne réussissant pas à occuper une place de père au sein de sa « deuxième » famille obsédé par les séquelles d’un premier mariage. Plus de romantisme et plus de séduction face à un être acquis : « je voulais que tu dises un truc romantique, et tu as tout foiré » définit bien cette perte de l’attention et de la recherche du mot qui plaît. La vie de famille n’est pas idyllique mais parvient seulement à occuper l’esprit empêchant alors de poser un regard critique sur un couple qui se perd et qui s’éloigne. Le temps à deux ne sera qu’un moyen de régler des comptes loin des enfants unificateurs. 

Before Midnight, Richard LinklaterSi Richard Linklater place son dernier chapitre en Grèce, ce n’est pas par pure envie de dépaysement. En effet, l’idée d’un amour éternel et des âmes sœurs se range au côté des mythes et des légendes qui parcourent le pays. La perte des croyances entraîne également une autre vision du couple. La grand-mère de Jesse et son couple de 74 ans paraît aberrant et presque impossible de nos jours. Dans une société prenant l’individualisme et la liberté, le divorce est complètement dédramatisé. Comment croire en la pérennité et la stabilité de l’amour lorsqu’un mariage sur deux finit par un divorce. L’amour, c’est finalement ce qui se rattache au passé : la rencontre, les premiers temps. C’est d’ailleurs la doyenne de la table qui décrira le mieux l’amour avec un grand A signifiant qu’il disparaît et qu’il n’est plus en adéquation avec notre société. En opposition se dresse l’amour naissant d’Anna (Ariane Labed) et d’Achilleas (Yannis Papadopoulos) : amour virtuel. La tablée se penche alors sur le devenir des relations humaines enclin à devenir de plus en plus virtuelles. L’amour véritable et passionnel serait-il mort ? 

Before Midnight, Richard Linklater

Si Before Midnight jouit d’une alchimie Delpy/Hawke et d’une fluidité de dialogues ciselés, il finit par s’enliser suite à son immobilisme : Linklater abuse du plan-séquence qu’il ponctue parfois par une alternance bien trop sage de champs/contre-champs. Sans prise de risque formelle, Before Midnight tend à devenir un peu bavard et à tomber parfois dans la gratuité d’un discours pseudo-sexuel qui finit par faire croire que le teenager américain n’est finalement que Richard Linklater. Un peu trop théâtral, Richard Linklater ne parvient pas à cerner la vérité de l’instant ou à faire basculer son récit dans une réelle pensée sur le couple : tout paraît comme millimétré, engoncé dans un mise en scène molle.

Souhaitant sans doute réaliser son Scènes de la vie conjugale (Ingmar Bergman, 1974) à lui, Richard Linklater se perd un peu dans les problèmes qui font parfois défaut au cinéma de Woody Allen. Choisissant une fausse légèreté, Before Midnight est comme une brise : douce, mais qui passe sans qu’on y fasse véritablement attention. 

Le Cinéma du Spectateur

Note : ☆☆✖✖✖ – Moyen