The We and The I: Martyrs, Tortionnaires et Adolescents

Le film sur l’adolescence est devenu une institution, un genre à part, qui regroupe tant l’humour gras de « American Pie » que les êtres déglingués de Larry Clark. Certains réalisateurs, adeptes du questionnement crucial du passage de l’adolescence, ont mis en avant des êtres qui se tournent soit vers la violence (« Elephant » de Gus Van Sant) soit vers l’adage Sex, Drugs and Rock’n’Roll (« Ken Park » de Larry Clark). Mais  Michel Gondry prend à contrepied cette logique d’un être exclu de la société. Ce n’est plus la marginalité qui effraye, mais tout simplement les relations qui dirigent la micro-société des lycéens. C’est en cela que Gondry ne pouvait choisir un meilleur tire, « The We and the I » démontre parfaitement que le groupe fait l’individu. Ce dernier n’est rien sans le groupe, il doit survire non par lui-même mais pour et dans une communauté. Il n’y aura pas ici le passage obligé d’une fin de l’innocence, d’une destruction des modèles parentaux. Michel Gondry n’est pas dupe, car instaurer ces passages dans son oeuvre aurait insinué qu’il y a aurait une once d’innocence dans un monde qui est régi par un darwinisme social. Il laisse de côté les héros stéréotypés pour plonger au coeur même d’une réalité qui se basant sur la banalité des êtres engage un réel questionnement.

The We and the I, Michel Gondry

Si « The We and the I » paraît le miroir fidèle d’une génération perdue, c’est que son réalisateur englobe son propos d’une mise en scène qui cerne au plus près les fondements de la vie lycéenne. On ne peut voir l’oeuvre de Gondry autrement que comme un huit clos où règlements de compte et effusions sentimentales cohabitent. L’idée du huit clos est une trouvaille intéressante qui sied parfaitement aux relations adolescentes. Une salle de classe n’est autre qu’un lieu fermé et un témoin d’une guerre silencieuse mais dévastatrice dans laquelle les bourreaux et leur proie coexistent froidement. Le Bus aurait alors pu apparaître comme une échappatoire, mais c’est le contraire qui s’opère. Le Bus devient le lieu où cette guerre n’a plus à être silencieuse. La route n’amène pas l’espoir et la liberté, mais reflète les rêves tant des brimés que des persécuteurs. Gondry survole ces rêves et leur donne un caractère illusoire en les faisant se chevaucher (par des trouvailles caractéristiques d’un Gondry bricoleur) ironiquement. Durant ce trajet vers l’enfer, les thèmes se succéderont tout comme les protagonistes. Il sera question d’exclusion, de tromperies, de sexe. Mais Gondry dépasse le modèle même du teen-movie en faisant tour à tour ses personnages bourreaux et tortionnaires. Chacun est une pierre angulaire de cette terreur étouffante. Il suffit de se focaliser sur le personnage de Michael pour comprendre la complexité de l’individu. Il sera bourreau, puis victime, confident et finira tout simplement en ami. Il est l’exemple même des ravages d’une communauté lycéenne sur l’individu. L’important est le paraître.

The We and the I, Michel Gondry

Gondry continue son immersion en traitant son sujet d’une façon documentaire. Ces acteurs amateurs nous font partager une partie d’eux même, on est spectateur de leur intimité. Ils ne jouent pas, ils vivent. Gondry nous rappelle le principe même du cinéma, celui d’entrer dans une intimité qui avant nous était interdite. L’intimité à l’ère du tout technologique passe également par les téléphones portables et les réseaux sociaux. Gondry s’intéresse alors à la puissance de ces derniers: un texto et une vie par en fumée. Il suffit de voir la souffrance de Teresa, son sentiment de rejet, de n’avoir pas reçu le message collectif, ou son visage s’illuminer quand enfin elle ressent les vibrations de son portable. Le réalisateur ne tarde pas à montrer un paradoxe de société numérique: bien que les sentiments et les sensations soient exacerbés, cette société fonctionne par une négation des faits naturels. Ils tentent d’exclure ce qui leur montre la vulnérabilité de leur vie. Le côté pathétique d’une mort annoncée par message et mis de côté témoigne de cette envie de croire en une vie éternelle ou du moins suffisamment longue pour pouvoir croire en ses illusions et tenter de les faire devenir réelles.

The We and the I, Michel Gondry

Gondry signe un oeuvre bouleversante qui pour une fois voit l’adolescence se mettre à nu et montrer ses travers sociaux.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆☆✖ – Excellent

Sur la Route: Du littéral au visuel

Walter Salles savait qu’il serait attendu au tournant en adaptant le roman de la « Beat generation ». Son entrée dans la compétition cannoise et une bande-annonce réussie laissaient croire que l’esprit de Kerouac avait été retrouvé. Mais, il faut savoir que Kerouac n’a pas écrit un simple ouvrage. « Sur la Route » est le manifeste d’une Amérique qui prospère, qui se retrouve au paroxysme de sa puissance après les deux guerres mondiales. Cela entraîne un changement des consciences: ces héros de papier veulent seulement vivre, ou plutôt jouir de la vie (sexe, alcool, drogue, musique, ne pas réfléchir aux conséquences). Une seule règle les dirige: aucun attachement matériel ou géographique. Il faut vouloir prendre la route, écouter son appel et vivre, dans la misère parfois. La sensation est reine.
Le réalisateur brésilien ne réalise pas un mauvais film (certes un peu long), il oublie juste l’esprit de Kerouac. Si l’on ne prend ce film non en tant qu’objet à part, mais en tant qu’adaptation du roman, il est raté. Son problème ne réside pas dans sa réalisation, ses acteurs, ou sa qualité plastique (réussie). Il réside dans le fond même.

Sur La Route, Walter Salles

« Sur la Route » n’est plus, d’abord, le symbole de la route. Walter Salles transforme les espaces de Kerouac pour les amener vers un confinement qui ne sied guère. Les personnages déambulent dans une succession d’endroits clos, perdant toute liberté, toute capacité de mouvement. Salles les paralysent, les enlisent dans l’Amérique qu’ils essaient justement de fuir, celle des conventions, celle des biens matériels. La route n’est plus le personnage central, c’est la voiture qui prend le relai. Et c’est encore une fois le confinement qui rapproche ces corps entassés dans la taule. Ils ne sont plus guidés par cette envie de partir.

Sur la route, Walter Salles

De plus, Salles cherche (intelligemment) à retrouver le caractère subversif qu’a eu le roman lors de sa parution en 1957. Mais le monde a bien changé, et les moeurs sont largement moins farouches. La seule solution pour Salles est de ne s’attacher qu’à la drogue, qu’au sexe. « Sur la Route » version 2012 n’est alors qu’un raccourci stérile de l’oeuvre de Kerouac devenant un Best-Of des scènes érotiques, et des prises de substances. Bien sur qu’elles parsèment le roman, mais elles ne sont que le moyen d’expression de leur sentiment. Salles place la périphérie au centre, perdant l’intérêt et la perspicacité de Kerouac.

Sur la Route, Walter Salles

Enfin, Salles n’a pas la finesse psychologique de Kerouac. Kerouac a le génie de donner du réalisme dans des personnages loufoques, extravagants. Le plus bel exemple réside dans le personnage de Jane (joué par Amy Adams). Salles en fait une folle (attention, cela est souligné par le fait qu’elle ne soit pas peignée – la folle est toujours ébouriffée) si peu crédible qu’il y perd son propos. Le seul personnage réussi est celui de Camille (Kirsten Dunst) puisqu’elle montre son désaccord avec la façon de vivre de Dean (présente dans tous les personnages du roman). Elle montre l’ambiguité car c’est la séduction de la différence qui l’a poussée à cette lassitude destructrice. Son personnage est l’âme de l’oeuvre originelle.

« Sur la Route » était jugé inadaptable, Walter Salles le confirme.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆✖✖✖ – Moyen