Snowpiercer : L’art du mouvement

Snowpiercer, Bong Joon-Ho

39e Festival du Cinéma Américain de Deauville
Film de Clôture

Snowpiercer n’est pas une énième production américanisée (et donc aseptisée) d’un réalisateur sud-coréen en quête d’une popularité mondiale. Il faut dire que l’exportation des talents sud-coréens n’a pas fait de miracle : le « cinglé » Kim Jee-Woon s’enlise avec Schwarzy dans Le Dernier Rempart pendant que Park Chan Wook (Old Boy) signe un film mineur avec Stoker. Bong Joon-Ho, quant à lui, ne fait pas l’erreur de répondre à l’appel d’Hollywood. Le cinéaste est à la tête d’une production mondiale à l’image de son histoire. Réalisateur multifacette aussi à l’aise dans le drame psychotique (Mother) que dans la réécriture du film de monstre (The Host), Bong Joon-Ho ne tombe pas dans l’action purement pyrotechnique des Blockbusters. Snowpiecer est non seulement une réflexion sur l’humanité, mais aussi un challenge filmique que le réalisateur surmonte par la maestria de sa réalisation.

Snowpiercer, Bong Joon-Ho

Snowpiercer, librement inspiré de la BD française « Le Transperceneige », est une œuvre transgenre : futuriste, apocalyptique, politique, sociale. Dans un train – réunissant les derniers hommes – lancé à vive allure autour d’une Terre gelée, une lutte des classes oppose la misère des derniers wagons (les « Queutards ») à l’opulente richesse de l’avant du train. Cet arche de Noé mécanique est alors paradoxal : symbole du génie salvateur de l’homme survivant à sa propre extinction, le train est pourtant rétrograde socialement avec le retour d’une lutte armée riche/pauvre. Métropolis (Fritz Lang) horizontal, Snowpiercer exprime la puissance du désir de l’homme de renverser les structures sociales inégalitaires. L’œuvre n’est pas réellement l’histoire d’un personnage, celui de Curtis (Chris Evans), mais plutôt d’une idée, d’un mouvement, d’une rébellion. C’est le combat du collectif contre l’individuel. Bong Joon-Ho ne se veut pas portraitiste, il ne s’attarde pas sur les caractéristiques de ses personnages. L’importance scénaristique d’un personnage ne signifie pas sa survie, c’est dans ce sens que le réalisateur séduit faisant venir la mort avec un vicieux hasard.

Snowpiercer, Bong Joon-Ho

Mais Bong Joon-Ho ne se contente pas d’un banal récit de révolte. Le cinéaste signe une réflexion sur le pouvoir corrosive. « Contrôler la machine, c’est contrôler le monde » répète les personnages ne se rendant pas compte de l’asservissement de l’homme à la technologie. L’homme est dépassé par la propre étendue de sa connaissance, par les outils qu’il a créée. Une scène est d’ailleurs symbolique : la rébellion plongée dans le noir semble vouée à mourir quand la rétrogradation des techniques la pousse à revenir à la simple maîtrise du feu. Celui qui détient la Machine (Wilford joué par Ed Harris) détient le pouvoir suprême. Une suprématie qui lui permet d’assoir une domination qui s’appuie aussi bien sur les croyances – celle de la divine machine – et sur l’histoire. En effet, la rébellion arrive dans un wagon-école ce qui permet au réalisateur de montrer la mainmise de Wilford sur les consciences. En ayant le pouvoir, il montre le monde à sa façon : il détourne l’éducation pour en faire le moyen d’instaurer un culte personnel. Une véritable dictature obsolète qui se cristallise autour du bras droit Mason (Tilda Swinton, une nouvelle fois sublime). Un personnage qui permet à Bong Joon-Ho de montrer la lâcheté des dominants une fois qu’ils deviennent dominés.

Snowpiercer, Bong Joon-Ho

Snowpiercer n’est pourtant pas une œuvre basée seulement sur son récit, mais un film qui doit tout à sa réalisation. Bong Joon-Ho se fait virtuose en composant perpétuellement avec l’espace. Il privilégie les lignes de fuite pour servir le mouvement et joue avec les angles pour multiplier l’espace confiné du train. Bong Joon-Ho donne la même importance à la lutte morale (celle issue des dialogues) qu’à celle physique qu’il chorégraphie à merveille. Il inscrit sa réalisation, perpétuellement inattendue, dans la quête du mouvement que dessine l’œuvre. Jamais la tension ne retombe dans une course effrénée pour la liberté dans laquelle le mouvement est nécessaire à la survie : s’arrêter, c’est devenir une proie. Si Snowpiercer est continuellement épique, c’est parce que les personnages participent à la création d’un mouvement multiple chacun étant une force autant unique que collective. Le ralentissement ne pourra se faire que par la violence, l’horreur ou les rebondissements scénaristiques.

Snowpiercer, Bong Joon-Ho

Snowpiercer n’est pas un blockbuster, et encore moins une œuvre mineure. C’est une épopée haletante qui repose autant sur ses personnages, sa mise en scène que sur la beauté des images. Une œuvre retentissante qui donne (enfin) de l’espoir en un cinéma d’action intelligent.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆✖✖ – Bien

Shérif Jackson : Un tir à blanc

Sherif Jackson, Logan & Noah Miller

39e Festival du Cinéma Américain de Deauville
Compétition

Shérif Jackson aurait pu être une œuvre séduisante, mais ce n’est finalement qu’un film de seconde zone qui s’enlise à suivre les productions américaines de son temps. Les Frères Miller ne réalise pas une œuvre singulière, mais tente (maladroitement) de réécrire le cinéma des nouveaux chefs du cinéma américain que sont Tarentino – surtout – et les Frères Coen. Une volonté de filiation qui amène un échec et pose la question de l’assèchement de la production cinématographique américaine qui peine à se renouveler. En s’attaquant au Western, genre royal des Etats-Unis, les Miller se posent un challenge. En effet, le film de « cow-boy » dont les cinéphiles proclament la mort depuis des années ne peut sortir de sa lente agonie que par l’innovation. Les réalisateurs confirmés qui ont tenté l’expérience doivent leur réussite à la transposition de leur univers et mode de création sur le Western. Les Coen amène dans True Grit leur génie de la réplique et leur personnage clé du raté magnifique. Tarantino crée le Western « moderne » avec Django Unchained en y amenant les codes du gore de notre époque. Shérif Jackson ne dévoile aucune nouveauté et aucune réflexion propre au Western.

Sherif Jackson, Noah et Logan Miller

Les Frères Miller livrent surtout un navrant sous-Tarantino. On sent l’ombre du réalisateur dans chacun des plans. Shérif Jackson tend alors vers la même glorification de la violence en poussant encore plus à l’extrême le côté cartoon des combats. Un dépassement qui ne fait que tomber le film dans la Série B. Même l’humour qu’ils essayent d’insuffler dans les scènes de violence ne parvient pas à les sauver. Ils ne parviennent pas à saisir la justesse de la distance que met Tarantino avec la Série B, il s’en inspire sans jamais pourtant être pleinement dedans. Les personnages sont également des archétypes des héros du cinéma de Tarantino. Sarah (January Jones) est une Black Mamba (Kill Bill) en costume dont l’insipide vengeance ne permet de mettre en valeur que son manque de profondeur. Les Miller collent au sujet central du Western avec ce récit de femme vengeresse d’un mari mort pour s’être opposé au dogme du Prophète Josiah campé par un Oscar Isaacs dont le jeu est en dilettante. Le Shérif Jackson (Ed Harris) est quant à lui pompé entièrement sur le Dr King Schultz de Django. Mais encore une fois oser la comparaison avec le génie comique de Christopher Waltz est un pari risqué que perdent une nouvelle fois les deux frères.

Shérif Jackson, Noah & Logan Miller

Shérif Jackson souffre d’ailleurs de ce trop-plein de personnages centraux. En ne privilégiant pas un angle de lecture, les Miller n’amènent aucune profondeur à leur récit. Ils effleurent leurs personnages sans organiser une véritable utilisation psychologique. Sarah, Josiah ou Jackson ne sont que des pantins au service de rocambolesques saynètes. Le film avait pourtant moyen de gagner en profondeur à travers eux, et cette possibilité qui rend le spectateur encore plus amère. Sarah n’est pas la figure de femme forte qu’elle aurait pu être. Elle aurait teinté le film d’un féminisme intéressant et permit de dialoguer sur la place de la femme dans le genre. Le personnage du Prophète Josiah ne sera pas utiliser pour amener une réflexion sur le fanatisme religion aux Etats-Unis, et le poids de la religion dans les décisions politiques d’une zone dont l’Etat est absent.

Shérif Jackson, Noah & Logan Miller

Shérif Jackson est une œuvre qui souffre de ses modèles. Les Frères Miller ne peuvent avancer en étant bloqué avec tant de ferveur vers le passé cinématographique de leur idole. Ils ont tenté le duel, mais l’ont perdu.

Le Cinéma du Spectateur

Robin Miranda / ☆☆✖✖✖ – Pas Terrible
Ambre Philouze-Rousseau / ☆☆✖✖✖ – Moyen