Ma Meilleure Amie, sa soeur et moi : Chronique de « Boulets »

Ma Meilleure amie, sa soeur et moi, Lynn Shelton

Projection Presse – Critique Ouverte

La comédie américaine est une institution, le faire valoir d’un cinéma-divertissement. Une attraction qui ne mérite pas d’avoir un fond du moment que le spectateur fait travailler ses zygomatiques. Il faut alors remercier Lynn Shelton, réalisatrice de Humpday (2009), de parvenir à faire d’une comédie une leçon de vie et de cinéma. Ma meilleure amie, sa sœur et moi est bien plus intéressant que son titre le laisse présager. Certes il y a quelques maladresses, mais Lynn Shelton parvient à « cerner la vérité de l’instant » comme le dit Rosemarie Dewitt, l’interprète d’Hannah, dans une interview. Elle parvient avec énormément de talent à retrouver les failles humaines et à créer à partir de ses personnages-« boulets » (comme le dit Iris, Emily Blunt) des situations vraisemblables et cohérentes. Il est rare de regarder un film qui ne paraît pas jouer mais vécut et ainsi de se laisser prendre au jeu non pas dans un rôle de spectateur mais dans le rôle d’un ami omniscient partageant l’aventure. 

Ma Meilleure amie, sa soeur et moi, Lynn SheltonSe plaçant comme le disciple de John Cassavetes pour qui « tout dans un film doit trouver son inspiration dans l’instant », Lynn Shelton doit la fraîcheur et l’authenticité de son œuvre à sa méthode de travail prônant l’improvisation. Si le trio Duplass/Dewitt/Blunt paraît si réel et si naturel, c’est que l’acteur occupe une place prépondérante dans le travail de création de son personnage. Pas de dialogue écrit à apprendre, le personnage se crée dans l’instant après la création de son passé, de sa vie et de son caractère par la réalisatrice et l’acteur concerné. L’improvisation est peut-être finalement ce qu’il y a de plus abouti dans l’incarnation d’un personnage car au lieu de le mimer, il faut anticiper ses réactions et le faire vivre à travers son corps et ses tripes. Si Mark Duplass est un habitué de l’improvisation, Rosemarie Dewitt et Emily Blunt étincellent pour leur premier pas. Rosemarie Dewitt – souvent reléguée au second rôle chez Gus Van Sant, Jonathan Demme ou dans de nombreuses séries – dévoile une nouvelle fois son talent à la diction si particulière. 

Ma Meilleure amie, sa soeur et moi, Lynn SheltonIl est difficile de savoir si Ma meilleure amie, sa sœur et moi est bel et bien une comédie tant le mélange de genres qu’opère Lynn Shelton est réussi. L’humour du film repose sur l’ironie tragique que le spectateur a entre ses mains : il se délecte ainsi des secrets, des situations cocasses et des dialogues à double sens. Jamais la réalisatrice ne tombe dans le gag futile ou dans un comique de situation appuyé. C’est l’art des dialogues et de la répartie qui décroche le rire. 

Ma Meilleure amie, sa soeur et moi, Lynn SheltonCependant, l’œuvre est parcouru de nombreuses ruptures de ton qui font finalement basculer le film sur une pente plus psychologique et plus dramatique. Ce huit clos forestier se penche sur les failles humaines et sur l’importance des dynamiques qui lie les hommes : la famille à travers la double fratrie, l’amitié, l’amour. Lynn Shelton écrase les frontières pour faire de ses personnages des sortes de passeurs transgressant parfois la morale mais qui ne cherche qu’à pallier la solitude et la mort. C’est sans doute pour cela que le triangle se forme autour d’un bébé (au conditionnel), symbole de la vie et du renouveau. Aucun des trois ne se voilent la face et ne tombe dans des comportements clichés et faux. La scène d’ouverture célébrant la première année du décès du frère de Jack est significative puisque Jack refuse en quelque sorte la banalité des discours de deuil dans lesquels les morts sont sanctifiés, mais il se révolte aussi de voir que son frère il ne peut le décrire que par l’enfance et non plus par ce qu’il était devenu. C’est dans ce paradoxe intéressant que commence le film et qui laisse présager la finesse psychologique du travail de Shelton.  

Ma Meilleure amie, sa soeur et moi, Lynn SheltonSi le film se clôt dans une sorte d’happy-end exagéré et improbable, Ma meilleure amie, sa sœur et moi est une bonne surprise. Une petite douceur de laquelle se dégage un regard sur l’homme comme « un vaisseau cabossé » (Cornel West). 

Le Cinéma du Spectateur

Note : ☆☆☆✖✖ – Bien