Django Unchained : La Violence du fait historique

Django Unchained, Quentin Tarantino

La filmographie de Quentin Tarantino est faîte pour se confronter au Western. C’est dans ce genre si distinctif qu’il puise les caractéristiques si particulières de sa mise en scène et de ses scénarios. L’élément angulaire des récits tarantiniens est le basculement de la violence d’une sphère publique à une sphère privée par le passage à l’acte de la vengeance. Ainsi après Beatrix Kiddo contre Bill (Kill Bill) et Shosanna Dreyfus contre les Nazis (Inglorious Basterds), c’est au tour de Django de prendre sa revanche sur la société esclavagiste américaine du XIXe. Le penchant de Tarantino pour le Western trouve ses prémisses dans Inglorious Basterds. Il partage déjà, comme dans la scène de mise à morts des nazis dans les bois par le lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt), l’énergie de la mise en scène du genre qui se base sur un changement de plans larges en gros plans. Un jeu de regard sert d’intermédiaire entre les deux échelles mettant tant en valeurs les tensions humaines que les tensions géographiques de paysages décharnés. De plus, le Western est surtout le genre de la violence froide et réfléchie. On dépasse le stade animal du film d’action pour entrer dans les méandres de la frustration humaine ce qui sied aux personnages torturés et tortueux du réalisateur. Ainsi plutôt que de n’être qu’un simple film d’inspiration, Django Unchained marque la renaissance du Western, qui pourtant avait bel et bien été enterré. Il ajoute son univers nerveux, macabrement drôle et sa fougue. On pense alors à la cocasse scène de fuite lorsque le Dr King Schültz (Waltz) tue le shérif engendrant une fuite risible des habitants curieux. Quentin Tarantino est un réalisateur de film de théâtre. J’entends par là qu’il dirige ses acteurs comme sur une scène. Il existe un jeu tarantinesque dont la muse est incontestablement Chritoph Waltz. Il est l’incarnation même de l’esprit nerveux et bipolaire des personnages de Tarantino qui oscillent sans crier gare entre tranquillité et folie. Ses personnages ne parlent pas, mais ils déclament des répliques ciselées. Un univers dans lequel les premiers pas de Leonardo DiCaprio sont une éclatante réussite.

Django Unchained, Quentin TarantinoDjando Unchained est également la poursuite de l’incursion du cinéma de Tarantino dans le film d’époque. S’il jouait de cette étiquette dans Inglorious Basterds en modelant l’histoire à sa manière, Django Unchained se veut plus historiquement réaliste. Il trouve peut-être un monde à son image, c’est-à-dire régit par la violence brute et animale. Son nouveau long-métrage est du coup sans doute son film le plus dur pour le spectateur qui peut croire en cette violence et ne plus la voir comme une manière jouissive d’assouvir ses passions. C’est peut-être la limite du film de Tarantino. En effet, il s’oppose à ses propres motifs en prenant le parti de justifier la violence si caractéristique de son œuvre. Il perd ainsi une partie de sa démence si jubilatoire. Il s’enfonce de plus en plus dans un manichéisme peu subtil : les Nazis, les Négriers. Djando Unchained est alors un film de société qui dénonce l’histoire en remettant au centre de la pensée collective les exactions de l’esclavagisme et les horreurs qui en découlent. La nouveauté historique qu’apporte le film de Tarantino, c’est la complexe hiérarchisation des « races » à laquelle se juxtapose la hiérarchisation au sein même des races. Ce qui surprend d’ailleurs, c’est de voir cette deuxième couche de dominants-dominés. En effet, dans la misérable condition des esclaves noirs, certains deviennent eux-mêmes des Négriers dont les méthodes sont encore plus inhumaines et tortionnaires.

Django Unchained, Quentin TarantinoDjango Unchained continue le tournant amorcé par Quentin Tarantino depuis Inglorious Basterds. Il signe des films de plus en plus empreints de social et d’histoire dans lesquels sa violence s’assagie se perdant dans le sérieux des problèmes qu’il aborde.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆✖✖ – Bien

Cogan, Killing Them Softly: la Violence Fade

Cogan, Andrew Dominik

Le Festival de Cannes s’est souvent fait le porte-parole d’un cinéma américain faussement indépendant qui défend une narration subversive superficielle. Cette année,  les représentants ont été « Paperboy » de Lee Daniels et « Cogan :Killing Them Softly » de Andrew Dominik. Deux films ratés qui ne se pensent que par des effets stylistiques pompeux et non à travers un scénario – malheureusement faiblard. Ils utilisent la violence sans aucun traitement cinématographique, le but étant d’essayer de choquer un spectateur en lui montrant une violence brute et directe. Ce sera à celui qui montrera les scènes les plus trash, à celui qui prônera un cinéma « libre » et exempt de toutes règles morales. Sauf que les deux cinéastes confondent subversif et vulgaire. Ainsi, les films ne sont qu’un simple assemblage de discours sexo-provocateurs incohérents et inutiles. Dans un « alcool, sexe et prostitués » bien fade, les stéréotypes de gangsters endimanchés se croisent et s’entretuent – ne cherchez pas pourquoi, le but est de faire des morts. Andrew Dominik ne dispose ni de la mise en scène ni de l’approche cinématographique nécessaires pour donner à son film une identité propre. Il ne s’inspire pas de ses pairs : Tarantino qui décomplexe la violence extrême et jouissive en la cartoonisant, ou encore des Frères Coen qui lui donnent une saveur ironique, bestiale et froide. Chez Dominik, ce n’est que l’échec d’une escalade de violence qui se révèle finalement n’être qu’une accumulation de scènes d’exécution. S’il essaye de la dynamiser par un travail de mise en scène, c’est pour nous resservir continuellement les mêmes ingrédients : ralentis et répétitions de montage. Pourquoi pas, mais la surutilisation de ces procédés fatiguent : ils font des étincelles, mais prennent vite l’eau.

Cogan, Andrew DominikDe plus, « Cogan : Killing Them Softly » se donne des allures de films « arty ». Il s’enorgueillit d’effets visuels superficiels qui n’ont aucune finalité excepté celle de faire croire au spectateur qu’il voit du grand cinéma. Tout commence durant la scène d’ouverture : le protagoniste déambule au ralenti, accompagné d’une musique expérimentale, et sa marche est entrecoupée de cartons noirs. Je ne suis pas contre une mise en scène stylisée, mais ici ce n’est que du vent puisque Andrew Dominik finit directement après cela l’expérience visuelle qu’il crée pour ouvrir son film et donc pour ancrer dans l’esprit du spectateur. Mais pourquoi essayer de faire tendre un film vers ce qu’il n’est pas ? Dans les scènes qui suivent, le réalisateur film à la manière de Quentin Dupieux, il lui emprunte ses inclusions d’absurde dans les plans faisant avancer ses personnages dans une rue peuplée de chaises vides. Mais encore une fois, ce ne sont que des effets et pas des moyens d’exprimer une pensée claire. Le réalisateur ne parvient pas à avoir des partis-pris visuels et ne fait qu’errer au gré de ses envies sans jamais faire de son film une œuvre unique et surtout cohérent. Il est étrange de voir qu’un film patine, non pas parce que son acteur ne joue pas bien, mais par ce que l’acteur dégage en lui-même. Le problème de Brad Pitt est que sa sur-médiatisation l’empêche maintenant d’être vu autrement que par ce qu’il est : c’est-à-dire Brad Pitt. Il ne dispose plus que d’une identité propre et ne peut plus dans l’esprit du spectateur devenir autre chose que lui-même.

Cogan, Andrew Dominik

« Cogan : Killing Them Softly » cherche enfin à avoir une dimension politique. Pour cela, Andrew Dominik juxtapose à son récit les discours de la campagne présidentielle de 2007. Opposant McCain (Républicain) à Obama (Démocrate), la campagne désignera celui qui reprendra les reines des ruines du pays que Bush a laissées. Si dans un premier temps, le spectateur fatigue de ce rapprochement qu’il ne comprend pas. Andrew Dominik clôt son film sur un discours politique intéressant. Brad Pitt, parrain du crime, relativise le discours d’Obama prônant l’unité de la nation. Les politiciens flattent et cherchent à faire croire que les américains forment une communauté soudées. Mais, dans la réalité il n’y a aucune solidarité dans un monde tourné exclusivement vers le Roi Dollar. Les américains sont justement les plus solitaires des citoyens. De ces derniers propos, Andrew Dominik trouve une finalité à son film. Il est juste dommage qu’il a fallu remplir 1h20 pour en arriver là.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆✖✖✖✖ – Mauvais

Skyfall: Renaître des Cendres d’une Franchise

L’effondrement de l’homme-héros ébranle le cinéma actuel. Il ne suffit plus de se reposer sur des franchises obsolètes, de croire en la prédominance de l’action et en l’obligation de reproduire des schémas narratifs éculés. Il est nécessaire de se réinventer. « Hobby: résurrection » prophétise Bond/Craig. Pour cela, il faut détruire ce qui est inscrit dans l’imaginaire collectif: un héros propet et qui ne reste finalement qu’un porte-costume subissant des explosions. Les clichés n’ont plus leur place dans l’avalanche de films d’hommes forts et virils qui polluent notre champ cinématographique. La caricature étant « Expandables ». Christopher Nolan a déjà emboîté le pas de cette nécessaire destruction des héros avec « The Dark Knight Rises ». Les limites de l’homme qui se cache sous le masque. Le cinéma est immortel, mais pas les personnages portés à l’écran. Ils vivent, ils vieillissent. Ils s’inscrivent dans leur temps, et ne peuvent éternellement réussir à percer avec les mêmes ingrédients. La vision d’un Batman fatigué et incapable de se battre n’est pas choquante et ne surprend personne. Elle est le symbole d’un temps où la remise en question des vieilles franchises est une nécessité  Le cinéma masculin ne peut être complet sans James Bond, et le fait que sorte le 23e épisode d’une longue franchise rendait obligatoire ce questionnement. Les dialogues de Sam Mendes sont percutants car ils ont un double langage qui ne cesse de poser la même question: « Est-ce qu’il reste quelque chose de 007 ? ». Pouvons-nous encore innover après 22 films sur le même personnage, pouvons-nous réussir à créer une autre vision de ce héros ?

Skyfall, Sam Mendes« Skyfall » n’est autre qu’un coup porté à l’image de Bond, une action corrosive qui le détruit par ses fondements. Un mythe s’écroule. La chute est abstraite, mais elle se concrétise dans l’image. Une mort morale sublimée par une chute du corps de Bond porté par les eaux rappelle l’esthétisme d' »Ophélie » de John Everett Millais. Le cinéma d’action est un « sport de jeune » dans lequel vieillir est inconcevable. Il faut donner l’apparence que ces hommes de muscles n’ont aucune faille, on change bien les héros de ces films lorsque les aspérités du temps commencent à se faire sentir sur leur visage. L’espionnage est obsolète comme le souligne M (Judi Dench) rendant des comptes à un gouvernement qui ne cesse de souligner le fait que « L’âge d’Or de l’espionnage est révolu ». Le James Bond de Mendes est fatigué et n’est plus l’emblème de la perfection du geste. Il malmène son personnage le rendant faillible, et donc humain. Il suffit de voir ce James Bond impuissant ne pouvant même plus tirer dans une cible. Il s’essouffle, il fatigue, il vieillit tout simplement. C’est cette « ruine » que met en avant l’incroyable méchant joué par Javier Bardem. Mais le principe même de James Bond est obsolète. Il ne trouve pas sa place dans le cinéma actuel oscillant entre une volonté de réalisme et un caractère invraisemblable qu’aucun réalisateur avant Sam Mendes n’avait osé regarder en face. James Bond n’est pas crédible et ne tend pas non plus vers l’acceptation de son côté fantastique qui l’empêche de trouver une place parmi les superhéros actuels. C’est un concept des années 60 qui n’avait jusque-là tenté aucune évolution et surtout aucune révolution.

Skyfall, Sam MendesSam Mendes ne crée pas un nouveau James Bond, mais il le modernise. La destruction permet de revenir à la création même du personnage. Si le film commence par un ultra-modernité à travers les gratte-ciels de Shanghai  il garde toujours en tête a notion d’une tradition qui rattrape cette modernité. Ce n’est qu’un simple détail, mais dans cette modernité chinoise, Sam Mendes choisit de faire un combat selon les principes des ombres chinoises. Le but est revenir aux sources pour (re)comprendre l’unicité d’un personnage comme James Bond. Mendes garde les codes du succès: les voyages, les filles et les bagarres. Mais il en joue et les utilise pour faire avancer son propos. Eve (Naomie Harris) est une James Bond girl qui amène une réflexion sur Bond. Elle dira « Parfois, les vieilles méthodes sont les bonnes » en y ajoutant quelques moments plus tard « vous êtes un vieux singe aux nouvelles grimaces ». Elle montre que la nécessité de changer en gardant le socle psychologique et scénaristique est ici la finalité de l’oeuvre de Mendes. « Skyfall » ne s’attardent pas dans les lieux qu’il visite, mais si l’on regarde de plus près l’évolution géographique, on se rend compte que Mendes tente de se rapprocher des sources même du mythe de Bond. De Shanghai  on se déplace à Macao, puis à Londres pour finir dans l’enfance même de l’agent 007 en Ecosse. Un nouveau visage naît et humanise le héros de papier, Mendes lui arrachant même quelques larmes. « Remontez le temps, là ou nous avions l’avantage ». Cette action est nécessaire, mais Sam Mendes ne s’y accroche pas. Ce retour est le moyen de faire table rase sur un passé pour mieux recréer un personnage. Il suffit de voir la vieille voiture iconique de James Bond devenir une épave qu’on abandonne aux mains de méchants biens plus sadiques, bien plus cruels. Sam Mendes se moque des codes du genre par le biais d’un méchant paresseux et tranquille: « Ces cascades, ces bagarres, c’est exténuant ».

Skyfall, Sam MendesIl faut surtout mettre James Bond en conflit avec la réalité extérieure, le confronter au temps. Il ne peut plus s’opposer à des adversaires qui utilisent des techniques des années 1960. Nous sommes à l’air d’internet, dans l’air du tout numérique. Le nouvel ennemi n’a « pas de visages, pas d’uniformes, pas de drapeau » conclura M. Sam Mendes a réussi son pari de mettre à jour un héros, une franchise, qu’on croyait éculé. James Bond n’est plus un colosse, mais il est un homme qui a des failles.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆✖✖ – Bien

The We and The I: Martyrs, Tortionnaires et Adolescents

Le film sur l’adolescence est devenu une institution, un genre à part, qui regroupe tant l’humour gras de « American Pie » que les êtres déglingués de Larry Clark. Certains réalisateurs, adeptes du questionnement crucial du passage de l’adolescence, ont mis en avant des êtres qui se tournent soit vers la violence (« Elephant » de Gus Van Sant) soit vers l’adage Sex, Drugs and Rock’n’Roll (« Ken Park » de Larry Clark). Mais  Michel Gondry prend à contrepied cette logique d’un être exclu de la société. Ce n’est plus la marginalité qui effraye, mais tout simplement les relations qui dirigent la micro-société des lycéens. C’est en cela que Gondry ne pouvait choisir un meilleur tire, « The We and the I » démontre parfaitement que le groupe fait l’individu. Ce dernier n’est rien sans le groupe, il doit survire non par lui-même mais pour et dans une communauté. Il n’y aura pas ici le passage obligé d’une fin de l’innocence, d’une destruction des modèles parentaux. Michel Gondry n’est pas dupe, car instaurer ces passages dans son oeuvre aurait insinué qu’il y a aurait une once d’innocence dans un monde qui est régi par un darwinisme social. Il laisse de côté les héros stéréotypés pour plonger au coeur même d’une réalité qui se basant sur la banalité des êtres engage un réel questionnement.

The We and the I, Michel Gondry

Si « The We and the I » paraît le miroir fidèle d’une génération perdue, c’est que son réalisateur englobe son propos d’une mise en scène qui cerne au plus près les fondements de la vie lycéenne. On ne peut voir l’oeuvre de Gondry autrement que comme un huit clos où règlements de compte et effusions sentimentales cohabitent. L’idée du huit clos est une trouvaille intéressante qui sied parfaitement aux relations adolescentes. Une salle de classe n’est autre qu’un lieu fermé et un témoin d’une guerre silencieuse mais dévastatrice dans laquelle les bourreaux et leur proie coexistent froidement. Le Bus aurait alors pu apparaître comme une échappatoire, mais c’est le contraire qui s’opère. Le Bus devient le lieu où cette guerre n’a plus à être silencieuse. La route n’amène pas l’espoir et la liberté, mais reflète les rêves tant des brimés que des persécuteurs. Gondry survole ces rêves et leur donne un caractère illusoire en les faisant se chevaucher (par des trouvailles caractéristiques d’un Gondry bricoleur) ironiquement. Durant ce trajet vers l’enfer, les thèmes se succéderont tout comme les protagonistes. Il sera question d’exclusion, de tromperies, de sexe. Mais Gondry dépasse le modèle même du teen-movie en faisant tour à tour ses personnages bourreaux et tortionnaires. Chacun est une pierre angulaire de cette terreur étouffante. Il suffit de se focaliser sur le personnage de Michael pour comprendre la complexité de l’individu. Il sera bourreau, puis victime, confident et finira tout simplement en ami. Il est l’exemple même des ravages d’une communauté lycéenne sur l’individu. L’important est le paraître.

The We and the I, Michel Gondry

Gondry continue son immersion en traitant son sujet d’une façon documentaire. Ces acteurs amateurs nous font partager une partie d’eux même, on est spectateur de leur intimité. Ils ne jouent pas, ils vivent. Gondry nous rappelle le principe même du cinéma, celui d’entrer dans une intimité qui avant nous était interdite. L’intimité à l’ère du tout technologique passe également par les téléphones portables et les réseaux sociaux. Gondry s’intéresse alors à la puissance de ces derniers: un texto et une vie par en fumée. Il suffit de voir la souffrance de Teresa, son sentiment de rejet, de n’avoir pas reçu le message collectif, ou son visage s’illuminer quand enfin elle ressent les vibrations de son portable. Le réalisateur ne tarde pas à montrer un paradoxe de société numérique: bien que les sentiments et les sensations soient exacerbés, cette société fonctionne par une négation des faits naturels. Ils tentent d’exclure ce qui leur montre la vulnérabilité de leur vie. Le côté pathétique d’une mort annoncée par message et mis de côté témoigne de cette envie de croire en une vie éternelle ou du moins suffisamment longue pour pouvoir croire en ses illusions et tenter de les faire devenir réelles.

The We and the I, Michel Gondry

Gondry signe un oeuvre bouleversante qui pour une fois voit l’adolescence se mettre à nu et montrer ses travers sociaux.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆☆✖ – Excellent

The Dark Knight Rises: Les Funérailles d’un Héros

Christopher Nolan est un réalisateur à part dans le cinéma mondial actuel. Il est la rencontre même entre l’art et le divertissement. Le renouveau des films de super-héros, c’est grâce à lui. Sa trilogie autour de l’homme chauve-souris est d’une telle qualité visuelle et scénaristique que les grands studios américains ont maintenant décidé d’aller chercher des réalisateurs de talent pour réaliser leurs films. L’explosion ne fait plus recette, il faut maintenant un scénario, ce que les producteurs auront mis du temps à découvrir.  Michel Gondry pour « The Green Hornet », Kenneth Brannagh pour « Thor », et dernièrement Marc Webb pour « Spider-man »… Impensable si Christopher Nolan n’avait pas amené le genre du super-héros dans un genre cinématographique et non seulement dans un genre économique. Il faut tout de même signaler que cette transformation est aussi due, avec moindre importance aux « Spider-man » de Raimi. Mais « The Dark Knight Rises » remet en question la puissance de la trilogie si bien amorcée par « Batman Begins » et sublimée avec « The Dark Knight » (le film manifeste d’un genre qui choisit enfin la qualité). Nolan met fin à Batman en se plantant une épine dans le pied.

The Dark Knight Rises, Christopher Nolan

Tout commence par un scénario, si ce dernier n’est pas bon, même le plus grand réalisateur du monde ne peut rien y faire. Mais que dire quand le scénario provient du réalisateur même, pourtant réputé ingénieux scénariste (« Inception », « The Dark Knight »). Sans doute, une manque d’inspiration, ou tout simplement une overdose de Batman. Il faut dire que Nolan était attendu au tournant après deux épisodes réussis. Ici, tout n’est que cliché et attendu: méchant musclé, héros qui chute pour renaître et se dépasser, le dépassement de soi pour faire comme un … enfant, les histoires d’amour grosses comme des buildings. C’est un retour au super-héros d’avant Nolan et Raimi. Il n’y a plus de psychologie propre aux personnages, plus de méchants psychopathes mais des camionneurs bodybuildés ex-taulard de pays exotiques ; plus de dialogues mais des explosions. Ici, Nolan privilégie l’action pure et dure en oubliant justement ce qu’il a réussi à créer avec les deux premiers opus. Bruce Wayne n’est qu’une sorte de faire-valoir pour montrer des gros engins, des explosions, des tirs et des coups de poing. Et ce n’est pas le pseudo retournement de la fin, si ridicule qu’imprévisible, qui sauvera ce navire qui coule.

The Dark Knigt Rises, Christopher Nolan

Un autre problème empêche le fonctionnement de « The Dark Knight Rises » et son rapprochement aux précédents opus: la disparition de Gotham. En effet, Christopher Nolan avait tout fait pour que le rapprochement entre Gotham (mégalopole verticale imaginaire) et New-York (mégalopole verticale réelle) ne puissent se faire. « Batman Begins » ne marquait pas encore cette envie de créer une nouvelle ville à la « Métropolis » de Lang, mais le but de « The Dark Knight » était de créer un Gotham à travers des images d’autres villes existantes et dont les images sont moins gravées dans l’imaginaire collectif. Le tournage aura alors lieu à Chicago, en ajoutant des visions de Los Angeles et de Baltimore et un soupçon de Hong-Kong qui attire par son ultra-verticalité les tournages du monde entier. Même si techniquement, le tournage de « The Dark Knight Rises » condense Pittsburgh, Los Angeles et New-York pour continuer de créer un Gotham unique. Le réalisateur fait l’enfantine erreur de faire des plans globaux vue du ciel de New-York pour montrer cette ville-île coupée du monde et qui doit se battre contre elle-même. Il ne faudra même pas une demi-seconde pour que le spectateur place le nom de « New-York » sur ces images et détruisent à tout jamais la ville crée par Nolan. Cette erreur est bien plus grave qu’il n’y paraît. Car l’univers de Batman fonctionne extraordinairement bien justement parce qu’il est situé dans une sorte de monde parallèle au notre où le fantastique est permis et où il peut s’épanouir. Mais par l’identification de ces images de New-York, le spectateur va se rendre compte de l’impossibilité d’un tel fonctionnement social au sein d’une réalité qui est la sienne. Les incohérences font surface, et ne pourront plus être mise de côté. Un super-héros dans un monde réel est dur à accepter et facilement pointer du doigt par son absurdité.

The Dark Knight Rises, Christopher Nolan

Nolan ne parvient pas à tutoyer les mêmes cieux que dans les précédents opus. Il enterre sa trilogie en détruisant ce qu’il avait pourtant si brillamment réussi à créer. Il n’arrive pas une troisième fois à créer la magie technique et scénaristique. Les funérailles de Batman sont alors douloureuses avec une pointe de regrets. C’est la dernière impression qui marquera la trilogie et elle est teintée d’amertume.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆✖✖✖ – Moyen

Prometheus: La Reproduction du Déjà-vu

Ridley Scott est un réalisateur complexe. Son oeuvre montre une profonde dualité.  Il y a deux Ridley Scott complètement différents dont les deux modes de traitement visuel sont sans aucun atome crochu, et parfaitement hermétique l’un envers l’autre. D’un côté, le cinéaste récompensé, et parfois acclamé, avec des films dramatiques dérivant de plus en plus vers le film de cape et d’épée façon Blockbuster. De l’autre, le réalisateur qui a (re)créé un cinéma de science-fiction exigeant en mettant au centre de son oeuvre la claustrophobie, l’angoisse de l’inconnu, l’avancée dans le flou. C’est cette ignorance qui entraîne les comportements qui dirigent ses films: la curiosité sera plus forte que la mort. Une seule chose unit cependant les deux cinémas de Ridley Scott: une volonté de recréer des époques, des cultures, des modes de vie. Et c’est pour cela que son oeuvre mise une grande partie de sa réussite sur la direction artistique. « Prometheus » n’échappe pas à la règle: Ridley Scott  (à travers Arthur Max, son chef décorateur) crée lui-même une civilisation, n’oubliant aucun détail (langage, art), dans laquelle l’obscurité est reine et le noir se nuance de métal ou de pétrole. Si nous sommes le peuple de la lumière (l’omniprésence du blanc dans le vaisseau Prometheus), eux seront engloutis par les ténèbres de leur propre civilisation.

Prometheus, Ridley Scott

« Prometheus » marque le grand retour du cinéaste vers la Science-Fiction. Et pour réussir son opus, Ridley Scott s’approprie toutes les valeurs sûres du genre. Conséquence, « Prometheus » perd toute individualité. Il ne fait que partie des films de genre assez banals. Scott ne révolutionne plus la Science-Fiction avec des trouvailles techniques et scénaristiques: il réchauffe ce qui fonctionne (assurément) sur le public venu pour trembler, se cacher les yeux. Le point de vue subjectif des caméras pour une mise en abyme du rôle de spectateur, pour que ce dernier se sente encore moins capable d’intervenir, pour amplifier sa passivité et l’horreur d’assister à des morts en direct. Et le pire dans tout çà, c’est que Ridley Scott ne pousse pas le vice jusqu’au bout, pourquoi revenir au point de vue objectif lors de l’attaque, pourquoi ne montrer que l’angoisse des personnages ? L’originalité de l’oeuvre nous trouble encore lorsqu’il reprend ses propres thèmes: héberger en son propre corps l’ennemi, une des plus grandes trouvailles de Scott, malheuresement, Noomi Rapace n’est autre qu’un double de John Hurt (Kane dans « Alien ») qui a déjà endossé ce rôle … 32 ans auparavant. Enfin, Michael Fassbender est l’extension du HAL 9000 de Stanley Kubrick dans « 2001: l’Odyssée de l’Espace ». Mais cette version humanoïde perd la puissance d’un simple cercle de lumière rouge. Les actes de HAL 9000 sont imprévisibles car aucune identification n’est possible. Sa froideur est implacable, on comprend que l’homme n’a aucune emprise sur lui. Michael Fassbender apparaît plus comme un homme psychorigide qu’une véritable menace. Ridley Scott copie mais ne surpasse jamais, il prend les effets mais néglige de les entretenir, de les pousser à leur paroxysme.

Prometheus, Ridley Scott

Une autre remarque montre ce sentiment de ne pas aller au bout des choses, mais cette dernière pourrait s’avérer fausse dans la suite prévu à « Prometheus ». Ridley Scott pose avec ce film un questionnement intéressant sur les origines de l’Homme. Qui nous a créé, pourquoi sommes-nous là, Dieu existe-il ? Mais si la sujet intéresse, il n’est aucunement traité. Il n’amène aucune réponse aux questions de ses propres personnages. La Science-Fiction n’est pas intellectuelle, elle dérive peu à peu vers le Blockbuster pur et dur. Sans doute que le bruit des cris, de la taule déchirée ne nous permette pas d’entendre les pistes apportées par le réalisateur. Et si Dieu, ce n’était tout simplement pas lui ? Il est bien celui qui permet la vie fictive des acteurs. Ridley Scott crée une image, mais ne crée pas de contexte. Il interroge dans le vent. Mais les réponses seront sans doute présentes dans le deuxième opus qui donne l’eau à la bouche rien que par son nom: « Paradis ». Espérons que le scénario ne dérive pas à la sur-enchère de l’angoisse, encore une fois.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆ – Moyen

To Rome With Love: Quantité ou Qualité ?

Woody Allen s’est toujours placé dans le rôle du génie incompris, sauf que dans son cas, ce n’est pas le reste du monde qui ne le comprend pas, mais lui-même. Cette posture psychologique face à son propre art lui a toujours permis d’éviter les foudres de la presse qui reçoit ses films en chefs d’œuvre ou tièdement. Mais, il est certain que Woody Allen est en train de couler. Son radeau esquissé par « Minuit à Paris » ne fonctionne finalement pas. Sans doute que l’air parisien lui sied mieux que celui de Rome. Depuis « Match Point » en 2005, film étonnant dans sa filmographie, Woody Allen se perd dans un voyage européen qui s’éternise. Il est le cinéaste de la ville, le cinéaste de la classe bourgeoise d’un New-York dont il est l’âme. Mais, le Woody Allen globe-trotteur ne rassemble dans son sac à dos que les mauvais côtés de son cinéma. Certes, il a toujours des éclairs de génie: le rôle de Pénélope Cruz dans « Vicky Cristina Barcelona » (le seul grand rôle de l’actrice non-écrit par Almodovar), l’alter-égo d’Allen dans « Whatever Works »… Mais son cinéma est devenu bavard. On peut dire qu’Allen a toujours été le cinéaste des dialogues, le scénariste de la parole. Mais, le contenu n’est plus. Il reste seulement un assemblage de phrases creuses. Où est passé l’humour si spécial de l’auteur ?

To Rome with Love, Woody Allen

Pour palier sa vision péjorative de sa filmographie, Woody Allen a toujours dit qu’il privilégiait la quantité à la qualité, en espérant que dans le tas, un ou deux films seraient réussis. Mais, vu les chefs d’oeuvre qu’il laisse derrière lui, ne devrait-il pas maintenant prendre le temps de faire des films aboutis. « To Rome With Love » donne l’impression d’être un film fait à la va-vite. Le réalisateur ne se pose pas sur la ville de Rome, il la survole seulement. Il n’apporte qu’une vision superficielle de Rome et de ses habitants. Les clichés pleuvent sur Rome, les monuments à voir sont vus. Mais dans tout cela, Woody Allen ne crée rien. Certains se plaignaient du côté carte postal du Paris allenien, mais que diront-ils alors du Rome qu’il dessine ?

To Rome with Love, Woody Allen

« To Rome With Love » montre le nouvel amour du cinéaste pour le film choral. Sauf que l’intérêt du film choral ne réside qu’uniquement dans l’entrelacement des histoires. « Babel » de Alejandro Gonzales Inarritu n’aurait certainement pas la même saveur si les histoires n’étaient pas relier par la vente d’un fusil des années auparavant. « To Rome With Love » n’est alors qu’un banal film à sketchs. Woody Allen aurait du moins éparpiller son scénario dans la futilité de certaines histoires: la partie avec Benigni est si mauvaise que sa présence à l’écran en devient agaçante, l’inutilité du rôle de Alec Baldwin dans le segment Eisenberg-Page. Mais l’esprit de Woody Allen perce quand même de temps à autre le brouillard qui s’abat sur son film. Le Segment Eisenberg-Page rappelle le trio amoureux de « Vicky Cristina Barcelona » sans folie meurtrière, le côté doux et soft. N’oublions pas également la partie qui marque le retour en tant qu’acteur de Allen. C’est dans cette partie que ressort l’absurdité comique qui parcourt certains films de son oeuvre. Sa frénésie, son débit de parole, et les travers de son personnage sont le charme même des scénarios alleniens. Cependant, les moments de répit dans la lourdeur de « To Rome With Love » sont bien trop minces pour oublier les défauts et les ficelles (si visibles) de ce film touristique.

Il ne reste plus qu’une chose à faire pour sauver le cinéma de Woody Allen: lui offrir un billet pour New-York.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ✖✖✖✖✖ – Nul

Sur la Route: Du littéral au visuel

Walter Salles savait qu’il serait attendu au tournant en adaptant le roman de la « Beat generation ». Son entrée dans la compétition cannoise et une bande-annonce réussie laissaient croire que l’esprit de Kerouac avait été retrouvé. Mais, il faut savoir que Kerouac n’a pas écrit un simple ouvrage. « Sur la Route » est le manifeste d’une Amérique qui prospère, qui se retrouve au paroxysme de sa puissance après les deux guerres mondiales. Cela entraîne un changement des consciences: ces héros de papier veulent seulement vivre, ou plutôt jouir de la vie (sexe, alcool, drogue, musique, ne pas réfléchir aux conséquences). Une seule règle les dirige: aucun attachement matériel ou géographique. Il faut vouloir prendre la route, écouter son appel et vivre, dans la misère parfois. La sensation est reine.
Le réalisateur brésilien ne réalise pas un mauvais film (certes un peu long), il oublie juste l’esprit de Kerouac. Si l’on ne prend ce film non en tant qu’objet à part, mais en tant qu’adaptation du roman, il est raté. Son problème ne réside pas dans sa réalisation, ses acteurs, ou sa qualité plastique (réussie). Il réside dans le fond même.

Sur La Route, Walter Salles

« Sur la Route » n’est plus, d’abord, le symbole de la route. Walter Salles transforme les espaces de Kerouac pour les amener vers un confinement qui ne sied guère. Les personnages déambulent dans une succession d’endroits clos, perdant toute liberté, toute capacité de mouvement. Salles les paralysent, les enlisent dans l’Amérique qu’ils essaient justement de fuir, celle des conventions, celle des biens matériels. La route n’est plus le personnage central, c’est la voiture qui prend le relai. Et c’est encore une fois le confinement qui rapproche ces corps entassés dans la taule. Ils ne sont plus guidés par cette envie de partir.

Sur la route, Walter Salles

De plus, Salles cherche (intelligemment) à retrouver le caractère subversif qu’a eu le roman lors de sa parution en 1957. Mais le monde a bien changé, et les moeurs sont largement moins farouches. La seule solution pour Salles est de ne s’attacher qu’à la drogue, qu’au sexe. « Sur la Route » version 2012 n’est alors qu’un raccourci stérile de l’oeuvre de Kerouac devenant un Best-Of des scènes érotiques, et des prises de substances. Bien sur qu’elles parsèment le roman, mais elles ne sont que le moyen d’expression de leur sentiment. Salles place la périphérie au centre, perdant l’intérêt et la perspicacité de Kerouac.

Sur la Route, Walter Salles

Enfin, Salles n’a pas la finesse psychologique de Kerouac. Kerouac a le génie de donner du réalisme dans des personnages loufoques, extravagants. Le plus bel exemple réside dans le personnage de Jane (joué par Amy Adams). Salles en fait une folle (attention, cela est souligné par le fait qu’elle ne soit pas peignée – la folle est toujours ébouriffée) si peu crédible qu’il y perd son propos. Le seul personnage réussi est celui de Camille (Kirsten Dunst) puisqu’elle montre son désaccord avec la façon de vivre de Dean (présente dans tous les personnages du roman). Elle montre l’ambiguité car c’est la séduction de la différence qui l’a poussée à cette lassitude destructrice. Son personnage est l’âme de l’oeuvre originelle.

« Sur la Route » était jugé inadaptable, Walter Salles le confirme.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆✖✖✖ – Moyen