The Grandmaster : Combats visuels

The Grandmaster, Wong Kar-Wai

Projeté au 15e Festival Asiatique de Deauville

Estomper la démarcation entre concret et irréel pour former une autre réalité, c’est la volonté du cinéma de Wong Kar-Wai. S’il s’attaque (étonnement) au film de Kung-Fu, il le fait pour accoucher d’une nouvelle vision : un renouveau qui tend autant d’un retour au réalisme que d’une façon nouvelle d’amener la dimension chimérique et onirique qui fait le succès du genre. The Grandmaster se veut être le pionner du « vrai » kung-fu comme le montre son sous-titre : « il était une fois le Kung-Fu ». Wong Kar-Wai s’entoure du Maître Woo-Ping Yuen pour livrer une œuvre sans artifice. Finit les fantaisies visuelles avec des individus combattants dans les airs ou courant sur les murs. Jamais le sang ne jaillit. Un adversaire ne meurt pas, il disparaît derrière les panneaux de bois détruits. L’œuvre de Wong Kar-Wai marque ainsi un retour à la beauté même du combat sans la glorifier et sans lui rendre un côté trash : seule la beauté du geste compte. Cependant, Wong Kar-Wai reste un cinéaste de l’esthétique. Cette réalité lui permet alors de décaler l’intérêt des gestes des combattants à leur répercussion sur l’environnement. The Grandmaster est une œuvre minérale : ce n’est plus le coup porté qui est le centre de l’image, mais la poussière qui se soulève, la neige qui glisse, le bois qui se fissure. On glisse alors en quelque sorte d’un microcosme à un macrocosme. Et c’est dans ce décalage que la beauté visuel de Wong Kar-Wai fait des miracles. C’est d’ailleurs l’extérieur qui se charge des fantaisies : un train qui passe sans fin lors du combat entre Gong Er (Zhang Ziyi) et Ma san (Jin Zhang), un jardin enneigé peuplé de cerisiers en fleur.

The Grandmaster, Wong Kar-Wai

Si The Grandmaster se donne une dimension historique, c’est pour mieux la transgresser. Wong Kar-Wai inscrit son film dans l’ombre d’Ip Man : l’illustre maître formateur de Bruce Lee. Il s’immisce alors obligatoirement dans un contexte, celui de l’humiliation d’une Chine désemparée et désunie. L’invasion japonaise de 1937 marque ainsi le passage de dominant à dominé. Ainsi, les différents maîtres d’arts martiaux sont les échos des membres du Guomindang, le parti communiste chinois, incapable de s’unir et luttant les uns contre les autres pour assoir les suprématies de clans. Mais Wong Kar-Wai se dissocie rapidement de l’Histoire puisque seul le personnage d’Ip Man n’est pas fictifs. Tous les autres sont le fruit d’une recherche sur des personnalités du champ des Art martiaux, mais aucun n’est une transposition directe.

The Grandmaster, Wong Kar-Wai

C’est par ces transgressions que Wong Kar-Wai inscrit The Grandmaster en continuateur de ses propres thématiques. L’œuvre répond toujours à cette nostalgie pesant pour un temps passé. D’abord, la nostalgie du réalisateur pour la beauté visuelle du fantasme des années 30/40 ; ensuite celle de ses personnages pour un temps de paix déjà oublié. Au-delà de l’image « Vertical/horizontal » – symbole du vainqueur et du perdant – que prône Ip Man (Tony Leung Chiu Wai) lorsqu’il explique son art, on retrouve également l’obsession des personnages de de Wong Kar-Wai pour la droiture morale.  Cette droiture résonne surtout dans les amours impossibles que le réalisateur hongkongais affectionne (In the Mood for Love, 2000) avec ici Ip Man et Gong Er dont l’ambition et l’amour se peuvent coïncider.  Cette dernière symbolisant les relations humaines par l’implacable froideur d’un jeu d’échec. C’est dans cette quête perpétuelle d’un idéal perdu que les éléments visuels de Wong Kar-Wai prennent leur sens. Les travellings saccadés et les ralentissements de l’image marquent la suspension du temps, d’un présent non-désiré loin des joies du passé et du rayonnement d’un futur lointain. Les jeux de focal isolent les personnages pour les montrer dans leur solitude souhaitée ou non, dicté par la droiture moral qui parcoure l’œuvre de Wong Kar-Wai.

The Grandmaster, Wong Kar-Wai

Face à la maestria de The Grandmaster, face à son immense travail technique (création de tous les décors, plus de 360 jours de tournage), comment expliquer que le film n’est pas une œuvre majeure dans la filmographie de Wong Kar-Wai ? Le spectateur est émerveillé par la forme, mais moins par le fond. Il faut dire que le film fonctionne par un incessant travail de voix-off qui a tendance à laisser un peu le spectateur de côté. De plus le scénario est décousu fonctionnant sans logique dans une temporalité déconcertante à laquelle s’associent des personnages sans fondement comme La Lame qui n’est jamais rattaché à aucun des personnages. Cela s’explique par la rumeur (rêvée sans doute) de l’existence d’un film de 4 heures pour les marchés asiatiques. Enfin, si Wong Kar-Wai parvient à séduire les non-adeptes des films d’arts martiaux, il reste tout de même un certain hermétisme tenace au genre.

The Grandmaster, Wong Kar-Wai

Le Cinéma du Spectateur

Note : ☆☆☆✖✖ – Bien