La Grande Bellezza : Critique Critiquable

La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino

66e Festival de Cannes (2013)
Compétition Officielle

La Grande Bellezza est une œuvre nostalgique du rayonnement passé de l’Italie. Paolo Sorrentino filme autant les visages de l’Italie d’aujourd’hui que les statuts qui sont les seuls vestiges du glorieux passé. Le long-métrage est alors une critique de la société italienne actuelle qui court vers la vacuité de la vie, vers son insignifiance et le néant de l’intellect. Paolo Sorrentino se fait alors le porte-parole à travers Jep (Toni Servillo, son alter-égo) de cette volonté d’endiguer cette descente dans l’enfer morale. Ainsi dans les fêtes romaines, les intellectuels sont mis au même niveau que les ex-stars de téléréalité à la dérive. On y croise également une jeunesse qui croit aveuglément et absurdement en elle pensant qu’elle peut rebondir dans tous les domaines. La copine utilisatrice de Romano est la représentante de cette jeunesse folle qui voit son échec dans le cinéma comme une manière d’écrire un livre « proustien » comme-ci tout était acquis et possible. Le talent n’est plus qu’un leurre. Sorrentino se penche également sur l’insipide scène artistique contemporaine qui prône le concept à outrance cherchant plus la provoque que le sens. L’art fonce dans le mur littéralement chez Sorrentino et est mis devant le mur par le personnage de Jep Gamberdella qui montre la vacuité de l’art qui se joue devant lui par une artiste pleurnicharde ne pouvant définir le mot « vibration » qui semble pourtant être au centre de  son art.

La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino

Le monde mondain dont Jep est censé être le Roi repose ainsi sur le paraître et donc sur l’argent qui peut le générer. Argent devient une fin en soit, un mode de vie et même un métier pour le personnage de Trumeau : « Tu fais quoi comme métier ? », « Moi, je suis riche ». Ainsi, la perte de cette dernière entraîne la perte du prestige et la fin d’une place dans la société comme le montre ses « Nobles à Louer » qui clôt la nostalgie d’un âge d’or avec la fin d’une « vraie » noblesse. Les dettes sont le fruit d’actions dérisoires comme des passages chez le coiffeur.

La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino

Mais c’est également une critique morale que fait Paolo Sorrentino dans laquelle même l’Eglise prend part à la dépravation de la société à l’image de cette nonne qui paye 700 euros pour se mettre du botox  ou encore du couple prêtre/sœur qui dîne au champagne cristal dans un Palace. Le Cardinal, sans doute le futur Pape, évite d’ailleurs des questions sur la foi en dérivant sur des interminables recettes de cuisine. Le seul vestige de la Foi catholique se trouve dans une Nonne, bientôt sanctifiée mais déjà momifiée, de 104 ans. Elle expliquera sans doute l’absence de pauvreté chez Sorrentino par cette magnifique phrase : « Je me suis mariée avec la Pauvreté, et la Pauvreté ne se raconte pas ». Elle est donc à l’image des monuments de Rome les ruines d’un passé prestigieux et moral qui se dissipe dans les fêtes outrancières de la jet-set intellectuelle.

La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino

Si le film est rempli de fulgurances scénaristiques de Sorrentino – surtout lorsqu’il met ses personnages au pied du mur, face à leur contradiction -, La Grande Bellezza est le film de l’arroseur arrosé. Il est curieux de se rendre compte que le cinéaste italien fait une critique de son propre cinéma : outrancier, pompeux, complaisant. Il est regrettable de voir un cinéaste qui s’engage contre la vacuité de l’existence vendre si déplorablement son image à la marque Martini qui orne de manière outrancière les plans. De plus, Sorrentino n’utilise finalement qu’un mouvement de caméra avançant de biais (du haut céleste vers le bas des hommes) au ralenti pour donner au lieu une maestria qui agace. Il devient alors un cinéaste aux faux airs de salvateur narcissique derrière son personnage alter-égo. Une volonté presque biblique qui dérive sur une sorte de Noé présentant girafe et flamands.

La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino

Paolo Sorrentino se perd d’ailleurs dans la contemplation de Rome. A la manière de Woody Allen dans To Rome with Love (2012), le cinéaste penche trop souvent vers le film-touristique se perdant dans les monuments, les présentant à la manière d’un office du tourisme. Il se perd dans la lassante beauté de Rome qui aurait, sans exagération aucune de la part du cinéaste, fait faire une crise cardiaque à un touriste japonais. Il répond également à ses propres fantasmes de cinéastes ne tentant même pas de les incorporer dans son récit comme la rencontre au détour d’une rue avec Fanny Ardant.

La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino

La Grande Bellezza est sauvé par ses scènes où Sorrentino se rapproche des grands cinéastes italiens et réussi par le dialogue à montrer la vacuité de son sujet. Mais c’est dans l’enveloppe qu’il met autour de son propos qu’il se perd, s’affadie et devient le sujet même de sa critique. Paolo Sorrentino aurait pu réaliser une œuvre magistrale, mais il se contentera à cause de son style pompeux d’une œuvre dans le souvenir de certaines scènes sauvent un tout bien trop bancale.

Le Cinéma du Spectateur

Note : ☆☆☆✖✖ – Bien

Only God Forgives : In the Mood for Blood

Only God Forgives, Nicolas Winding Refn66e Festival de Cannes (2013)
Compétition Officielle

Only God Forgives est un film tournant. Après le sensationnel Drive (2011), Nicolas Winding Refn doit montrer qu’il n’a pas eu une fulgurance artistique mais qu’il mérite sa place de réalisateur virtuose (prix de la mise en scène au 64e Festival de Cannes) amené à devenir grand parmi les Grands. Ce qui frappait dans son précédent long-métrage outre sa mise en scène, c’est l’univers visuel qu’il avait su mettre en place pour captiver son spectateur. Conscient de la nécessité de créer un nouvel univers visuel et sonore, Winding Refn installe son film dans une Thaïlande nocturne dans laquelle les néons éclairent les dragons récurrents qui ornent les murs. Cherchant l’esthétique des lieux à la manière de Wong Kar-Wai dans In the Mood for Love (2000), le réalisateur danois crée un labyrinthe de couloirs dont les fenêtres et les portes ne sont pas des sorties mais des moyens d’enfermer ses personnages au sein même de l’image.La seule porte de sortie est celle qui mène à Dieu : la mort. Il livre des images assurément belles mais qui flirtent parfois avec la surenchère voire le bling-bling. Les images de Only God Forgives sont pesantes et enferment le film dans un cocon factice qui au lieu de servir le film perd le spectateur dans une orgie d’effets. L’alliance du kitsch asiatique et de la modernité des éclairages fascinent certes mais l’écrin à tendance à gommer le fond.

Only God Forgives, Nicolas Winding Refn

Avec son nouveau long-métrage, Nicolas Winding Refn pousse à son paroxysme le film de vengeance. La mise à mort du frère de Julian (Ryan Gosling) après qu’il est violé et tué une jeune fille de 16 ans est le point de départ d’une spirale infernale de règlement de comptes, le pardon n’étant pas terrestre (« seul Dieu pardonne »). La question de la moralité ne se pose pas et aux actes de son fils, Crystal (Kristin Scott Thomas) répondra froidement « il avait ses raisons ». L’importance n’est pas l’acte, mais celui qui l’a fait. C’est donc dans une société nocturne et violente que prend place cette valse macabre dans les bordels de Bangkok. La violence semble dans la société thaïlandaise de Winding Refn monnaie courante, les prostituées sont même mises en garde : « Gardez les yeux fermés quoi qu’il arrive ». Les yeux fermés, elles deviennent aussi impassibles que des statuts face à la souffrance humaine. Winding Refn amène un décalage burlesque avec ce policier qui après ses mises à mort chantent des chansons à l’eau dans rose dans un karaoké. C’est d’ailleurs par ce personnage de policier censé être symbole de l’ordre social que la violence semble le plus ancrée dans la société. Il prend part au règlement de compte comme un mafieux.

Only God Forgives, Nicolas Winding Refn

Le cinéaste danois se révèle brillant justement dans ces scènes de torture. Dans un cinéma et une société dans laquelle la violence est de plus en plus banalisée, il parvient à créer une tension extrême dont l’intensité est rare. La jouissance provient de sa volonté de ne pas baser sa violence sur la suggestion mais sur la vision directe des actes commis par ses personnages. Le spectateur s’accroche alors pour ne pas détourner le regard des exactions qui prennent place sur l’écran. Il distord le temps et l’allonge dans des scènes de torture qui dépasse l’entendement et qui montre le talent de mise en scène de Winding Refn. Pas de pitié et pas de dentelle, chez ses personnages. C’est cette froideur qui séduit. Une froideur à laquelle le spectateur prend part puisque le réalisateur coupe le son des supplications des victimes montrant ainsi la vacuité de demander à des bourreaux une clémence qui n’arrivera jamais.

Only God Forgives, Nicolas Winding Refn

Only God Forgives n’est pas un long-métrage à la gloire de Ryan Gosling mais plus à celle de Kristin Scott Thomas. Elle est la représentation même de ce monde violent dans laquelle la notion de justice n’est que le fruit de la parole impulsive de l’homme. Cette mère castratrice et vulgaire dont l’ambiguïté laisse présager des sorties du rôle maternel se place en caïd dans un monde d’hommes. Kristin Scott Thomas livre une prestation mémorable qui relègue Ryan Gosling à un simple rôle de gravure de mode.

Only God Forgives, Nicolas Winding Refn

Only God Forgives ne fait pas écho à la maestria de Drive car il est empreint d’une volonté palpable de faire mieux, de dépasser l’indépassable. Nicolas Winding Refn tombe dans la surenchère essayant vainement par des effets de style de mettre de la poudre aux yeux du spectateur mais celle-ci se révèle rapidement estampable. Only God Forgives est loin d’être un mauvais film, mais il repose plus sur une volonté d’aller vainement plus loin que sur une réussite scénaristique accentué par une mise en scène géniale comme pour Drive. 

Le Cinéma du Spectateur

Note : ☆☆☆✖✖ – Bien