Pierre Feuille Pistolet : Conduite accompagnée

76e Festival de Cannes 
ACID
Sortie le 8 novembre 2023

Au cœur de la guerre, un van sillonne les routes endommagées de l’Ukraine. Conduit par un Polonais polyglotte, son objectif est d’évacuer des civil·es à l’extérieur du pays. Durant ces fuites organisées, la menace de l’invasion russe est permanente, comme accrochée au pare-chocs arrière de la voiture. Depuis le cockpit, la guerre est omniprésente. Le véhicule s’avance dans un paysage apocalyptique dont les destructions alentours (immeubles éventrés, ponts détruits, voitures calcinées) témoignent de la violence des assauts passés de l’armée russe. Parmi les ruines, des explosions retentissent, indiquant autant la proximité des conflits que l’interception de missiles par l’armada antiaérienne. Les enfilades de chars d’assaut allant dans le sens inverse du van rappellent que le conflit est encore en cours. Imprévisible, la guerre force chacun·e à se tenir constamment informé·e. Le conducteur est inséparable de son téléphone qui lui indique en temps réels les modifications de la ligne de front. Détruits ou minés, les chemins se rallongent inlassablement.   

Dans l’habitacle, les esprits sont perdus dans un même labyrinthe, émotionnel. Les passagèr·es sont suspendu·es dans une temporalité entre le danger et la sécurité, dans un territoire inconnu où les corps peuvent enfin se relâcher. Refuge fragile, la voiture apporte un répit douloureux. Si certain·es dorment, d’autres commencent de difficiles deuils : une fille pleure sa mère dont le corps est introuvable ; une femme pleure son mari mort au front. Pierre Feuille Pistolet unit les destins de ses protagonistes de passage dans une même douleur. Par la présence de la caméra, Maciek Hamela donne à ses témoins, habituellement réduit·es à l’anonymat, l’opportunité de raconter leurs histoires. Libérée de la peur, cette précieuse parole permet de ressusciter, par le prisme du souvenir, l’âme de la société ukrainienne. Récit choral de la douleur d’un peuple, l’œuvre comble les interstices des destinées piétinées par la Russie. Alors que le paysage défile, iels verbalisent les traumatismes qui les suivront pour le restant de leurs jours – à l’instar de Sofia, 5 ans, qui a développé une peur panique des avions.

Mais, Pierre Feuille Pistolet n’est pas que le récit misérabiliste de l’horreur qui se joue hors-champ. Le trajet est aussi un entre-deux entre la vie perdue et celle à reconstruire. Être présent·e dans cette voiture est déjà une victoire en soi. Malheureusement, certaines histoires s’arrêtent brutalement en amont comme ce jeune garçon embrigadé de force dans l’armée russe à un contrôle. Fonçant vers la liberté, les conversations permettent de redonner un sens au réel. Sur les ruines qui les entourent, les protagonistes se réapproprient le territoire à la manière de cette fillette qui, voyant la mer, songe déjà à revenir s’y baigner l’été prochain. Iels reprennent le contrôle de leur destinée partageant leurs projets. Après quelques grossesses pour autrui, une des passagèr·es dit qu’elle pourra réaliser son rêve d’enfant : un café avec des pâtisseries. La possibilité de rêver conduit aussi une aristocrate à s’imaginer en « grenouille voyageuse », parcourant l’Europe qu’elle désirait tant découvrir. En pointant sa caméra vers le siège arrière, Maciek Hamela redonne une humanité, et donc un espoir. Il crée un espace propice aux miracles, à l’instar de cette petite fille mutique depuis une explosion qui retrouve la parole. 

CONTRECHAMP
☆☆☆☆ – Excellent

Caiti Blues : La Voix du Vide

76e Festival de Cannes 
ACID
Sortie le 19 juillet 2023

Depuis le studio de la radio KMRD où elle tient une chronique sous le pseudonyme de DJ Barnacle, Caiti Lord contemple le paysage rocailleux du Nouveau-Mexique. Telle une vigie, elle s’aventure, autant pour ses auditeur·trice·s que pour elle-même, dans des monologues introspectifs face à cette immuable Amérique esseulée. Dans cette ancienne ville fantôme abandonnée en 1954 après la fermeture de l’exploitation minière, les destinées des habitant·e·s semblent également à l’arrêt, perdues entre des rêves déchus et des désirs hors d’atteinte. Dans les paroles de ses chansons qui ponctuent Caiti Blues, la jeune femme exprime ce poids pesant d’un présent intransigeant : « La réalité m’a rattrapée / J’suis trop engourdie pour la sentir ». Cette implacable réalité s’obscurcit par le remboursement impossible d’une dette étudiante de 36 000 dollars, croissant insidieusement chaque année à cause des intérêts. Pour joindre les deux bouts, la jeune femme de 29 ans travaille également à la Mine Shaft Tavern pour un salaire de 4 dollars de l’heure et de précieux pourboires taxés. Comme ses jeunes collègues qui songent à une vie meilleure à Los Angeles, elle partage une ambition qui dépasse les limites de cette ville oubliée.

« Je ne peux ni rester, ni partir Il faut que je respire » confesse Caiti en musique. C’est cette respiration salvatrice que Justine Harbonnier parvient à saisir et qui habite tous les plans de Caiti Blues. Les images se teintent de la résilience solaire de cette artiste anonyme. Lorsque de petites victoires (une audition réussie, un rendez-vous) surgissent, la cinéaste quitte son rôle d’observation pour laisser exploser une complicité construite sur une dizaine d’années depuis le tournage dans le sud de la Floride de son court-métrage documentaire Il y a un ciel magnifique et tu filmes Angèle Bertrand [2014]. Par le biais de souvenirs familiaux gravés sur la bande magnétique de VHS, la cinéaste retrace le portrait d’une enfant hors norme cherchant à trouver sa voix/voie. En prolongeant le format 4:3 dans le présent, Caiti Blues manifeste à la fois la continuité de cette quête intérieure et la perte d’horizon qu’implique le passage à l’âge adulte. À la manière de cette guérisseuse qui ouvre l’œuvre, le chant – sa véritable drogue – lui permet d’extirper la noirceur de la vie. Le « blues », dans son double sens, est à la fois le mal et la solution qui lui permet de « se réveiller ». 

Tel ce cactus orné de guirlande qui illumine les nuits durant l’hiver, l’aura solaire de Caiti est le point de ralliement de la communauté marginale de Madrid. Caiti Blues est marqué en filigranes par la présence fantomatique de Donald Trump. La jeune artiste observe une société où « tout se réduit en cendres sous [ses] yeux ». Préférant ne plus regarder les informations pour essayer de trouver le sommeil, elle fait partie d’une génération ayant grandi post-11 septembre, donnée en sacrifice à la peur et à la bigoterie. Autour de Caiti, une communauté queer s’organise pour ne pas plonger dans l’obscurité. Lorsqu’elle reprend « Sweet Transvestite » de The Horror Picture Show [Jim Sharman, 1973], comédie musicale emblématique, lors d’un drag show local, Caiti témoigne de la vivacité d’une contreculture américaine qui ne peut être muselée. La caméra de Justine Charbonnier affectionne cette Hollyweird comme écrit dans le décor du spectacle, cherchant dans les fêlures d’une Amérique gangrénée le réenchantement d’une nation toute entière. 

CONTRECHAMP
☆☆☆– Bien

De nos jours… : Ce qu’il reste de « nous »

76e Festival de Cannes
Film de Clôture – Quinzaine des Réalisateurs
Sortie le 19 juillet 2023

Durant une journée d’été au ciel couvert dans la capitale sud-coréenne, deux rencontres prennent place simultanément. D’un côté, Sangwon (Kim Min-hee), une actrice en retrait de l’industrie cinématographique, retrouve sa cousine Jisoo (Park Miso) qui rêve, à son tour, de devenir actrice. De l’autre, le poète Hong (Ki Joobong) accueille un jeune acteur en formation, alors qu’il est lui-même suivi par une jeune documentariste réalisant son projet de fin d’études sur lui. Alors que chacun·e endosse à sa manière son rôle exigé de mentor – maladroitement pour Sangwon et philosophiquement pour Hong, De nos jours… tisse discrètement des liens entre les deux personnages. Par un habile jeu de parallélismes, iels partagent des habitudes communes : un goût pour les siestes prolongées, l’ajout de gochujang (pâte de piments coréenne) dans les ramyuns (nouilles instantanées). Leur histoire commune (Sangwon est-elle la fille partie de Hong ? Hong est-il l’artiste qui a inspiré Sangwon ?) s’écrit, dans la temporalité fragile du montage, à travers ces vestiges comportementaux d’un passé commun. Baptisé de manière équivoque « Nous », le chat de Jungsoo (Song Sunmi) – amie qui héberge Sangwon – symbolise, par sa soudaine disparition, la possible fugacité des choses qui peuvent être perdue.  

Avec De nos jours…, le cinéma de Hong Sang-soo continue sa quête d’une pureté cinématographique. À l’instar de cette documentariste Kijoo (Kim Seungyun) qui filme des scènes de vie de Hong pour agrémenter son œuvre, Hong Sang-soo observe dans le quotidien ce qui forge imperceptiblement les vies de ses personnages. Pour Kijoo et Jaewon (Ha Seongguk) – le jeune acteur, leur rencontre fortuite chez le poète semble être la naissance possible d’un amour qui ne pourra éclore, après leur disparition au détour d’une ruelle, qu’en-dehors du cadre fictionnel de l’œuvre. Avec minimalisme, ce cadre se restreint aux deux appartements de Jungsoo et de Hong – puisque même les plans extérieurs ont toujours l’une des portes d’entrée comme point de fuite. L’intérieur, comme espace sacralisé de parole, se détache alors d’un extérieur annihilé par un travail de surexposition lui conférant une blancheur opaque. Comme dans Juste sous vos yeux, Hong Sang-soo guide le regard du spectateur·trice afin qu’iel puisse saisir la richesse du réel. Ici, Sangwon s’accroupie à deux reprises : une fois pour flatter « Nous » et une autre fois pour admirer une plante. En se rapprochant du sol, elle observe et appréhende le monde autrement allant jusqu’à créer une connexion singulière avec une fleur au discours motivant.  

Dans De nos jours…, Jaewon annonce que son projet est de « vivre sans mentir » et d’avoir la « vérité comme fondement ». Si cette volonté peut paraître naïve, elle fait écho aux conseils de Sangwon sur le métier d’actrice. Il est nécessaire d’ « enlever toutes les couches [de son moi] » pour atteindre une sincérité de jeu, voire d’être. Lassée, l’ancienne actrice refuse de se perdre à nouveau dans la vacuité d’une pratique qui la réduit à n’être, comme un produit, qu’une facette monolithique d’elle-même. Éloges suprêmes pour les artistes mis·es en scène par Hong Sang-soo de la poésie de Hong au jeu de Kilsoo (Kim Min-hee) dans La Romancière, le film et le heureux hasard, les notions de pureté et de sincérité sont constitutives de la démarche du cinéaste. Jusqu’à la direction d’acteur·trice, la frontière entre réalité et fiction se veut la plus poreuse possible. En refusant l’illusion, le cinéma de Hong Sang-soo ne veut pas documenter le réel, mais affirmer sa force narrative. Il se plie au hasard, si cher au cinéaste, qui régit une vie qui « suit son cours sans se soucier des raisons » imaginées par les hommes, comme l’annonce Hong. Seul sur sa terrasse, cet alter-ego de Hong Sang-soo clôt De nos jours… dans une forme d’apaisement, celui d’accepter son irrémédiable mortalité (en buvant et fumant à l’encontre des recommandations des médecins).

CONTRECHAMP
☆☆☆– Bien

Domingo et la brume : La Montagne dévorée

75e Festival de Cannes
Un Certain Regard
Sortie le 15 février 2023

Dans les montagnes tropicales du canton du Coronado, la nature luxuriante que traverse un vieil homme vêtu d’un imperméable jaune semble indubitablement souveraine. Or, les majestueux plans larges dessinés par Ariel Escalante Meza sont parasités par les bruits assourdissants, entre forage et explosion, d’un chantier titanesque : la construction d’une autoroute traversant la région. Comme la voix déjà omniprésente d’un démarcheur avide émergeant au détour d’un virage dans la séquence d’ouverture, le chantier gronde comme un prédateur montrant son visage une fois la victoire déjà assurée. La terre broyée apparaît comme une carcasse encore fumante, livrée à des charognards métalliques. Face à cette inévitable destruction, une brume transcende les paysages costariciens procurant à ses habitant·e·s un abri pour attiser les braises d’une révolte légitime.  Fantasmagorique, cette brume est construite par une mise en scène aérienne comme une entité mouvante et parlante guidant Domingo (Carlos Ureña). 

Alors qu’il répète à sa fille Sylvia (Sylvia Sossa) qu’il « n’[est] pas fou », Domingo reçoit à travers la brume les visites de sa femme morte depuis plusieurs années qui aurait décidé d’être le vent afin d’« éviter le mystère de ne savoir que faire de son corps ». Alors que Domingo parle toujours seul lors de ses fameuses interactions, Domingo et la brume bouleverse les perceptions afin d’égarer le spectateur·rice dans une hallucination sonore et visuelle. Entre mysticisme et alcoolisme, Ariel Escalente Meza compose un microcosme organique aux strates poreuses. Quasi-fantôme d’un monde agraire en perdition, Domingo oscille entre l’oppression de la société humaine où chaque interaction est enfermée dans un cadre exigu ; et la libération formelle d’un monde naturel (et ésotérique) qu’il épouse progressivement. Le vieil homme devient l’unique défenseur d’un monde condamné, suspendu entre le paradis et l’enfer selon les paroles sibyllines de la brume. 

Perturbée par une mafia motorisée dont le bruit hante les nuits costaricaines, l’œuvre documente un double processus d’effacement politique. D’abord, celui d’un territoire périphérique et agraire qui est sacrifié sur l’autel d’un capitalisme déguisé en progrès. Reculées, les montagnes du Coronado sont le refuge d’êtres jusque-là en errance à l’instar de Yendrick (Esteban Brenes Serrano), dont la fuite aura été le seul moyen de protéger la femme qu’il aimait de ses addictions. Pourtant, Ariel Escalante Meza ne propose ni rédemption ni oubli insistant, à travers les mots de l’addict, sur le fait que « le passé sera toujours le passé » et qu’ « il n’y a pas de retour en arrière ». Ensuite, Domingo et la brume relate, par extension, l’effacement mémoriel d’un pan de la société costaricaine. Chevalier sans armure, Domingo devient le protecteur d’une âme rurale qui, par l’entremise de la brume, devient lentement amnésique. Ouvertement politique, l’expropriation racontée n’est pas réduite uniquement à une dimension économique. Ici, il est question de sublimer les derniers soubresauts d’un monde voué à disparaître dans le bitume et dans la violence.  

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆– Bien

Pacifiction – Tourment sur les îles : Crépuscule nucléaire

75e Festival de Cannes
Compétition Officielle
Sortie le 9 novembre 2022

Par un imposant plan-séquence sur le port automne de Papeete avalé par la nuit, l’île de Tahiti se révèle par la fatalité économique de son rapport avec l’ailleurs. Les premiers personnages de Pacifiction – Tourment sur les îles, des marins de l’armée française sur un bateau pneumatique, rejouent un mirage funeste de la colonisation. Les relations entre Tahiti et l’extérieur prennent forme sous les traits du Haut-commissaire de la République De Roller (Benoît Magimel, époustouflant). Dans la lignée des protagonistes de ses précédentes œuvres, De Roller s’inscrit comme une figure romanesque à l’instar de Don Quichote (Honor de cavallería, 2006) ou de Louis XIV (La Mort de Louis XIV, 2016). Mercenaire volubile, il traverse les plans – et s’en empare – dissimulé sous son armure néocoloniale : un costume d’un blanc immaculé et des lunettes aux verres teintés. Chez Albert Serra, le politique est une mise en scène qui s’exprime par le biais du corps. Après la débauche charnelle de Liberté (2019) que l’entre-soi érotique de la boîte de nuit « Paradise Night » ravive, Pacification – Tourment sur les îles prône une débauche verbale qui se vautre dans une vacuité formalisée. L’étirement des séquences transforme les échanges entre De Roller et les concitoyen·ne·s en des monologues absurdes louant le néant des manœuvres du pouvoir. Albert Serra évoque l’artificialité de nos représentants annonçant que « la politique [est] comme une discothèque : une soirée avec le diable ». 

Tandis que les rumeurs s’intensifient sur l’île, le Haut-commissaire enquête sur la menace invisible d’une reprise des essais nucléaires qui ont contaminé la région entre 1966 et 1996. Au crépuscule, il scrute depuis les hauteurs d’une colline l’immensité de l’océan en quête des traces d’un sous-marin français. Albert Serra altère le réel faisant apparaître ledit navire tel un monstre marin mythologique, imposant un doute permanant à ses protagonistes tombant dans une sombre paranoïa à la manière de l’amiral (Marc Susini) dont l’alcool démultiplie les « ennemis ». Pacification – Tourment sur les îles est un thriller politique dont l’intrigue n’est qu’un prétexte pour épaissir le brouillard se levant sur un monde contemporain nébuleux. De Roller s’acharne sur des pistes concrètes, la fréquentation régulière du « Paradise Night » par l’équipage de l’amiral ou la présence énigmatique d’étrangers – un Portugais (Alexandre Melo) dont le passeport diplomatique aurait été dérobé et un Américain (Mike Landscape) guettant les moindres faits et gestes du Haut-commissaire. Alors qu’il l’observe, l’Américain indique que De Roller « tourne en rond », empêtré dans une « spirale descendante ». En effet, ce dernier déambule dans sa Mercedes blanche dans les mêmes lieux de l’île à la recherche d’une lumière pour éclairer ce territoire tourmenté, pareillement à la lumière artificielle d’un stade lors d’une averse qui semble le recharger. 

Porté par le jeu magnétique de Benoît Magimel, De Roller est un personnage ambivalent à la magnanimité hypothétique. S’il prône la nécessité de « se désincarner » pour être un bon politicien, il n’est qu’un pion étatique pour maintenir l’ordre (l’intérêt de la France) qui ne prend en compte l’intérêt commun des Tahitien·ne·s que lorsqu’il rencontre ses propres névroses paranoïaques. Le Haut-commissaire se laisse progressivement dévorer par le territoire tahitien d’apparence paradisiaque. Lors de la séquence magistrale de la compétition de surf, son embarcation se heurte aux vagues immenses le faisant disparaître du plan. Alors qu’un surfeur déclare que « tous les jours [son] lieu de travail essaie de le tuer », ces paroles résonnent avec la situation de De Roller, ballotté. À la manière de cette séquence qui aurait pu n’être qu’une façade touristique, le cinéma d’Albert Serra va à l’encontre de toute exotisation. Il dépeint une société tahitienne dont la révolte de la jeunesse gronde en filigrane. Pacifiction – Tourment sur les îles se fait le miroir critique, transcendé par les néons du « Paradise Night », d’un exotisme difforme où le·a Tahitien·ne n’est vu·e – par les personnages blancs – qu’à travers leurs propres fantasmes : des serveur·se·s dénudé·e·s aux danseur·euse·s, seul·e·s autorisé·e·s à témoigner d’une violence politique encadrée par les limites rassurantes d’un spectacle pour touristes.  

Avec son rythme obsédant, Pacifiction – Tourment des îles est un cauchemar politique déguisé en rêve touristique. L’œuvre est autant une réflexion sur la vacuité rhétorique d’une classe politique blanche paranoïaque que sur le péril d’une masculinité primaire libidineuse. Face à eux, Albert Serra exalte des personnages autochtones déterminés à reprendre en main leur destin et celui de l’île à l’instar de l’hôtesse Shannah (Pahoa Mahagafanau, envoûtante), muse de De Roller.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆☆ – Chef d’Oeuvre

Jacky Caillou : La forêt dont les miracles sont faits

75e Festival de Cannes
Programmation ACID
Sortie le 2 novembre 2022

Dans la maison rustique où il vit avec sa grand-mère, Jacky Caillou (Thomas Parigi) traverse les différentes pièces à la recherche de sons dissimulés, une marche qui craque, ou triviaux, une tronçonneuse au loin, qu’il conserve via un enregistreur cassette. Dès la séquence d’ouverture, Lucas Delangle invite ainsi le.a spectateur.rice à saisir l’infime pour dépasser la superficialité confortable du quotidien. Dans cet espace banal, l’univers de Gisèle Caillou (Edwige Blondiau) – magnétiseuse-guérisseuse – se manifeste hors-champ à travers des sons nébuleux se mouvant progressivement en prières. Alors que Jacky se rapproche de la porte fermée d’où émane la liturgie afin d’épier par le trou de la serrure, le cinéaste fait correspondre le regard, et par extension la perception du monde, du protagoniste et du spectateur.rice. Jacky Caillou sera un récit d’initiation autant pour l’un que pour l’autre menant à réécrire la simplicité du réel à l’aune du merveilleux.

Tandis que la magnétiseuse-guérisseuse laisse progressivement son petit-fils pressentir son propre don, c’est l’horizon de ce dernier qui déborde. Il envisage son propre corps d’une manière nouvelle, guettant depuis ses mains l’invisible magnétisme.  À l’instar du thérémine avec lequel il compose sa musique, Jacky doit appréhender les variations dissonantes des êtres humains en vue du retour d’une harmonie perdue.  Toutefois, Gisèle met en garde le jeune homme sur le fait qu’ « [il ne doit pas courir] après le miracle, ça n’existe pas ». Autant dans la forme pastorale que dans le fond mystique, Jacky Caillou s’inscrit dans un territoire où la nature est omnisciente. Immuable, elle semble être une sorte de passage vers les souvenirs délaissés et les vies arrêtées comme ces tombes de roche nichées au cœur des Alpes auxquels Jacky confie les mots suivants : « je devrais partir, sauf si tu me dis de rester ». Lucas Delangle signe une œuvre animiste réinsufflant une aura spirituelle dans un monde sauvage réduit, pour les villageois.es, à la peur atemporelle d’un loup. 

Elsa (Lou Lampros) – jeune femme dont le corps se couvre d’une étrange tâche – surgit d’ailleurs mystérieuse de la nature pour consulter Gisèle, comme si elle était enfantée directement par elle. Depuis les forêts environnantes, les arbres sont parti-prenantes du récit, autant dans la genèse de la malédiction qui touche Elsa (les trois peupliers disparus) que comme exutoire vital à Gisèle/Jacky afin de « se purger » des malheurs des autres oppressant jusque dans le corps même du.de la magnétiseur.se. Dans cet écrin bucolique, Lucas Delangle métamorphose peu à peu son naturalisme en fantastique allant jusqu’à déstructurer l’image lors d’un cauchemar anamorphique où les ombres des branches emprisonnent le corps d’Elsa. Le cinéaste laisse surgir la part de monstruosité, figuration des désirs et des peurs enfouis sans jamais perdre son élégante quête curative. S’il y a un miracle, il réside dans la révélation d’un amour absolu permettant aux protagonistes de vivre une vie sans limite dans une recherche inaltérable de lumière. 

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆ – Bien

Juste sous vos yeux : La femme qui est revenue

74e Festival de Cannes
Cannes Première
Sortie le 21 septembre 2022

Sorti d’un songe sans rêve, le nouveau long-métrage du prolifique Hong Sang-soo s’inaugure sur des paroles sibyllines : « toutes les choses devant mes yeux sont une bénédiction […] seul le moment présent est le paradis ». Pour Sangok (Hye-Young Lee) – une actrice disparue revenant après de longues années en Corée du Sud, son présent se heurte à celui de son pays natal qui a continué à vivre sans elle. Durant une journée, elle traverse une société aussi familière qu’étrangère semblant se dérober face à elle, à l’instar de ces commerces étonnement vidés de leurs propriétaires. Le déracinement choisi par Sangok ébranle également sa relation avec sa sœur Jeongok (Yunhee Cho), devenue une quasi-inconnue dont les contours se discernent dans un brouillard de souvenirs lointains. Le présent est justement ce qui les sépare. Prise dans cette confrontation mémorielle, la protagoniste retrouve la maison de son enfance dont le jardin auparavant si immense lui paraît maintenant plus exigu, symbole d’un horizon raccourci. 

Malgré tout, le jardin reste un écrin de verdure dans une capitale coréenne uniformément bétonisée. Alors qu’il filme en contre-plongée des tours en construction, Hong Sang-soo recentre sa caméra sur les deux sœurs marchant vers un parterre de fleurs. Proposant une ville à échelle humaine, le cinéaste offre à ses personnages des refuges naturels où recueillir leurs émotions, comme cette passerelle permettant à l’ancienne actrice de fumer à l’abri des regards. Teinté de romantisme, l’espace naturel et/ou architectural devient progressivement autant l’expression des sentiments intérieurs de Sangok que le support d’un mysticisme verbalisé dans ses prières. Le sublime, interprété ici comme un état d’âme, réside dans la « bénédiction » qu’offre un quotidien dont la trivialité se meut en trésor pour celleux qui apprendront à l’explorer. Le titre Juste sous vos yeux est un commandement destiné aux spectateur.rice.s afin qu’iels cherchent dans les détails de l’image les révélateurs des non-dits des personnages. 

Lors de son rendez-vous avec Sangok, le cinéaste Jaewon (Hae-hyo Kwon), en admiration devant les rôles précédemment interprétés par l’actrice, déclare que « le secret de [son] authenticité était [sa] pureté ». Or, cette phrase décrit tout autant le cinéma de Hong Sang-soo, et particulièrement Juste sous vos yeux. Le minimalisme formel, dont l’épure sacralise le réel, encadre et magnifie la puissance des émotions qui se révèlent alors que l’alcool se montre libérateur. Le choix d’une image numérique prosaïque, pixellisée et surexposée, participe à cette valorisation d’un réel appréhendé à travers une neutralité esthétique technologique. Alors que la mort englobe insensiblement l’œuvre, la banalité du présent acquiert une aura sacrée à condition que la possibilité d’un futur s’estompe. Dans cette impasse, la douce cruauté de Juste sous vos yeux se manifeste : voir dans la mort menaçante la seule clé pour admirer les possibilités infinies du présent.  

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆– Excellent

Magdala : Sculpter l’invisible

75e Festival de Cannes
Programmation ACID
Sortie le 20 juillet 2022

Au sein d’une forêt intemporelle, Marie-Madeleine (Elsa Wolliaston) erre, recluse, en quête d’un chemin spirituel qui la reconduira auprès de son Christ bien-aimé. Depuis la mort de Jésus, les stigmates d’un temps endeuillé se sont installés dans son cœur et dans son corps. Harassée et en haillon, elle espère une mort salvatrice. À mi-chemin entre la vie et la mort terrestres, la vieille femme parcourt une nature à la fois édénique et hostile. Dans cette cathédrale de verdure, le calvaire de Marie-Madeleine se mue en une messe sensorielle célébrant une harmonie de la résilience unissant les êtres vivants en présence. À travers le corps touché par la grâce d’Elsa Wolliaston, Damien Manivel compose, en prônant une radicalité cinématographique transcendantale, une chorégraphie de l’agonie. Figure majeure de la danse contemporaine, la danseuse ritualise, sublime et spiritualise un vocabulaire corporel prosaïque. Dans la quiétude silencieuse de la nature, le corps se fait parole et le geste se fait verbe. 

Toutefois, Magdala n’est pas qu’une œuvre survivaliste austère. Damien Manivel embrasse entièrement la psyché de sa protagoniste, épousant les contours mystérieux d’une spiritualité en construction. Alors que Marie-Madeleine enlace un arbre ordinaire, se matérialisent soudainement au bout de ses lèvres les pieds ensanglantés de Jésus sur la croix. Cette première apparition marque le basculement allégorique d’un long-métrage questionnant les représentations d’une foi chrétienne originelle. Le cinéaste ressuscite une spiritualité préchrétienne dépouillée de tout diktat ecclésiastique. Marie-Madeleine forge son propre culte christique trouvant dans son rapport intime avec Jésus une passerelle émotionnelle entre les temporalités et les réalités. Avec ardeur et délicatesse, Magdala replace l’individu au centre de la notion de spiritualité offrant à sa protagoniste, via la puissance figurative du medium cinématographique, le don de sculpter l’invisible.

Chez Damien Manivel, la dévotion de Marie-Madeleine est le fruit d’une obsession sentimentale et d’un lyrisme sensuel. Dans Magdala, la frontière entre le désir spirituel et le désir charnel est poreuse. Au crépuscule de son existence, Marie-Madeleine chérit la présence lumineuse et surtout physique d’un homme qu’elle a autant adoré que désiré. Face au vide assourdissant laissé par l’absence de Jésus, elle utilise quelques mots en araméen, « mon amour », pour énoncer ce qui serait une première prière. Face à ce mutisme, le corps de Marie-Madeleine devient le territoire même du deuil. Dans ce chemin de croix littéralement tracé par les frêles croix de bois qu’elle laisse sur son passage, elle atteint de manière absolue son statut de sainte. Jusqu’à un dernier souffle octroyé telle une caresse sous le regard compatissant d’un ange, Magdala incarne la persistance d’un souffle mythologique dans une spiritualité, chrétienne ou non, dont la beauté brute 

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆– Excellent

Bruno Reidal : La petite mort

74e Festival de Cannes
Semaine de la Critique
Sortie le 23 mars 2022

Bruno Reidal, confession d’un meurtrier éclate dans une frénésie violente et sanguinaire. Alors que la caméra opère un mouvement circulaire dans une forêt anodine du Cantal, elle surprend soudainement la décapitation de François Raulhac, un enfant de 12 ans, par Bruno Reidal (Dimitri Doré). La mise à mort est hors-champ. Vincent Le Port se concentre sur le visage du paysan séminariste de 17 ans qui se révèle dans la monstruosité morale de son acte. Par ce geste originel, il sort de sa condition d’anonyme que lui impose l’appartenance à la paysannerie du début du XXe siècle. À travers le regard du professeur Alexandre Lacassagne (Jean-Luc Vincent) chargé de réaliser un rapport médical, la société intellectuelle française reconnaît son existence. Cobaye psychosociologique, il est d’emblée défini par sa corporéité : « 1m62, 50kg, apparence délicate, carrure faible… ». Littéralement mis à nu, il se meut en bétail sacrificiel, déjà condamné, semblable au cochon égorgé chaque année chez les Reidal dont le cinéaste saisit dans le regard une certaine sensibilité. Dans la frontalité déséquilibrée (par la présence d’une estrade appuyée grâce à la caméra de Vincent Le Port) du face-à-face entre Bruno et le corps médical, le jeune homme est à la fois l’antagoniste (moral et social) et le protagoniste (narratif) d’un récit qu’il doit se réapproprier. 

Lorsque l’interrogatoire se confronte au caractère taiseux du condamné, le professeur Lacassagne lui manifeste qu’ « [ils ne sont pas ses] juges » et qu’ « [ils doivent] tout savoir ». Libérant le récit de toute moralité, cette annonce permet une bascule dans une nouvelle vérité dépassant la simple factualité policière. Le professeur propose à Bruno de retracer dans un journal sa vie et les événements qui ont conduit à la mort de François Raulhac. Par le biais de l’écriture d’abord factuelle (son milieu social, sa famille) puis poétique, Bruno se libère – non dans le sens d’une franchise chrétienne expiatoire, mais dans la démonstration sincère, car ressentie, d’une perversité assumée. Bruno Reidal est une œuvre qui se dissèque elle-même à l’instar des multiples degrés de confession de son protagoniste. À travers ses écrits énoncés en voix-off, Bruno n’est plus uniquement le sujet du regard des médecins (et par extension du spectateur.rice), il devient l’acteur d’un récit qu’il contrôle entièrement. Vincent Le Port transcende le fait divers pour livrer une cartographie mentale à la première personne, territoire fertile pour le jeu magnétique de Dimitri Doré. 

Récit d’apprentissage, Bruno Reidal narre la découverte conjointe de la sexualité et de la violence chez Bruno, dont les frontières sont brouillées par un viol subi à l’âge de 10 ans par un berger de passage. Ainsi, le désir s’érige à la fois en tant que pulsion sexuelle et soif de domination. L’École, seul espace de sociabilité, devient alors le réceptacle de cet éveil (homo)sexuel contraint par une jalousie maladive envers les plus brillants. Cette jalousie se restructure, dès l’entrée au séminaire où il fréquente – par le biais d’une bourse – les jeunes bourgeois locaux, autour d’une dimension socio-économique. La jouissance sexuelle et/ou mortifère réside uniquement dans la possibilité d’inversion des rapports de domination préexistants permise par la possession, voire l’humiliation, de l’autre. À travers l’angélique Blondel (Tino Vigier), son comportement obsessionnel prend une tournure sacrée : faisant de l’objet désiré une entité sacro-sainte. L’impossible refoulement de ce double désir charnel inconciliable avec la foi chrétienne conduit Bruno à trouver une victime sacrificielle. 

         Reprenant la forme circulaire des obsessions (« tuer », « se masturber », « Blondel ») de Bruno Reidal, Vincent Le Port met en scène une nouvelle version du meurtre initial de François Raulhac. Sa présence physique dans cette variante ne lui donne paradoxalement aucune singularité aux yeux de son meurtrier. À son tour, il n’est qu’un « bon pâtre de campagne » en référence au viol de Reidal. Alors que Bruno contemple la tête tranchée du jeune garçon comme un trophée, l’exultation du meurtre – sa jouissance quasi-érotique – se dissipe pour laisser place, dans le silence de la forêt, à une déception cruelle. Cet acte unique met fin au désir du meurtrier, par sa confrontation à l’implacable réel, dont l’excitation résidait dans le fantasme d’une domination suprême : pour Bruno Reidal, « les scènes de meurtre sont […] pleines de charme ». 

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆– Excellent

La Fièvre de Petrov : Dostoïevski sous antidouleurs

74e Festival de Cannes
Sélection officielle
Sortie le 1er décembre 2021

Dans un bus surchargé, une contrôleuse de tickets – déguisée comme la « Reine des Neiges » – se faufile de sa gouaille entre des passager.e.s échauffé.e.s. Dans ce microcosme étouffant, Petrov (Semyon Serzin) crache sans relâche ses microbes. Alors qu’un vieil homme tient des propos déplacés à une petite fille lui ayant laissé sa place, la fièvre monte autant dans le bus que dans la tête de Petrov. Cette fièvre, perçue comme un bouillonnement frénétique, est l’essence d’une société russe complètement désinhibée, ulcérée par le racisme, le sexisme et l’homophobie. Dans la Russie verdâtre de Kirill Serebrennikov, la violence verbale et/ou physique se révèle aussi constituante que cathartique. Alors que résonne la phrase « il faudrait fusiller les dirigeants », La Fièvre de Petrov enfante une langue qui, comme outil performatif, accomplit sa propre révolution. De là, des hommes cagoulés tels des catcheurs exhortent Petrov à participer à un peloton d’exécution en pleine rue ciblant de puissant.e.s politicien.ne.s. 

Cette théâtralisation du réel, flirtant avec le burlesque, se justifierait par la maladie dont souffre le protagoniste. Cependant, la même fureur se retrouve chez Petrova (Chulpan Khamatova), sa femme bibliothécaire. Face à un club de poésie dégénérant en règlement de comptes, elle transforme sa rage bouillonnante en une chorégraphie fatale d’arts martiaux qu’elle conclue, d’un ironique changement de ton, par « j’ai juste vu des films, ce n’était pas prévu ». Conduisant à des frénésies mortifères imaginées ou réelles, sa souffrance naît d’une vie désincarnée. Inspirée par le cinéma, cette violence est exaltée par la télévision où le journal télévisé annonce la mort de l’homme de la bibliothèque lors d’une attaque sauvage en pleine journée dans la rue. Avec de l’alcool pour combustible, l’art devient alors chez Kirill Serebrennikov cet espace trouble de liberté où la morne stabilité du réel, entendue comme une domestication du citoyen à sa propre domination, se transgresse. Une fois que le contrat social est dissous, les personnages de La Fièvre de Petrov revendiquent, à l’instar de Petrova, l’exercice (ir)raisonné d’une violence symbolique. Dans le Iekaterinbourg de Serebrennikov, l’autodétermination d’un mort lui permet même de décider de mourir à un autre moment.  

La caméra du cinéaste russe accompagne cette fureur libératrice dans une danse affranchie de toute spatialité, déconstruite par une remarquable direction artistique et une orfèvrerie de montage, et de toute temporalité, la vie de Petrov se déroulant par écho émotionnel. Œuvre protéiforme allant de l’animation à la science-fiction, La Fièvre de Petrov est perméable aux émotions de ses protagonistes qui dynamitent son cadre. Ici, la vie virevolte entre poésie et vulgarité cherchant dans l’excès et dans le brouhaha une narration primaire, exempte d’une canonique linéarité. Fantomatiques, les personnages construisent dans le chaos ambiant leur propre destinée comme cet écrivain raté orchestrant son propre suicide en quête d’une gloire éternelle. Au-dessus d’une morale commune, ils sont des figures irréelles, s’apparentant à des archétypes triviaux, dont le drame n’est concevable qu’en un spectateur consentant à se perdre dans la boue noble de leurs dépravations. Néanmoins, cette violence transcendantale s’effrite dans une ultime sinuosité narrative, centrée sur la vie de la jeune femme interprétant la « Reine des Neiges » alors que Petrov – encore enfant – assiste à une représentation complètement grippé, dont le classicisme tranche avec le souffle de ce Dostoïevski sous antidouleurs périmés depuis 1977. 

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆ – Bien