Mommy : La Passion de Dolan

Mommy, Xavier Dolan

67e Festival de Cannes
Prix du Jury

Après une parenthèse hitchcockienne (Tom à la ferme, 2014), Xavier Dolan renoue avec la flamboyance de son cinéma qui avait déjà atteint l’un de ses paroxysmes avec Laurence Anyways (2012). Le cinéaste poursuit sa dissection des comportements humains qui marie la tragédie grecque – les dilemmes familiaux et sentimentaux – au mélodrame contemporain. Un lien que le prodige québécois permet par ce besoin de mettre en avant les passions humaines. Celles enfuient au plus profond de chacun qu’elles soient ou non moralement, ou plutôt socialement, acceptables : que ce soit le matricide (J’ai tué ma mère, 2009), l’envie et la jalousie (Les amours imaginaires, 2010), le dépassement du genre (Laurence Anyways, 2012), le déni sexuel (Tom à la ferme, 2014) ou le choix d’être mère (Mommy, 2014). Sans aucun jugement, Xavier Dolan parvient à mettre en scène des mises à nues de personnages qui cessent d’être des citoyens pour devenir pleinement des hommes remplis de contradictions et d’envies qui les rendent instables. En véritable cinéaste humaniste – sans ambition religieuse –, il s’approche de cinéastes comme Cassavetes ou Bergman qui parviennent à imposer des personnages non-monolithiques qui ne sont pas uniquement des moyens d’affirmer une idée ou de présenter un archétype. Ces cinéastes ne cherchent pas forcément à créer des histoires qu’ils porteraient à l’image, mais à créer des êtres qui en étant ni entièrement bons ni entièrement mauvais parviennent à insuffler de la vie.

Mommy, Xavier Dolan

Le cinéma de Dolan se présente alors comme une suite d’oscillations violentes entre des moments de bonheur et des moments de détresse qui instaurent un climat menaçant constant où le pire semble pouvoir triompher. Mommy confirme cette impression en ajoutant une épée de Damoclès dès les premières secondes de l’œuvre. Le cinéaste l’ouvre par une phrase qui narre la mise en place d’une loi nouvellement votée qui permet aux parents de pouvoir abandonner leurs enfants, si ces derniers sont ingérables, dans des hôpitaux sans aucun procès. En gardant perpétuellement cette information en tête, le spectateur ne peut que vivre avec plus de force le bonheur qui unit dans un premier temps Steve (Antoine-Olivier Pilon, une révélation solaire), sa mère Diane (Anne Dorval, éblouissante) et leur voisine Kyla (Suzanne Clément, épatante). Mais, ce bonheur est impossible car cette bulle est sans cesse menacée par les altercations violentes de Steve, un adolescent TDAH impulsif et violent.

Mommy, Xavier Dolan

La violence, aussi bien morale que physique, est primordiale dans le cinéma dolanien. Elle permet de libérer les pressions qui écrasent des personnages suffocants sous leurs passions. Des passions instables et animales, à l’image de la pensée platonicienne, qui ne peuvent constamment être enterrées sous un jeu de convenances. Ces acmés amènent à repenser les personnages car ils restructurent intégralement leurs interactions. La première colère de Steve intègre une nouvelle variable, Kyla, dans cette instable équation qui prendra le rôle de tampon en amenant les personnages à endosser un peu plus les codes sociaux. La deuxième, entre Steve et Kyla, redéfinie la place de cette dernière qui s’affirme en tant qu’entité propre au sein de cette « famille ». La dispute chez Dolan est une sorte de saine hystérie qui engendre une sincérité émancipatrice, même si elle peut être douloureuse, qui amène les personnages à renouer soit avec leurs êtres profonds, soit à asseoir leurs opinions. C’est également dans ces moments que les personnages à fleur de peau se dévoilent. L’épisode du collier de Kyla permet d’éclaircir un peu les raisons de son mutisme. Néanmoins en le laissant être un secret de polichinelle, Xavier Dolan présente des hommes avec un passé en dehors de la temporalité filmique plutôt que de placer le spectateur dans une position omnisciente confortable. En gardant un mystère et en refusant le pathos, le cinéaste dévoile la beauté d’un cinéma qui s’obstine à retranscrire la vie sans tomber dans un didactisme contre-productif.

Mommy, Xavier Dolan

Mommy suit cette logique d’un cinéma au plus proche de l’âme humaine aussi bien dans le fond que dans la forme. Xavier Dolan écarte tout monolithisme émotionnel en refusant de tomber dans un portrait misérabiliste des couches sociales inférieures. Il fait de son œuvre une juxtaposition de deux genres cinématographiques : un portrait social – de deux êtres voués à se séparer puisque « l’amour ne suffit pas, malheureusement » comme l’annonce la directrice du centre spécialisé qui héberge Steve au début – et un feel good movie à tendance initiatique. Cette dualité permet à l’œuvre de retrouver au sein même de son avancée scénaristique les multiples facettes qui caractérisent les personnages dolaniens. Il apporte une joie naïve et innocente portée par l’espoir d’une possible amélioration avec le feel good movie centré sur le personnage de Steve sans oublier les tenants sociaux qui pèsent sur les épaules de Diane. Avec ce balancement, Dolan parvient à faire une œuvre teintée d’une mélancolie solaire qui atteint son paroxysme au moment où Diane fantasme dans une image papier-glacé la vie que son fils n’aura pas lors de la deuxième ouverture de l’écran 1:1.

Mommy, Xavier Dolan

Le cinéaste québécois sublime les aspirations de ses personnages en les enchevêtrant dans un format atypique au cinéma : un carré 1:1. Ce qui aurait pu être uniquement un coup marketing devient un moyen de sublimer le cinéma dolanien en amenant le regard humaniste du réalisateur au sein même de l’image. Avec Mommy, il se refuse une esthétisation accessoire en focalisant son cadre sur des personnages qui essentiellement filmés en portrait deviennent des figures saintes. Une transfiguration qui fait surtout sens lorsque Diane (Marie-Madeleine) et Kyla (la Vierge Marie) portent Steve (Jésus) après sa tentative de suicide dans le supermarché. Xavier Dolan trouve dans ce format un nouveau langage filmique par l’ouverture de son format carré à deux reprises. Cette audace sensationnelle cache pourtant une dure ironie tragique en faisant s’entrechoquer deux scènes parfaitement contradictoires. La première ouverture est amorcée par Steve dans un moment d’extase qui unit pleinement les trois protagonistes. Elle indique un espoir d’un renouveau. La deuxième se repose sur les pensées de Diane qui vagabondent en imaginant la vie parfaite qu’elle n’aura jamais. Elle sait qu’elle a déjà vécu l’apogée de sa relation avec son fils et que cette accalmie ne fait que retarder l’inévitable.

Mommy, Xavier Dolan

« Les sceptiques seront confondus » clame Diane, face caméra, au début de Mommy en s’adressant aussi bien à son interlocutrice, à elle-même et aux spectateurs indécis. Cette phrase est clé dans le cinéma dolanien aussi bien parce qu’elle n’excuse aucun des partis pris du cinéaste et parce qu’elle montre les prouesses d’écriture de Dolan qui parvient à créer un langage propre à ces personnages. Sa quête du réel, mais d’un réel au niveau émotionnel, s’exprime avec splendeur dans le maniement de la langue. Elle marque un écart entre l’être et le paraître des personnages à l’image de Diane qui semble ici citer un grand auteur ou de Steve qui répète « ça paye pas de mine » comme pour se convaincre lui-même lorsqu’il découvre l’appartement. En plus de construire le langage (le fameux « entregent » de Diane), Xavier Dolan crée son propre langage filmique qui forge sa singularité au fur et à mesure qu’il livre des œuvres époustouflantes.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆☆ – Chef d’oeuvre 

Adieu au Langage : Adieu à Godard

Adieu au Langage, Jean-Luc Godard

67e Festival de Cannes
Prix du Jury

Est-il seulement envisageable de rester indifférent à la dernière œuvre de Jean-Luc Godard, Adieu au Langage ? Face à cet objet filmique, le spectateur ne peut choisir qu’entre l’hermétisme (ma position) ou la soumission au génie « supérieur » de Godard. En maître à penser du cinéma français, le cinéaste qui souhaite annihiler tout sens autre que celui de l’image oublie néanmoins la signification que représente le mot « Godard ». Il symbolise la quintessence de l’auteur et entoure sa personne d’une sacrosainteté qui résume les critiques à « tu n’aimes pas Godard, tu n’aimes pas le cinéma ». J’espère alors que comme moi vous serez faire preuve d’une distanciation entre la filmographie d’un génie et une œuvre précise. Il est certain qu’Adieu au Langage n’aurait pas foulé le tapis rouge cannois, n’en serait pas parti avec un prix du jury et n’aurait pas été encensé par les critiques s’il avait été réalisé par un inconnu. C’est le fait d’être rendu aveugle par la carrière triomphante de Godard (A bout de souffle, Le Mépris, Masculin/Féminin, Pierrot le Fou) ou la volonté de lui rendre hommage qui maintient l’illusion que Godard est un Midas de l’image, faisant de l’or même avec ses erreurs.

Adieu au Langage, Jean-Luc GodardAdieu au Langage se veut être le manifeste d’une vision contemporaine du rapport à l’image : celui de l’image en soi et pour soi. Jean-Luc Godard établie alors le lien manquant entre le cinéma et l’art vidéo. Le but est alors de débarrasser l’image de son superflu, le langage, qui altère le sens de l’image. Il découpe ainsi son œuvre en deux parties : la nature, ce qu’est l’image, et la métaphore, ce que l’image peut devenir en s’associant avec d’autres. Adieu au Langage s’inscrit alors dans la lignée du cinéma soviétique de Eisenstein où l’image est à la fois le signifiant et le signifié. Godard retourne  à une sorte de genèse poétique du cinéma où l’image n’est plus qu’un moyen d’illustrer un scénario mais est pleinement l’expression d’un mouvement et d’une force propre au cinéma. Le projet filmique se résume parfaitement dans l’unique audace de Godard : la captation 3D reposant sur deux caméras, il filme une scène où deux personnages parlent lorsque l’un bouge et est suivit par l’une des caméras ; se superpose à l’écran les deux images supprimant pour la première fois dans la vie du spectateur le hors-champs d’une conversation habituellement tributaire du champs/contre-champs. L’image est alors supérieure au récit, supérieur à l’esthétique.  Le projet est honorable, ambitieux et surtout aurait pu être captivant. Alors, qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans Adieu au Langage ?

Adieu au Langage, Jean-Luc GodardC’est d’abord le manque de radicalité qu’assume Godard. S’il détruit le récit classique (« je hais les personnages » scande la femme), le cinéaste ne peut s’empêcher de superposer à ses images un récit ubuesque – voire ridicule – pour amener ses thématiques. Il échoue alors à sa propre pensée ne pouvant finalement pas se résoudre à la simple signification que procure le montage. S’installe alors une « romance » métaphysique entre un homme et une femme avec en toile de fond l’errance d’un chien abandonné par ce même couple à une station essence. Il ne peut se découdre à complètement détruire la structure même du cinéma et se heurte ainsi à l’idée paradoxale de faire fusionner au sein d’une même image un concept et la critique de ce dernier.

Adieu au Langage, Jean-Luc GodardJean-Luc Godard critique ainsi le rapport de l’homme au langage : la supériorité de l’homme, si elle existe, ne tient pas dans le langage comme semble le montrer les multiples (et lassantes) scènes portant sur le chien, symbole d’une animalité bienveillante. Cependant comment prendre au sérieux un destructeur du langage qui n’use finalement que de citations ? Entendons-nous bien qu’il est possible de critiquer le langage par le langage, c’est ce qu’à admirablement réussi Ozu dans son sublime Bonjour (1959) dans laquelle il montre l’uniformisation, et donc la fadeur, du langage dans les sociétés modernes. Dans le cas de Godard, cela ne peut fonctionner car il déconstruit le langage au profit de quelque chose, l’image, et que finalement il ne peut se résoudre qu’à déblatérer des citations philosophiques pseudo-provocatrices dans un souci de provoquer un choc qui n’arrivera jamais tant la contradiction d’Adieu au Langage est présente.

Adieu au Langage, Jean-Luc Godard

Enfin, l’erreur de Godard est de toujours chercher la provocation par le subversif. Adieu au Langage devient ainsi un fourre-tout de ce qu’on ne voit habituellement pas au cinéma mais que Godard ose, quant à lui avec l’audace qu’il pense avoir, montrer à un spectateur qui doit tressaillir de voir enfin l’indicible. Or l’échec est double ! D’un côté parce que le subversif ne l’est finalement pas : l’ombre d’une caméra sur un parking, l’utilisation de mauvais rushs, la fin de la netteté de l’image, le rapport à la nudité. Rien ne prend puisque finalement rien n’est très novateur pour le spectateur contemporain. D’un autre, parce que la gratuité de son procédé détruit l’envergure de ces critiques notamment celles sur l’égalité entre les sexes proférées par une actrice devenue une femme-objet toujours nue contrairement à son homologue masculin qui bien que nu ne dispose pas de la même attention de la part de la caméra de Godard.

Adieu au Langage, Jean-Luc Godard

L’œuvre de Godard peut se résumer par ces scènes où le couple discute pendant que l’homme défèque. Le « maître » se rapproche alors plus du subversif bas-de-gamme des comédies américaines que des manifestes artistiques. Adieu au Langage est une masturbation intellectuelle qui amène l’idée justement que le langage est la clé, au moins celle qui permet de ne pas perdre Godard.

Le Cinéma du Spectateur
✖✖✖✖✖ – Nul

La Grande Bellezza : Critique Critiquable

La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino

66e Festival de Cannes (2013)
Compétition Officielle

La Grande Bellezza est une œuvre nostalgique du rayonnement passé de l’Italie. Paolo Sorrentino filme autant les visages de l’Italie d’aujourd’hui que les statuts qui sont les seuls vestiges du glorieux passé. Le long-métrage est alors une critique de la société italienne actuelle qui court vers la vacuité de la vie, vers son insignifiance et le néant de l’intellect. Paolo Sorrentino se fait alors le porte-parole à travers Jep (Toni Servillo, son alter-égo) de cette volonté d’endiguer cette descente dans l’enfer morale. Ainsi dans les fêtes romaines, les intellectuels sont mis au même niveau que les ex-stars de téléréalité à la dérive. On y croise également une jeunesse qui croit aveuglément et absurdement en elle pensant qu’elle peut rebondir dans tous les domaines. La copine utilisatrice de Romano est la représentante de cette jeunesse folle qui voit son échec dans le cinéma comme une manière d’écrire un livre « proustien » comme-ci tout était acquis et possible. Le talent n’est plus qu’un leurre. Sorrentino se penche également sur l’insipide scène artistique contemporaine qui prône le concept à outrance cherchant plus la provoque que le sens. L’art fonce dans le mur littéralement chez Sorrentino et est mis devant le mur par le personnage de Jep Gamberdella qui montre la vacuité de l’art qui se joue devant lui par une artiste pleurnicharde ne pouvant définir le mot « vibration » qui semble pourtant être au centre de  son art.

La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino

Le monde mondain dont Jep est censé être le Roi repose ainsi sur le paraître et donc sur l’argent qui peut le générer. Argent devient une fin en soit, un mode de vie et même un métier pour le personnage de Trumeau : « Tu fais quoi comme métier ? », « Moi, je suis riche ». Ainsi, la perte de cette dernière entraîne la perte du prestige et la fin d’une place dans la société comme le montre ses « Nobles à Louer » qui clôt la nostalgie d’un âge d’or avec la fin d’une « vraie » noblesse. Les dettes sont le fruit d’actions dérisoires comme des passages chez le coiffeur.

La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino

Mais c’est également une critique morale que fait Paolo Sorrentino dans laquelle même l’Eglise prend part à la dépravation de la société à l’image de cette nonne qui paye 700 euros pour se mettre du botox  ou encore du couple prêtre/sœur qui dîne au champagne cristal dans un Palace. Le Cardinal, sans doute le futur Pape, évite d’ailleurs des questions sur la foi en dérivant sur des interminables recettes de cuisine. Le seul vestige de la Foi catholique se trouve dans une Nonne, bientôt sanctifiée mais déjà momifiée, de 104 ans. Elle expliquera sans doute l’absence de pauvreté chez Sorrentino par cette magnifique phrase : « Je me suis mariée avec la Pauvreté, et la Pauvreté ne se raconte pas ». Elle est donc à l’image des monuments de Rome les ruines d’un passé prestigieux et moral qui se dissipe dans les fêtes outrancières de la jet-set intellectuelle.

La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino

Si le film est rempli de fulgurances scénaristiques de Sorrentino – surtout lorsqu’il met ses personnages au pied du mur, face à leur contradiction -, La Grande Bellezza est le film de l’arroseur arrosé. Il est curieux de se rendre compte que le cinéaste italien fait une critique de son propre cinéma : outrancier, pompeux, complaisant. Il est regrettable de voir un cinéaste qui s’engage contre la vacuité de l’existence vendre si déplorablement son image à la marque Martini qui orne de manière outrancière les plans. De plus, Sorrentino n’utilise finalement qu’un mouvement de caméra avançant de biais (du haut céleste vers le bas des hommes) au ralenti pour donner au lieu une maestria qui agace. Il devient alors un cinéaste aux faux airs de salvateur narcissique derrière son personnage alter-égo. Une volonté presque biblique qui dérive sur une sorte de Noé présentant girafe et flamands.

La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino

Paolo Sorrentino se perd d’ailleurs dans la contemplation de Rome. A la manière de Woody Allen dans To Rome with Love (2012), le cinéaste penche trop souvent vers le film-touristique se perdant dans les monuments, les présentant à la manière d’un office du tourisme. Il se perd dans la lassante beauté de Rome qui aurait, sans exagération aucune de la part du cinéaste, fait faire une crise cardiaque à un touriste japonais. Il répond également à ses propres fantasmes de cinéastes ne tentant même pas de les incorporer dans son récit comme la rencontre au détour d’une rue avec Fanny Ardant.

La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino

La Grande Bellezza est sauvé par ses scènes où Sorrentino se rapproche des grands cinéastes italiens et réussi par le dialogue à montrer la vacuité de son sujet. Mais c’est dans l’enveloppe qu’il met autour de son propos qu’il se perd, s’affadie et devient le sujet même de sa critique. Paolo Sorrentino aurait pu réaliser une œuvre magistrale, mais il se contentera à cause de son style pompeux d’une œuvre dans le souvenir de certaines scènes sauvent un tout bien trop bancale.

Le Cinéma du Spectateur

Note : ☆☆☆✖✖ – Bien

Only God Forgives : In the Mood for Blood

Only God Forgives, Nicolas Winding Refn66e Festival de Cannes (2013)
Compétition Officielle

Only God Forgives est un film tournant. Après le sensationnel Drive (2011), Nicolas Winding Refn doit montrer qu’il n’a pas eu une fulgurance artistique mais qu’il mérite sa place de réalisateur virtuose (prix de la mise en scène au 64e Festival de Cannes) amené à devenir grand parmi les Grands. Ce qui frappait dans son précédent long-métrage outre sa mise en scène, c’est l’univers visuel qu’il avait su mettre en place pour captiver son spectateur. Conscient de la nécessité de créer un nouvel univers visuel et sonore, Winding Refn installe son film dans une Thaïlande nocturne dans laquelle les néons éclairent les dragons récurrents qui ornent les murs. Cherchant l’esthétique des lieux à la manière de Wong Kar-Wai dans In the Mood for Love (2000), le réalisateur danois crée un labyrinthe de couloirs dont les fenêtres et les portes ne sont pas des sorties mais des moyens d’enfermer ses personnages au sein même de l’image.La seule porte de sortie est celle qui mène à Dieu : la mort. Il livre des images assurément belles mais qui flirtent parfois avec la surenchère voire le bling-bling. Les images de Only God Forgives sont pesantes et enferment le film dans un cocon factice qui au lieu de servir le film perd le spectateur dans une orgie d’effets. L’alliance du kitsch asiatique et de la modernité des éclairages fascinent certes mais l’écrin à tendance à gommer le fond.

Only God Forgives, Nicolas Winding Refn

Avec son nouveau long-métrage, Nicolas Winding Refn pousse à son paroxysme le film de vengeance. La mise à mort du frère de Julian (Ryan Gosling) après qu’il est violé et tué une jeune fille de 16 ans est le point de départ d’une spirale infernale de règlement de comptes, le pardon n’étant pas terrestre (« seul Dieu pardonne »). La question de la moralité ne se pose pas et aux actes de son fils, Crystal (Kristin Scott Thomas) répondra froidement « il avait ses raisons ». L’importance n’est pas l’acte, mais celui qui l’a fait. C’est donc dans une société nocturne et violente que prend place cette valse macabre dans les bordels de Bangkok. La violence semble dans la société thaïlandaise de Winding Refn monnaie courante, les prostituées sont même mises en garde : « Gardez les yeux fermés quoi qu’il arrive ». Les yeux fermés, elles deviennent aussi impassibles que des statuts face à la souffrance humaine. Winding Refn amène un décalage burlesque avec ce policier qui après ses mises à mort chantent des chansons à l’eau dans rose dans un karaoké. C’est d’ailleurs par ce personnage de policier censé être symbole de l’ordre social que la violence semble le plus ancrée dans la société. Il prend part au règlement de compte comme un mafieux.

Only God Forgives, Nicolas Winding Refn

Le cinéaste danois se révèle brillant justement dans ces scènes de torture. Dans un cinéma et une société dans laquelle la violence est de plus en plus banalisée, il parvient à créer une tension extrême dont l’intensité est rare. La jouissance provient de sa volonté de ne pas baser sa violence sur la suggestion mais sur la vision directe des actes commis par ses personnages. Le spectateur s’accroche alors pour ne pas détourner le regard des exactions qui prennent place sur l’écran. Il distord le temps et l’allonge dans des scènes de torture qui dépasse l’entendement et qui montre le talent de mise en scène de Winding Refn. Pas de pitié et pas de dentelle, chez ses personnages. C’est cette froideur qui séduit. Une froideur à laquelle le spectateur prend part puisque le réalisateur coupe le son des supplications des victimes montrant ainsi la vacuité de demander à des bourreaux une clémence qui n’arrivera jamais.

Only God Forgives, Nicolas Winding Refn

Only God Forgives n’est pas un long-métrage à la gloire de Ryan Gosling mais plus à celle de Kristin Scott Thomas. Elle est la représentation même de ce monde violent dans laquelle la notion de justice n’est que le fruit de la parole impulsive de l’homme. Cette mère castratrice et vulgaire dont l’ambiguïté laisse présager des sorties du rôle maternel se place en caïd dans un monde d’hommes. Kristin Scott Thomas livre une prestation mémorable qui relègue Ryan Gosling à un simple rôle de gravure de mode.

Only God Forgives, Nicolas Winding Refn

Only God Forgives ne fait pas écho à la maestria de Drive car il est empreint d’une volonté palpable de faire mieux, de dépasser l’indépassable. Nicolas Winding Refn tombe dans la surenchère essayant vainement par des effets de style de mettre de la poudre aux yeux du spectateur mais celle-ci se révèle rapidement estampable. Only God Forgives est loin d’être un mauvais film, mais il repose plus sur une volonté d’aller vainement plus loin que sur une réussite scénaristique accentué par une mise en scène géniale comme pour Drive. 

Le Cinéma du Spectateur

Note : ☆☆☆✖✖ – Bien