Les 10 films de 2020 : L’exaltation du Présent

L’analyse du TOP 10 de 2019 se clôturait sur la cristallisation d’un désir cinématographique, doublé d’une urgence sociale, de voir émerger une résistance politique et poétique. Le cinéma aura auguré l’ampleur nouveau des frictions sociales en cours et fantasmer la réussite, libératrice et vengeresse, des luttes à venir. L’année 2020, marquant le déclassement politique de la culture orchestré par un gouvernement aveugle, entraîne le glissement des luttes de l’écran à la rue, dans une même ardeur et autour de figures révolutionnaires issues du rang des dominé.e.s. Le monde du cinéma a connu le même basculement vers les voix dominées : lorsqu’il n’aura pas été contraint de s’exporter vers des plateformes VOD ou de streaming, le cinéma s’est maintenu derrière l’étendard de l’indépendance. Dépouillé des mastodontes, il a brillé à travers des ilots artistiques alternatifs – sortant des habituels cadres de production, de distribution et surtout de médiatisation. Il aura fallu attendre le silence forcé des blockbusters pour voir émerger, auprès du grand public, une myriade de distributeurs indépendants acharnés, de premiers long-métrages remplis de vie et d’œuvres réalisées par des femmes. 2020 n’est pas une année oubliable, mais bien une année où les dominé.e.s ont fait exister, par leurs voix et leurs imaginaires, une vitalité politique et culturelle.

Les discours cinématographiques en 2020 se sont resserrés, à l’instar de nos réalités confinées sans horizon, sur le temps présent pour en célébrer la beauté existentielle (Eva en Août de Jonás Trueba), l’absurdité politique (Énorme de Sophie Letourneur) ou encore l’implacable vérité (Days de Tsai Ming-liang). La fiction cinématographique a réinterprété son rapport au présent, comme temporalité inflexible et oppressive par essence – notamment pour les femmes, d’Eliza Hittman (Never Rarely Sometimes Always) à Melina León (Canción sin nombre). À partir de ce constat, le présent s’appréhende soit comme une mécanique impitoyable (Uncut Gems des frères Safdie) soit comme une parenthèse émancipatrice du réel (La femme qui s’est enfuie de Hong Sang-soo). Dans cette minutieuse dissection de notre époque, le présent renoue enfin avec sa force incontestable et son souffle contestataire occultés par la morosité fascisante imposée par les gouvernants. Les luttes populaires (Un pays qui se tient sage de David Dufresne), politiques (City Hall de Frederick Wiseman) et personnelles (Petite fille de Sébastien Lifschitz) ont su mettre en lumière et en actes les utopies qui les traversent. Se réconciliant avec une corporéité égarée, ces luttes ont interrogé politiquement le corps comme espace dichotomique entre désir sexuel et lieu d’oppression économique (Douze Mille de Nadège Trebal), comme espace de vulnérabilité sensorielle et mentale (Si c’était de l’amour de Patric Chiha) ou encore comme espace d’une vitale et protéiforme socialisation (Playing men de Matjaž Ivanišin).

Dans le lien implicite que l’esprit humain construit entre présent et réel, le cinéma trouve sa vocation première en transcendant les deux dans une quête émancipatrice vers le poétique. Ce ré-enchantement se caractérise par la capacité de l’art cinématographique à mettre en images (et donc à rendre tangible) les interstices du réel où spiritualité (Kongo de Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav) et surnaturel (Ondine de Christian Petzold) se brouillent et apposent ensemble un mystère propice à la réflexion sur les strates du présent. Or, c’est justement par cette conscience du présent, comme temps qui s’écoule inlassablement, que l’être humain écrit et planifie sa propre existence – à l’instar de la malédiction affectant le protagoniste de Tu mourras à 20 ans d’Amjad Abu Alala. De ces récits mémoriels, les cinéastes construisent des œuvres poétiques, car libérées de toute contrainte réaliste (annihilant tout discours idéaliste ou métaphysique), qui réinvestissent le passé (La Métamorphose des oiseaux de Catarina Vasconcelos) ou la psyché (Los Conductos de Camilo Restrepo) de toute sa puissance signifiante.

Le classement qui suit prend en compte les œuvres sorties en 2020 à la fois en salles et sur les plateformes de VOD ou de streaming. De plus, il considère également les œuvres vues en festival dont la sortie en France, faute de distributeurs intéressés, reste encore incertaine.

10. La femme qui s’est enfuie,
Hong Sang-soo
(Corée du Sud)

La femme qui s'est enfuie, Hong Sang-soo (Corée du Sud)

9. City Hall,
Frederick Wiseman
(États-Unis)

0365670.jpg-r_1024_576-f_jpg-q_x-xxyxx

8. Ondine,
Christian Petzold
(Allemagne)

undine-film-stadtplan

7. Si c’était de l’amour,
Patric Chiha
(France)

3134971.jpg-r_1024_576-f_jpg-q_x-xxyxx

6. Séjour dans les monts Fuchun,
Gu Xioagang
(Chine)

2280267.jpg-r_1024_576-f_jpg-q_x-xxyxx

5. Los Conductos,
Camilo Restrepo
(France, Colombie)

403728

4. Kongo,
Hadrien La Vapeur & Corto Vaclav
(France, République du Congo)

1429385.jpg-r_1024_576-f_jpg-q_x-xxyxx

3. Douze Mille,
Nadège Trebal
(France)

1416328.jpg-r_1024_576-f_jpg-q_x-xxyxx

2. Eva en Août,
Jonás Trueba
(Espagne)

1162087.jpg-r_1024_576-f_jpg-q_x-xxyxx

1. La Métamorphose des oiseaux,
Catarina Vasconcelos
(Portugal)

1488579

Le Cinéma du Spectateur

Mignonnes : À la frontière de l’intention

70e Festival de Berlin
Mention spéciale du jury – Génération
Sortie nationale le 19 août 2020

Dans Mignonnes, la frontière entre dénonciation de l’hypersexualisation des jeunes filles et reproduction des poncifs archétypaux sur le sujet est ténue. Afin de rendre son œuvre sur-signifiante sur la question autant formellement (le clip comme forme d’expression « jeune ») et scénaristiquement (questionnement sur la place de la femme dans une société patriarcale), Maïmouna Doucouré sacrifie la riche complexité de la nuance afin de présenter un réel binaire. À travers le récit initiatique d’Aminata (« Amy »), Mignonnes revendique une liberté du corps féminin devant s’émanciper à la fois d’un regard (pédo)pornographique machiste et d’un assujettissement religieux. Entre le visionnement de vidéos sexuellement explicites et le discours théologique sur la place des femmes, Amy (Fathia Youssouf) intériorise une vision diabolisée du corps féminin – qui devra aller jusqu’à l’exorcisme. Le vêtement devient alors la pièce maîtresse du discours de la cinéaste qui en fait le symbole d’une libération sexuelle et identitaire faussée s’opposant à la rigidité d’une robe traditionnelle apportée pour le second mariage de son père (se teintant de sang lors d’une séquence onirique).

1319417.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx

         Néanmoins, Mignonnes repose sur la dichotomie passéiste entre d’un côté la femme puritaine (religieuse) et de l’autre la femme putain (« occidentalisée »). Maïmouna Doucouré reproduit alors sa propre critique en proposant une vision radicalement binaire de la femme qui ne peut qu’être garante de la moralité (par le rôle de la « tante ») ou signe de perdition (Amy). L’émancipation tardive de Mariam, la mère d’Aminata (Maïmouna Gueye), par rapport à la « tante » ne permet pas de sortir de cette dualité féminine. Le montage alternant les plans d’une prière musulmane, féminine et collective, et ceux d’une vidéo de danse sexualisée, qu’Amy regarde sous son voile, démontre la vision non-poreuse de la femme amorcée par la cinéaste. Sans véritablement offrir de troisième voie (ou du moins de personnages féminins moins archétypaux), Mignonnes ne reste finalement qu’une illustration plutôt que d’être un véritable manifeste politique et féministe.

Mignonnes, Maïmouna Doucouré (France, 2020)

         Reprenant la trame scénaristique de son court-métrage Maman(s) – césarisé en 2017 – par l’arrivée prochaine d’une seconde épouse, Mignonnes ne présente la tradition qu’à travers le prisme de l’oppression nécessitant, pour Aminata, une fuite vers des codes occidentaux et machistes. D’une part, cette fuite de la communauté dissimule l’apport moral et social de ces communautés religieuses et/ou associatives pour les personnes issues de l’immigration et ce d’autant plus pour les femmes. L’inexistence de ce soutien (en dehors de celui moralisateur de la « tante ») questionne dans cette volonté de confronter gratuitement les possibilités de l’échiquier identitaire d’Amy en rejetant l’idée non-manichéenne d’une identité simplement multiple. D’autre part, la critique de Maïmouna Doucouré s’étiole en choisissant comme solution finale le fait que la protagoniste est encore trop jeune pour subir ces questionnements identitaires et sexuels. En dehors de la conclusion enfantine de Mignonnes, la cinéaste minimise ses propres enjeux féministes en les cachant derrière des problématiques éculées et hors propos qu’il s’agisse du fait que Amy cherche désespérément des ami.e.s ou que Angelica tente d’attirer l’attention de parents distants. Elle ne pointe jamais l’essence même des pouvoirs de domination qu’ils impliquent.

1333457.jpg-Mignonnes, Maïmouna Doucouré (France, 2020)-f_jpg-q_x-xxyxx

Mignonnes s’égare aussi lorsqu’il proteste contre la sexualisation des jeunes filles. En illustrant uniquement par le biais d’une mise en scène redondante la sexualisation d’une enfant de 11 ans, Maïmouna Doucouré ne questionne aucunement le regard qu’elle conteste – le male gaze – mais en reproduit les problèmes et son indigence. Cette candeur face à la mise en place d’un discours « politique » par sa simple reproduction, voire son outrancière amplification, se rencontre principalement dans l’omission des véritables enjeux de censure du corps féminin dans l’espace public. L’intrigue de l’œuvre avance à deux reprises par le biais des réseaux sociaux : lorsqu’Amy découvre une vidéo des danseuses rivales finissant par le dévoilement, faussement ingénu, d’un sein faisant de la sexualité un moyen de médiatisation ; et lorsqu’Amy poste une photographie de son vagin sur Instagram (non-censurée) pour palier à sa réputation d’ « enfant » suite à l’apparition de sa culotte. Ces deux « bouleversements » sont rendus caducs par l’ignorance, dans le film, de la censure imposée au corps féminin sur les réseaux sociaux – le personnage de Coumba disant à Amy d’aller voir les commentaires sous sa photographie des jours après sa publication n’offre aucune réflexion sur la censure imposée au corps féminin et à la pédopornographie.

mignonnes-film

         Paré d’intentions louables, Mignonnes de Maïmouna Doucouré est finalement une œuvre assez inoffensive qui en se focalisant que sur le ressenti du personnage d’Aminata ne parvient pas à aller au-delà de la simple démonstration d’enjeux la dépassant. L’œuvre manque cruellement d’une subtilité qui aurait évité l’imposition artificielle d’un dilemme « cornélien » à son héroïne partagée entre deux modes de vies se retrouvant maladroitement sur la même tranche horaire d’une matinée lambda – d’un côté une audition de danse, de l’autre les préparatifs du deuxième mariage de son père.

Le Cinema du Spectateur
☆ – Mauvais

Les 10 films de 2019 : L’art de la fièvre

À l’image des plans de Vitalina Varela, une nuit éternelle s’étend insensiblement, telle une malédiction, sur les différents protagonistes de 2019. Du sombre bidonville de Fonthainas chez Pedro Costa à une cité post-industrielle grisâtre du nord de la Chine chez Hu Bo (An Elephant Sitting Still), les Hommes errent dans les nimbes labyrinthiques de villes rendues vide d’espoir. Dans l’obscurité, les martyrs des mondes contemporains surgissent pour réclamer réparation, pour les femmes abandonnées de Mati Diop (Atlantique), ou narrer leurs blessures, pour les innombrables victimes des rabbins pédophiles de Bnei Brak de Yolande Zauberman (M). Face à la colère grandissante d’un monde gangrené par des inégalités systématisées, le cinéma érige en prophète les marginaux afin de bousculer l’ordre établi. Du Joker de Todd Philips au Les Misérables de Ladj Ly, la violence devient l’unique réponse politique d’un corps-cité qui joue, de manière anarchique, avec la peur bourgeoise de la foule discutablement théorisée par Gustave Le Bon (1895) et immanquablement réactivée par des pouvoirs politiques de plus en plus autoritaires.

Sans concession politique ou idéologique, les œuvres les plus percutantes de 2019 ont décortiqué les mécanismes pervers d’une Histoire écrite par des vainqueurs amnésiques (la participation de l’État roumain à la déportation des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale dans « Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares » de Radu Jude) ou par des humanistes factices (la radiographie en parallèle des sociétés israélienne et française dans Synonymes de Nadav Lapid). Dans Still Recording, Saeed Al Batal et Ghiath Ayoub déconstruisent l’instrumentalisation des corps syriens, autant par le régime assadien que par les médias occidentaux, et témoignent d’une nation qui cherche avant tout à se réconcilier avec elle-même. Toutes ces œuvres cristallisent un désir, voire une urgence, de revoir émerger une résistance politique et poétique au sein d’un cinéma mondialisé souvent misérabiliste et vide.

10. Asako I&II,
Ryusuke Hamaguchi
(Japon)

Asako I&II, Ryusuke Hamaguchi (Japon)

9. Les Misérables,
Ladj Ly
(France)

Les Misérables, Ladj Ly (France)

8. Still Recording,
Saeed Al Batal & Ghiath Ayoub
(Syrie)

Still Recording, Saeed Al Batal & Ghiath Ayoub (Syrie)

7. Joker,
Todd Phillips
(États-Unis)

Joker, Todd Philips (États-Unis)

6. An Elephant Sitting Still,
Hu Bo
(Chine)

An Elephant Sitting Still, Hu Bo (Chine)

5. Atlantique,
Mati Diop
(Sénégal)

Atlantique, Mati Diop (Sénégal)

4. Synonymes,
Nadav Lapid
(France, Israël)

4310430.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx.jpg

3. « Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares »,
Radu Jude
(Roumanie)

Peu m'importe si l'histoire nous considère comme des barbares, Radu Jude (Roumanie)

2. M,
Yolande Zauberman
(France)

M, Yolande Zauberman (France)

1. Vitalina Varela,
Pedro Costa
(Portugal)

Vitalina Varela, Pedro Costa (Portugal)

Le Cinéma du Spectateur

 

Les 10 Films de 2018 : Les Chimères du Présent

 

10. High Life, Claire Denis
(France)

Dans le cinéma de science-fiction, High Life s’affilie à un grandiose minimalisme, de Solaris (Tarkovski, 1972) à Under the Skin (Glazer, 2014), qui permet, par la pure mise en scène, une ouverture transcendantale. Prêchant l’abstraction, Claire Denis se libère d’un carcan scénaristique traditionnel pour atteindre l’hypnose. Prônant l’extase sensorielle, la cinéaste française juxtapose la fascination et la répulsion, le lyrisme et le prosaïsme, le vide et le trop-plein. Sous les enjeux de filiation de ces détenus utilisés pour des expériences de procréation en milieu spatial, High Life dresse le portrait d’une humanité sans idéal ni espérance errant dans l’espace comme dans le temps. Chérissant le détour, elle brouille la temporalité de son récit pour suivre le fil d’Ariane d’une folie latente sans cesse repoussée par un père flegmatique, Robert Pattinson, résigné à survivre sans certitude ni désir.

High Life, Claire Denis

9. Mektoub, My Love : Canto Uno, Abdellatif Kechiche
(France)

Mektoub, My Love : Canto Uno est la quintessence du cinéma d’Abdellatif Kechiche : une malicieuse candeur sculptée par le cadre d’une caméra qui absorbe en permanence les corps et les émotions pour les transcender et les ennoblir. Dans ce sixième long-métrage, il se libère d’une négativité mécanique qui déterminait ses personnages à l'(auto)destruction. Sur les plages de Sète, l’art de Kechiche devient vitaliste au contact de ces adolescents, à l’hédonisme et à la sexualité assumés. Le cinéaste appréhende, avec une rare justesse, cet âge comme une perpétuelle confusion entre vacuité et sublime. Il saisit l’ivresse d’une jeunesse en quête d’un mouvement qu’il accompagne, sans cesse, jusqu’à l’enivrement à la manière de cette scène étourdissante de volupté et d’excitation dans une boîte de nuit. Ode à la sensualité, Mektoub, My Love : Canto Uno est un conte d’été sans morale puisque marchant impétueusement vers l’émancipation et la liberté.

Mektoub, My Love : Canto Uno, Abdellatif Kechiche

8. Avant que nous disparaissions, Kiyoshi Kurosawa
(Japon)

Dans la filmographie inégale de Kiyoshi Kurosawa, le sublime émerge invariablement dans le glissement du réel dans une altération fantastique. Par ses lentes imbrications métaphysiques, le cinéaste japonais abolit les frontières avec l’au-delà, qu’il s’agisse de la mort (Vers l’autre rive, 2015) ou de l’espace (Invasion, 2018). Jouant avec les codes de la science-fiction, Avant que nous disparaissions trouve dans la subtilité de son dispositif – des extra-terrestres prenant la possession d’êtres humains pour voler les concepts créés par l’humanité avant d’annihiler la planète entière – une subtile force qui annonce la fin de la civilisation avec une mélancolique terreur plus évidente et émouvante que les efforts pyrotechniques d’Hollywood. Kiyoshi Kurosawa, par la persistante obsession de l’amour, signe une fable philosophique, ubuesque et terrifiante, sur le chaos de la société et les peurs collectives qui le nourrissent.

Avant que nous disparaissions, Kiyoshi Kurosawa

7. Un Couteau dans le cœur, Yann Gonzalez
(France)

Un couteau dans le cœur est une ode graphique au Giallo, ces thrillers italiens des années 1970. À la frontière entre cinéma policier, horrifique et érotique, l’œuvre utilise, à la manière du maître Dario Argento, le fil conducteur d’une enquête comme prétexte à des expérimentations tendant vers une abstraction orgiaque. Yann Gonzalez confirme, après Les Rencontres d’après-minuit (2013), un goût pour la référence, certes, mais toujours subtilement altérée, comme pour prendre à rebours son propre cadre de représentation. S’ouvrant sur le meurtre, graphiquement morbide, d’un acteur porno gay, Un couteau dans le cœur se place directement dans la marge : une marge formelle que son cinéaste dissèque et triture (comme sur une table de montage) ; et une marge scénaristique, l’univers de la pornographie homosexuelle, qu’il hante d’une pulsion de vie et d’une envie de mort. Peu de cinéastes ont encore cette confiance, presque prosaïque, dans la force de monstration de l’image – une singularité héritée justement du cinéma pornographique qui permet cette jouissance proprement cinématographique.

Un Couteau dans le coeur, Yann Gonzalez

6. Diamantino, Gabriel Abrantes & Daniel Schmidt
(Portugal)

Les expérimentations formelles de Diamantino résonnent parmi l’avant-garde portugaise qui prêche l’immersion du poétique dans le quotidien morose du Portugal. Après l’érotique João Pedro Rodrigues (O fantasma, L’Ornithologue), le mythologique Miguel Gomes (Tabou, Les Mille et une nuits) et le romantique João Nicolau (John From), le cinéma lusophone se pare des joyaux pop du duo Abrantes-Schmidt. Entre kitsch et science-fiction, Diamantino offre un manifeste baroque au brûlot politique du Portugal. Parabole drolatique, l’œuvre choisit l’exubérance, aussi bien scénaristique que visuelle, comme arme de destruction massive des maux intrinsèques de la nation portugaise. Une vision enchanteresse dans laquelle la béatitude se quantifie au nombre de chiens géants gambadant dans un stade de football, cathédrale moderne des espérances d’une nation ! (Critique)

Diamantino, Gabriel Abrantes-Daniel Schmidt (Portugal-Brésil, 2018)

5. Under the Silver Lake, David Robert Mitchell
(États-Unis)

Œuvre hallucinante et hallucinatoire, Under the Silver Lake est une double relecture cinématographique des polars californiens. D’une part, David Robert Mitchell modernise et déconstruit les codes du film noir par le biais d’une esthétique post-MTV. Le cinéaste navigue entre une parodie, teinté d’admiration, et une actualisation de ces codes face à une société, devenue un spectacle perpétuel, qui s’effondre dans l’ineptie et la bouffonnerie. D’autre part, Under the Silver Lake s’inscrit dans la lignée des œuvres à la Mulholland Drive (David Lynch, 2001) tout en écartant sa dimension métaphysique pour accoucher d’enjeux intrinsèquement contemporains : la lente apocalypse d’un monde en perte de sens. Se jouant d’un spectateur à la fois désillusionné et biberonné aux discours ontologiques, David Robert Mitchell oscille entre démence et véracité pour construire un territoire cinématographique encore vierge perdu entre le non-sens instinctif et la surinterprétation mécanique.

Under the Silver Lake, David Robert Mitchell

4. Les Garçons sauvages, Bertrand Mandico
(France)

Récit homérique, Les Garçons sauvages est une épopée transgenre qui décompose et redessine, avec luxure, les repères sexuels et cinématographiques. Pour son premier long-métrage, Bertrand Mandico se joue de la matière – celle des corps de ces jeunes garçons métamorphosés en femme au contact d’une île-matrice, celle de la pellicule qui foisonne de trouvailles – pour créer un univers atypique et novateur dans un cinéma français de plus en plus frileux. Par ce tourbillon pulsionnel et onirique, le cinéaste illustre une certaine imagerie sexuelle freudienne en prônant une sexualité infantile mêlant jeu (cette décadente répétition théâtrale qui ouvre l’œuvre) et la découverte du plaisir (par cette île fantasmagorique de laquelle s’échappe une semence exquise). Expérimentation à la Georges Méliès autant que récit de piraterie à la Raoul Ruiz, Bertrand Mandico renoue avec un cinéma d’avant-garde actualisé à l’aune d’un discours politique queer et libérateur.

Les Garçons sauvages, Bertrand Mandico

3. Les Âmes mortes, Wang Bing
(Chine)

Les Âmes Mortes marque la tragique mise en crise du dispositif cinématographique de Wang Bing qui, à l’accoutumée, abolit un certain didactisme documentaire (annihilation de la voix-off ou du format de l’entretien). Observateur infatigable, le cinéaste chinois expose une image sacro-sainte qui, par sa frontalité brute, révèle les gestes, au sens littéraire également, des marginaux de la Chine contemporaine. S’efforçant d’atteindre une subjectivité paroxysmique, il se heurte ici à une triple annihilation : celle des esprits orchestrés par Mao Zedong (par les mouvements antidroitiers de 1957-1958), celle des corps dans les camps de rééducation communistes, et celle de la mémoire étatique (par la destruction institutionnalisée des camps et des mémoriaux) et individuelle (par le compte à rebours biologique de ces survivants). Comment filmer ce qui n’existe plus et surtout garder ce qui est en train de disparaître ? Le documentariste façonne, à travers ses entretiens, un lieu de sépulture pour ces âmes errantes pour empêcher, indéfiniment, l’oubli souhaité par les pouvoirs politiques chinois.

Les Âmes Mortes, Wang Bing

2. Sophia Antipolis, Virgil Vernier
(France)

Dans Sophia Antipolis, Virgil Vernier traque un reliquat d’utopie dans cette réalité morose, voire sinistre. Il s’enquiert des miettes d’un paradis onirique là où l’individu, et par extension le spectateur, s’y attend le moins : dans une zone industrielle où des paons sauvages laissent derrière eux des plumes ; dans le fond d’un bus où un petit garçon propose des tours de magie ; dans une expérimentation cosmique qui se dissout dans la pellicule. En refusant tout schématisme ou misérabilisme, le cinéaste convoque les chimères du présent et renoue avec l’idéal pasolinien d’une œuvre d’intervention politique qui l’est, justement, parce qu’elle est son propre manifeste poétique. (Critique)

Sophia Antipolis, Virgil Vernier

1. Seule sur la plage la nuit, Hong Sang-soo
(Corée du Sud)

Les œuvres les plus sublimes d’Hong Sang-soo sont celles qu’il nimbe d’une douce, néanmoins amère, mélancolie amoureuse. Envahi par le spleen, le prolifique cinéaste sud-coréen renchérit le deuil amoureux de Young-hee (Min-hee Kim) d’un cortège d’actes de grâce, comme ses personnages s’agenouillant avant de traverser un pont. D’une poésie inextinguible, le cinéma d’Hong Sang-soo déconstruit, au moyen de frontières (scénaristiques) traversées par des fantômes, les liens entre le rêve et la réalité. Accordant une place à l’invisible, il poursuit sa fuite sentimentale vers les limbes d’une utopie amoureuse survivant dans les rêves, conscients ou non, de sa muse. Le cinéaste livre ainsi une éblouissante déclaration d’amour d’un territoire qui ne croit plus en l’amour.

Seule sur la plage, la nuit, Hong Sang-soo

Le Cinéma du Spectateur

Sophia Antipolis : Le Présent et le Territoire

5819495.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx

Le cinéma de Virgil Vernier se caractérise par le territoire dans lequel il s’inscrit, comme espace se définissant à la fois par son histoire (Orléans en 2013), son urbanisme (Mercuriales en 2014) ou sa sociologie (Sophia Antipolis en 2018). Cinéaste-topographe, il sonde le paysage, et la communauté qui le façonne et qui en subit les pressions, afin d’en extraire une cartographie des imaginaires, collectif et intimes. Simulant et reproduisant une réalité « documentaire » – dans le sens qu’elle repose sur un fondement extradiégétique –, le réel cinématographique de ses œuvres se forge dans la mystification d’un lieu dans lequel se déplacent et s’entrecroisent des destinées individuelles. Petit précis d’ethnographie fictif, Sophia Antipolis se livre à travers les échos et les surgissements de ses différents personnages : ces jeunes femmes sorties de l’adolescence voulant se refaire la poitrine, ces deux femmes esseulées qui se lient au travers d’une secte, ces vigiles qui forment une milice, cette jeune Sophia/Sonia dont le meurtre teinte l’œuvre, cette amie qui (se) raconte l’histoire de cette dernière.

Sophia Antipolis, Virgil Vernier

Technopôle fondée en 1969, Sophia Antipolis est un lieu sans historicité – ni vestiges d’un quelconque passé, ni possibilités d’un autre futur même abstrait. Assujettis à un présent dont la pesanteur est palpable, les personnages errent dans un espace sans mythologie ou imaginaire. Perdu dans cet temporalité sans rêve, l’un d’eux (Bruck) ne parvient pas à inventer une histoire pour endormir la petite fille de son collègue. Il ne se rappelle alors que de celles des Trois Petits Cochons que l’enfant connaît par cœur. Le choix de ce conte n’est pas anodin, tant il renvoie à cette nécessité d’un monde protégé, la maison, de toutes turbulences extérieures, le loup. Chacun construit ses propres remparts, bien souvent illusoires, pour s’accorder à la recherche généralisée de stabilité, nouvel eldorado laissé par la recherche, dénaturée et dénaturante, de perfection du siècle précédent. Emprisonnés dans un présent comme seul repère, les habitants de Sophia Antipolis cherchent à effacer les traces de changement : qu’il s’agisse de nier la fuite de sa fille, de remettre à neuf le lieu d’un crime ou d’être dégouté(e) puis interloqué(e) par le fait qu’un homme brûlé à 92 % puisse continuer à vivre comme avant.

Sophia Antipolis, Virgil Vernier

Sophia Antipolis pourchasse les stigmates d’une apocalypse sociétale. Sans recourir à la fiction, le cinéaste filme simplement les titres des différents articles de la presse qui témoignent de cette montée d’une peur pathologique et collective. Virgil Vernier interprète la perte de sens et le sentiment de vide qui gangrènent les sociétés contemporaines. Énonçant les caractéristiques d’un obscurantisme postmoderne, le cinéaste expose dans ce décor de « toc » deux tendances alarmantes. D’un côté, le choix d’un mysticisme de pacotille – reposant sur un numéro d’hypnose – créant un nouveau lieu social entre des personnes isolées, une mère dont la fille a fui, et désemparées, une femme vietnamienne errant depuis la mort de son mari français « qui avait le double de [son] âge ». De l’autre, l’exacerbation d’une violence hypothétique, peut-être même fantasmée, à l’instar de ces fausses scènes d’agression durant un cours de krav-maga. Un goût pour la violence qui s’affirme à travers les agissements de cette milice improvisée, symbole d’un retour à la loi du plus fort (ou du plus intégré socialement), dont l’un des membres porte un gilet pare-balles dont l’utilité semble spéculative.

Sophia Antipolis, Virgil Vernier

Néanmoins, Virgil Vernier traque un reliquat d’utopie dans cette réalité morose, voire sinistre. Il s’enquiert des miettes d’un paradis onirique là où l’individu, et par extension le spectateur, s’y attend le moins : dans une zone industrielle où des paons sauvages laissent derrière eux des plumes ; dans le fond d’un bus où un petit garçon propose des tours de magie ; dans une expérimentation cosmique qui se dissout dans la pellicule. En refusant tout schématisme ou misérabilisme, le cinéaste convoque les chimères du présent et renoue avec l’idéal pasolinien d’une œuvre d’intervention politique qui l’est, justement, parce qu’elle est son propre manifeste poétique.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆☆ – Chef d’Oeuvre

En attendant les hirondelles : Le « Printemps » est suspendu

0903093.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx

70e Festival de Cannes
Un Certain Regard
Sortie nationale : 8 Novembre 2017

« En attendant les hirondelles », l’Algérie espère les répercussions évaporées, si ce n’est inexistantes, des soulèvements populaires des « Printemps arabes » (2011). Ces soubresauts libertaires s’inscrivent dans le paradoxal mythe du Révolutionnaire algérien, partagé entre la gloire de l’Indépendance et le déchirement des « années de plomb ». Il ne reste alors à la société algérienne qu’à se languir, écartelée entre un passé torturé – et torturant – et un futur vacillant. C’est cette incertitude vis-à-vis de la temporalité, non-linéaire, dans laquelle s’engouffre le pays qui intéresse Karim Moussaoui. En segmentant en trois parties son long-métrage, le cinéaste orchestre une réflexion sur chaque dimension temporelle : futur, présent, passé. Dans la première partie, les proches d’un prometteur immobilier (Mohamed Djouhri) subissent la conjoncture économique défavorable qui modifie leurs projets – son fils refuse d’être médecin tandis que sa nouvelle compagne, française, ne voit son avenir qu’en France. Dans la seconde partie, Djalil (Mehdi Ramdani) se voit demander par son voisin d’accompagner sa fille (Hania Amar), celle qu’il aime, épouser un homme provincial qu’elle a choisi dans l’espoir d’une vie paisible. Enfin, la troisième partie fait resurgir les stigmates de la guerre civile à travers le destin d’une femme (Nadia Kaci) violée dans le maquis qui brise son silence pour demander de l’aide à l’un des témoins de ses malheurs, un neurologue (Hassan Kachach).

En attendant les hirondelles, Karim Moussaoui

Les personnages d’En attendant les hirondelles oscillent entre une envie de lutter et une résignation mélancolique face aux multiples maux dont souffrent l’Algérie : la corruption généralisée (première histoire), la toute-puissance du patriarcat (deuxième histoire) et l’impossibilité d’assimiler les exactions de la guerre civile (troisième histoire). Ces constats, politique ou personnel, s’expriment par le traitement de Moussaoui à travers les corps des personnages. Le cinéaste emprunte la dimension fondamentale de la corporalité aux périodes révolutionnaires. Le corps est, de manière consciente ou inconsciente, la seule arme et possession du dominé. Néanmoins, il inverse cette logique pour en faire le constat d’une société déliquescente à l’instar de la cataracte aveuglant progressivement le promoteur immobilier. Un aveuglement physique doublé d’un aveuglement moral puisque ce dernier assiste, et n’agit pas, au passage à tabac d’un homme sur un terrain en construction en pleine nuit. Ce portrait de l’Algérie à travers un corps en souffrance atteint son paroxysme avec ce petit garçon, issu de viols de « terroristes » (GIA), qui ne sait pas parler malgré son âge. Longtemps présenté hors champs, il emplit néanmoins l’œuvre par ses cris stridents – presque animal –, réminiscences des tortures de la guerre civile. Le corps, comme miroir de la nation algérienne, est l’enjeu principal d’En attendant les hirondelles, il faut le soigner pour le rendre apte à renouer avec le rythme de la vie – dont les séquences dansées marquent l’apogée.

En attendant les hirondelles, Karim Moussaoui

L’imbrication des différents récits constitue une radiographie des symptômes paralysants de l’Algérie contemporaine. Par sa mise en scène, Moussaoui insuffle à cela une dimension élégiaque, à entendre aussi bien dans son rapport à la tristesse qu’à la tendresse. Ses personnages se relaient pour entreprendre une traversée sociologique et géographique du pays : d’un intérieur bourgeois aux bidonvilles, d’un hôtel à une boîte d de nuit, etc.  S’il filme le territoire, c’est qu’il est, lui aussi, représentatif de la destinée nationale à l’instar de ses immeubles figés entre construction et abandon qui peuplent les routes d’Algérie. D’Alger aux régions plus montagneuses, En attendant les hirondelles prend le temps de voyager, de se prendre lui-même dans ses propres trajectoires. Les personnages, comme le spectateur, reprennent alors son souffle bénis par des lueurs d’espoir, comme ce fruit donné aux deux tourtereaux par un jeune paysan. Proche de la logique du cadavre exquis, le premier long-métrage de Moussaoui juxtapose des destins en réussissant à donner l’impression que la vie déborde de l’écran. En décidant de finir son œuvre par l’entrée d’un nouveau personnage qu’il ne traitera pas, le cinéaste se place du côté du temps présent, symbolisé par la marche d’un homme vers l’avant – dépassant la fiction pour s’imposer dans le réel.

En attendant les hirondelles, Karim Moussaoui

En ne choisissant pas les sirènes de l’occidentalisme et/ou du misérabilisme, Moussaoui livre une première œuvre prometteuse. Cependant, en bon élève, il doit encore se séparer parfois – et surtout dans la dernière partie – d’un didactisme et d’un goût prononcé par la rétention, purement fictionnelle, d’informations. Il ne lui reste plus qu’à s’éloigner d’un timide académisme comme lors de la plus belle scène d’En attendant les hirondelles où les deux amants se séparent portés par une séquence musicale et dansante aux milieux des terres semi-arides des Aurès. Face à l’absence de politique, il ne reste à l’Algérie que la poésie pour croire aux lendemains et voir les hirondelles, enfin, arriver !

Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆ – Bien

 

Valérian : Un futur à éviter

Valérian et la Cité des Mille Planètes, Luc Besson

L’évincement du personnage de Laureline du titre de Valérian et la Cité des Milles Planètes est symptomatique de la place réservée aux femmes dans les blockbusters. Bien que les aventures imaginées par Pierre Christin et Jean-Claude Mezières ne s’intitulent Valérian et Laureline qu’à partir de la célébration du 40e anniversaire de la série en 2007, le choix de Luc Besson impose à Laureline un rôle de subalterne. Si le personnage de Cara Delevingne tente d’apparaître comme une femme forte (puisqu’elle utilise ses poings) et moderne (puisqu’elle répond aux hommes), elle reste la marionnette de Valérien (Dane DeHaan) et par extension de Besson. Comme une poupée – qu’on habille et déshabille littéralement à sa guise dans le film –, elle ne traverse (ou plutôt défile) l’espace que pour suivre Valérian qu’il soit maître de ses actions (« je suis un soldat ») ou de son courage (qu’il le met en danger). Par opposition, elle ne sera pas victime de son courage, mais de sa naïveté, piégée par un appât en forme de papillon, pour porter l’éternel costume de la belle femme à sauver des griffes des monstres.

Valérian et la Cité des Mille Planètes, Luc Besson

La psychologie de Laureline est entachée par un processus de stéréotypisation qui la rend interchangeable avec toutes les autres femmes, notamment celles du tableau de chasse qu’arbore le personnage de Valérian au début du film. Cette « playlist » établit d’ailleurs, dans son traitement par Laureline et Valérian, une distinction entre une sexualité masculine prônant le plaisir charnel et une sexualité féminine restreinte par l’horizon marital. Le fil conducteur de Valérian repose sur la capacité d’une femme à changer un Don Juan en mari idéal (« celui qui effacera sa playlist pour moi »). Mais, l’apothéose de la vision dénaturante de la femme provient de la reconnaissance de Laureline par son caractère hystérique. Alors que Valérian et Laureline tentent de joindre le QG depuis une capsule spatiale de notre époque, elle est reconnue par ses supérieurs uniquement par son manque de contenance. La vision de la femme qui se dégage de l’œuvre est d’autant plus douteuse que Luc Besson se sert du second degré – montrant ainsi qu’il en a lui-même conscience – pour cacher son sexisme.

441824.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx

Valérian est un long-métrage à paradoxe présentant à la surface des valeurs que son traitement scénaristique déconstruit. La seconde partie du titre, « la cité aux mille planètes », prédit une effervescence d’espèces chacune accompagnée de ses propres caractéristiques physiques et culturelles. Pourtant, l’œuvre se révèle humano-centrée tant dans son scénario que par ses codes de représentations. La séquence d’ouverture – censée présentée l’union des peuples de l’espace autour de la station spatiale internationale – amorce, par le geste de la poignée de main, l’anthropomorphisme qui aplanira les richesses d’un espace longuement fantasmé. Il suffit de se pencher sur l’apparence des « Pearls », chaînon manquant entre les Na’vi de James Cameron (Avatar, 2009) et l’homme, pour entériner le manque d’audace de l’univers de Valérian.

Valérian et la Cité des Mille Planètes, Luc Besson

Ce modelage de l’Autre sur les codes humains est problématique quand il reproduit les schémas racistes de nos sociétés contemporaines. L’exotisme, même dans l’espace, s’inspire des sociétés arabes à l’instar du marché gigantesque et chaotique offrant une scène d’actions sur plusieurs dégrées de réalité visuellement maîtrisée. Ce rapprochement entre arabe et barbare s’intensifie, jusqu’au malaise, lorsque la musique (composée par Alexandre Desplat) emprunte des sonorités arabes pour accompagner le portrait d’une société – la no-go zone d’Alpha – dictatoriale, sanguinaire et arriérée. Cet humano-centrisme est d’autant plus navrant que Valérian et la Cité des Mille Planètes ne trouve un intérêt qu’à travers le seul personnage qui s’en écarte : Bubble (Rihanna, rafraîchissante), une extraterrestre strip-teaseuse pouvant changer d’apparences. À travers cette capacité, Luc Besson questionne l’identité dans un univers qui, sur le papier uniquement, voit ses moyens et ses formes de représentations décuplés.

204943.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx

Il faut dire que Valérian est une œuvre superficielle qui ne se focalise que sur le rendu technique de ses images. Luc Besson se ressaisit de ce sens du détail visuel qui avait fait son succès, public, dans Le Cinquième Élément (1997). L’œuvre fourmille de couleurs et de mouvements (et de ralentis) en oubliant le principal : une intrigue. Le réalisateur français peine à créer du sens sans doute trop consacré à offrir des effets spéciaux à la hauteur des rivaux américains – que le film cherche constamment à combattre -. Cette vision d’un cinéma strictement pour les yeux se synthétise autour d’une phrase prononcée par le personnage d’une touriste rapportant des souvenirs du marché galactique : « c’est de la décoration, sois civilisé ». Il est vrai que le cinéma de Besson a tout de la babiole, un objet sans valeur à consommer instantanément avant qu’il ne soit oublié.

Le Cinéma du Spectateur
☆ – Mauvais

Un jour mon prince : Renouveler avec modération

Un jour mon prince, Flavia Coste

Alors que l’ultimatum de cent ans laissé par Maléfique touche à sa fin, La Belle au Bois dormant n’a toujours pas été réveillée par son prince charmant. Pour sauver le royaume des fées d’une disparation certaine, la Reine Titiana (Catherine Jacob, peu subtile) envoie deux fées à Paris pour lui trouver un homme étiquetable « prince charmant ». Pour son premier long-métrage, Flavia Coste plonge donc dans l’univers prolifique des contes de fées. Mais, comme le personnage de la fée Mélusine (Mylène Saint-Sauveur), elle clame qu’ « il est temps de changer les règles ». Avec ces deux fées délurées, elle entend bien bousculer les attentes des hommes et surtout des femmes face à la grande question de l’amour. A l’inverse des (vrais) contes de fées, il lui semble nécessaire de sortir du mythe du prince charmant, comme figure providentiel, et partir soi-même à la recherche d’un partenaire, charmant ou non.

Un jour mon prince, Flavia Coste

En réadaptant la légende d’Aurore, Flavia Coste ne peut pas contourner le fait que la femme désirée est un corps endormi. Pourtant, c’est justement dans le traitement de ce personnage qu’elle distille un certain féminisme – léger, mais revigorant –. En effet, la plus belle idée du film est de donner une conscience à ce personnage voué à n’être que passif. Chaque fois qu’un prétendant tente de la réveiller, la princesse parle en voix-off pour donner ses impressions sur ce dernier. Mais surtout, la réalisatrice lui octroie une part de libre-arbitre en lui faisant refuser certains hommes comme lorsqu’elle tourne la tête pour éviter les lèvres du comédien chauve envoyé par Blondine. Enfin, les deux fées parlent avec empathie de la condition d’objet d’Aurore notamment lorsque Blondine (Sarah-Jeanne Labrosse) envoie trop de prétendants ce qui pousse Mélusine à dire « tu crois que c’est plaisant de se faire embrasser par cent mecs ».

Un jour mon prince, Flavia Coste

Un jour mon prince s’intéresse également, (trop) rapidement, à la problématique centrale de la recherche d’une âme sœur dans nos sociétés contemporaines. Le film dresse un parallèle entre les catégories désuètes des contes que les deux fées posent aux hommes dans Paris – blond, beau, riche, sachant monter à cheval… –  et celles presque similaires utilisées pour dégrossir les choix des sites ou des applications de rencontres. La révolution relationnelle qu’ont apportée ces derniers ne peut ainsi se défaire d’une œillère enfermant la personne recherchée dans une représentation mentale sans surprise. En dehors de ce regard (presque) critique sur une industrialisation de la drague, le reste du monde réel, comme la précarité ou l’homosexualité, n’est vu qu’avec une naïveté au mieux sympathique au pire sans substance.

Un jour mon prince, Flavia Coste

De la même manière que dans les contes, l’humanité se scindent en deux groupes : d’un côté, les gens bien habités par des valeurs – l’amitié, la famille, le travail – : de l’autre, les gens mauvais pervertis, et pervertissant, par l’ivresse des substances illicites. Dans cette schématisation primaire, les personnages des fées sont voués à être des individus monolithiques – et ce malgré l’inversion attendue des comportements à la moitié du film – qui errent dans une conception simplifiée du monde. Il manque à Un jour mon prince une dimension plus corrosive qui permettrait de dépasser le premier degré. En effet, si les fées découvrent et apprivoisent notre monde, il est nécessaire – voire obligatoire – de dépasser le constat pour un spectateur voyant finalement que son quotidien. Les Rois Mages des Inconnus (France, 2001) avait en partie réussi ce défi dans le même genre de l’humour.

Un jour mon prince, Flavia Coste

Un jour mon prince cherche à moderniser les contes de fées. Néanmoins, le film reprend progressivement les travers de ce genre de récit. Il apporte finalement pour seule originalité par rapport aux productions Disney, reines du genre, la décision de faire des personnages drôles des protagonistes et non des acolytes. Une sage décision face à la fadeur du « prince » joué par Hugo Becker – pas convaincant –. En voulant réaliser un film « Tout Public », Flavia Coste affadie ses propos pour obtenir un consensus générationnel. Mais en agissant de la sorte, elle ne pourra jamais dépasser l’adjectif sympathique malheureusement souvent accompagné en filigrane de celui d’oubliable.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆ – Moyen

Divines : Banlieue-land

Divines, Houda Benyamina

69e Festival de Cannes
Caméra d’Or
Sortie nationale le 31 Août 2016

Le cinéma français contemporain, d’Audiard (Dheepan) à Sciamma (Bandes de Filles), tente de construire un regard sur la banlieue. Il cherche à s’accaparer cet univers qui, pour beaucoup, à commencer pleinement à exister par la médiatisation des émeutes de 2005. La périphérie devient paradoxalement le centre (d’intérêt) par une volonté sociale d’un cinéma français soi-disant républicain, mais qui ne cherche finalement qu’à reproduire cet espace à « nettoyer au karcher » comme le disait Sarkozy. On renoue ici avec la tradition des Apaches du début du XXe siècle, cette catégorie sociale – faite d’habitants des faubourgs – inventée par la littérature et le cinéma pour menacer l’ordre bourgeois. La banlieue est présentée, dans la même logique de recherche du sensationnel que les chaînes d’informations continues, comme une « no go zone » où se rencontrent des destins cinématographiques empruntés à Scarface.

Divines, Houda Benyamina

Divines d’Houda Benyamina semble pourtant cerner la banlieue dans son essence même en décidant d’ouvrir son film avec un générique présentant en fond des Snaps de Dounia (Oulaya Amamra, épatante) et Maimouna (Déborah Lukumuena, irrésistible). Par cela, la réalisatrice pénètre alors pleinement dans le « film de banlieue » en collant à la récurrence interactionnelle de l’amitié comme valeur absolue. Mais surtout, elle capte la force de représentation de cette jeunesse qui parvient à exister par les réseaux sociaux, vus comme accès démocratique à la production et à la diffusion d’images. Une façon de survivre, au même titre que la religion présente dans le film, dans un environnement en plein délitement. Le capitalisme a transformé le rêve urbain des Trente Glorieuses en un cauchemar que Benyamina saisit par sa caméra en se focalisant frontalement sur des tours en ruine et particulièrement en ponctuant ses plans de grilles de chantier – vestige d’une action étatique –. Dounia s’insère dans cet espace en survivance en se présentant derrière ces dernières ou en les caressant tel des barreaux de prison.

Divines, Houda Benyamina

Divines présente également en sous-texte la faillite du rêve républicain : les institutions sont devenues les ennemies irréductibles des Banlieusards en participant à la création de cette marginalité précaire et ethnique. L’école ne s’incarne plus que dans son arrêt puisque Dounia la quitte, par choix, après une altercation avec une professeure de BEP Métiers de la Relation aux Clients et Usagers. La force de cette scène est de participer aux cris d’une génération dont l’Etat attend qu’elle se batte, avec entrain, pour atteindre uniquement le bas de l’échelle salariale. Ces jeunes veulent se battre non pas pour un SMIC, mais pour un ailleurs. Un ailleurs d’autant plus politique dans le film qu’il consiste à une sortie totale de la France – chacun rêvant de la Thaïlande –. Marianne perd sa dimension de patrie maternelle aux profits des phares du capitalisme. Benyamina comprend bien que la banlieue est surtout un microcosme mort d’imaginaires qu’il faut apprendre à reconstruire à l’instar de cette scène, la plus belle du film, où Dounia et Maimouna miment un trajet en Ferrari sur la côte thaïlandaise. Par leur fougue, elles prennent le contrôle de la caméra et de la bande son pour s’échapper d’un monde où le sable est du béton.

Divines, Houda Benyamina

Un horizon qui paraît atteignable seulement, aux yeux de Dounia, par le cercle vicieux de drogue de la même manière que dans Bande de Filles de Sciamma – dont le film reprend clairement la trame –. Par ce choix, Houda Benyamina tombe dans le piège de la représentation de la banlieue comme exotisme morbide pour son spectateur. En effet, elle pousse ses faits à l’extrême pour tenter de trouver un sensationnel qui la distinguerait de ses prédécesseurs. Dans un souci misérabiliste, elle exile sa protagoniste – arabe – de la banlieue vers un camp de Roms pour filmer une misère plus forte médiatiquement, celle du tiers-monde. Divines veut également se présenter comme une œuvre féministe en mettant à l’écran un monde de femmes régenté par un slogan réussi, « T’as du clitoris » annoncé par Rebecca (Jisca Kalvanda), la caïd du quartier. Néanmoins, le vrai féministe aurait été de sortir pleinement des cadres de pensée masculins : ne pas créer un jugement sur cette mère enfantant une « bâtarde » ou encore ne pas voir dans la romance – et les codes éculés de la comédie romantique – la seule échappatoire d’une femme.

Divines, Houda Benyamina

Cependant, le principal problème discursif de Divines est le besoin d’avoir recours à la « Grande Culture » pour légitimer son propos. En dehors de la place donnée de manière bancale à la danse contemporaine, c’est l’utilisation de la musique qui synthétise principalement cette nécessité de se rapprocher d’un regard extérieur pour englober le plus de spectateurs possible. Comme si ces derniers devaient être protégés d’une immersion totale. La scène avec Diamonds de Rihanna chez Sciamma était forte, car elle se plaçait au niveau de ses protagonistes pour écouter les idoles qui façonnent leurs imaginaires et rendent possible une sortie de la précarité. Benyamina donne l’impression que l’émotion devrait être uniformisée à la manière des classes supérieures. Elle ne laisse affleurer le sentiment que sous les sons d’instrument légitimes pensés par Mozart ou Vivaldi. La musique originale de Demusmaker ne déroge pas à la règle en proposant une transcription sonore à base de violons pour les moments tristes ou de guitares électriques pour les moments de rage. Divines réduit la musique urbaine – présente à travers Azealia Banks et le rappeur Siboy – à n’être qu’une musique de boîte de nuit.

Divines, Houda Benyamina

Avec son premier long-métrage, Houda Benyamina montre ainsi un véritable potentiel cinématographique. Néanmoins, elle fait de la banlieue un Disneyland pour festivaliers. Elle en reproduit les archétypes médiatiques en se choisissant un réalisme trafiqué pour répondre à son besoin de sensationnel. Une position d’autant plus alarmante qu’elle provient, pour une fois, d’une voix interne de la culture urbaine.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆ – Moyen

Ma Loute : Du Corps à l’Âne

Ma Loute, Bruno Dumont

69e Festival de Cannes
Compétition Officielle

Le P’tit Quinquin (2014) a été comme une épiphanie dans la filmographie de Dumont : la mise en place d’un cinéma hors-norme, par son format et son ambition, se teintant progressivement d’un burlesque tragi-comique. Son austérité se mue et sort des diktats du réalisme pour s’enfoncer dans la voie d’un rire presque cathartique, une échappatoire face au chaos mental (Camille Claudel 1915, 2013) ou sociétal (P’tit Quinquin). Une révolution qui semble vouloir s’inscrire avec Ma Loute dans la temporalité même du cinéma de Dumont, comme une volonté de retourner aux origines de ses personnages – du duo de policiers de L’Humanité (1999) à celui de la mini-série d’Arte –. Le cinéaste nous plonge toujours dans son folklorique nord en 1910 où une maison de riches bourgeois, les Van Peteghem de Tourcoing, surplombe aussi bien les méandres de la baie de Wissant que de la société paysanne avec comme toile de fond une enquête autour de la disparition de plusieurs touristes.

Ma Loute, Bruno Dumont

Dès l’ouverture amenant la confrontation des corps inadaptés des Van Peteghem à ceux travailleurs des Brufort, Dumont assoie son dispositif filmique et scénaristique en faisant du corps le moyen unique, premier et primaire d’expression. Le corps se pense comme une entité narrative propre qui se veut en perpétuelle expansion au point d’affecter la bande-son – les bruits de ballons pour les déplacements du Commissaire Machin (Didier Després) – et de perdre sa définition propre – le caractère transgenre du personnage énigmatique de Billie (Raph). Il jouit même d’une pluralité universelle en étant à la fois un moyen (une force de travail avec l’intelligente idée de ses paysans-barques faisant traverser les notables uniquement avec leur corps) et une fin (une nourriture pour ses paysans anthropophages). Enfin, le corps symbolise la colonisation des notables aux corps désadaptés à la nature. Ils se meuvent engoncés dans leurs vêtements, à l’instar du voile d’Isabelle Van Peteghem (Valeria Bruni-Tedeschi) qui lui revient toujours sur le visage durant la « sublime » ballade, avec comme seule finalité la chute. Ces nouveaux vacanciers de proximité sont ainsi un artifice devenant au détour d’une scène une flore et une faune à part entière : André Van Peteghem (Fabrice Luchini) pointe du doigt un héron hors-champ, or pour le spectateur ce doigt montre le chapeau à plumes que porte sa sœur, Aude Van Peteghem (Juliette Binoche).

Ma Loute, Bruno Dumont

Néanmoins, Dumont ne dépasse pas les caractéristiques du vaudeville américain, ce spectacle fourre-tout réunissant différents numéros. Le Commissaire Machin et son acolyte sont réduits à tenir le rôle de « Monsieur Loyal » en rabattant par un unique gag, les chutes de Machin, les cartes d’un récit inexistant devant conjuguer des attractions diverses et disparates allant du gore (cannibalisme) au burlesque en passant par la romance. Cette dernière entre Ma Loute et Billie ne semble pas exister comme un contre-pied respiratoire, mais uniquement pour tendre à l’humiliation mentale (les commentaires des policiers ou des Van Peteghem) et physique (la scène de passage à tabac) du personnage de Billie. Dumont cherche ainsi à séduire par le rebut jouant sur la violence et la matière (crachas, sang) pour séduire un spectateur masochiste qui se complairait ainsi finalement comme lui à regarder l’homme comme une masse malléable et modulable. Il y a dans Ma Loute un goût pour un slapstick, genre d’humour impliquant la violence physique, qui devrait par essence être jubilatoire et conduire à un rire mortifère (la chute pseudo-mortelle de Luchini en char à voile). Une outrance jusque dans les corps qui tend par sa répétition affadissante plus du grand-guignol que d’une réflexion constructive sur la réhabilitation du corps comme enjeu proprement cinématographique.

Ma Loute, Bruno Dumont

Dans Ma Loute, tout n’est en effet que spectacle, une pacotille théâtrale à l’image de cette maison, ce typhonium, aux allures égyptiennes en « marbre recouvert de béton ». Les personnages sont en représentation au sein du film comme dans cette scène où les époux Van Peteghem (Bruni-Tedeschi/Luchini) admirent un marin dans sa barque au milieu d’un bassin artificiel qui leur sourit en retour mimant une fausse activité « typique ». Mais aussi malheureusement en dehors du film à l’instar de la présentation du personnage de Binoche se retournant face caméra pour saluer le public. Les acteurs professionnels, une première chez Dumont, feignent de disparaître sous des costumes tarabiscotés (Luchini) ou un sur-jeu épuisant (Binoche) pour n’exister finalement qu’en décalage du reste du casting qui les observent, comme le spectateur, comme des bêtes curieuses cherchant à remplir l’image coûte que coûte par une quête absurde du comique perpétuel. Le malaise naît surtout du fait que cette singerie consciente trouve un écho inconscient dans le physique des non-professionnels, ces gueules cassées aux phrasés particuliers devenus des objets humiliés par les personnages (les moqueries de Binoche sur le personnage de Ma Loute) et par extension par le spectateur.

Ma Loute, Bruno Dumont

Ainsi, Ma Loute entraîne un questionnement même sur notre propre rapport au spectacle. Devons-nous voir de l’audace dans la critique d’une société déjà détruite ? Devons-nous voir une accélération du masochisme raciste (au sein même de la France) dans ce rire déshumanisant et humiliateur ? Devons-nous voir du poétique dans un didactisme et un épuisement de l’image bloquant l’imaginaire à une seule possibilité (la lévitation) ?

Le Cinéma du Spectateur
☆ – Mauvais