L’effondrement de l’homme-héros ébranle le cinéma actuel. Il ne suffit plus de se reposer sur des franchises obsolètes, de croire en la prédominance de l’action et en l’obligation de reproduire des schémas narratifs éculés. Il est nécessaire de se réinventer. « Hobby: résurrection » prophétise Bond/Craig. Pour cela, il faut détruire ce qui est inscrit dans l’imaginaire collectif: un héros propet et qui ne reste finalement qu’un porte-costume subissant des explosions. Les clichés n’ont plus leur place dans l’avalanche de films d’hommes forts et virils qui polluent notre champ cinématographique. La caricature étant « Expandables ». Christopher Nolan a déjà emboîté le pas de cette nécessaire destruction des héros avec « The Dark Knight Rises ». Les limites de l’homme qui se cache sous le masque. Le cinéma est immortel, mais pas les personnages portés à l’écran. Ils vivent, ils vieillissent. Ils s’inscrivent dans leur temps, et ne peuvent éternellement réussir à percer avec les mêmes ingrédients. La vision d’un Batman fatigué et incapable de se battre n’est pas choquante et ne surprend personne. Elle est le symbole d’un temps où la remise en question des vieilles franchises est une nécessité Le cinéma masculin ne peut être complet sans James Bond, et le fait que sorte le 23e épisode d’une longue franchise rendait obligatoire ce questionnement. Les dialogues de Sam Mendes sont percutants car ils ont un double langage qui ne cesse de poser la même question: « Est-ce qu’il reste quelque chose de 007 ? ». Pouvons-nous encore innover après 22 films sur le même personnage, pouvons-nous réussir à créer une autre vision de ce héros ?
« Skyfall » n’est autre qu’un coup porté à l’image de Bond, une action corrosive qui le détruit par ses fondements. Un mythe s’écroule. La chute est abstraite, mais elle se concrétise dans l’image. Une mort morale sublimée par une chute du corps de Bond porté par les eaux rappelle l’esthétisme d' »Ophélie » de John Everett Millais. Le cinéma d’action est un « sport de jeune » dans lequel vieillir est inconcevable. Il faut donner l’apparence que ces hommes de muscles n’ont aucune faille, on change bien les héros de ces films lorsque les aspérités du temps commencent à se faire sentir sur leur visage. L’espionnage est obsolète comme le souligne M (Judi Dench) rendant des comptes à un gouvernement qui ne cesse de souligner le fait que « L’âge d’Or de l’espionnage est révolu ». Le James Bond de Mendes est fatigué et n’est plus l’emblème de la perfection du geste. Il malmène son personnage le rendant faillible, et donc humain. Il suffit de voir ce James Bond impuissant ne pouvant même plus tirer dans une cible. Il s’essouffle, il fatigue, il vieillit tout simplement. C’est cette « ruine » que met en avant l’incroyable méchant joué par Javier Bardem. Mais le principe même de James Bond est obsolète. Il ne trouve pas sa place dans le cinéma actuel oscillant entre une volonté de réalisme et un caractère invraisemblable qu’aucun réalisateur avant Sam Mendes n’avait osé regarder en face. James Bond n’est pas crédible et ne tend pas non plus vers l’acceptation de son côté fantastique qui l’empêche de trouver une place parmi les superhéros actuels. C’est un concept des années 60 qui n’avait jusque-là tenté aucune évolution et surtout aucune révolution.
Sam Mendes ne crée pas un nouveau James Bond, mais il le modernise. La destruction permet de revenir à la création même du personnage. Si le film commence par un ultra-modernité à travers les gratte-ciels de Shanghai il garde toujours en tête a notion d’une tradition qui rattrape cette modernité. Ce n’est qu’un simple détail, mais dans cette modernité chinoise, Sam Mendes choisit de faire un combat selon les principes des ombres chinoises. Le but est revenir aux sources pour (re)comprendre l’unicité d’un personnage comme James Bond. Mendes garde les codes du succès: les voyages, les filles et les bagarres. Mais il en joue et les utilise pour faire avancer son propos. Eve (Naomie Harris) est une James Bond girl qui amène une réflexion sur Bond. Elle dira « Parfois, les vieilles méthodes sont les bonnes » en y ajoutant quelques moments plus tard « vous êtes un vieux singe aux nouvelles grimaces ». Elle montre que la nécessité de changer en gardant le socle psychologique et scénaristique est ici la finalité de l’oeuvre de Mendes. « Skyfall » ne s’attardent pas dans les lieux qu’il visite, mais si l’on regarde de plus près l’évolution géographique, on se rend compte que Mendes tente de se rapprocher des sources même du mythe de Bond. De Shanghai on se déplace à Macao, puis à Londres pour finir dans l’enfance même de l’agent 007 en Ecosse. Un nouveau visage naît et humanise le héros de papier, Mendes lui arrachant même quelques larmes. « Remontez le temps, là ou nous avions l’avantage ». Cette action est nécessaire, mais Sam Mendes ne s’y accroche pas. Ce retour est le moyen de faire table rase sur un passé pour mieux recréer un personnage. Il suffit de voir la vieille voiture iconique de James Bond devenir une épave qu’on abandonne aux mains de méchants biens plus sadiques, bien plus cruels. Sam Mendes se moque des codes du genre par le biais d’un méchant paresseux et tranquille: « Ces cascades, ces bagarres, c’est exténuant ».
Il faut surtout mettre James Bond en conflit avec la réalité extérieure, le confronter au temps. Il ne peut plus s’opposer à des adversaires qui utilisent des techniques des années 1960. Nous sommes à l’air d’internet, dans l’air du tout numérique. Le nouvel ennemi n’a « pas de visages, pas d’uniformes, pas de drapeau » conclura M. Sam Mendes a réussi son pari de mettre à jour un héros, une franchise, qu’on croyait éculé. James Bond n’est plus un colosse, mais il est un homme qui a des failles.
Note: ☆☆☆✖✖ – Bien
