Her : A la recherche de la Perfection perdue

Her, Spike Jonze

Si Spike Jonze est souvent qualifié de réalisateur visionnaire, c’est paradoxalement dans une recherche minutieuse de réalisme qu’il excelle. Her subjugue par la dualité de sa temporalité : d’un côté un futur tourné vers les nouvelles technologies ; de l’autre la sensation de regarder notre propre réalité. Il amène le cinéma d’anticipation au plus proche de l’homme. Il déconstruit alors totalement les caractéristiques d’appropriation du futur par les cinéastes : pas d’actions, pas d’effets spéciaux à outrance. Spike Jonze ne s’intéressent pas au mouvement mais à une ambiance, celle de la romance. Le choix du futur n’est qu’une caractéristique parmi d’autres, mais n’est aucunement un aboutissant du film. Si le futur de Her semble proche, le réalisateur nous transporte dans un Los Angeles fantasmé, un monde libéré de tous problèmes (aucune question de guerre, d’environnement, de politique). Il enrobe alors son utopie d’une photographie pastel et séduisante, comme sortie d’Instagram ou d’une publicité pour Apple. C’est justement dans cette recherche de la perfection que réside le point de société du film, et non dans la solitude de l’homme face à la machine comme je l’ai souvent lu. L’isolement des individus est bien présent lors des scènes de rue dans laquelle les hommes se croisent, semblent parler, mais n’ont aucune interaction avec leurs congénères. Spike Jonze montre, avec brio, cette dématérialisation des relations humaines qui, bien que toujours existantes, utilisent la technologie comme intermédiaire. C’est le renforcement de la place de la machine dans notre quotidien qui rend possible, et plausible, la romance qui naît entre un homme, Théodore Twombly (Joaquin Phoenix, toujours époustouflant) et un système d’exploitation, Samantha (Scarlett Johansson, qui trouve ici son plus beau rôle).

Her, Spike Jonze

Her est une œuvre sur les dérives de la recherche absolue du bonheur parfait. Les hommes, chez Spike Jonze, sont obnubilés par le fantasme qu’ils ont de leur propre vie. C’est seulement selon ce prisme que les flashbacks sur le mariage de Théodore et Catherine ont un sens. Théodore est bloqué dans la vision utopique qu’il s’est fait de son passé dans laquelle il ne garde que les plus beaux moments de sa relations avec son ex-femme : des moments quasiment sans parole célébrant la beauté de vire ensemble. Cependant, il ne suffira que des quelques minutes en face de la vraie Catherine pour que le spectateur comprenne qu’il s’agissait d’une relation rendue bancale par l’exigence des deux partenaires à faire correspondre l’autre à la perfection qu’il ambitionne. Samantha prophétisera : « Le passé, c’est l’histoire que tu te racontes ». On retrouve cette recherche de la plénitude à travers le projet artistique d’Amy (Amy Adams) qui consiste à filmer sa mère entrain de dormir pour rendre compte du moment où l’homme semble le plus en paix avec lui-même. C’est ainsi cette quête vaine de l’hédonisme qui conduit à ce décrochement du réel. Le travail de Théodore – il écrit des lettres personnels à la place de l’expéditeur initial – n’est qu’un autre exemple de cela. Il ne faut pas y voir une dépersonnalisation du sentiment mais justement sa sublimation poussée par la volonté de décupler le bonheur. Spike Jonze ne critique d’ailleurs en rien ce « nouveau » métier puisqu’il en fait même une forme d’art, un nouveau genre littéraire.

Her, Spike Jonze

La solitude des personnages n’est finalement que la conséquence de cette vaine recherche : Théodore est bloqué dans son passé ; Amy cherche sa liberté ; le rencard de Théodore (Oliva Wilde) préfère mettre fin à une idylle naissante par recherche du grand amour. C’est cela qui les pousse vers la technologie créée par et pour les hommes. Les systèmes d’exploitation (OS) répondent à l’utopie voulue par leur propriétaire : ils seront la meilleure amie (Amy) ou l’amante (Théodore). Ils comblent un vide qui n’est que le fruit d’une frustration vis-à-vis de la réalité. Les OS représentent une humanité magnifiée qui répond aux attentes des hommes et permet de renouer avec le bonheur.

Her, Spike Jonze

L’intelligence et la complexité de l’écriture de Spike Jonze est de ne pas focaliser son attention sur les humains dont la réalité se délite mais également de donner une importance croissante à ces OS. Her bascule progressivement vers le récit initiatique d’un être normalement sans vie faisant de Samantha une sorte de Pinocchio moderne. Les OS sont d’abord perçus seulement à travers leurs capacités de machine : le temps de recherches rapides, la capacité de trouver une information. Mais l’évolution de la comparaison entre les hommes et ces systèmes d’exploitation évolue en deux temps. Premièrement, elle est mise en place par Samantha qui jalouse le corps des hommes et la possibilité de toucher et de (res)sentir. Une faiblesse qui lui permet néanmoins de s’affirmer en tant que machine autonome et de créer des émotions. Deuxièmement, Spike Jonze tourne la position de l’homme en défaveur : le corps se fait lourd et obstacle ; les besoins physiologiques problématiques (Samantha devant trouver à s’occuper pendant que Théodore dort) ; sa supériorité intellectuelle. La scène clé de ce dépassement de l’homme par la machine à lieu pourtant lorsque Samantha est plus intégrée que jamais dans la société des hommes : lors du piquenique avec le couple du collègue de Théodore durant lequel elle applique sa théorie sur la mort certaine de l’homme. Les OS développent alors une contre-société dans laquelle ils perdent les codes moraux de celles des hommes comme la question de la fidélité.

Her, Spike JonzeLes hommes finissent abandonnés, mmais le constat n’est pas si pessimiste puisqu’il leur permet de comprendre que cette quête du bonheur parfait est vaine. Le génie de Spike Jonze est présent dans cette conclusion qui aurait tout aussi bien pu déboucher sur la prise de contrôle de la machine comme l’avait prophétisée James Cameron dans Terminator (1984). Mais le cinéaste prend le parti-pris de la psychologie plutôt que celui de l’action à outrance. Il voit juste et signe sa plus belle œuvre.

☆☆☆☆✖ – Excellent
Le Cinéma du Spectateur

The Immigrant : Désillusion créatrice

The Immigrant, James Gray

The Immigrant s’ouvre, avec une féroce ironie, dans les files d’attentes d’Ellis Island, purgatoire excluant les mauvais corps (les malades) et les mauvais esprits (les pécheurs). La caméra de James Gray se pose alors sur deux sœurs fuyant une Pologne ravagée par la guerre dans l’espoir de retrouver leur tante déjà partie pour la terre promise. Dans cette antichambre déshumanisée du rêve américain, les deux sœurs semblent au premier regard avantagées par la connaissance de l’anglais d’Ewa (Marion Cotillard), mais il ne suffira que d’une toux de Magda pour enfermer les sœurs dans la spirale infernale de la misère humaine. Souffrant de la tuberculose, Madga est retirée de la file. Ewa, bouleversée, continue cependant son avancée administrative. La caméra la quitte alors brusquement pour tomber sur Bruno Weiss, un proxénète se voulant artiste, qui observe sa nouvelle proie. L’entrée aux Etats-Unis est également impossible pour Ewa qui se voit reprocher une histoire de mœurs sur le bateau qui l’a conduite ici. Le spectateur est alors subjuguer, ne sachant pas qui croire. La sanction tombe : Ewa sera expulsée. Mais c’est justement au moment précis où l’espoir disparaît que Bruno surgit et permet à Ewa de sortir d’Ellis Island.

The Immigrant, James GrayLe piège est alors complètement fermé autour d’Ewa. The Immigrant est un piège, une œuvre machiavélique qui s’étend progressivement à l’ensemble des personnages. En effet, James Gray dans la lignée des réalisateurs américains (Spielberg, Tarantino, Daniels) se penche sur la sombre histoire de son pays. Ewa se sacralise alors pour exprimer le sort de toutes ses immigrantes amenées progressivement à se prostituer. La première partie, celle sur la descente aux enfers, est brillamment écrite. Avec une incroyable subtilité, Bruno fait d’Ewa une couturière, puis une danseuse et enfin une prostitué. Cette partie fonctionne également car elle repose sur le personnage perpétuellement changeant de Bruno magistralement interprété par Joaquin Pheonix. La noirceur qui noie progressivement Ewa est également visuelle. Elle devient un oiseau de nuit qui ne voit la lumière que par le biais des reflets sur des bijoux de pacotille. Le travail de reconstruction de The Immigrant est d’ailleurs à saluer, surtout pour la magnifique lumière de Darius Khondji faisant écho aux photographies de l’époque.

The Immigrant, James GrayLa deuxième partie de l’œuvre s’attaque alors à la vie de Bruno. Ewa n’est pas pour lui une simple façon de gagner de l’argent, elle devient une obsession. Sa jalousie explose avec l’arrivée d’un personnage antithétique, l’éclatant magicien Orlando (Jeremy Renner). Démarre alors une compétition entre les deux cousins dont les conséquences dégradent la condition d’Ewa. Mais ce duel affadie les personnages en détruisant l’ambiguïté si séduisante du personnage de Bruno. Les actions des personnages deviennent redondantes, l’intrigue fait du surplace, et le spectateur découvre l’ennuie. Le principal défaut de The Immigrant réside également dans le comportement monolithique d’Ewa. Sanctifier par la caméra de James Gray qui l’entoure constamment d’une aura de lumière, la sainte Ewa fatigue par son comportement toujours mièvre. Aucun des évènements ne change un caractère puritain. Une froideur qui amorce une progressive mise à distance du personnage pour le spectateur alors que James Gray focalise de plus en plus son intrigue autour d’elle.

The Immigrant, James GrayLe spectateur se désolidarise du récit. Il ne se concentre plus que sur la mise en beauté de l’image. Il faut dire que c’est le seul aspect de l’œuvre qui reste dans l’esprit du spectateur une fois sorti de la salle. James Gray n’apporte finalement rien d’innovant au récit d’immigration dans les Etats-Unis du début du XXe. The Immigrant est une œuvre assez banale qui se délite au fur et à mesure que ses personnages deviennent caricaturaux.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆✖✖✖ – Moyen