Macbeth : Que du bruit, que de la fureur…

Macbeth, Justin Kurzel

68e Festival de Cannes
Compétition Officielle
Sortie nationale le 18 Novembre 2015

En 2011, les esprits avaient été marqués par la violente perversité qui émanait d’un premier coup de maître australien présenté à la Semaine de la Critique : Les Crimes de Snowtown. Il aura fallu quatre années à Justin Kurzel pour revenir à Cannes, adoubé par une présence en compétition, pour y présenter Macbeth. L’annonce d’une énième adaptation de cette pièce iconique – notamment après Welles et Polanski – aurait pu rebuter. Néanmoins, l’animalité et la fougue qui caractérisaient sa première œuvre laissaient entrevoir la possibilité de toucher au plus près « le bruit et la fureur », pour reprendre les mots de Shakespeare, des vies des époux Macbeth. La noirceur des personnages se fait alors, dans un enjeu formaliste, l’écho des paysages d’Ecosse se teintant progressivement du sang versé. Le romantisme allemand, et surtout les tableaux de Friedrich, s’engouffre ainsi dans l’image pour appuyer le déchiquètement des montagnes et l’isolement des vallons.

Macbeth, Justin Kurzel

L’intéressante dualité de cette adaptation réside dans cette volonté de construire à la fois une œuvre cinématographique, s’appuyant sur l’image comme moteur d’émotions, et, et une œuvre théâtrale, fascinant par le biais de la parole. A la manière des sorcières de Macbeth, Justin Kurzel fait de la parole un véritable acte prophétique. Sa valeur performative crée aussi bien le récit que l’image : des sœurs du destin amenant le couronnement fictif puis réel de Macbeth (Michael Fassbender, impressionnant) – dont la duplicité altérée exprime l’intégralité de la philosophie de l’œuvre – au plan de Lady Macbeth (Marion Cotillard, envoutante) prenant littéralement forme lors de son énonciation. Se dégage alors l’idée que la parole est la seule véritable arme du récit shakespearien. Elle a autant une valeur créatrice (faisant les Thanes et les Rois) que destructrice (amenant la mort et la perfidie). Les fantômes des vers de Shakespeare, heureusement gardés intacts, permettent justement cette union entre le délitement psychologique de Macbeth et celui crépusculaire des paysages.

Macbeth, Justin Kurzel

Le cinéaste australien juxtapose ainsi une double temporalité dans son Macbeth, notamment dans l’ouverture guerrière rappelant l’esthétique des vidéoclips de Woodkid. Il fait s’encroiser un temps réel, celui des hommes marqué par la vivacité des corps devenus animaux, et un temps étiré, celui des Dieux pouvant intercéder dans cette malléabilité du temps offerte par l’usage du ralenti. La force de ce dispositif devrait ensuite laisser place à la juxtaposition du réel et de la folie de Macbeth. Néanmoins outre la scène du fantôme sanglant – scène centrale de la pièce –, Justin Kurzel laisse s’essouffler son œuvre en faisant de la folie de son protagoniste un acquis qui doit se passer d’expression visuelle. En condensant à l’extrême les caractéristiques des personnages, le cinéaste les contraint à des retournements psychologiques triviaux et sans fondement. Le non-connaisseur de l’œuvre de Shakespeare ne pourra jamais comprendre l’ambivalence de Lady Macbeth réduite à quelque vers.

Macbeth, Justin Kurzel

Si la mise en scène de Kurzel tend parfois (puis souvent) vers la grandiloquence, elle cherche également à s’inscrire dans une stabilité et une frontalité de l’image propre au théâtre et à la position du spectateur. Les personnages se livrent directement à ce dernier par le maintien astucieux des monologues que le cinéaste dynamise uniquement par une multiplication des échelles et des angles de prises de vue. Kurzel donne ainsi une certaine aura divine aux spectateurs écoutant les épanchements de ces personnages esseulés dans l’image. Ensuite, il multiplie les plans frontaux (aussi bien de corps seul que de groupe) qui – au-delà d’apporter une puissance visuelle – produisent une mise en scène entre les personnages eux-mêmes : ils représentent l’hypocrisie et les faux-semblants se cachant derrière des rencontres protocolaires qui devraient, malgré les intrigues, être prédéfinies et immuables.

Macbeth, Justin Kurzel

Macbeth trouve pourtant ses plus belles images quand Kurzel choisit de limiter les moyens de l’action à des simples enjeux cinématographiques. En effet lors de la dernière confrontation entre Macbeth et Banquo (Paddy Considine) sur la plage alors que ce dernier s’apprête à fuir pour sauver son fils – Fleance – appelé à devenir roi selon la prophétie des Sœurs du Destin, le face-à-face prend une tournure différente usant de l’image pour inscrire un discours dépassant les simples cadres du temps présent. L’échange est déséquilibré dans un premier temps avec un Macbeth décentré laissant alors la possibilité de l’apparition en hors-focale de Fleance symbolisant l’obstacle à son ambition. La scène se clôt magistralement avec un échange de regards direct entre le roi actuel et son futur successeur qui impulse le mouvement devançant son père à l’image d’un roi suivi de son serviteur.

Macbeth, Justin Kurzel

Macbeth est une œuvre qui, malheureusement, se veut didactique par l’image. Elle sur-interprète le récit pour lui donner une résonnance grandiose proche de l’épopée. Kurzel fait de l’œuvre de Shakespeare un film guerrier certes époustouflant, mais qui perd son enjeu véritable : le combat psychologique d’un homme détruit par l’ambition.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆ – Moyen

The Immigrant : Désillusion créatrice

The Immigrant, James Gray

The Immigrant s’ouvre, avec une féroce ironie, dans les files d’attentes d’Ellis Island, purgatoire excluant les mauvais corps (les malades) et les mauvais esprits (les pécheurs). La caméra de James Gray se pose alors sur deux sœurs fuyant une Pologne ravagée par la guerre dans l’espoir de retrouver leur tante déjà partie pour la terre promise. Dans cette antichambre déshumanisée du rêve américain, les deux sœurs semblent au premier regard avantagées par la connaissance de l’anglais d’Ewa (Marion Cotillard), mais il ne suffira que d’une toux de Magda pour enfermer les sœurs dans la spirale infernale de la misère humaine. Souffrant de la tuberculose, Madga est retirée de la file. Ewa, bouleversée, continue cependant son avancée administrative. La caméra la quitte alors brusquement pour tomber sur Bruno Weiss, un proxénète se voulant artiste, qui observe sa nouvelle proie. L’entrée aux Etats-Unis est également impossible pour Ewa qui se voit reprocher une histoire de mœurs sur le bateau qui l’a conduite ici. Le spectateur est alors subjuguer, ne sachant pas qui croire. La sanction tombe : Ewa sera expulsée. Mais c’est justement au moment précis où l’espoir disparaît que Bruno surgit et permet à Ewa de sortir d’Ellis Island.

The Immigrant, James GrayLe piège est alors complètement fermé autour d’Ewa. The Immigrant est un piège, une œuvre machiavélique qui s’étend progressivement à l’ensemble des personnages. En effet, James Gray dans la lignée des réalisateurs américains (Spielberg, Tarantino, Daniels) se penche sur la sombre histoire de son pays. Ewa se sacralise alors pour exprimer le sort de toutes ses immigrantes amenées progressivement à se prostituer. La première partie, celle sur la descente aux enfers, est brillamment écrite. Avec une incroyable subtilité, Bruno fait d’Ewa une couturière, puis une danseuse et enfin une prostitué. Cette partie fonctionne également car elle repose sur le personnage perpétuellement changeant de Bruno magistralement interprété par Joaquin Pheonix. La noirceur qui noie progressivement Ewa est également visuelle. Elle devient un oiseau de nuit qui ne voit la lumière que par le biais des reflets sur des bijoux de pacotille. Le travail de reconstruction de The Immigrant est d’ailleurs à saluer, surtout pour la magnifique lumière de Darius Khondji faisant écho aux photographies de l’époque.

The Immigrant, James GrayLa deuxième partie de l’œuvre s’attaque alors à la vie de Bruno. Ewa n’est pas pour lui une simple façon de gagner de l’argent, elle devient une obsession. Sa jalousie explose avec l’arrivée d’un personnage antithétique, l’éclatant magicien Orlando (Jeremy Renner). Démarre alors une compétition entre les deux cousins dont les conséquences dégradent la condition d’Ewa. Mais ce duel affadie les personnages en détruisant l’ambiguïté si séduisante du personnage de Bruno. Les actions des personnages deviennent redondantes, l’intrigue fait du surplace, et le spectateur découvre l’ennuie. Le principal défaut de The Immigrant réside également dans le comportement monolithique d’Ewa. Sanctifier par la caméra de James Gray qui l’entoure constamment d’une aura de lumière, la sainte Ewa fatigue par son comportement toujours mièvre. Aucun des évènements ne change un caractère puritain. Une froideur qui amorce une progressive mise à distance du personnage pour le spectateur alors que James Gray focalise de plus en plus son intrigue autour d’elle.

The Immigrant, James GrayLe spectateur se désolidarise du récit. Il ne se concentre plus que sur la mise en beauté de l’image. Il faut dire que c’est le seul aspect de l’œuvre qui reste dans l’esprit du spectateur une fois sorti de la salle. James Gray n’apporte finalement rien d’innovant au récit d’immigration dans les Etats-Unis du début du XXe. The Immigrant est une œuvre assez banale qui se délite au fur et à mesure que ses personnages deviennent caricaturaux.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆✖✖✖ – Moyen