Zero Dark Thirty : Une femme dans un monde d’hommes

Zero Dark Thirty, Kathryn Bigelow

Bien que naviguant dans un monde masculinisé au possible, Zero Dark Thirty fonctionne sur le visage d’une femme. Ce seront les courbes et les boucles rousses de Maya (Jessica Chastain) qui dénoteront dans l’univers clinique et épuré des bases militaires américaines. Kathryn Bigelow surprend par la distribution de son rôle puisque si la féminité avait déjà percée sa filmographie avec Blue Steel (1990), c’était par les traits masculins de Jamie Lee Curtis. Mais, elle dépasse les conventions en acceptant la beauté diaphane et sensuelle de son actrice dont les portes s’ouvrent par l’aide de sa condition de femme. Une femme belle certes, mais jamais potiche. La scène d’ouverture ne la ménage pourtant pas. En effet, pour son premier jour de torture, elle arbore sous sa combinaison un élégant tailleur signe d’un décalage entre le personnage et ce qui se joue devant elle. Au-delà de la traque, Zero Dark Thirty est le portrait de la métamorphose d’une femme qui s’en renier son sexe masculinise ses actions et son combat pour parvenir à ses fins. De la Maya effacée serrant ses mains de gêne de la scène d’ouverture, il ne restera que l’enveloppe charnelle. Pour réussir dans un milieu d’hommes, elle ne peut se permettre de montrer une seule faiblesse. C’est par son caractère, sa force et sa situation qu’il n’est pas absurde de voir dans Maya une allégorie même de la réalisatrice. Kathryn Bigelow est l’une des rares femmes-réalisatrices reconnues. Réfléchissez quelques instants pour trouver des noms de femmes réalisatrices : Jane Campion, Claire Denis. Si le cinéma est déjà masculin, le genre que choisit Bigelow l’est d’autant plus. Il faut dire que voyant l’homme en son sens le plus bestial, la réalisatrice américaine s’intéresse à l’effet de meute et d’admiration. L’homme devient homme et vivant par le groupe : c’est le cas des motards de The Loveless (1982) ou du gang de surfeurs de Point Break (1991).

Zero Dark Thirty, Kathryn BigelowCe n’est que depuis les années 2000 que Bigelow s’engouffre dans le monde, toujours plus masculin, du militaire. Récompensée et ovationnée pour Démineurs en 2009, elle continue son regard si particulier sur la guerre et la politique américaine. Kathryn Bigelow n’est pas dans l’action mais dans la tension. Sa mise en scène est réussie car finalement elle est épurée de musique, d’effets de style. Le milieu de la guerre est froid et calculé, alors pourquoi vouloir l’embellir et ainsi le rendre grotesque. La scène de la prise d’assaut de la maison est quasi-exclusivement montrée par les lunettes à vision nocturne des soldats pour nous amener au plus près de l’action et alors de l’émotion. Bigelow se rapproche au plus près du cinéma journalistique cherchant à montrer le cœur de l’évènement sans l’auréoler d’une psychologie et d’une vie des personnages qui rendrait le film pesant.

Zero Dark Thirty, Kathryn BigelowL’autre sujet central de Zero Dark Thirty, c’est bien sûr la question de la torture. Jusqu’où un Etat, ou une institution, peut aller pour avoir ce qu’il veut ? Jusqu’où l’horreur des actions commises peut faire contrepoids à l’horreur des moyens mis en place pour réclamer justice ?  Kathryn Bigelow ne ménage pas son spectateur en le faisant entrer dès la première scène dans les techniques de torture. Encore une fois, sa mise en scène ne cherche ni à minimiser ni amplifier l’horreur, elle relate simplement les faits. Surgit alors la face inhumaine de l’homme, celle qui montre qu’il est son propre adversaire et qu’il n’est civilisé que lorsqu’il le désire mais reste finalement un animal social. « Votre ami est un animal » confesse à bout Ammar (Reda Kateb) montrant bien le caractère double de l’homme. L’homme est un loup pour l’homme. Kathryn Bigelow rend encore plus acide ce constat par les singes présents sur la base militaire. Alors que la caméra fait un travelling au milieu de prisonniers cagoulés et attachés dehors dans des cages sous le soleil du désert afghan, elle s’arrête sur une cage avec des singes qui sont choyés et nourris. Le tortionnaire n’éprouvera des émotions qu’à la mort de ses singes et non de l’un des siens. La question politique et morale de la torture surgit sur la scène internationale par l’épisode d’Abu Ghraib mentionné dans le film. En effet, cette vidéo montrant la maltraitance des prisonniers par les soldats américains a levé une polémique sur les moyens mis en place par les Etats pour parvenir à leur fin. La diplomatie force Obama à agir par un discours dans lequel il annonce que « l’Amérique ne torture pas » et qu’elle doit regagner une « réputation morale ». Cependant, Bigelow ironise en faisant de ce discours la simple toile de fond d’une réunion des tortionnaires des services secrets américains qui discutent sans même y porter attention. Il faut bien séparer la façade diplomatique et les attentes de la société. Nous sommes dans une société où seul le résultat compte quel que soit le moyen de l’obtenir.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆☆✖ – Excellent

Django Unchained : La Violence du fait historique

Django Unchained, Quentin Tarantino

La filmographie de Quentin Tarantino est faîte pour se confronter au Western. C’est dans ce genre si distinctif qu’il puise les caractéristiques si particulières de sa mise en scène et de ses scénarios. L’élément angulaire des récits tarantiniens est le basculement de la violence d’une sphère publique à une sphère privée par le passage à l’acte de la vengeance. Ainsi après Beatrix Kiddo contre Bill (Kill Bill) et Shosanna Dreyfus contre les Nazis (Inglorious Basterds), c’est au tour de Django de prendre sa revanche sur la société esclavagiste américaine du XIXe. Le penchant de Tarantino pour le Western trouve ses prémisses dans Inglorious Basterds. Il partage déjà, comme dans la scène de mise à morts des nazis dans les bois par le lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt), l’énergie de la mise en scène du genre qui se base sur un changement de plans larges en gros plans. Un jeu de regard sert d’intermédiaire entre les deux échelles mettant tant en valeurs les tensions humaines que les tensions géographiques de paysages décharnés. De plus, le Western est surtout le genre de la violence froide et réfléchie. On dépasse le stade animal du film d’action pour entrer dans les méandres de la frustration humaine ce qui sied aux personnages torturés et tortueux du réalisateur. Ainsi plutôt que de n’être qu’un simple film d’inspiration, Django Unchained marque la renaissance du Western, qui pourtant avait bel et bien été enterré. Il ajoute son univers nerveux, macabrement drôle et sa fougue. On pense alors à la cocasse scène de fuite lorsque le Dr King Schültz (Waltz) tue le shérif engendrant une fuite risible des habitants curieux. Quentin Tarantino est un réalisateur de film de théâtre. J’entends par là qu’il dirige ses acteurs comme sur une scène. Il existe un jeu tarantinesque dont la muse est incontestablement Chritoph Waltz. Il est l’incarnation même de l’esprit nerveux et bipolaire des personnages de Tarantino qui oscillent sans crier gare entre tranquillité et folie. Ses personnages ne parlent pas, mais ils déclament des répliques ciselées. Un univers dans lequel les premiers pas de Leonardo DiCaprio sont une éclatante réussite.

Django Unchained, Quentin TarantinoDjando Unchained est également la poursuite de l’incursion du cinéma de Tarantino dans le film d’époque. S’il jouait de cette étiquette dans Inglorious Basterds en modelant l’histoire à sa manière, Django Unchained se veut plus historiquement réaliste. Il trouve peut-être un monde à son image, c’est-à-dire régit par la violence brute et animale. Son nouveau long-métrage est du coup sans doute son film le plus dur pour le spectateur qui peut croire en cette violence et ne plus la voir comme une manière jouissive d’assouvir ses passions. C’est peut-être la limite du film de Tarantino. En effet, il s’oppose à ses propres motifs en prenant le parti de justifier la violence si caractéristique de son œuvre. Il perd ainsi une partie de sa démence si jubilatoire. Il s’enfonce de plus en plus dans un manichéisme peu subtil : les Nazis, les Négriers. Djando Unchained est alors un film de société qui dénonce l’histoire en remettant au centre de la pensée collective les exactions de l’esclavagisme et les horreurs qui en découlent. La nouveauté historique qu’apporte le film de Tarantino, c’est la complexe hiérarchisation des « races » à laquelle se juxtapose la hiérarchisation au sein même des races. Ce qui surprend d’ailleurs, c’est de voir cette deuxième couche de dominants-dominés. En effet, dans la misérable condition des esclaves noirs, certains deviennent eux-mêmes des Négriers dont les méthodes sont encore plus inhumaines et tortionnaires.

Django Unchained, Quentin TarantinoDjango Unchained continue le tournant amorcé par Quentin Tarantino depuis Inglorious Basterds. Il signe des films de plus en plus empreints de social et d’histoire dans lesquels sa violence s’assagie se perdant dans le sérieux des problèmes qu’il aborde.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆✖✖ – Bien

Foxfire : S’échapper de la Société

Foxfire, Laurent Cantet

Laurent Cantet est le réalisateur du groupe. Ses personnages ne trouvent une existence non plus par eux même mais par le collectif auquel ils appartiennent. La sphère personnelle n’est importante que lorsqu’elle rentre en conflit ou en accord avec le groupe. Après la classe d’Entre les Murs, ce sera au tour des féministes de Foxfire dont les scènes de classe curieusement échos à celles du premier. Ces filles ne peuvent lutter contre la société que par la force du groupe. Ce n’est pas qu’elles sont faibles mais elles trouvent dans les autres la force d’agir et l’excitation nécessaire à leurs actions. Foxfire regroupe des femmes seules, bafouées, abusées. C’est-à-dire des femmes confrontées à leur condition même de femme. Je ne parle pas là en misogyne mais seulement comme elles sont vues par leur époque. Une société dans laquelle la femme ne peut briller (sa réussite sociale sera la dactylographie) et surtout ne peut s’imposer face à la brutalité des hommes. De ce groupe dont Cantet brosse le portrait émerge la figure centrale de Legs. L’action de Foxfire ne peut exister qu’à travers le charisme de son leader charismatique. Maddy, la narratrice, illustre sa domination en susurrant « elle est une étoile mouvante, nous sommes les poussières cosmiques virevoltant dans son sillage ». Elle est l’électron libre libéré des chaînes sociales qui pousse la société féministe utopique qu’est Foxfire à fonctionner. Foxfire est la mise en application de ses espérances. Legs est maître du combat en incitant toujours les actions : les membres, elle les choisit ; le signe, elle le dessine ; la maison, elle l’achète ; ses filles, elle dirige.

Foxfire - confessions d'un gang de filles, Laurent CantetLegs pousse à la radicalisation du mouvement le faisant basculer de groupe à gang. Foxfire est avant tout un long-métrage sur la prise de pouvoir par la force. La violence féminine contre la violence masculine. Laurent Cantet pose alors une réflexion sur ce que nous nommons crime à travers l’altercation de Foxfire et des garçons devant l’école qui se clôt par le renvoie de Legs : un crime est-il seulement ce que nous voyons et qui laisse des marques visibles ? De la menace de Legs découle plus de conséquences que du viol de Rita qui ouvre le film. Ce qui est intéressant de remarquer également c’est que pour prendre possession de leurs vies, elles doivent oublier leur féminité pour endosser le costume brutal des hommes. En effet dans les premiers temps du Gang, la libération passe par la violence physique : leurs visages se superposent alors, au Musée d’Histoire naturelle, aux crânes des hommes de Neandertal comme pour signifier le retour à la sauvagerie. A travers les illusions civilisatrices, nos sociétés restent dictées par la loi du plus fort. « D’abord vient la peur, puis le respect ».  Une peur que seule la violence peut réussir à créer. La revanche sociétale se teinte même d’ironie sadique puisqu’elle est la représentation de la victoire du faible sur le fort : « On ne frappe pas un homme à terre ».

Foxfire - confessions d'un gang de filles, Laurent CantetFoxfire est ainsi, via ce gang, la critique des années 1950. Laurent Cantet parvient à ne pas se faire avoir par le film d’époque. Il dresse donc le portrait sans fard d’une décennie idéalisée. Un vieux homme avoue « on a seulement le droit de parler de bonheur, […] des Etats-Unis du bonheur ». Le pays se glorifie d’être à l’époque le sommet de la culture du chic et de la vie simple et tranquille. Un art de vive à l’américaine dans lequel la femme est une épouse au foyer parfaite. Dans cette société figée dont les seuls soubresauts découlent de la société de consommation, « le bonheur c’est de vivre dans l’action, dans le mouvement, dans la quête » continue le vieillard. C’est ce que tente de faire Foxfire en fondant une contresociété révolutionnaire. « Il faut prendre l’argent où il est, dans la poche des hommes » annonce Legs faisant de l’utilisation des codes sociaux la nouvelle arme du Gang. La politisation de Firefox est pourtant sans doute ce qui entraîne sa perte. Laurent Cantet montre en effet le vrai visage des Etats-Unis des années 50, c’est-à-dire une société paranoïaque, capitalisée au possible et conservatrice. Les membres de Foxfire peignent les vitrines des magasins comme pour refuser le diktat de la consommation : « $$ = Shit = Death ». De plus, le Maccartisme gangrène la société détournant le regard des américains de leurs vrais problèmes : « Le problème, ce sont les communistes ». Le crime de la fin du film est d’ailleurs perçu comme un acte terroriste international alors qu’il n’est finalement que la conséquence de la société américaine. Mais ce détournement illustre la solution américaine de ne pas regarder ses propres problèmes en face.

Foxfire - confessions d'un gang de filles, Laurent CantetFoxfire est un film réussi qui s’explique sur plusieurs niveaux. Mais au-delà de l’histoire de ce gang de fille, c’est surtout un long-métrage sur le talent de Laurent Cantet. Sa caméra oscille entre présence et absence pour se rapprocher au plus près des corps qui s’offrent à sa caméra. Comme le sous-titre du film « confession d’un gang de fille », il effleure et met à nu le collectif pour être finalement au plus près de l’essence individuel et de la sensualité des corps.

Le Cinéma du Spectateur

Note : ☆☆☆✖✖ – Bien

Paradis-Amour : Le Paradis devint Enfer

Paradis:Amour, Ulrich Seidl

Le malaise peut être créé par un réalisateur de plusieurs manières. D’un côté, il peut amplifier ses images et ses propos en cherchant l’insoutenable, cependant il ne doit pas tomber dans le malaise gratuit. De l’autre et c’est le chemin que prend Ulrich Seidl, un réalisateur peut prendre le parti d’une mise en scène épurée, voire clinique, pour amener son spectateur dans une vision d’une réalité presque documentaire. L’avantage principal étant de rendre plus tangible la critique que le réalisateur cherche à faire. Dans sa trilogie Paradis, dont Amour en est la première partie, Ulrich Seidl fait le croquis de l’utilisation d’un pays par une Europe qui, même si elle ne contrôle plus les espaces émergeant, garde une puissance économique et culturelle. Il s’appuie alors sur l’exemple du Kenya et son image d’exotisme paradisiaque. Ulrich Seidl ironise sur la dénomination de « paradis terrestre » de ce pays qui ne montre qu’une fausse façade occidentalisée et taillée dans le rêve des touristes. Il suffit de voir le folklore hôtelier  passant de l’orchestre ressassant la même chanson dans des tenues zébrées à la décoration des chambres peuplées d’animaux exotiques. Mais Ulrich Seidl ne participe à l’émerveillement ambiant, il blâme ce tourisme artificiel. Du tourisme-usine, il montre le nombre des transats, un employé qui met des serviettes sur des sièges avec la même gestuelle du travail à la chaîne. Du tourisme d’hôtel, il place dans ses seconds plans des couples qui stagnent sur les balcons. Par des jeux de parallélisme et de miroir, le réalisateur autrichien ironise froidement de la rupture entre le Kenya créé pour les Occidentaux et la réalité miséreuse d’un peuple qui ne touche quasiment aucun retour de son attrait touristique. Ainsi, d’un côté de son plan le spectateur voit une rangée de chaises longues sur lesquelles se panent des touristes ; et de l’autre, des kenyans prêt à tout pour gagner quelques sous. Pour les séparer, ne se dresse qu’une pauvre cordelette rendue infranchissable par des militaires armés. Ainsi à l’image de « gated communities », l’hôtel s’ouvre par un check point. Ce qui dérange chez Seidl, c’est son aisance à créer des plans frôlant l’absurde de composition pour exprimer une réalité troublante et dérangeante. Sa caméra se pose comme un observateur immuable et impuissant regardant ce qui se présente devant lui comme un spectacle. Le soudain assourdissement qui entoure Teresa – incarnée par le talent de Margarete Tiesel – lorsqu’elle enjambe la cordelette pour entrer dans le véritable Kenya. L’un des autochtones dit alors en montrant l’hôtel « Là, Europe. Ici, Afrique » donnant alors au tourisme une impression de supercherie.

Paradis:Amour, Ulrich SeidlDe la sollicitation du peuple kenyan découle un sentiment de domination et de supériorité qui fait écho à un racisme lattant fruit de la colonisation et des théories de classification des espèces. Apparaît alors un racisme basé sur un exotisme cliché : « les Nègres sentent la noix de coco » prononce Tereseas/Inge Maux. Mais aussi sur l’image qu’en a donné la société puisque dans une scène affligeante Teresa/Margarete Tiesel et une autre touriste autrichienne avilissent le barman en lui faisant répéter tel un singe savant des mots allemands sans sens pour lui dire au final : « Tu ressembles au bonhomme de Banania » symbole d’un racisme colonial. L’amalgame animal/noir continue à travers une discussion entre les deux Teresa(s) qui parle des Noirs comme on parle d’animaux au zoo : « Ils se ressemblent tous », « moi, c’est la taille qui me permet de les distinguer ». Du racisme, le personnage tire également la méfiance et la peur de la saleté en nettoyant à son arrivée sa chambre de fond en comble au désinfectant.

Paradis:Amour, Ulrich SeidlCette surpuissance n’est pourtant qu’imposture puisque la docilité des Kenyans, ainsi que leur gentillesse envers les touristes, n’est pas dénoué d’intérêt. Les « sugar mama » – ces femmes quadra ou quinquagénaire qui viennent au Kenya pour faire du tourisme sexuel – sont des proies faciles. Petites gens chez elles, les « sugar mama » sont ici désirées et draguées comme elles ne le seront sans doute jamais en Europe.  Elle ne réclame que de l’attention, de l’intérêt et du sexe que les escrocs donnent audacieusement cachant dans un premier temps la soif d’argent. Face à la misère qui leur est montré, les touristes sexuelles donnent des sommes rendues peu compréhensible par la conversion monétaire. Mais d’une excitation émotionnelle et sexuelle dont Ulrich Seidl tire des scènes cocasses comme lorsque Teresa apprend à son amant à malaxer un sein à « l’européenne », le réalisateur emprunt son film d’une solitude dévastatrice résultat de la désillusion. Certes la « sugar mama » à ce qu’elle veut, mais ce n’est qu’un subterfuge pour lui soutirer de l’argent. Les relations ne sont pas réelles et la découverte des regards fuyants et des mensonges est presque impossible à dépasser. « Je veux qu’il me regarde dans les yeux, qu’il voit en moi l’être humain » soupire Teresa. Paradis : amour se révèle finalement un long-métrage parcouru par une solitude à l’image des lits vides qui se succèdent ou dans lesquels les amants se séparent et qu’Ulrich Seidl unit que rarement.

Paradis:Amour, Ulrich Seidl« C’est ça l’Afrique » dit Teresas/inge Maux en désignant un strip-teaseur africain dansant nu sur le lit de la chambre d’hôtel. De ce triste constat d’un tourisme à l’inverse de la découverte ethnique, Ulrich Seidl signe un long-métrage corrosif. La raison lui aurait cependant évité de faire parfois tomber Paradis : Amour dans un malaise visuel gratuit et pornographique. Il est maintenant attendu de voir l’œuvre de Paradis dans son ensemble.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆✖✖ – Bien

Main dans la Main: La Fantaisie est déclarée

Main dans la Main, Valérie Donzelli

Dans un cinéma mondial prototypé, il n’y a qu’un nombre limité de réalisateurs dont l’identité propre transperce l’écran. Certes l’imagerie reconnaissable de Donzelli repose en partie sur ses figures immuables que sont ses acteurs fétiches (elle-même, Jérémie Elkaïm, Béatrice de Staël), mais en seulement trois films en quatre ans Valérie Donzelli a réussi à crée un univers identifiable qui repose sur les acquis de la Nouvelle Vague. Ce rapprochement n’est ni présomptueux ni vide si l’on considère la Nouvelle Vague comme un état d’esprit et une façon de se libérer d’un cinéma « académique ». D’ailleurs, chaque réalisateur a exprimé ce vent de liberté à sa façon en se dissociant de ses collègues : des similitudes grotesques entre un Godard ou un Rohmer ?  Valérie Donzelli ne conçoit pas ses long-métrages dans un but de plaire à la totalité des français, mais dans le partage avec son public d’instantanées souvent autobiographiques. Pour Main dans la Main, Valérie Donzelli se plonge une nouvelle fois dans sa relation fusionnelle avec son « compagnon »-collègue Jérémie Elkaïm. Bien que leur relation s’exprime dans ce long-métrage sous des traits fraternels, les deux êtres liés –ne serait-ce pas eux qui sont même contre leur volonté main dans la main ? – ne peuvent se séparer vivant sous un même toit. « Nous ne pouvons plus vivre comme çà » annonce Valérie Donzelli donnant ensuite accès à une scène de renvoie de politesse sur la gêne occasionnée par cette cohabitation dont personne ne veut véritablement la fin. De plus, Valérie Donzelli choisit une façon de faire proche d’un théâtre filmé dans lequel ses dialogues ne cherchent pas une réalité de diction mais ornent ses propos d’une note fragile et poétique. Dans Main dans la Main, elle y ajoute une voix-off inspirée surement de celle du Jules et Jim de Truffaut. Elle réussit le pari d’inclure un procédé dépassé à son film : il faut dire que la voix-off extérieure et omnisciente est un peu obsolète pour le spectateur « moderne ». La réalisatrice ajoute sa fantaisie en faisant de cette voix-off un lieu de dialogue entre des personnages devenus narrateur qui valsent entre les pronoms personnelles ne sachant plus s’ils racontent des faits ou s’ils se racontent eux-mêmes. La voix-off devient un lieu d’échange où chacun à sa part et répond pour corriger les erreurs.

Main dans la Main, Valérie DonzelliLes héros de Donzelli aussi s’inscrivent dans une Nouvelle Vague, certes un peu affaiblie par le temps. Si l’autorité n’est pas ce qui arrête les héros « made in » Nouvelle Vague à l’image du meurtre d’un policier commis par Michel Poincard chez Godard (A bout de souffle), Hélène Marchal (Valérie Lemercier) et Joachim Fox (Jérémie Elkaïm) s’opposent à cette autorité à leur niveau. D’un côté, le personnage de Valérie Lemercier se joue de la figure de la Police l’utilisant à son gré pour se sortir de ses tracas quotidiens : la cour incessante d’un Ministre libidineux. La rencontre du couple liée s’ensuit d’une course poursuite qui se clôturera par la mise en scène d’un faux viol. De l’autre, le personnage de Jérémie Elkaïm s’émancipe de tout poids social en quittant son travail dans une miroiterie lorsqu’on lui propose de reprendre la tête de l’entreprise. C’est peut-être cela le courage moderne : s’opposer à son patron ou son supérieur qui par la conjecture retrouve une position dominante et castratrice sur ses subordonnées en menaçant de renvoie n’importe quelles incartade. De plus les héros donzelliens, n’étant pas des exemples d’altruisme, vivent leur vie en tentant de la rendre la moins compliqué possible. Cependant, ils sont plus ou moins en quête d’amour. Dans Main dans la Main, l’amour n’est pas voulu mais subi. Cette rencontre révèle la solitude de deux êtres.

Main dans la Main, Valérie DonzelliLa singularité du cinéma de Donzelli repose, à la manière de Godard, à sa capacité à inculquer une sorte d’illogisme ou d’absurde dans une réalité de vie noircie ou maussade. « Il y a une différence entre la vie que l’on fantasme et la vie qui nous correspond » déclame le personnage de Valérie Donzelli. C’est de cette vie fantasmée que son cinéma tente de se rapprocher. Déjà dans La Reine des Pommes – son premier long-métrage en 2009 -, elle trouve l’idée fantasque de donner le visage de Jérémie Elkaïm à son ex et ses prétendants nouveaux. Ensuite avec La Guerre est déclarée (2011), Valérie Donzelli parvient à faire une comédie douce et touchante d’un sujet aussi grave que la maladie infantile. Elle parvient à mélanger les genres pour surprendre là où l’on ne l’attend pas. Ainsi, la réalisatrice continue son travail d’appropriation du réel avec Main dans la Main en faisant une incursion dans le domaine du fantastique. Mais il faut relativiser la dénomination de fantastique puisque bien que les deux personnages soient liés de façon inexplicable, même scientifiquement, le traitement et la volonté de la réalisatrice n’ont pas pour but d’expliquer le phénomène et de basculer dans un film fantastique mais de suivre les ressentis des personnages face à cette incursion dans l’inattendu. Après tout, Main dans la Main n’est que l’extrapolation du principe du coup de foudre. De sentimental, il devient physique et compulsif. De cette visualisation de ce qui normalement est invisible découle un humour fin de corps chorégraphiés, de danses des émotions et de jeu de miroir. C’est burlesque, chaplinesque, mais jamais grotesque. Valérie Donzelli joue, de plus, de ses propres digressions montrant aux spectateurs que les faiblesses sont présentes mais connues de sa réalisatrice. Cette annonce permet de faire du fragile une force et de changer le défaut en charme.

Main dans la Main, Valérie DonzelliMain dans la Main est une nouvelle fois une réussite, certes moins éclatante que La Guerre est déclarée ce qui sans doute explique la déception de beaucoup de critiques. Cependant, il est bon de suivre les péripéties cinématographiques de la jeune magicienne du cinéma français.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆✖✖ – Bien

The Impossible: le Triomphe du Pathos

The Impossible, Juan Antonio Bayona

« The Impossible » est l’exemple parfait que le traitement cinématographique hollywoodien ne convient en aucune manière au drame humain et intimiste. Il faut certes noter le courage qui anime Juan Antonio Bayona de s’attaquer de manière si frontale à la catastrophe du Tsunami. Mais courage et candeur ne s’allient pas forcément et on entre alors dans les dérives du pathétique dans lesquelles le film ne sera que réussit que lorsque par des ficelles grotesques il aura fait pleurer le spectateur. « The Impossible » s’inscrit alors dans la nouvelle étiquette du cinéma « made in Oscar » : l’Histoire vraie. Elle répond à la volonté morbide qui hante le spectateur de voir la souffrance et la misère de son prochain, rendues encore plus jouissives par leur véracité. Cependant, il serait assez naïf de ne pas poser de jugement sur l’histoire « vraie » que nous sommes censés voir. Dans cette ode au sentimentalisme mielleux, les éléments du réel sont manigancés pour décrocher la larme, petite victoire du réalisateur. Ce qui est navrant avec le film de Juan Antonio Bayona s’est qu’il se réclame autant du film de survie sur la solidarité humaine que du film catastrophe à la limite du blockbuster. Sachant que ces deux genres ont des logiques opposés, leur antagonisme dessert le film qui ne sait plus sur quel pied danser. Il est indéniable que les effets spéciaux du film sont réussis, mais cela a-t-il vraiment une importance pour le message qu’il cherche à véhiculer ?

The Impossible, Juan Antonio Bayona

Le film tend alors vers une esthétisation d’une nature décharnée par la catastrophe qui dérange. Juan Antonio Bayona tente de dégager au-delà de la souffrance humaine une beauté terrestre, tant dans la forme que dans la photographie, qui rentre en conflit avec les ruines morales et matériels dont le film se veut être le porte-parole. Cet éloge de la dévastation trouble. De plus, « The Impossible » est caricatural dans sa vision de la société thaïlandaise. Le réalisateur espagnol voit dans l’avant tsunami un paradis terrestre. Mais jamais il ne regarde en face la pauvreté de la Thaïlande cachée par l’artifice du tourisme, jamais il ne s’intéresse à la vie de ceux qui ont véritablement tout perdu et jamais il ne daigne se pencher sur la bravoure des autochtones. Le reproche que nous pouvons faire ainsi à la vision de Juan Antonio Bayona, c’est qu’elle est américano-centrée voir touristo-centrée. Il semble ingrat de vouloir émouvoir un spectateur avec l’histoire sans doute la plus banale de la catastrophe.

The Impossible, Juan Antonio Bayona

Ainsi, le film s’autorise une sentimentalité à outrance qui n’a malheureusement aucune subtilité. Outre les jérémiades de Naomi Watts et la musique appuyée de Fernando Velazquez, le film tend vers une glorification de la race humaine avec comme ficelle l’amour du prochain et l’entraide. Ce qui est dommage, c’est que le spectateur perçoit les essaies du réalisateur de sortir des clichés du film sur la solidarité humaine irréelle. Cependant, Juan Antonio Bayona n’arrive jamais à arrêter ses scènes au moment opportun. La séquence autour de l’appel téléphonique en est le plus bel exemple. Le père, Henry (Ewan McGregor), cherche à joindre sa famille restée aux Etats-Unis. Il s’oppose alors au début à la vraie solidarité humaine : je t’aiderai après que je sois moi-même sauvé et tant que je n’aurai rien à perdre. Il obtient seulement une minute d’appel, mais à la fin de cet appel Juan Antonio Bayona tombe dans le sentimentalisme. Assis en forme de cercle sectaire, il est semé de rappeler sous les larmes d’hommes qui vivent au mieux la même tragédie. Cet élan de générosité cinématographique est aucunement crédible et surtout, n’ayons pas peur des mots, niais.

The Impossible, Juan Antonio Bayona« The Impossible » a le défaut de traité la catastrophe de manière puérile. Il effleure son sujet sans jamais s’attarder sur les vrais problèmes du désastre.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆✖✖✖✖ – Mauvais

Tabou: les Revers du Colonialisme

Tabou, Michel Gomez

L’évocation du colonialisme est toujours un sujet tabou dans les sociétés européennes qui s’enorgueillissent maintenant d’être des modèles d’égalité entre les hommes. Dans les faits « les hommes naissent et demeurent libre et égaux en droit », cependant comment le faire comprendre à une génération vieillissante, dernier vestige de ce passé coloniale, pour laquelle la domination des hommes noirs étaient une banalité. Il serait réducteur de catégoriser ce comportement sous un pur racisme, puisqu’ils découlent non pas d’une pensée pseudo-naturaliste mais d’un mode de vie qu’ils ont toujours connu. En effet, comme pour le personnage d’Aurora (Laura Soreval), ce racisme lattant (« négresse », « maudit vaudou ») est la conséquence même d’une enfance où la hiérarchisation était visible et donc indiscutable : le maître était blanc, et les domestiques noirs. D’ailleurs, Miguel Gomes continue cette hiérarchisation à travers le personnage de Santa, une bonne noire cap-verdienne. Si la supériorité blanche ne se base plus sur la « race », c’est maintenant le facteur économique qui maintient les anciennes populations colonisées dans une autre forme d’infériorité. Les bases d’éducation qu’Aurora a reçues ne sont alors plus en accord avec le monde dans lequel elle vit maintenant : un Portugal appauvri. Nous avons toujours du mal à imaginer le Portugal comme une puissante nation coloniale. Le film nous plonge alors dans la nostalgie d’une sorte d’âge d’or dont le Portugal doit faire son deuil. Ce « Paradis perdu », en référence à l’appellation de la première partie du film, était une porte ouverte sur l’exotisme et sur la richesse. Des notions que Miguel Gomes transforment et incorporent dans la société portugaise appauvrie avec une certaine ironie. La luxuriance des terres africaines ne se résume maintenant qu’à la végétation factice d’un centre commercial.

Tabou, Michel GomezSi « Tabou » se permet de replonger dans ce passé d’un autre-temps et pourtant proche, c’est qu’il utilise la vieillesse de son personnage pour basculer dans les souvenirs et les révélations d’une Aurora qui n’a plus rien à perdre. C’est de ses délires de crocodiles que part un récit captivant. Miguel Gomes joue de la polysémie qu’il crée autour du mot même de « Tabou ». Il ajoute alors la désignation d’un Mont d’Afrique imaginaire. Mais surtout  il rajoute au tabou du colonialisme, les tabous moraux ancrés par la religion que représente le personnage de la pieuse Pilar. Le réalisateur garde la même forme du noir et blanc de manière judicieuse. D’un côté, le noir et blanc est le moment des souvenirs d’un passé figé. De l’autre, il exprime un présent terni par la quête d’un retour à un âge d’or inatteignable. Aurora ne vit plus dans son présent, elle survit rongée par les remords. Miguel Gomes le montre par les différentes perceptions temporelles par lesquelles il définit les deux parties. Pendant que le présent bloqué s’écoule avec lenteur de jours en jours, le passé glorieux se consume à la rapidité des mois accéléré par la passion et l’effervescence de la jeunesse. La poésie des images est accentuée par l’audace du réalisateur dans son traitement des souvenirs. En effet, il exclue toutes formes de dialogues. Il y a ici une logique et une cohérence puisque rajouter des dialogues seraient presque mensonger vu la distance de temps qui sépare le moment où les actions ont été vécues et le moment où on en fait le récit. Miguel Gomes se rapproche alors au plus près des procédés de mémorisation du cerveau. Il ne retient que des ambiances, des détails comme la chaleur ou le bruit de la savane environnante. Le spectateur entre alors entièrement, presque physiquement, dans ce passé qui pourtant n’est pas le sien. Il ressent la chaleur étouffante de l’Afrique, l’ambiance festive et l’amour naissant.

Tabou, Michel Gomez« Tabou » est un film sensoriel parfaitement maîtrisé qui dévoile un profond amour pour le cinéma et qui représente également le meilleur de ce dernier. Une réussite plastique et scénaristique hors du temps.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆☆☆ – Chef d’Oeuvre

Le romancier Beigbeder s’essaie au cinéma: coup médiatique ou réussite cinématographique ?

L’écrivain porte à l’écran son propre roman « L’Amour dure trois ans ». Dans cette oeuvre d’inspiration autobiographique, il suit les mésaventures amoureuses d’un chroniqueur mondain du nom de Marc Marronnier. Mais Beigbeder se vend comme le « hipster » ultra-branché qu’il se dit être. Mais finalement, est-il véritablement un auteur à part entière ? Change-t-il vraiment les choses, les codes déjà en vigueur ? Son arrivée dans le milieu du cinéma est-elle une réussite ou un échec ?

L'Amour dure trois ans, Frédéric Beigbeder

A la lecture du synopsis, on voit déjà se dessiner les prémices de la comédie romantique assez banale. Une déception face à l’amour, la désillusion amoureuse, et puis PAF! l’être aimé apparaît. Comme c’est beau – et cliché. Mais bon, on se dit: « C’est Beigbeder, l’homme qui fait tout, donc il va jouer de son statut de comédie romantique, il ne peut tomber si facilement dans ce genre ». Et bien si, s’il ne s’écarte que par des pseudo-phrases chocs, il recentre son sujet dans la banalité de l’amour au cinéma, happy end à l’appui.

L'Amour dure trois ans, Frédéric Beigbeder

Mais ce qui sans doute est le plus agaçant dans ce film, comme l’oeuvre entière de son auteur, c’est cette propension à vouloir se donner un rôle – celui du je-m’en-foutiste qui est censé faire valser nos idéaux sur la société qui nous entoure à coup de phrases chocs ou du moins qui doivent l’être. Il suffit de voir la scène où dans sa chute Marc Marronnier écrit son livre se transformant au fur et à mesure que des phrases du gourou Beigbeder ornent les murs. Des phrases qui veulent faire sourire, dévoiler des vérités crues que l’homme lambda n’aurait pas pu comprendre ou voir, puisqu’il n’est pas le philosophe qu’est Beigbeder.

L'Amour dure trois ans, Frédéric Beigbeder

Le film dégage une envie de montrer une haute-société que le spectateur ne connaîtra jamais et qui lui semble fausse: entre alcool, homosexualité avoué – le coming out peu crédible d’un Joey Starr qui n’est pas utilisé à la hauteur de son immense talent d’acteur – petites pilules. Mais cette image de Bobo ne serait pas celle même de Beigbeider ? Pour apprécier le film, il aurait fallu déjà passer une sorte de marché avec l’auteur. Puisque le corrosif n’est qu’illusion, et le profondeur qu’éphémère.

Un petit résumé: déception.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆✖✖✖✖ – Mauvais