Jurassic World : Archaïque World

Jurassic World, Colin Trevorrow

Il faut de l’audace pour décider de prolonger une des sagas les plus mythiques du cinéma, Jurassic Park. 22 ans avant Colin Trevorrow, Steven Spielberg démontrait pleinement son génie en montrant les possibilités inimaginables que permettaient les images de synthèse lançant un renouveau dans le cinéma fantastique porté ensuite par Kubrick (A.I. Intelligence Artificielle, terminé par Spielberg), Lucas (les prologues de Star Wars) ou encore Peter Jackson (Le Seigneur des Anneaux, King Kong). Jurassic World ne dément pas cette volonté de dépasser les techniques visuelles. Le spectateur est comme les visiteurs du gigantesque parc d’attractions : il est envoyé au cœur du passé dans une nature luxuriante.

Jurassic World, Colin Trevorrow

Néanmoins, cette quête de réalisme – presque sensoriel – est contredite par une course au spectacle que le film critique lui-même. Tout comme le premier opus, Jurassic World blâme une humanité qui joue à l’apprenti sorcier pour un simple souci de divertissement. C’est dans cette tonalité que l’œuvre trouve ses meilleures images avec toutes les trouvailles qui impliquent l’utilisation des dinosaures (comme ceux transformés en poneys pour les enfants) ou les stands de souvenirs servant ironiquement de cachette aux protagonistes. L’invraisemblance est graduelle dans un scénario qui ne peut s’empêcher de tendre vers la série B avec une entraide finale entre dinosaures – inexplicable – qui ne ferait pas rougir les finals des parodiques Megashark. Niant toute réalité scientifique, à l’inverse de Spielberg, la version de Trevorrow se noie dans son propre cahier des charges de divertissement. Il faut surprendre à tout prix un spectateur de plus en plus habitué aux monstres : ce sera à qui rugit le plus fort et à qui sera le plus gros.

Jurassic World, Colin Trevorrow

Quasiment calqué sur le scénario de Jurassic Park, Jurassic World passe à côté de la principale force de Spielberg : une poésie ambiguë entre l’homme et l’animal. Le cinéma de Spielberg est marqué par ce thème de la rencontre avec une altérité d’autant plus marquante qu’elle n’est pas humaine étant soit futuristes (le robot d’A.I., E.T.) soit préhistorique comme c’est le cas ici. Jurassic World perd cette logique en superposant des problématiques humaines à celles qui lient les hommes aux dinosaures. Les différents conflits familiaux sont jetés à l’œil interloqué de ses bêtes ne servant plus qu’à faire prendre conscience de l’importance de la famille. Le film n’est alors qu’un autre symptôme de l’éclatement familial qui gangrène le cinéma américain depuis (trop) longtemps. Le directeur du parc dit que Jurassic Park permet de montrer aux hommes qu’ils sont petits face à la nature mais Jurassic World montre plutôt que l’homme combat de manière dérisoire des moulins à vent émotionnel.

Jurassic World, Colin Trevorrow

La version de Trevorrow est surtout nécrosée par une misogynie rarement exprimée aussi explicitement au cinéma. Si sur le papier il paraît intéressant de voir le rôle-titre occupé par une femme, Claire Dearing (Bryce Dallas Howard), nous sommes bien loin du féminisme de la Furiosa de Mad Max : Fury Road. Elle est l’archétype même de la femme qui pour réussir dans le monde du travail aurait dû sacrifier sa propre humanité. Elle n’est qu’un robot dilapidant des chiffres auquel les hommes reprochent sans cesse son manque d’humanité quand ils ne lui assènent pas des remarques sexistes sur son physique. Claire Dearing est un sujet de blague permanent ne sachant jamais comment survivre – alors qu’un enfant et un adolescent survivent à toutes les étapes et réparent des voitures sans aucun problème de cohérence. Elle est une proie faiblarde autant pour les dinosaures que pour ses propres partenaires : ses neveux préférant rester avec l’inconnu Owen Grady (Chris Pratt), cliché du macho « alpha ». Elle se définit d’ailleurs par lui puisque son seul sourire sera quand l’un de ses neveux dira « ton petit-copain est un badass ». Mais le plus choquant dans un film destiné aux familles, c’est que ce personnage féminin se retrouve poussé à avoir un instinct maternel et à regretter sa réussite professionnelle.

Jurassic World, Colin Trevorrow

Jurassic World est peut-être en adéquation avec son époque dans son étalage de technicités mais honteusement dépassé par un scénario affadi copiant une œuvre vieille de 22 ans où s’insèrent des mentalités des années 1950. Colin Trevorrow ne parvient aucunement à retrouver la magie qui avait permis à Spielberg de livrer un blockbuster réfléchi et donc intéressant.

Le Cinéma du Spectateur
☆ – Mauvais

L’Écume des Jours : Ciné-sthésie

L'Ecume des Jours, Michel Gondry

Le plus américain des cinéastes français se rappelle enfin qu’il est francophone. Il faut dire que depuis La Science des Rêves en 2006, point de Molière dans son cinéma. S’il revient, c’est pour pousser la grande porte : adapter du Boris Vian. Mais pas n’importe quelle œuvre, l’immense L’Ecume des Jours. Jugé inadaptable par le commun des mortels, le roman fantasmagorique et onirique n’avait qu’à tomber dans les mains d’un autre génie. Vian et Gondry sont des créateurs, des bricoleurs, des faiseurs de mondes. L’un est l’homologue de l’autre, chacun unique au sein de son art et pourfendeur de liberté. Pas de limite dans la littérature de Vian, s’il se heurte à un problème il le résout par un néologisme plus signifiant que tout le reste du vocabulaire français. Gondry, en magicien de l’image, libère le cinéma de son formalisme pour l’emmener dans un monde chimérique grâce à ses bricolages visuels. Ils dépassent la banalité de la convenance artistique pour accoucher d’un art onirique, poétique mais surtout singulier. L’Ecume des Jours doit se voir comme l’union de deux artistes – certes l’un est mort – dont les univers interagissent sans débat d’égo et évite ainsi la surenchère et le désastre. Il suffit de se rappeler d’Alice aux Pays des Merveilles de Burton dont les ajouts rendaient le film indigeste. C’est donc ici un judicieux partage : Vian fera le fond, Gondry la forme.

L'Ecume des Jours, Michel Gondry

Gondry rapproche le cinéma et la poésie. En véritable poète visuel, il amène une sorte de synesthésie que prônait Baudelaire ou Rimbaud. Un mélange des sens qui au-delà de l’absurde apporte un onirisme certain. L’exemple le plus parfait serait les rayons de lumière devenant des cordes musicales chantant le bonheur de la vie. Dans cette Ciné-sthésie, Gondry raconte une histoire à un spectateur replongeant dans son enfance. Il est un conteur qui parvient à tutoyer le merveilleux avec des choses simples comme cette histoire d’amour. Certes il s’appuie sur l’imaginaire de Vian, mais il y ajoute la fraîcheur de son cinéma « fait-maison ». L’Ecume des Jours est une bouffée d’air dans un cinéma souvent tourner vers le réalisme du misérable-sociale. Le lyrisme réapparait petit à petit à travers des cinéastes qui osent comme déjà Solveig Anspach et Queen of Montreuil sorti le 20 mars.

L'Ecume des Jours, Michel Gondry

Gondry prend au mot Vian. Au-delà de livrer une adaptation fidèle tant dans l’histoire que dans l’univers, Gondry ironise poétiquement des expressions françaises. Il fait « nager [ses mariés] dans le bonheur » dans une scène visuellement magnifique. Il passe ainsi en revu, tout comme Vian, plusieurs formules : « Prendre coup de vieux » avec Omar Sy, « temps partagé » dans un pic-nic que les caprices du temps fait devenir absurde ou encore « se sentir oppressé » avec la réduction des murs lorsque Romain Duris est alerté de l’état de Chloé (Audrey Tautou) au téléphone. Il suit ardemment les figures de Boris Vian donnant au film un aspect lyrique et une beauté visuelle rare.

L'Ecume des Jours, Michel Gondry

Cependant, L’Ecume des Jours est l’histoire d’un dépérissement. Tous comme les fleurs, les vies se fanent et se rabougrissent à l’image de l’appartement. Vian faisait déjà rétrécir l’appartement suivant le niveau de vie prenant alors au pied de la lettre la « baisse du niveau de vie » pour rester dans la force du premier dégrée. Gondry apporte ce que le film ne pouvait offrir : l’image. Cette dimension nouvelle ne pouvait rester la même. Gondry décide (judicieusement) de la faire suivre le dépérissement général de l’œuvre. La photographique remonte alors le cours du temps cinématographique perdant progressivement et subtilement sa couleur (et donc sa joie, sa vie) et sa perfection numérique (la maladie). Gondry ramène le cinéma à ses origines et donne à son image les soubresauts touchants des premières pellicules. Cette remontée temporelle permet de mettre en avant la prouesse des « bricolages » visuels du réalisateur et place le cinéma contemporain sur un piédestal. Stabilité de l’image, son et couleur sont les prouesses d’un siècle.

L'Ecume des Jours, Michel Gondry

L’Ecume des Jours est bien plus qu’une simple adaptation. C’est un langage lyrique que développe Gondry dont l’art de la mise en scène amène le cinéma bien au-delà de ses limites. Il livre un film oscillant entre cinéma, arts plastiques et poésie. Un long-métrage unique pour un roman unique.

Le Cinéma du Spectateur

Note : ☆☆☆✖✖ – Bien