Journal d’une femme de chambre : la Rigidité du Plumeau

Journal d’une femme de chambre, Benoît Jacquot

La fascination des cinéastes pour Le Journal d’une Femme de Chambre (1900) d’Octave Mirbeau semble sans faille. Benoît Jacquot offre une quatrième adaptation à l’histoire de Célestine, cette femme de chambre parisienne allant officier chez des nantis provinciaux. Dans ce contexte, sa version souffre de ne pas dégager la fraîcheur d’une œuvre nouvelle et s’alourdit de l’obligatoire comparaison avec ses prédécesseurs, notamment l’adaptation réussie de Luis Buñuel (1964). Pour éviter la redondance, Jacquot se doit de trouver son propre langage visuel éloigné de la contemporanéité du réalisateur espagnol. Il choisit alors, comme pour Les Adieux à la Reine (2012), une sorte de classicisme moderne alliant la désuétude des fondus à la pseudo-modernité de la caméra à l’épaule. Se dégage alors une forme curieuse, tout de même académique, qui affirme la volonté de Benoît Jacquot de justifier son adaptation dans le moindre plan.

Journal d’une femme de chambre, Benoît Jacquot

Le réalisateur français cherche également à trouver un schéma narratif nouveau et signifiant qu’il pense obtenir dans un récit fragmenté par des flash-backs. Dans ce récit-miroir, l’enfer social du présent (le service chez les Lanlaire) se fait le triste reflet du fantasme du passé (le service auprès de Georges) où Célestine avait « une chambre de maître » comme elle s’enorgueillit auprès de Marianne et de Georges, les autres domestiques de la maison normande. Néanmoins, Jacquot tombe dans un didactisme qui rend visible les ficelles que Mirbeau avait soigneusement dissimulé dans son roman. La fascination pour Célestine, jouée par Jeanne Moreau dans la version de Buñuel, tient justement dans le flou de sa condition et dans le non-dit de son déclassement social parmi les domestiques. Par ce choix, Jacquot cherche surtout à apporter une mosaïque de récits et de sentiments qu’il tend alors à une Léa Seydoux convaincante. Cependant en ouvrant son récit au passé, il s’oppose à la dynamique même du récit : celui d’enfermer Célestine dans le microcosme que forme la maison des Lanlaire comme symbole de la bourgeoisie provinciale. C’est dans l’hermétisme de cette société que Le Journal d’une Femme de Chambre de Mirbeau tenait aussi bien sa force critique que sa subversion au travers du regard d’une domestique, fait rare dans la littérature du début du XXe siècle.

Journal d’une femme de chambre, Benoît Jacquot

Ces flash-backs recouvrent alors le récit de Célestine chez les Lanlaire forçant Benoît Jacquot à élimer ce dernier, dans les 95 minutes qu’il octroie à son adaptation, pour en faire uniquement des scènes clés censées être signifiantes. Cependant en abusant de raccourcis, il fait des personnages de Mirbeau des archétypes monolithiques. La comparaison entre le traitement de Célestine par Buñuel et par Jacquot montre le basculement de l’œuvre vers le feuilleton. Alors que le premier faisait de cette domestique un obscur objet du désir se complaisant dans sa séduction et dans la place de dominante qu’elle obtient, la seconde n’est qu’envisagée que par de phrases véhémentes chuchotées aux spectateurs pour montrer sa véhémence. Ainsi, elle n’avance que par la haine de sa condition sans le plaisir malsain de pouvoir détruire un microcosme qu’elle prédomine par ses charmes. La Célestine de Jacquot n’a ni ambivalence ni aspérité d’autant plus qu’elle ne vit dans la seconde moitié du long-métrage qu’aux travers sa fascination, que le cinéaste ne parvient pas à rendre palpable, pour Georges (Vincent Lindon) le jardinier.

Journal d’une femme de chambre, Benoît Jacquot

Ce dernier est également réduit à n’être que l’archétype d’une virilité passéiste où les paroles tiennent plus du grognement. Alors qu’il était chez Mirbeau (et chez Buñuel) le défenseur d’un conservatisme en plein délitement qui le poussait à la haine des juifs dans un contexte post-dreyfusard, il ne devient plus qu’un antisémite dont les motifs sont survolés dans une seule et unique scène. En époussetant ainsi ses personnages de toute substance autre que servant le personnage de Célestine (déjà affadi), Jacquot supprime les thématiques qui faisaient l’intérêt du Journal d’une Femme de Chambre de Mirbeau. Ainsi, le traitement des nantis provinciaux est seulement entraperçu au travers des guignolesques Madame Lanlaire (Clotilde Mollet) et Monsieur Lanlaire (Hervé Pierre). Outre une scène lourdingue où une tenancière de maison close aborde Célestine, le cinéaste français parvient néanmoins à montrer la position des bonnes à la fin du XIXe. La « servitude dans le sang » comme le dit Célestine, elles sont assimilées à des filles de joie : « vous pourrez avoir de la chance avec de la conduite », sous-entendu être engrossée, dira la placeuse.

Journal d’une femme de chambre, Benoît Jacquot

Malgré cela, Journal d’une Femme de Chambre est coincé dans sa propre rigidité avec des personnages qui ne sont pas assez traités pour exister pleinement et être autre chose que des entités monolithiques. Benoît Jacquot semble perdu entre un récit qu’il veut novateur et des raccourcis censés être comblés par la connaissance des spectateurs de l’œuvre d’Octave Mirbeau.

Le Cinéma du Spectateur
☆ – Mauvais

Jacky au Royaume des Filles : l’arroseur arrosé

Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf

Projection Presse
Critique-Ouverte

La naissance de Riad Sattouf en tant que réalisateur (Les Beaux Gosses, 2009) s’est faite sous les meilleurs auspices : une présentation à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs, près d’un million d’entrées et le César du Meilleur Premier Film. Il signait une comédie atypique trouvant ses meilleurs ressorts comiques dans l’exacerbée banalité d’un adolescent de 15 ans. Il signait un film ingrat sur l’âge ingrat. Une œuvre qui plaçait Riad Sattouf parmi les plus beaux espoirs du cinéma français. Un titre qu’il ne conforte pas avec Jacky au Royaume des Filles : comédie plus futile que politique.

Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf

L’œuvre de Riad Sattouf est, comme la précédente, un ovni cinématographique. Un fourmillement de détails qui donne corps au loufoque monde de Bubunne, dictature matriarcale. Une société inversée dans laquelle les hommes affublés de voileries s’occupent des tâches domestiques pendant que les femmes tiennent les magasins, dirigent l’armée ou paradent sur des motos. C’est d’ailleurs sur ce renversement de nos images sociales que repose l’intégralité comique du film : le père de Jacky mort en l’éjaculant, les avances sexuelles des femmes, les rivalités sororales. Jacky au Royaume des Filles n’est autre qu’une réécriture foutraque du mythe de Cendrillon. Un rôle que tient Jacky (Vincent Lacoste) rêvant de se rendre au Bal des Gueux durant lequel la magnifique Colonelle (Charlotte Gainsbourg) choisira son époux.

Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf

L’œuvre se veut cependant réflective sur la question de la soumission et de son intériorisation. Riad Sattouf cherche à comprendre ce qui empêche sa Cendrillon de se rebeller contre un monde qui le met à mal. Il fait alors de son récit une farce politique pour montrer l’évidence : les rêves des individus sont le fruit des conventions sociales ce qui explique que Jacky préfère devenir le Gueux suprême plutôt que de fuir avec son oncle vers la liberté. La dictature est un état de fait qu’il est impensable de surmonter pour la majorité des gens qui se complaisent alors dans un enfermement physique (les voileries) et mentale (la peur, les conventions). Riad Sattouf s’attaque également aux institutions religieuses qui abaissent les hommes à croire au grotesque. Bubunne sanctifie les cheveux et les poneys qui auraient des dons télépathiques.

Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf

Cependant, le projet philosophique de l’œuvre est affadi par une perpétuelle course aux gags qui entraîne parfois l’œuvre dans des scènes manquant de subtilités. De plus, l’inversion homme/femme est mise à mal par la figure subversive de l’oncle Julin (Michel Hazanavicius). Il n’est pas le lien souhaité entre notre monde et celui de Bubunne mais semble plutôt un individu anachronique à l’univers du film notamment sur sa façon de se prostituer qui ne différent en rien du gigolo que nous connaissons au sein de nos sociétés. D’ailleurs, la mise en scène de Riad Sattouf manque d’audace ; n’aurait-il pas pu créer également une manière de filmer proche du cinéma soviétique pour rentre compte même dans le traitement de l’image du formatage de Bubune ? Il y a certes un travail énorme de création d’un point de vue plastique (entre Corée du Nord et la Russie de Staline), mais qui s’oppose à un certain académisme filmique.

Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf

Enfin, Jacky au Royaume des Filles se confronte à des problèmes de méthode philosophique. Inverser une situation de manière grotesque est-il véritablement un moyen suffisant pour dénoncer un état de fait ? Si les sexes échangent leur place, les caractéristiques des domines et des dominants restent les mêmes. Le regard de Sattouf n’est alors qu’une transposition du problème sans regard novateur. L’originalité qu’on pouvait trouver à l’œuvre devient discutable. De plus, poser une critique du réel dans un lieu fictif ne dénaturerait-il pas le propos que cherche à défendre le réalisateur ? Certes le film s’inscrit dans une réalité de décors édifiante avec cette ville géorgienne qui applique à la lettre l’idéologie égalitaire communiste, mais Bubunne est un lieu qui n’est pas palpable dans l’esprit du spectateur. Le projet politique devient une simple farce altérée par le caractère fictif de l’œuvre.

Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf

Le deuxième long-métrage de Riad Sattouf laisse le spectateur sur la touche. Les images sont plaisantes, certaines moments décrochent un rire, mais l’ambition du réalisateur se noie dans trop plein d’intentions.

Le Cinéma du Spectateur
☆☆✖✖✖ – Moyen