Que garder des années 2000 ?

Récemment, j’ai sollicité votre opinion pour réaliser un sondage : « quels sont les films des années 2000 qui vous ont le plus marqué ? ». Vous avez été plus d’une vingtaine à me faire part de vos coups de cœur, je vous remercie. Je vous dévoile ainsi les films qui sont pour vous les plus audacieux, les novateurs, les plus cultes.

1. In the Mood for Love, Wong Kar-Wai (Hong-Kong, 2000)

In the Mood for Love, Wong Kar-Wai

2. Le Seigneur des Anneaux : la Communauté de l’Anneau, Peter Jackson (Etats-Unis/Nouvelle-Zélande, 2001)

Le Seigneur des Anneaux : la Communauté de l'anneau, Peter Jackson

3. Kill Bill : volume 1, Quentin Tarantino (Etats-Unis, 2003)

Kill Bill : volume 1, Quentin Tarantino

4. Le Seigneur des Anneaux : le Retour du Roi, Peter Jackson (Etats-Unis/Nouvelle-Zélande, 2003)

Le Seigneur des Anneaux : le Retour du Roi, Peter Jackson

5. Le Seigneur des Anneaux : les Deux Tours,  Peter Jackson (Etats-Unis/Nouvelle-Zélande, 2002)

Le Seigneur des Anneaux : les Deux Tours

6. Le Voyage de Chihiro, Hayao Miyazaki (Japon, 2001)

Le Voyage de Chihiro, Hayao Miyazaki

7. Valse avec Bachir, Ari Folman (Israël, 2008)

Valse avec Bachir, Ari Folman

8. Good Bye, Lenin !, Wolfgang Becker (Allemagne, 2002)

Good Bye, Lenin !, Wolfgang Becker

9. Gran Torino, Clint Eastwood (Etats-Unis, 2008)

Gran Torino, Clint Eastwood

10. Million Dollar Baby, Clint Eastwood (Etats-Unis, 2004)

Million Dollar Baby, Clint Eastwood

Votre classement montre plusieurs tendances. Le retour d’une cinéphilie des blockbusters avec la présence des 3 volets du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson,. En effet, les années 2000 sont marquées par l’arrivée de véritables réalisateurs déjà encensés pour d’autres œuvres : Christopher Nolan révolutionne Batman, Sam Raimi s’en prend à Spider-man, Chris Columbus adapte Harry Potter. Voilà que des œuvres que vous avez mentionnées. Le spectateur peut alors enfin conjuguer divertissement et plaisir cinéphile comme dans les années 1970-80 avec George Lucas, Steven Spielberg ou Chris Columbus (déjà).

Les années 2000 marquent aussi l’éclosion d’une animation plus mature. Le monopole du style Disney s’effrite déjà : les Studios Ghibli de Miyazaki et Pixar amènent une nouvelle concurrence. Un cinéma qui dépasse la sphère de l’enfance et qui atteint même les festivals de cinéma puisque Le Voyage de Chihiro est présenté à Berlin, Valse avec Bachir à Cannes tout comme Persépolis et Les Triplettes de Belleville que vous avez aussi plébiscité. L’animation entre également dans un service de mémoire dont dispose le cinéma.

Les années 2000 sont également le théâtre d’un passage de relais au sein des réalisateurs américains. Seul Clint Eastwood parvient encore à atteindre des sommets critiques et publics, il réalise durant les années 2000 ses plus grands films qui installent son style à Hollywood presque en modèle. Les vieux de la vieille sont remplacés par de jeunes réalisateurs qui confirment leur succès des années 2000 comme Quentin Tarantino ou les Frères Coen. Mais c’est surtout de nouveaux visages qui deviennent des références : Peter Jackson, Christopher Nolan, James Gray, Sofia Coppola. Il en est de même en France avec Michel Gondry, Jacques Audiard, Michel Hazanavicius ou Maïwenn.

Je vous fais d’ailleurs part du classement des réalisateurs :

1. Peter Jackson – Trilogie Le Seigneur des AnneauxKing-Kong
(4 longs-métrages, 14 votes)

2. Clint Eastwood – Million Dollar BabyGran TorinoLettres d’Iwa Jima
(3 longs-métrages, 7 votes)

3 ex-aequo. (3 longs-métrage, 4 votes)
Pedro Almodovar – VolverLa Mauvaise EducationEtreintes Brisées
Jacques Audiard – Un ProphèteDe Battre mon coeur s’est arrêtéSur mes lèvres

5 ex-aequo. (3 longs-métrages, 3 votes)
Alejandro Gonzales Inarritu – Babel, 21 Grammes, Amours Chiennes
Christopher Nolan – Memento, Le Prestige, The Dark Knight

7. Wong Kar-Wai – In the Mood for Love, My Blueberry Nights
(2 longs-métrages, 7 votes)

8. Quentin Tarantino – Kill Bill, Inglorious Basterds
(2 longs-métrages, 6 votes)

9. Chris Columbus – Harry Potter 1, Harry Potter 2
(2 longs-métrages, 4 votes)

10 ex-aequo. (2 longs-métrages, 3 votes)
Michel Gondry – Eternal Sunshine of the Spotless Mind, La Science des Rêves
Paul Thomas Anderson – There Will Be Blood, Magnolia

Pour finir, je vous dévoile le podium des longs-métrages français qui font également part des mêmes remarques.

1. Persépolis, Marjane Satrapi, Vincent Peronnaud (2007)

2. Un Prophète, Jacques Audiard (2009)

3. OSS 117 – Le Caire, nid d’espion, Michel Hazanavicius (2006)

Je vous remercie une nouvelle fois, je vous dévoilerai prochainement le top 10 du Cinéma du Spectateur.

The Grandmaster : Combats visuels

The Grandmaster, Wong Kar-Wai

Projeté au 15e Festival Asiatique de Deauville

Estomper la démarcation entre concret et irréel pour former une autre réalité, c’est la volonté du cinéma de Wong Kar-Wai. S’il s’attaque (étonnement) au film de Kung-Fu, il le fait pour accoucher d’une nouvelle vision : un renouveau qui tend autant d’un retour au réalisme que d’une façon nouvelle d’amener la dimension chimérique et onirique qui fait le succès du genre. The Grandmaster se veut être le pionner du « vrai » kung-fu comme le montre son sous-titre : « il était une fois le Kung-Fu ». Wong Kar-Wai s’entoure du Maître Woo-Ping Yuen pour livrer une œuvre sans artifice. Finit les fantaisies visuelles avec des individus combattants dans les airs ou courant sur les murs. Jamais le sang ne jaillit. Un adversaire ne meurt pas, il disparaît derrière les panneaux de bois détruits. L’œuvre de Wong Kar-Wai marque ainsi un retour à la beauté même du combat sans la glorifier et sans lui rendre un côté trash : seule la beauté du geste compte. Cependant, Wong Kar-Wai reste un cinéaste de l’esthétique. Cette réalité lui permet alors de décaler l’intérêt des gestes des combattants à leur répercussion sur l’environnement. The Grandmaster est une œuvre minérale : ce n’est plus le coup porté qui est le centre de l’image, mais la poussière qui se soulève, la neige qui glisse, le bois qui se fissure. On glisse alors en quelque sorte d’un microcosme à un macrocosme. Et c’est dans ce décalage que la beauté visuel de Wong Kar-Wai fait des miracles. C’est d’ailleurs l’extérieur qui se charge des fantaisies : un train qui passe sans fin lors du combat entre Gong Er (Zhang Ziyi) et Ma san (Jin Zhang), un jardin enneigé peuplé de cerisiers en fleur.

The Grandmaster, Wong Kar-Wai

Si The Grandmaster se donne une dimension historique, c’est pour mieux la transgresser. Wong Kar-Wai inscrit son film dans l’ombre d’Ip Man : l’illustre maître formateur de Bruce Lee. Il s’immisce alors obligatoirement dans un contexte, celui de l’humiliation d’une Chine désemparée et désunie. L’invasion japonaise de 1937 marque ainsi le passage de dominant à dominé. Ainsi, les différents maîtres d’arts martiaux sont les échos des membres du Guomindang, le parti communiste chinois, incapable de s’unir et luttant les uns contre les autres pour assoir les suprématies de clans. Mais Wong Kar-Wai se dissocie rapidement de l’Histoire puisque seul le personnage d’Ip Man n’est pas fictifs. Tous les autres sont le fruit d’une recherche sur des personnalités du champ des Art martiaux, mais aucun n’est une transposition directe.

The Grandmaster, Wong Kar-Wai

C’est par ces transgressions que Wong Kar-Wai inscrit The Grandmaster en continuateur de ses propres thématiques. L’œuvre répond toujours à cette nostalgie pesant pour un temps passé. D’abord, la nostalgie du réalisateur pour la beauté visuelle du fantasme des années 30/40 ; ensuite celle de ses personnages pour un temps de paix déjà oublié. Au-delà de l’image « Vertical/horizontal » – symbole du vainqueur et du perdant – que prône Ip Man (Tony Leung Chiu Wai) lorsqu’il explique son art, on retrouve également l’obsession des personnages de de Wong Kar-Wai pour la droiture morale.  Cette droiture résonne surtout dans les amours impossibles que le réalisateur hongkongais affectionne (In the Mood for Love, 2000) avec ici Ip Man et Gong Er dont l’ambition et l’amour se peuvent coïncider.  Cette dernière symbolisant les relations humaines par l’implacable froideur d’un jeu d’échec. C’est dans cette quête perpétuelle d’un idéal perdu que les éléments visuels de Wong Kar-Wai prennent leur sens. Les travellings saccadés et les ralentissements de l’image marquent la suspension du temps, d’un présent non-désiré loin des joies du passé et du rayonnement d’un futur lointain. Les jeux de focal isolent les personnages pour les montrer dans leur solitude souhaitée ou non, dicté par la droiture moral qui parcoure l’œuvre de Wong Kar-Wai.

The Grandmaster, Wong Kar-Wai

Face à la maestria de The Grandmaster, face à son immense travail technique (création de tous les décors, plus de 360 jours de tournage), comment expliquer que le film n’est pas une œuvre majeure dans la filmographie de Wong Kar-Wai ? Le spectateur est émerveillé par la forme, mais moins par le fond. Il faut dire que le film fonctionne par un incessant travail de voix-off qui a tendance à laisser un peu le spectateur de côté. De plus le scénario est décousu fonctionnant sans logique dans une temporalité déconcertante à laquelle s’associent des personnages sans fondement comme La Lame qui n’est jamais rattaché à aucun des personnages. Cela s’explique par la rumeur (rêvée sans doute) de l’existence d’un film de 4 heures pour les marchés asiatiques. Enfin, si Wong Kar-Wai parvient à séduire les non-adeptes des films d’arts martiaux, il reste tout de même un certain hermétisme tenace au genre.

The Grandmaster, Wong Kar-Wai

Le Cinéma du Spectateur

Note : ☆☆☆✖✖ – Bien

Festival du Film Asiatique de Deauville, 15e Edition : Le Compte-Rendu (Hors-Compétition)

15e Edition du Festival du Film Asiatique de Deauville

Le Festival du Film Asiatique de Deauville est double. D’un côté, la sélection officielle se veut porte-parole de l’effervescence de la jeunesse asiatique en privilégiant (justement ou non) des réalisateurs novices qui partagent leurs premières œuvres. De l’autre, c’est le rendez-vous des (très) grandes figures du cinéma asiatique dont Sono Sion et Wong Kar-Wai qu’honorent cette année le Festival. En 15 ans, Deauville a réussi à devenir l’un des points de convergence de la pensée filmique asiatique et ainsi arrive à extraire les fluctuations d’un cinéma autre pour ce qu’il est de différent dans sa forme, sa maîtrise et ses codes. Cependant, cette année est charnière puisqu’elle montre un bouleversement : les réalisateurs sortent de leurs codes ou de leur univers pour créer un cinéma asiatique nouveau. Le drame devient une comédie, le long-métrage devient un feuilleton fleuve. C’est en se jouant des frontières que l’Asie se réinvente pouvant laisser parfois des spectateurs déçus du changement sur son passage. C’est sur toutes ses modifications que nous allons nous appuyer.

Hors-Compétition : Les grandes figures (ré)inventent le cinéma asiatique

L’innovation au sein d’une filmographie ne peut avoir lieu que par une altération des codes et thèmes chers à son réalisateur. Ainsi Chen Kaige se sépare de toutes ses caractéristiques de l’épopée historique plus ou moins récente qui lui avait permis la consécration cannoise en 1993 avec Adieu ma concubine. Le réalisateur chinois se veut à l’image de son pays : moderne, vivant, cinglant. Caught in the web est tout simplement le miroir (fantasmé) d’un pays technologique, capitalisé, moderne et même peoplisé. Kaige conçoit un artéfact social dans lequel l’image (voire l’e-image) est reine. Ne serait-ce pas ce que tente si naïvement de faire la Chine : créer une image d’un état démocratique et social pour plaire aux marchés occidentaux ? Caught in the Web, c’est le cinéma chinois 2.0 : l’Empereur devient patron de multinationale, les serviteurs se transforment en journalistes. Seuls l’amour et la réputation traversent ce bond dans le cinéma moderne.

Caught in the web, Chen Kaige

Caught in the Web (Chen Kaige, Chine)

Chez Sono Sion, ce ne sera pas un virage radical mais une simple évolution dictée par des enjeux extérieurs au cinéma. Le cinéaste japonais est l’un des fers de lance d’un cinéma japonais indépendant et déluré depuis le milieu des années 1980. Il délaisse l’horreur jouissive créée et mise en scène – comme dans Suicide Club (2001) qui s’ouvre par le suicide collectif de 54 jeunes lycéennes sur les rails d’un métro – pour s’immiscer dans l’horreur de la vie, l’horreur des hommes et l’horreur du quotidien. Profondément marqué par les évènements de Fukushima, Sono Sion matérialise cette peur au travers d’une trilogie, celle « du chaos », dont The Land of Hope est le deuxième long-métrage. La violence extrême de l’épisode nucléaire est telle qu’il en deviendrait dérisoire d’apporter une horreur factice. Cette œuvre dénonce la possibilité d’un nouvel cataclysme que met en scène Sono Sion puisque le Japon n’a aucunement remis en cause son schéma énergétique. The Land of Hope n’est finalement pas véritablement une terre d’espoir, mais seulement une façon de s’accrocher à la vie (radioactive ou non). Sono Sion ne délaisse pas son style et son humour mordant, mais s’assagit à contrario des éléments.

The land of Hope, Sono Sion

The Land of Hope (Sono Sion, Japon)

Avec The Grandmaster, Wong Kar-Wai fait le pari audacieux de rendre à un genre son essence même. Jamais il ne délaisse son style : sa façon de filmer les imperceptibles mouvements du corps pourtant fort de sens, sa façon de suspendre avec grâce le temps et de modifier les espaces pour en faire les cocons malléables de sa virtuosité. Le cinéaste hongkongais supprime la superficialité des films des arts martiaux pour accoucher d’une œuvre semi-historique sur le maître Ip. Son maître mot est l’authenticité des combats : plus personne ne volent, ne court sur les murs ou réalise des prouesses surhumaines. The Grandmaster se doit d’être la face réaliste des films de genre. Wong Kar-Wai se détache même des corps en lutte pour se focaliser sur les détails naturels : ce n’est plus le coup porté qui est le centre de l’image, mais la poussière qui se soulève, la neige qui glisse, le bois qui se fissure. C’est en cela qu’on pourrait voir dans les plus belles images du Festival une pensée naturelle voire minéral. En apportant sa finesse et sa maîtrise, Wong Kar-Wai révolutionne un genre assez hermétique que seul Tsui Hark avait réussi à bousculer légèrement par l’incursion fantastique.

The Grandmaster, Wong Kar-Wai

The Grandmaster (Wong Kar-Wai, Hong-Kong-Chine)

C’est ensuite la structure, même, du cinéma qui est bouleversée par les réalisateurs asiatiques. Kiyoshi Kurosawa estompe, comme le Carlos d’Assayas, la démarcation entre la télévision et le cinéma. En effet, le Festival de Deauville présente sa série Shokuzai comme un diptyque Celles qui voulaient se souvenir/Celles qui voulaient oublier. De série télévisuelle, nous passons à un film fleuve complet et qui permet à Kurosawa de délivrer sa finesse psychologique avec une lenteur et un détail que le cinéma n’aurait pas permis. Mais le véritable bouleversement de la matière cinématographique réside dans l’œuvre du thaïlandais Apichatpong Weerasethakul. Son Mekong Hotel oscille avec notre perception de l’image jouant avec le spectateur : Est-ce qu’il filme son histoire, ou est-ce que son histoire n’est finalement que le fruit d’un montage de rushs qui deviennent sens par la magie de l’image ? Son œuvre de 57 minutes n’est finalement que les répétitions pour un autre film (Ectasy Garden), mais il s’en dégage une unité, une force et une présence mystique indéniable qui font de Mekong Hotel une réussite, un bijou de contemplation, de paganisme et de douceur.

Mekong Hotel, Apichatpong Weerasethakul

Mekon Hotel (Apichatpong Weerasethakul, Tahïlande)

Comme toujours d’irréductibles cinéastes se conforment à leur savoir-faire et à leur univers. C’est le cas de Kim Ki-Duk et de son Pieta (récompensé du Lion d’Or à Venise) qui ne varie pas du cinéma sud-coréen sale « classique ». Brillante Ma. Mendoza apporte une joie et des couleurs nouvelles à son œuvre. Thy Womb montre toujours ce don de filmer la vie, le temps et les hommes. Le réalisateur philippin sonde l’âme humaine au plus près pour accoucher d’un long-métrage empreint de sagesse, de force, de douceur. Le cinéma est émotion, le cinéma est vie, et le cinéma est celui de Brillante Ma. Mendoza.

Thy Womb, Brillante Ma. Mendoza

Thy Womb (Brillante Ma. Mendoza, Philippines)

Le 15e Festival du Film Asiatique de Deauville aura ainsi mis en avant un cinéma asiatique en pleine ébullition avec des jeunes cinéastes prometteurs mais surtout un renouveau de la manière de faire des films et de voir les œuvres. L’Asie est à l’image de ces films oscillant entre tradition ancestrale et recherche d’une modernité non-calqué sur les modèles européens et surtout américain.

Le Cinéma du Spectateur