Ridley Scott est un réalisateur complexe. Son oeuvre montre une profonde dualité. Il y a deux Ridley Scott complètement différents dont les deux modes de traitement visuel sont sans aucun atome crochu, et parfaitement hermétique l’un envers l’autre. D’un côté, le cinéaste récompensé, et parfois acclamé, avec des films dramatiques dérivant de plus en plus vers le film de cape et d’épée façon Blockbuster. De l’autre, le réalisateur qui a (re)créé un cinéma de science-fiction exigeant en mettant au centre de son oeuvre la claustrophobie, l’angoisse de l’inconnu, l’avancée dans le flou. C’est cette ignorance qui entraîne les comportements qui dirigent ses films: la curiosité sera plus forte que la mort. Une seule chose unit cependant les deux cinémas de Ridley Scott: une volonté de recréer des époques, des cultures, des modes de vie. Et c’est pour cela que son oeuvre mise une grande partie de sa réussite sur la direction artistique. « Prometheus » n’échappe pas à la règle: Ridley Scott (à travers Arthur Max, son chef décorateur) crée lui-même une civilisation, n’oubliant aucun détail (langage, art), dans laquelle l’obscurité est reine et le noir se nuance de métal ou de pétrole. Si nous sommes le peuple de la lumière (l’omniprésence du blanc dans le vaisseau Prometheus), eux seront engloutis par les ténèbres de leur propre civilisation.
« Prometheus » marque le grand retour du cinéaste vers la Science-Fiction. Et pour réussir son opus, Ridley Scott s’approprie toutes les valeurs sûres du genre. Conséquence, « Prometheus » perd toute individualité. Il ne fait que partie des films de genre assez banals. Scott ne révolutionne plus la Science-Fiction avec des trouvailles techniques et scénaristiques: il réchauffe ce qui fonctionne (assurément) sur le public venu pour trembler, se cacher les yeux. Le point de vue subjectif des caméras pour une mise en abyme du rôle de spectateur, pour que ce dernier se sente encore moins capable d’intervenir, pour amplifier sa passivité et l’horreur d’assister à des morts en direct. Et le pire dans tout çà, c’est que Ridley Scott ne pousse pas le vice jusqu’au bout, pourquoi revenir au point de vue objectif lors de l’attaque, pourquoi ne montrer que l’angoisse des personnages ? L’originalité de l’oeuvre nous trouble encore lorsqu’il reprend ses propres thèmes: héberger en son propre corps l’ennemi, une des plus grandes trouvailles de Scott, malheuresement, Noomi Rapace n’est autre qu’un double de John Hurt (Kane dans « Alien ») qui a déjà endossé ce rôle … 32 ans auparavant. Enfin, Michael Fassbender est l’extension du HAL 9000 de Stanley Kubrick dans « 2001: l’Odyssée de l’Espace ». Mais cette version humanoïde perd la puissance d’un simple cercle de lumière rouge. Les actes de HAL 9000 sont imprévisibles car aucune identification n’est possible. Sa froideur est implacable, on comprend que l’homme n’a aucune emprise sur lui. Michael Fassbender apparaît plus comme un homme psychorigide qu’une véritable menace. Ridley Scott copie mais ne surpasse jamais, il prend les effets mais néglige de les entretenir, de les pousser à leur paroxysme.
Une autre remarque montre ce sentiment de ne pas aller au bout des choses, mais cette dernière pourrait s’avérer fausse dans la suite prévu à « Prometheus ». Ridley Scott pose avec ce film un questionnement intéressant sur les origines de l’Homme. Qui nous a créé, pourquoi sommes-nous là, Dieu existe-il ? Mais si la sujet intéresse, il n’est aucunement traité. Il n’amène aucune réponse aux questions de ses propres personnages. La Science-Fiction n’est pas intellectuelle, elle dérive peu à peu vers le Blockbuster pur et dur. Sans doute que le bruit des cris, de la taule déchirée ne nous permette pas d’entendre les pistes apportées par le réalisateur. Et si Dieu, ce n’était tout simplement pas lui ? Il est bien celui qui permet la vie fictive des acteurs. Ridley Scott crée une image, mais ne crée pas de contexte. Il interroge dans le vent. Mais les réponses seront sans doute présentes dans le deuxième opus qui donne l’eau à la bouche rien que par son nom: « Paradis ». Espérons que le scénario ne dérive pas à la sur-enchère de l’angoisse, encore une fois.
Note: ☆☆ – Moyen


