Si la religion chrétienne s’était opposée à son dernier film « 4 mois, 3 semaines, 2 jours » (Palme d’Or, 60e Festival de Cannes), Cristian Mungiu avec « Au-delà des collines » se penche sur les maux qu’elle insère dans une société roumaine gangrenée. Témoin des chaînes qui bloquent le déploiement de son pays, il use alors de la puissance dénonciatrice du cinéma pour faire de son film un manifeste pour une autre Roumanie : une plus ancrée dans les progrès sociaux et économiques. Il proscrit et dénonce à la manière des Frères Dardennes maniant un réel brutal, certes plus esthétisé. « Au-delà des collines » est un film fleuve où chaque seconde converge vers la même tension et la même volonté d’une reddition du pouvoir clérical influençant la société dans son ensemble. Au sommet de la pyramide hiérarchique, la chute du communisme a redonné sa prééminence au Christianisme. Le peuple roumain reste donc servile même si l’oppresseur change de visage. Mungiu dresse ainsi le portrait sombre d’une nation éloignée de sa propre histoire par les Soviétiques. Voicheta et Anita sont alors les symboles même de cette Roumanie sans passé propre, orpheline. Pour le pays comme pour elles, la religion orthodoxe a été une institution refuge. Un abri archaïque pour un peuple désemparé et désabusé qui ne peut évoluer sous ce poids écrasant que la religion représente.
L’obsolescence de la religion est rendue visible par Mungiu puisqu’il ancre son récit dans un village reclus aux allures de bourg médiéval. Quasiment coupé du monde, la religion se sépare de la ville enfermée entre les collines. Toute superposition entre ville épiscopale et société roumaine est ainsi détruite. L’orthodoxie est relayée « au-delà des collines » comme hors du temps. De plus, tout comme le communisme, ce couvent prône un communautarisme absolu où l’individu perd toute individualité et s’uniformise. La seule différenciation des sœurs réside dans les corvées qui occupent leur journée: celle du puits pour Voicheta. Du petit père du peuple stalinien, la Roumanie glisse vers la figure illusoire du Prêtre comme « père »: mot attirant pour un peuple orphelin. Un chef de couvent charismatique qui fait boire ses paroles à ses ouailles qui les déblatèrent ensuite comme des paroles naturellement récitées. Le plus troublant dans « Au-delà des collines » c’est que la religion astreint la Roumanie a n’être qu’une société de superstitions et d’irrationalisme. Mungiu ne peut même pas concevoir une indépendance de la Science et de la Médecine, et le fait que la Roumanie ne le peut est inquiétant. Il suffit de voir l’absurde prescription du médecin qui ajoute aux médicaments des prières et des lectures de chapitres bibliques redonnant ainsi à la religion sa place centrale pour l’homme que cette dernière s’octroyait au Moyen-Âge.
Ainsi dans une Roumanie contrainte à se figer dans le passé, le personnage d’Anita est le symbole de cette Roumanie qui refuse cet obscurantisme et qui souhaite aller de l’avant. Sa fuite en Allemagne ne donne en aucun cas une puissance à la société occidentale mais montre seulement que la Roumanie ne doit plus concevoir un avenir tournée vers les fantômes de l’Union soviétique. Cherchant à sauver des griffes de l’Orthodoxie son amie/amante, elle confronte alors sa propre modernité à l’archaïsme obsolète de la religion. Mungiu provoque sans doute en amenant des relations saphiques mais il montre bien que la société évolue et elle ne peut le faire pleinement en étant paralysée par des règles dictées il y a plus d’un millénaire. Voyant que ses propres contradictions sont mises à jour par cette trouble-fête indésirable, la seule solution est de la museler. Mungiu fait alors d’Anita une martyre qui prend les traits d’un christ subversif reposant enchaînée en croix sur les débris du Christianisme. Voicheta, symbole quant à elle d’une Roumanie aveuglée, renaît et se libère progressivement de l’aberration religieuse après une lente avancée dans l’horreur psychologique. Mungiu clos son film sur l’accusation de la religion faisant un parallèle entre une affaire morbide de meurtre familiale et les exactions de l’institution orthodoxe.
« Au-delà des collines » est un film poignant qui cherche à montrer qu’une autre Roumanie est possible. Cristian Mungiu laisse une lueur d’espoir dans le personnage d’un médecin rationnel qui ne donne plus aucune importance à la religion et qui fait le procès d’une sphère d’influence qui pour arriver à façonner à sa propre image la société a du commettre nombre de crimes qui ne seront pourtant jamais portés devant les tribunaux. L’évolution des consciences roumaines est en marche et son leader est incontestablement Cristian Mungiu.
