Foxfire : S’échapper de la Société

Foxfire, Laurent Cantet

Laurent Cantet est le réalisateur du groupe. Ses personnages ne trouvent une existence non plus par eux même mais par le collectif auquel ils appartiennent. La sphère personnelle n’est importante que lorsqu’elle rentre en conflit ou en accord avec le groupe. Après la classe d’Entre les Murs, ce sera au tour des féministes de Foxfire dont les scènes de classe curieusement échos à celles du premier. Ces filles ne peuvent lutter contre la société que par la force du groupe. Ce n’est pas qu’elles sont faibles mais elles trouvent dans les autres la force d’agir et l’excitation nécessaire à leurs actions. Foxfire regroupe des femmes seules, bafouées, abusées. C’est-à-dire des femmes confrontées à leur condition même de femme. Je ne parle pas là en misogyne mais seulement comme elles sont vues par leur époque. Une société dans laquelle la femme ne peut briller (sa réussite sociale sera la dactylographie) et surtout ne peut s’imposer face à la brutalité des hommes. De ce groupe dont Cantet brosse le portrait émerge la figure centrale de Legs. L’action de Foxfire ne peut exister qu’à travers le charisme de son leader charismatique. Maddy, la narratrice, illustre sa domination en susurrant « elle est une étoile mouvante, nous sommes les poussières cosmiques virevoltant dans son sillage ». Elle est l’électron libre libéré des chaînes sociales qui pousse la société féministe utopique qu’est Foxfire à fonctionner. Foxfire est la mise en application de ses espérances. Legs est maître du combat en incitant toujours les actions : les membres, elle les choisit ; le signe, elle le dessine ; la maison, elle l’achète ; ses filles, elle dirige.

Foxfire - confessions d'un gang de filles, Laurent CantetLegs pousse à la radicalisation du mouvement le faisant basculer de groupe à gang. Foxfire est avant tout un long-métrage sur la prise de pouvoir par la force. La violence féminine contre la violence masculine. Laurent Cantet pose alors une réflexion sur ce que nous nommons crime à travers l’altercation de Foxfire et des garçons devant l’école qui se clôt par le renvoie de Legs : un crime est-il seulement ce que nous voyons et qui laisse des marques visibles ? De la menace de Legs découle plus de conséquences que du viol de Rita qui ouvre le film. Ce qui est intéressant de remarquer également c’est que pour prendre possession de leurs vies, elles doivent oublier leur féminité pour endosser le costume brutal des hommes. En effet dans les premiers temps du Gang, la libération passe par la violence physique : leurs visages se superposent alors, au Musée d’Histoire naturelle, aux crânes des hommes de Neandertal comme pour signifier le retour à la sauvagerie. A travers les illusions civilisatrices, nos sociétés restent dictées par la loi du plus fort. « D’abord vient la peur, puis le respect ».  Une peur que seule la violence peut réussir à créer. La revanche sociétale se teinte même d’ironie sadique puisqu’elle est la représentation de la victoire du faible sur le fort : « On ne frappe pas un homme à terre ».

Foxfire - confessions d'un gang de filles, Laurent CantetFoxfire est ainsi, via ce gang, la critique des années 1950. Laurent Cantet parvient à ne pas se faire avoir par le film d’époque. Il dresse donc le portrait sans fard d’une décennie idéalisée. Un vieux homme avoue « on a seulement le droit de parler de bonheur, […] des Etats-Unis du bonheur ». Le pays se glorifie d’être à l’époque le sommet de la culture du chic et de la vie simple et tranquille. Un art de vive à l’américaine dans lequel la femme est une épouse au foyer parfaite. Dans cette société figée dont les seuls soubresauts découlent de la société de consommation, « le bonheur c’est de vivre dans l’action, dans le mouvement, dans la quête » continue le vieillard. C’est ce que tente de faire Foxfire en fondant une contresociété révolutionnaire. « Il faut prendre l’argent où il est, dans la poche des hommes » annonce Legs faisant de l’utilisation des codes sociaux la nouvelle arme du Gang. La politisation de Firefox est pourtant sans doute ce qui entraîne sa perte. Laurent Cantet montre en effet le vrai visage des Etats-Unis des années 50, c’est-à-dire une société paranoïaque, capitalisée au possible et conservatrice. Les membres de Foxfire peignent les vitrines des magasins comme pour refuser le diktat de la consommation : « $$ = Shit = Death ». De plus, le Maccartisme gangrène la société détournant le regard des américains de leurs vrais problèmes : « Le problème, ce sont les communistes ». Le crime de la fin du film est d’ailleurs perçu comme un acte terroriste international alors qu’il n’est finalement que la conséquence de la société américaine. Mais ce détournement illustre la solution américaine de ne pas regarder ses propres problèmes en face.

Foxfire - confessions d'un gang de filles, Laurent CantetFoxfire est un film réussi qui s’explique sur plusieurs niveaux. Mais au-delà de l’histoire de ce gang de fille, c’est surtout un long-métrage sur le talent de Laurent Cantet. Sa caméra oscille entre présence et absence pour se rapprocher au plus près des corps qui s’offrent à sa caméra. Comme le sous-titre du film « confession d’un gang de fille », il effleure et met à nu le collectif pour être finalement au plus près de l’essence individuel et de la sensualité des corps.

Le Cinéma du Spectateur

Note : ☆☆☆✖✖ – Bien

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