Claude Goretta : Le Conteur des Vies Perdues

La Dentellière, Claude Goretta La Provinciale, Claude Goretta

Le Cinéma du Spectateur remercie spécialement Le Centre Culturel Suisse de lui avoir rendu honneur par cette rétrospective.

Il n’y a rien de plus sublime que de ressentir le souffle d’un cœur sur un écran. Claude Goretta est un de ses rares réalisateurs qui arrivent à saisir l’essence de la vie dans laquelle les silences sont encore plus bruyants que les paroles, dans laquelle le sens se fait par le détail, et le drame n’est que le miroir de la vie. Le cinéaste suisse disait lui-même dans un entretien : « Je n’ai pas à réenchanter le monde. D’abord, si le monde ne m’enchantait pas, je ne serais pas là pour vous parler. Et je ne ferais pas mes films. Si je fais ce métier, c’est pour être plus heureux, malgré tout, malgré le constat de désespoir, de détresse, de structures fâcheuses de notre société ». Il fait sans doute les plus belles critiques d’une société qui se déshumanise et qui amène la solitude des corps. Elles sont d’autant plus aiguisées qu’elles percent l’écran de manière insidieuse pour pénétrer plus en profondeur dans le cœur du spectateur. Goretta, c’est la France des années 1970-1980 : une France qui se réveille des joies des Trente Glorieuses voyant alors que le bonheur marqueté a entraîné la perte de la place de l’individu dans la société.

La Dentellière, Claude Goretta

La Provinciale (1981) est le tableau d’une France désemparée face au chômage et à la précarité financière et sociale qui en découle. Les relations humaines ne sont plus que des parenthèses, des moments de répits entre ceux de doutes et de larmes. Christine (Nathalie Baye) est la figure même de « la française moyenne » comme lui dit un commercial. Elle quitte sa Lorraine natale pour chercher la grande vie qu’elle rêve à Paris. Cependant de la communauté qui l’entoure dans sa ville, elle ne trouvera que des fantômes entrant et sortant comme des mirages. Seule l’universalité de la situation précaire unit des êtres en manque affectif qui prennent ainsi la moindre chaleur humaine pour s’épancher sur leur vie. L’amitié de Christine/Claire (Angela Winkler) n’est finalement que la compréhension mutuelle de deux femmes perdues dans une ville trop grande pour elles. L’une choisissant l’argent facile de la prostitution affective, tandis que l’autre choisit de se reprendre en main. Christine relève la tête et rentre dans sa Lorraine sifflant ainsi un retour à la vie. Sa prise de conscience se fait au contact d’une bourgeoisie qui utilise la société pour se divertir, jetant l’argent au sol pour voir les pauvres courir. Cette image, Goretta la retranscrit en organisant une course dans laquelle les femmes se battent sur un parcours équestre pour finir première à tout prix dans l’unique but d’empocher de l’argent.

La Provinciale, Claude Goretta

Claude Goretta se fait le porte-parole de la France moyenne, de personnes humbles et classiques qu’ils transforment en êtres célestes de lumière et de son qui virevoltent en silence devant les yeux ébahis d’un spectateur qui voit sa propre condition se refléter dans son iris. Pour clore son film La Dentellière (1976), il écrit : « Il sera passé à côté d’elle, juste à côté d’elle, sans la voir parce qu’elle était de ses âmes qui ne font aucun signe, mais qu’il faut patiemment interroger, sur lesquelles il faut savoir poser le regard. Un peintre en aurait fait autrefois le sujet d’un tableau de genre. Elle aurait été lingère, porteuse d’eau ou dentellière ». Il est ce peintre qui permet la mise en lumière des petits gens que nous sommes tous. Béatrice (Isabelle Huppert) a 19 ans et n’a pour ambition de passer de shampouineuse à coiffeuse. Elle est le symbole d’une France qui ne cherche finalement qu’à pouvoir travailler pour vivre et pourquoi ne pas espérer quelques jours de vacances, comme ici à Deauville. Elle est loin d’être l’archétype du personnage cinématographique, elle ne parle pas ou peu et ne fait finalement que suivre des seconds rôles (surtout Marylène – Florence Giorgetti) qui finalement remplissent la discussion pour deux. Elle s’efface et suit le monde comme une enfant. C’est quand elle tente de se formater à la société – se fardant de plus en plus, coiffant ses cheveux libres -, qu’elle se retrouve face à son ignorance entichée d’un étudiant brillant aisé (François). Il est toujours dur de voir un être fragile se faire détruire par une personnalité forte qui remet en toute une vie paisible et calme construite sur un principe de vivre sans réfléchir. Béatrice ne trouve finalement que justice dans un ultime mensonge inspiré d’une affiche de son centre psychiatrique comme une dernière bouteille jetée à la mer.

La Dentellière, Claude Goretta

Claude Goretta est un réalisateur de génie qui parvient par le commun des mots et des silences que nous offrent la vie à créer un miroir de ses vies perdues. Perdues, car vouées à se confronter au dur tranchant de la réalité, mais surtout perdues car à vivre sans vague, ces êtres de lumière passent inaperçus. Il ne faut que remercier Goretta de rendre honneur à la lingère, la porteuse d’eau et à la dentellière de notre société, à ses petits gens qui lorsqu’on s’attarde sur eux brillent bien plus que des héros de cinéma.

Le Cinéma du Spectateur

La Dentellière, Claude Goretta (Suisse-France, 1976)
☆☆☆☆☆ – Chef d’oeuvre
19e du Top 100

La Provinciale, Claude Goretta (Suisse-France, 1981)
☆☆☆☆✖ – Excellent

Laisser un commentaire