Silence : Apocalypse Past

Silence, Martin Scorsese

Avec Silence, Martin Scorsese laisse derrière lui l’ère DiCaprio chargée de fureur, sombre (Shutter Island, 2010) ou baroque (Le Loup de Wall-Street, 2013). Il marque une rupture nette avec ce long-métrage austère centré sur la recherche spirituelle d’un sens. Il renoue alors avec la dimension religieuse, et surtout christique, de son cinéma entraperçue dans La Dernière Tentation du Christ (1988) ou Kundun (1997). En adaptant le roman de Shūsaku Endō, Scorsese narre le destin de deux jeunes missionnaires portugais, le père Sebastian (Andrew Garfield) et le père Francisco Garupe (Adam Driver), partant à la recherche de leur mentor (Liam Neeson) disparu au Japon au XVIIe siècle. Le cinéaste s’intéresse alors à cette période troublée de l’histoire nippone marquée par la répression violente des chrétiens dès l’interdiction de cette religion en 1613. Dans ce contexte, les Chrétiens n’ont plus que deux possibilités : renier leur foi ou affronter la mort.

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L’intérêt de Silence réside justement dans ce choix cornélien entre la foi ou la vie, entre mourir selon ses principes et vivre en tant qu’apostat. Face à l’assourdissant débat des Hommes, Scorsese impose un silence divin. Un mutisme qu’il réaffirme par l’absence totale de musique ou même de son extra-diégétique. Il place son spectateur, par essence même, du côté des hommes perdus au cœur de la nature nippone. L’œuvre questionne alors sur les moyens de garder sa foi face à une situation d’injustice dans laquelle Dieu devrait prendre parti ou du moins se signifier. Silence, en se centrant sur la vie du père Sebastian, devient alors un « chemin de croix » dans lequel son protagoniste oscille entre désespoir et folie – allant jusqu’à même se prendre pour le Christ au détour d’une flaque d’eau –. Néanmoins, le film trouve essentiellement son intérêt dans l’arrivée des missionnaires sur les côtes japonaises apportant aux chrétiens locaux, contraints à la clandestinité et à la misère, une réponse à leur propre silence. Ils font de chaque représentation visible de Dieu, des objets de culte au corps même des prêtres, un objet d’idolâtrie. Les plus belles séquences de Silence sont les confessions frénétiques de ces derniers professées de nuit en japonais à des missionnaires portugais incapables de les comprendre.

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En choisissant comme séquence d’ouverture une scène de torture à l’eau bouillante, Scorsese détermine Silence à être un récit de martyrs, occidentaux et japonais, succombant aux sirènes de l’hagiographie. Par sa forme, il impose à son spectateur une radicalité, voire un ascétisme, qui préconise la lenteur pour l’immerger dans une expérience métaphysique qui se marque également dans la chair humaine. L’œuvre alterne, sans surprise, entre des scènes de tortures physiques et des scènes d’enfermement psychologique dans lesquelles un Andrew Garfield, larmoyant, ressasse son éternelle peur du blasphème et de la pénitence. Rythmé par la répression nippone, Silence s’enlise dans une redondance accentuée par les comportements monolithiques des différents personnages – présents uniquement pour exprimer une seule idée –. Scorsese idéalise ses martyrs, qu’il salue d’ailleurs dans le générique final, et les dépeint seulement à travers des vertus chrétiennes simplifiées et simplifiantes, de la fidélité aux engagements à la piété. Cherchant à créer absolument des martyrs de cinéma, Scorsese tombe dans un prosélytisme et un manichéisme démontrant un cruel manque de contextualisation.

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En effet, le cinéaste débute son récit dans une temporalité qui lui sied. En plaçant son récit au cœur même des répressions envers les Chrétiens, il opère une automatique victimisation de ses personnages. Il néglige alors les raisons de cette politique ne voyant pas dans l’évangélisation une forme archaïque de colonisation et d’acculturation. Silence entre alors dans une logique de désapprentissage, ponctuée à de rares moments de lumière historique, faisant du Japon un « marécage » plutôt qu’une culture simplement autre. Ce christianocentrisme a des conséquences dans la représentation même des personnes à l’instar de l’Inquisiteur Inoue (Issey Ogata), symbole du pouvoir punitif nippon. Scorsese en fait un être burlesque – ridicule et barbare – en le présentant affaissé, gémissant aux moindres gestes et rempli de tics corporels.

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Silence aurait pu être une œuvre contemplative et métaphysique tant Scorsese parvient à saisir le mystère et la beauté de la nature japonaise. Néanmoins, le cinéaste la contraint à n’être qu’un récit victimaire et hagiographique. Le « silence » est celui de l’histoire instrumentalisée encore une fois au service des Occidentaux !

Le Cinéma du Spectateur
☆ – Mauvais

Une réflexion sur “Silence : Apocalypse Past

  1. Merci pour cet article pointu très intéressant qui pousse à la réflexion. Sur la forme entièrement d’accord. Pas du tout d’accord avec votre conclusion.

    Sur le fond vous ne faites pas la distinction entre les jésuites et les chrétiens.

    Si les premiers sont effectivement comparés à des colons les seconds sont bien des autochtones martyrisés par leur propre état.

    En cela le film n’est pas manichéen car le pouvoir étatique japonais peut aussi bien être vu comme bourreau et intolérent que comme résistant à une tentative d’invasion et de fragmentation culturelle provenant de puissances étrangères occidentales aux vues hégémoniques (Angleterre, Portugal, Espagne, Hollande). Les dialogues entre l’Inquisiteur, le traducteur et le père Rodrigues soulignent justement le prosélytisme illégitime du jésuite.

    L’histoire est écrite par un japonais catholique. Ce n’est pas Scorsese le catholique américain occidental qui a choisi cette temporalité à la base. Certes elle lui sied tout comme la Shoah sied à Spielberg pour La Liste de Schindler.
    Est-ce que le fait de contextualiser le récit en rappelant le caractère colonial des évangélisateurs changerait quelque chose ? Accepterions-nous mieux la violence infligée par l’état japonais à ses propres citoyens ?

    Ce qui est grandiose dans cette oeuvre c’est qu’elle est très contemporaine. On pourrait, dans de biens différentes mesures, remplacer le Japon par un pays africain, sud-américain, l’Afghanistan ou la France; et les missionaires chrétiens par des ONG, McDo, « l’armée libératrice américaine » ou bien des imams prosélytes.
    Chaque spectateur verrait midi à sa porte. L’un se mettra du côté du martyr du père Rodrigues qui souhaite sincèrement apporter le salut à son prochain au péril de sa vie et les autres légitimeront la violence de l’Inquisiteur au nom de la résistance à une invasion étrangère destabilisatrice. Scorsese n’a pas privilégié un camp.

    À l’inverse de faire de la victimisation ce film pousse à la multi-polarité et au « silence » dans sa pratique religieuse.

    La grande phrase du film, celle du traducteur après sa discussion avec le père Rodrigues : « Il est arrogant comme les autres. Ça provoquera sa chute. »

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