Reality: L’échec de la Réalité

La première pensée qui nous prend en quittant la salle, c’est que « Reality » n’est définitivement pas une dérivation de « Gomorra » (film coup de poing sur la mafia napolitaine – Grand Prix à Cannes en 2008). Naïvement, on voyait en Mattéo Garrone un porte-parole d’une Italie en perdition et gangrenée d’un côté par la mafia et de l’autre par une crise tant économique que sociale. Il n’est plus le représentant d’une Italie qui veut ressurgir des cendres d’un mal qu’elle exorcise. Mais, il devient un simple spectateur des bouleversements sociaux d’une nouvelle génération dont le fonctionnement lui échappe. Son dépassement est sa première faiblesse. L’avènement de la culture du voyeurisme, commencé en France au début des années 2000 par Loft Story, est déjà un fait avéré. Dix années sont passées. Ces phénomènes sont maintenant des banalités du quotidien qui font les choux gras des zappings du monde entier. Certes, la célébrité ne repose plus sur des qualités remarquables et sur un élitisme artistique et social, mais la volonté d’une reconnaissance de l’homme lambda se vérifie fréquemment, et il ne faut pas attendre la téléréalité pour s’en rendre compte. Rien de nouveau, si ce n’est que la nouvelle génération s’autorise tout ce qui lui permet d’atteindre cette gloire éphémère et dévastatrice. Mattéo Garrone esquisse assez bien les psychologies de ces personnages, faisant dégringoler son protagoniste peu à peu dans les méandres de la folie. Cependant l’exagération de certaines scènes et leur répétition font des personnages des pantins oscillant entre comédie et drame. Ne sachant pas sur quel pied danser, les portraits sonnent faux. Mattéo Garrone cherche à nous montrer que la société change, mais là encore, sa subtilité lui fait défaut: il suffit de voir la lourdeur des plans d’ouverture et de fermeture montrant d’un côté un Naples historique surveillé par le Vésuve et de l’autre un monde totalement artificiel provenant des studios romains – la longueur écrasante des plans illustre parfaitement le manque de finesse d’un réalisateur qui critique au final son propre travail. La téléréalité est théâtrale, « Reality » montre que le cinéma aussi ne repose finalement pas sur la spontanéité.

Reality, Mattéo GarroneCe manque de justesse et subtilité se remarque aussi dans sa mise en scène. Mattéo Garrone cherche avec « Reality » à faire la distinction entre deux réalités: la réalité « réelle » du quotidien fondé sur l’être et la réalité « faussée » fondée quant à elle sur le paraître. Le problème c’est qu’il applique à l’intérieur même de son film les deux notions troublant son spectateur et s’auto-contredisant. D’un côté, comme dans « Gomorra », il choisit comme fond scénarisitique les petits gens (de Naples) victimes de leur condition de vie et assis dans un réel pathétique fait de magouilles et d’arrangement. A ce traitement presque documentaire de son sujet, il associe non plus la notion d’une caméra témoin comme dans son précèdent long-métrage, mais les ficelles d’un cinéma pédant se réclamant un statut de grand cinéma. Mattéo Garrone prône ici le superflu cherchant, en vain, un onirisme cinématographique. Des mouvements amples, pour mieux montrer une aisance ou pour chercher de quelconques effets de style, malheureusement bien inutiles. Le spectateur n’a pas besoin d’une forme digne des grands péplums aseptisés pourcomprendre l’immersion d’un fantastique (ici une sortie de l’ordinaire). Ce choix de mise en scène plombe le film qui, bien que la caméra s’envole, ne décollera jamais.

Reality, Mattéo GarroneMattéo Garrone est, quand même, une fin perfectionniste qui donne un intérêt à son oeuvre par les détails qu’il sème au fur et à mesure. Il dresse le portrait d’une Italie bien mal en point. Economiquement d’abord puisque lors de la scène de l’appel entre la famille – au centre commercial – et Luciano, il met en toile de fond le passage de plusieurs candidats. Chacun diplômé d’économie, ils voient en la téléréalité une manière de gagner enfin de l’argent et de pouvoir se faire connaître des recruteurs. Le désespoir qui se dégage de la situation de l’emploi en Italie est alarmant. Mattéo Garrone en quelques secondes montre le passage d’une époque où le diplôme était roi à une époque où sa dévaluation est tel qu’il ne vaut plus rien. Les études seraient presque devenues inutiles et ouvrirait seulement les portes des métiers sous-payés et des shows télévisuels à bas ratio intellectuel. Enfin, Mattéo Garrone s’attaque à la crise de la culture en Italie, et surtout à la montée de produit culturel superficiel et formaté: la téléréalité. Il suffit de voir dans quel espace il décide de placer les dernières auditions pour le jeu « Grande Fratello »: dans les mythiques studios romains Cinécitta. Comme si l’avenir du cinéma déclinant (chaque année annoncé, mais peu vérifié) se ferait par la télévision, souvent jugé parent pauvre de la culture, et par le pire de ce qu’elle offre: la téléréalité. Le remplacement de la notion de culture serait-il arrivé ? 

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆✖✖✖✖ – Mauvais

Cinéma et Mémoires Collectives

Le Cinéma du Spectateur s’est tourné vers vous récemment pour organiser un sondage sur « Vos films préférés ». Par delà cet intitulé un peu plat, le but était de voir les films qui ont marqués notre génération: les sondés ayant principalement entre 17 et 20 ans. Les films ancrés dans la pensée collective et qui donc évoquent un cinéma puissant et bouleversant. Je souhaite tout d’abord remercier personnellement les 105 personnes qui m’ont permises de rendre ce sondage possible et de le faire sur une échelle assez importante. Vous avez nommé 351 films différents allant des films des années 1920 aux jours d’aujourd’hui (« God Bless America », « The Dark Knight Rises »). Certes le classement ne dévoile pas de vrais surprises, mais il monte qu’outres les blockbusters et les comédies américaines surfaites un véritable amour du cinéma est encore possible et repose sur des auteurs « classiques »: Hitchcock, Kubrick, Lynch, Scorsese, Coppola, Allen, Spielberg, Mallick, Burton… Aucun ne manque à l’appel. La surprise est venue d’artistes techniquement plus exigeants comme Van Trier, Tarkovski, Zulawski, Kurosawa ou encore Jarmusch. La surprise est de taille, puisque ce cinéma est moins visible et moins médiatisé. Cette mémoire est traversée bien sûr par des succès populaires, la preuve en est la première place de « Titanic » mais aussi de la nomination de « Intouchables » par exemple. La base cinématographique de chacun différent suivant sa socialisation qui lui a permis de connaître un certain type de cinéma et de développer ses goûts autour.

Les 10 films les plus mentionnés : 

1. Titanic, James Cameron (1997, Etats-Unis) – 11 votes
2. Melancholia, Lars Van Trier (2011, Danemark) – 9 votes
3. Pulp Fiction, Quentin Tarentino (1994, Etats-Unis) – 8 votes
4. 2001: l’Odyssée de l’Espace, Stanley Kubrick (1968, Etats-Unis) – 7 votes
4. Fight Club, David Fincher (1999, Etats-Unis) – 7 votes
4. Le Seigneur des Anneaux, Peter Jackson (2001-2-3, Etats-Unis) – 7 votes
7. Les Affranchis, Martin Scorsese (1990, Etats-Unis) – 6 votes
8. Le Parrain, Francis Ford Coppola (1972, Etats-Unis) – 5 votes
8. La Guerre des Etoiles, Georges Lucas (1977-83, 1999-2005, Etats-Unis) – 5 votes
8. Apocalypse Now, Francis Ford Coppola (1979, Etats-Unis) – 5 votes
8. Reservoir Dogs, Quentin Tarentino (1992, Etats-Unis) – 5 votes
8. Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Michel Gondry (2004, Etats-Unis) – 5 votes
8. Orgueil et Préjugés, Joe Wright (2005, Royaume-Uni) – 5 votes

Les films français :
1. Les Petits Mouchoirs, Guillaume Canet – 3 votes
1. Léon, Luc Besson – 3 votes
1. La Haine, Mathieu Kassovitz – 3 votes
1. The Artist, Michel Hazanavicius – 3 votes

Les Réalisateurs les plus mentionnés :

1. Stanley Kubrick – 18 votes
2. Quentin Tarantino – 16 votes
3. Alfred Hitchcock – 14 votes.
3. Lars Van Trier – 14 votes.
5. James Cameron – 12 votes.
6. David Lynch  – 11 votes.
6. Martin Scorsese – 11 votes.
6. David Fincher – 11 votes.
6. Francis Ford Coppola – 11 votes.
10. Sergio Leone – 9 votes.

Les Réalisateurs les plus représentés :
1. 6 films :
Steven Spielberg : Arrête-moi si tu peux, Il faut sauver les soldat Ryan, Indiana Jones et la Dernière Croisade, Jurassik Park, La Couleur Pourpre. 
2. 5 films :
Alfred Hitchcock : Vertigo, Fenêtre sur Cour, La Mort aux Trousses, Psychose, Les Enchaînés.
Stanley Kubrick : 2001: l’Odysée de l’Espace, Shining, Orange mécanique, Barry Lyndon, Docteur Folamour.
David Lynch : Mulholland Drive, Elephant Man, Twin Peaks, Erasherhead, Lost Highway.
Martin Scorsese: Les Affranchis, Les Infiltrés, Taxi Driver, Casino, Shutter Island.

Le Cinéma du Spectateur

Gebo et l’Ombre: La Condition Misérable de l’Homme

Manoel de Oliveira ne voulait pas signer un film sur la pauvreté pensant que cette dernière ne pourrait être visible au cinéma que par le biais du documentaire. Mais cette vision ne s’appuie que sur les caractéristiques palpables de la pauvreté. Palpables n’ont pas dans le sens qu’on puisse toucher la pauvreté mais la ressentir. De Oliveira obscurcissait alors le fait que la pauvreté est également, voire principalement, morale. C’est justement la force de son film d’allier une pauvreté visuelle, morale et même cinématographique. « Gebo et l’Ombre » est aussi l’alliance de la mort et de la pauvreté. La notion d’ombre n’est pas seulement destinée à cette présence pesante et fantomatique d’un fils à la dérive, mais aussi à la mort physique qui guette ces êtres arrivés en bout de course, et à la mort morale entraînée par une stagnation des idéaux perdus, suite à une acceptation de son rôle de pauvre. C’est en créant des liens intimes entre moralité, vieillesse et pauvreté financière que Manoel de Oliveira vise l’universalité et fait de son film une œuvre marquante.

Gebo et l'Ombre, Manoel de Oliveira« Gebo et l’Ombre » est la confrontation entre des visions de considérer le fait de vivre, mais qui prennent chacune comme socle le fait d’être né, resté ou devenu pauvre. Chez Gebo, la nécessité de vivre n’existe pas. Il ne recherche ni passion, ni sensation pour mieux accomplir son « devoir ». Le fait de désigner la vie comme un devoir symbolise Gebo comme un individu qui se pliera à la vie coûte que coûte en basant son comportement principalement sur l’acceptation de sa condition. Il ne cherche pas à s’en sortir, il ne veut rien changer de sa routine. Gebo n’est pas un vivant mais un travailleur. Il travaille jour et nuit, comme en s’occupant, il n’a pas le temps de penser à son sort. Il suffit le voir instinctivement revenir, tout au long du film, à ses comptes, c’est chiffre. Toute la génération vieillissante ne vit pas le présent puisqu’il est le témoin de leur condition misérable, ne souhaite pas le futur forcément morbide (Candidinha – attachante Jeanne Moreau – n’a-t-elle pas déjà préparé sa mise en terre clamant haut et fort que la mort est si proche que ses « palpitations » peuvent l’avoir d’un instant à l’autre). Seul l’évocation fugitive d’un passé de séducteur fera naître un instant de joie, vite oublié. Le passé a déjà été modifié par un travail d’occultation, pour ne garder que l’essence même de la vie. Pour Doroteia/Claudia Cardinale, la vie est encore plus cruelle. Elle vit dans la misère, comme les autres, mais y ajoute l’illusion d’un bonheur maternel bercé par des mensonges. Elle repose son souffle sur un fils discutable et égoïste, méprisant les êtres véritables (Gebo et Sofia) qui cherchent son bien. A cet immobilisme moral s’oppose un souffle révolutionnaire: Joao, l’ombre. Il revient non pour permettre un nouveau départ mais pour bousculer mentalités et émotions  et poussé à la destruction. Il apporte les notions d’une âme noire qui recherche, elle, le sentiment de vivre, de sentir la vie même si elle ne sera représentée que par la faim. Les questionnements vites oubliés qu’il apporte sont des discours philosophiques qui marchent encore dans nos sociétés sur la place de la déviance dans tout être. La déviance ne s’exprimant que par la présence d’une norme acceptée par d’autres individus. Ainsi, suivant la position du locuteur le dévient sera Joao ou ces non-être.

Gebo et l'Ombre, Manoel de OliveiraManoel de Olivera calque cette pauvreté sur sa mise en scène, ne cherchant ni effet superflu de caméra ni onirisme puéril. L’immobilisme moral est un immobilisme cinématographique. Manoel de Oliveira se concentre sur une table – seule possession qui leur permet une socialisation. Seul emplacement où la misère se pose, c’est donc là qu’elle se vide et s’exprime. Dans cet antre délabré, l’unique fenêtre ouvre sur un monde pluvieux, triste et maussade – reflet de l’intérieur. Le divin s’exprimera ironiquement par une lueur de soleil au moment le plus sombre de l’œuvre. Manoel de Oliveira exprime tout de même dans cette immobilisme – qui peut être critiqué, mais qui est cependant nécessaire – sa maestria. Il fera un simple mouvement de caméra, il décalera l’angle de son plan pour laisser entrer dans le champ visuel le coffre qui renferme l’argent. L’immersion est d’une ironie terrifiante. L’entrée de l’argent, qu’ils ne possèdent pas et ne possèderont jamais, marque une rupture dans l’histoire et fait sortir les vrais visages. Candidinha/Moreau s’octroie le rêve de commander, Doroteia/Cardinale retrouve le sourire, Chamiço/Cintra rêve à une culture riche. Mais la tristesse du sort s’acharne sur les pantins de Oliveira pour les amener dans un gouffre où seule la mort permet la délivrance. Cette seule inclinaison dans la vision exprime le rêve de toute une classe et amène une tension suite à l’appât du gain d’un fils-malfrat. Le pessimisme par lequel De Oliveira clôt son film est significatif de sa vision de la pauvreté, condition immuable de l’âme humaine simple.

Gebo et l'Ombre, Manoel de Oliveira

« Gebo et l’Ombre » est tant philosophique que cinématographique, tant poétique que théâtrale. De Oliveira montre encore la force l’image et signe une œuvre délicate et sublime.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆☆✖ – Excellent

Vous n’avez encore rien vu: Une Quête de modernité

« Vous n’avez encore rien vu » n’est pas une information factice. L’objectif d’Alain Resnais est clairement dit: créer un cinéma qui veut se démarquer, trouver son unicité. Resnais sera visionnaire, il verra ce que le commun des mortels ne voit pas: comme le personnage de son affiche. Mais pour dégager une nouvelle entité propre, son cinéma doit alors démarrer par un retour à la source: le théâtre. Comme si un retour à l’origine était nécessaire pour mieux cerner les caractéristiques même du cinéma. C’est de la désuétude du théâtre filmé que naîtra son film pour mieux accoucher d’un cinéma radicalement nouveau, ou plutôt d’un cinéma moderne. Resnais apporte au cinéma les notions de modernité qui ont permis aux autres arts de continuer une réflexion sur leur caractère figuratif. Il crée les notions d’épuration et de déstructuration. Ces phénomènes lui permettent de se focaliser seulement sur l’essentiel: la force créatrice du texte. Resnais est au plus près d’une parole performative. Ce n’est plus le réalisateur qui crée l’image mais le texte. Les décors s’effacent et s’esquissent seulement pour ne pas troubler un spectateur qui écoute plus qu’il ne regarde. Cette centralisation sur le texte s’exprime aussi à travers l’interchangeabilité des acteurs: l’homme pourra changer, mais le texte sera le même, au souffle près. L’acteur n’est pas le créateur, il prête en quelque sorte son corps à une force plus grande que lui, la force universelle de l’art. Les comédiens modulent chez Resnais plus qu’ils ne jouent. Leur disparition fantomatique, tout au long de l’oeuvre, expose le fait que leur présence n’est pas nécessaire à l’oeuvre. La primauté du texte, support créateur d’art, est indéniable et surtout inviolable.

Vous n'avez encore rien vu, Alain Resnais

De ce premier raisonnement, Alain Resnais s’interroge ensuite sur le statut de l’auteur par rapport à son oeuvre même. Le réalisateur tue l’auteur pour mieux faire vivre sa pièce « fictive » d’Euripide. La mort humaine n’entraîne pas de mort artistique. Resnais fera jouer l’oeuvre le jour même de la mort de son auteur et finira son plan par un ciel étoilé comme pour signifier que l’oeuvre ne nous appartient plus, qu’elle nous est maintenant supérieure. Elle sera éternelle. On peut alors rapprocher la réflexion de Resnais à celle de Platon comme quoi la mort touche seulement le monde des hommes et non celui des idées. La séparation entre le mortel (et donc l’humain) et le conceptuel est distinctement visible. Resnais juxtaposera d’ailleurs à ce ciel éternel, la vision du cimetière: écrasant les hommes en rappelant que pour eux le temps est compté. Plaçant le concept au-dessus du concepteur, Resnais nous donnerait presque envie de replonger dans le monde antique où les Muses faisait le lien entre ces deux mondes. L’Homme est alors seulement un porte-parole d’un art qui le dépasse et qui touche alors au sublime du caractère divin.

Vous n'avez encore rien vu, Alain Resnais

Enfin, « Vous n’avez encore rien vu » est la définition même de la mise en abîme. Le spectateur regardera des acteurs dont le rôle est complètement renversé puisqu’ils sont rendus eux-mêmes passifs, tout comme le spectateur. Mais ce qu’il est intéressant de voir, c’est ce que nous dit cette mise en abîme. On pourrait dire que Resnais révolutionne le rôle du spectateur. Car ici, il n’est rapidement plus passif, il intervient au plus près de l’oeuvre et sa présence permet au texte d’acquérir différentes variations. Resnais montre bien que le cinéma est un ressenti et que la compréhension d’un film ne peut être que personnelle. Azéma et Consigny se superposent au même rôle, mais pourtant, elles n’en ont pas la même vision: l’une plus lunatique et l’autre qui semble avoir peur de vivre et qui se réfugie alors dans une tristesse permanente. C’est le principe même de l’identification au fictif que nous montre Resnais, certes si on prend le film au pied de la lettre, ils jouent les rôles qu’ils ont joué avant, mais en généralisant ce propos on voit alors que l’identification est un phénomène courant et surtout qui bouleverse. D’un point de vu du statut de comédien, Resnais montre que le rôle est comme un fantôme qui hante, et qu’il ne se sépare jamais de son corps palpable. On retrouve ici l’impression que l’acteur n’est qu’une porte-parole de l’éternité artistique.

Vous n'avez encore rien vu, Alain Resnais

« Vous n’avez rien vu » est en lui-même un film qui s’accompagne de longueurs et de quelques faiblesses, mais ces dernières sont si rapidement cachées par une envie de théoriser et de faire partager au spectateur un constat sur le cinéma. Resnais signe un film-leçon qui restera sans doute dans une histoire du cinéma qui existe en dehors des sentiers commerciaux.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆☆✖ – Excellent

The We and The I: Martyrs, Tortionnaires et Adolescents

Le film sur l’adolescence est devenu une institution, un genre à part, qui regroupe tant l’humour gras de « American Pie » que les êtres déglingués de Larry Clark. Certains réalisateurs, adeptes du questionnement crucial du passage de l’adolescence, ont mis en avant des êtres qui se tournent soit vers la violence (« Elephant » de Gus Van Sant) soit vers l’adage Sex, Drugs and Rock’n’Roll (« Ken Park » de Larry Clark). Mais  Michel Gondry prend à contrepied cette logique d’un être exclu de la société. Ce n’est plus la marginalité qui effraye, mais tout simplement les relations qui dirigent la micro-société des lycéens. C’est en cela que Gondry ne pouvait choisir un meilleur tire, « The We and the I » démontre parfaitement que le groupe fait l’individu. Ce dernier n’est rien sans le groupe, il doit survire non par lui-même mais pour et dans une communauté. Il n’y aura pas ici le passage obligé d’une fin de l’innocence, d’une destruction des modèles parentaux. Michel Gondry n’est pas dupe, car instaurer ces passages dans son oeuvre aurait insinué qu’il y a aurait une once d’innocence dans un monde qui est régi par un darwinisme social. Il laisse de côté les héros stéréotypés pour plonger au coeur même d’une réalité qui se basant sur la banalité des êtres engage un réel questionnement.

The We and the I, Michel Gondry

Si « The We and the I » paraît le miroir fidèle d’une génération perdue, c’est que son réalisateur englobe son propos d’une mise en scène qui cerne au plus près les fondements de la vie lycéenne. On ne peut voir l’oeuvre de Gondry autrement que comme un huit clos où règlements de compte et effusions sentimentales cohabitent. L’idée du huit clos est une trouvaille intéressante qui sied parfaitement aux relations adolescentes. Une salle de classe n’est autre qu’un lieu fermé et un témoin d’une guerre silencieuse mais dévastatrice dans laquelle les bourreaux et leur proie coexistent froidement. Le Bus aurait alors pu apparaître comme une échappatoire, mais c’est le contraire qui s’opère. Le Bus devient le lieu où cette guerre n’a plus à être silencieuse. La route n’amène pas l’espoir et la liberté, mais reflète les rêves tant des brimés que des persécuteurs. Gondry survole ces rêves et leur donne un caractère illusoire en les faisant se chevaucher (par des trouvailles caractéristiques d’un Gondry bricoleur) ironiquement. Durant ce trajet vers l’enfer, les thèmes se succéderont tout comme les protagonistes. Il sera question d’exclusion, de tromperies, de sexe. Mais Gondry dépasse le modèle même du teen-movie en faisant tour à tour ses personnages bourreaux et tortionnaires. Chacun est une pierre angulaire de cette terreur étouffante. Il suffit de se focaliser sur le personnage de Michael pour comprendre la complexité de l’individu. Il sera bourreau, puis victime, confident et finira tout simplement en ami. Il est l’exemple même des ravages d’une communauté lycéenne sur l’individu. L’important est le paraître.

The We and the I, Michel Gondry

Gondry continue son immersion en traitant son sujet d’une façon documentaire. Ces acteurs amateurs nous font partager une partie d’eux même, on est spectateur de leur intimité. Ils ne jouent pas, ils vivent. Gondry nous rappelle le principe même du cinéma, celui d’entrer dans une intimité qui avant nous était interdite. L’intimité à l’ère du tout technologique passe également par les téléphones portables et les réseaux sociaux. Gondry s’intéresse alors à la puissance de ces derniers: un texto et une vie par en fumée. Il suffit de voir la souffrance de Teresa, son sentiment de rejet, de n’avoir pas reçu le message collectif, ou son visage s’illuminer quand enfin elle ressent les vibrations de son portable. Le réalisateur ne tarde pas à montrer un paradoxe de société numérique: bien que les sentiments et les sensations soient exacerbés, cette société fonctionne par une négation des faits naturels. Ils tentent d’exclure ce qui leur montre la vulnérabilité de leur vie. Le côté pathétique d’une mort annoncée par message et mis de côté témoigne de cette envie de croire en une vie éternelle ou du moins suffisamment longue pour pouvoir croire en ses illusions et tenter de les faire devenir réelles.

The We and the I, Michel Gondry

Gondry signe un oeuvre bouleversante qui pour une fois voit l’adolescence se mettre à nu et montrer ses travers sociaux.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆☆✖ – Excellent

Wrong: L’Absurdité de la Routine

La comédie semble vouée à une éternelle place de sous-genre cinématographique. Son plébiscite par le peuple et son manque d’exigence technique lui empêche une totale reconnaissance. Ce positionnement apparaît comme un héritage archaïque des dogmes platoniciens sur la hiérarchie dans l’art. Mais, même si le changement commence à s’opérer par des oeuvres réussies qui font parfois leur apparition dans les cérémonies (« Mes Meilleures Amies » aux Oscars, « Intouchables » aux Césars), le salut arrivera par une sous-catégorie de la comédie: l’Absurde. Elle allie les qualités humoristiques nécessaires au divertissement et une double lecture qui apporte une véritable finalité. Il serait réducteur de voir dans les films de Quentin Dupieux l’absurde comme une vaine recherche d’un humour basé sur des associations illogiques ou un simple effet de style. L’Absurde, pour être appelé comme tel, doit en effet avoir ce principe de double lecture qui lui permet par le rire de dénoncer les travers de la société ou les défauts d’un mécanisme. Avec « Rubber » (2010), Dupieux utilise l’absurde pour permettre une mise en abîme du cinéma: la place du spectateur (qu’il rend actif à travers ses faux-spectateurs) et la base narrative d’une intrigue (il y supprime la fin et tout contenu). Cette fois, avec « Wrong », il se focalise sur la société moyenne et sa culture du « Wrong », le faux ou plutôt les faux semblants. Son absurde lui permet de dénoncer cette quête perpétuelle de la routine. Les personnages ne remarquent pas l’absurde qui les entoure pour sa différence mais seulement par le fait qu’il sort d’un ordinaire voulu. Attardons-nous sur l’exemple d’absurde  engendré par Dupieux au sein du travail de Dolph. Il y fait ingénieusement (ou pas) tomber la pluie. Alliant le confinement des bureaux aux aléas climatiques de l’extérieur, cette pluie ne choque pourtant aucun des personnages. Mais, Dolph choisit un autre absurde puisqu’il persiste à venir au travail alors qu’il a été renvoyé depuis 3 mois. Il s’accroche quitte à devenir grotesque à l’adage « métro-boulot-dodo » qui rythme sa vie. On peut aussi remarquer que Dolph ne s’intéresse pas au fait que son palmier soit devenu un sapin, il se concentre seulement sur comment il pourra le remplacer. Il n’est pas gêné par l’absurde mais seulement par ce qui entrave son paysage habituel. Dolph est alors le symbole d’une humanité qui vit pour que rien ne lui arrive. Une humanité qui a peur du changement et qui ne cherche qu’à consolider la présence de son quotidien. Un seul personnage décide de quitter ce schéma de vie: Greg, son voisin. Perdant sa volonté de s’ancrer dans une routine, il renie outrageusement de faire du jogging tous les matins. Il paraît suffoquer dans cet univers où tout doit être fait en temps et en heure. Il part alors pour une sorte de voyage spirituel, mais en s’éloignant de son quotidien il ne trouve que le néant d’un désert blanc. Le quotidien est le contenu d’une vie, et en voulant l’éviter, le personnage se perd.

Wrong, Quentin Dupieux

Le film glissera progressivement dans un absurde qui se moquera d’un cinéma américain creux: mêlant les genres pour en faire une critique générale. Il commencera par la comédie animalière en plaçant le chien au centre de son film. Paul, le chien, aurait la place d’un enfant. Notons que Dupieux inverse judicieusement le nom des hommes et des animaux: l’homme sera Dolph, et le chien Paul. Le long-métrage basculera à la suite de l’enlèvement de Paul dans le grotesque des enquêtes policières: gadgets inutiles, suppositions évidentes et place de l’enquêteur. Dupieux regarde le film policier en montrant tant son absurdité que son manque de tension. Jamais le film policier n’aura été si prévisible. Enfin, Quentin Dupieux ferme son tour d’horizon des genres cinématographiques par le film autour du dépassement de soi. Connaissant le réalisateur, on voit qu’il ironise sur le but à atteindre (parler télépathiquement avec son chien) et sur la figure du guide spirituel (entre mafieux et fou). Il continue alors sa réflexion sur le cinéma commencée par « Rubber » (certes « Wrong » est moins poussé) et se focalise sur un cinéma particulier: le cinéma américain. Quentin Dupieux semblent lancé sur le terrain du film américanophile en prenant la photographie et les décors du cinéma indépendant pour le retourner contre les grosses productions. Un claque du faible contre le fort. Cela ne changera pas l’histoire, nous sommes d’accord, mais c’est jubilatoire.

Wrong, Quentin Dupieux

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆✖✖ – Bien

Monsieur Lazhar: Feindre la Légèreté

« Monsieur Lazhar » est un film léger au premier abord. Mais qu’est-ce qu’on n’entend pas légèreté au cinéma ? J’entends par là que c’est un film sans aspérité qui glisse sur ses personnages et son intrigue sans jamais vraiment mettre le doigt sur un sujet polémique de la société. La légèreté est aussi la caractéristique des films qui ne se retiennent pas, puisqu’il ne dispense aucun réel point de vue. Le film léger oscille souvent entre comédie dramatique et drame. Il tire du drame le côté sentiment à fleur de peau sans toucher aux sujets lourds des véritables oeuvres dramatiques. Malgré ce manque de consistance, la légèreté entraîne une douceur qui permet de toucher le spectateur en lui permettant de se confronter à des êtres souvent bons qui ne cherchent que le bonheur d’autrui. Ces saints modernes sont cependant des êtres trop parfaits pour n’être autre chose qu’une simple coquille vide que le spectateur perce dès sa sortie de la salle.  Mais, l’oeuvre prend un tout autre visage quant au fil de son intrigue cette pseudo-légèreté laisse place à une retenue mise en place par Philippe Falardeau (le réalisateur) face à son sujet et à ses protagonistes. Cette retenue peut, certes, être vue comme une simplification des émotions humaines et d’une intrigue qui ne se compliquera jamais Mais, c’est justement cette simplicité qui permet au réalisateur d’accoucher de cette oeuvre sur l’enfance et la confrontation à la mort. Il fait l’abstraction d’un cinéma de spectacle qui favorise l’effervescence émotive et l’entremêlement d’histoires annexes et d’éléments faussement perturbateur. Falardeau confronte le spectateur à une réalité où tout ce qui touche à la mort est tabou, surtout lorsqu’elle touche le domaine de l’enfance.

Monsieur Lazhar, Philippe Falardeau

Les questionnements qu’élabore le cinéaste sont des problématiques sociétales auxquelles toutes civilisations sont confrontées. Falardeau montre un nouvel angle d’attaque du film sur l’école qui semblait pourtant avoir épuisé ses possibilités. Il pose tout d’abord un regard sur la mort et l’enfance en immisçant entre des écoliers une notion si brutale. Falardeau ouvre judicieusement son film sur l’évènement qui créera le trouble: le suicide d’une enseignante de primaire qui décide de se pendre dans sa propre classe. Son but n’est pas d’expliquer ce geste, même s’il esquisse des raisons potentielles, mais de montrer ses répercussions sur ces enfants mis à mal par le destin, et qui si brusquement entrent dans les thématiques de l’adulte. Mais il évite de raconter une banale sortie de l’enfance. Falardeau s’intéresse plutôt à l’absurdité dont l’homme est capable dans de telle situation. Bien que ce traumatisme soit toujours un spectre qui maintiendra le trouble, le corps enseignant tentera d’insuffler une vie illusoire qui ne pourra fonctionner puisqu’elle se construira sur le déni d’une mort si violente. « Monsieur Lazhar » aura alors la lourde tâche de reprendre en main cette classe. En incluant à son histoire les thèmes de l’exil et du conflit des cultures (sans s’attarder dessus pour autant), Philippe Falardeau donne à son oeuvre un goût d’universalité. Une certaine poésie se dégagerait même de la relation qui se crée entre un vieil enseignant algérien et une jeune écolière québécoise. Mais, cette lueur d’espoir sera vite ternie. Monsieur Lazhar n’a jamais été enseignant, mais face à cet épisode tragique et le manque de personnel, il avait su passer à travers les mailles administratives.

Monsieur Lazhar, Philippe Falardeau

Philippe Falardeau génère alors une réflexion sur l’enseignement. L’enseignant tient une place centrale dans le développement d’un enfant. Il est son référent adulte le plus présent, bien plus que les parents en termes d’heures. Mais qui peut se dire assez digne pour se dire un modèle à suivre ? Qu’est-ce qu’un bon enseignant ? Falardeau s’interroge sur ce qui légitimise ce positionnement: le diplôme. Un bout de papier est-il suffisant pour laisser nos enfants à de parfaits inconnus ? Son raisonnement repose sur la confrontation entre ces deux personnages qui se succèdent à la tête de cette classe. D’un côté, cette enseignante diplômée qui par un geste égoïste traumatise ses élèves ; et d’un autre, Monsieur Lazhar, « enseignant amateur », qui apporte à nouveau la joie et permet à ses élèves de progresser tant scolairement que dans les étapes du deuil. Falardeau prend clairement la partie de Lazhar et tente de montrer qu’enseigner doit avant tout être une envie et non un moyen de trouver un travail.

Monsieur Lazhar, Philippe Falardeau

« Monsieur Lazhar », en lice pour l’Oscar du Meilleur film étranger en 2012 (remporté par le film Iranien « Une Séparation »), est un film profond qui donne l’impression d’avoir vu vivre. C’est dans un sentiment d’injustice, d’incohérence et regret que Falardeau décidera de clore son film, comme pour mieux laisser réfléchir son spectateur sur ses problématiques et les solutions à apporter.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆✖✖✖ – Moyen

Les Enfants Loups – Ame & Yuki: Surpasser l’Animation

Les grands noms sont rares dans le milieu du cinéma d’animation, mais Mamoru Hosoda s’est automatiquement placé comme l’héritier du demi-dieu Hayao Miyazaki. Hosoda est un perfectionniste, il suffit de voir le sublime qui se dégage de ses paysages: les arbres, les plantes, les décors deviennent des pièces d’orfèvrerie. C’est dans cette nature, pourtant endémique, que surgit le fantastique. Cette immersion dans le réel visuel lui donne une connotation douce et presque légitime. Les marques de fabrique des oeuvres nippones répondent présentes: Perfectionnisme et Poésie du Merveilleux. Cependant, Hosoda apporte son propre fonctionnement narratif qui diffère de Miyazaki. Si ce dernier choisit d’ouvrir un monde nouveau et fabuleux à son spectateur – que ce soit la tribu de « Princesse Mononoké » au monde parallèle du « Voyage de Chihiro » en passant par le monde sous-marin de « Ponyo sur la Falaise » -, Mamoru Hosoda prend à contre-pied le récit miyazakien. Il ne favorise ni le dépaysement, ni la novation, ni la progression dans ce monde stupéfiant. Chez Hosoda, la narration consiste soit à la transformation du réel par le fantastique (« La Traversée du Temps », 2007) ou à la progression du fantastique dans le réel (« Summer Wars », 2010), soit aux moyens mis en place par ses protagonistes pour occulter leur différence (« Les Enfants Loups », 2012). La différence est pourtant cruciale. Car, en ne s’attardant par sur la féerie, Hosoda crée de véritables psychologies humaines. Il ne ballade pas ses personnages, il les fait vivre. Ils se libèrent de leur caractéristique picturale pour devenir des êtres à part. Par cette prouesse, Hosoda se distingue du film d’animation standard qui empathie constamment de son statut même de film d’animation. L’animation rime dans l’imaginaire collectif avec enfance et ficelles (visibles) mélodramatiques. Le caractère pictural empêche l’identification, et les histoires rocambolesques et absurdes (puisque les enfants sont moins cartésiens) interdisent une quelconque probabilité. Pourtant, on pourrait dire que Hosoda cherche le fantastique: Ame et Yuki ne sont-ils pas mi-loup mi- humain ? Mais, ce n’est pas cette caractéristique qui les définit. Ame sera une petite fille pleine de vie, Yuki un être fragile. Après tout, le film aura pour sujet non pas ces enfants extraordinaires, mais le portrait de cette mère courage (Hana) qui permettra l’épanouissement de cette famille contre vents et marées.

Les Enfants Loups, Mamoru Hosoda

La frontière entre animation et oeuvre filmique se voile également sous le talent de Hosoda. Au delà de la consistance psychologique de ses personnages, Hosoda se place en véritable réalisateur. Il construit ses cadres et ses plans avec les mêmes armes que ses collègues qui travaillent hors de l’animation. Il filme ses corps animés comme s’il voulait nous montrer qu’ils étaient des êtres en chair et en os. Il ne se contraint pas dans sa mise en scène, puisque l’animation permet tout, mais il filme à la manière d’un Casavettes. On pourrait croire qu’il a posé une caméra dans les pièces de la maison d’Hana et qu’il laisse déambuler et vivre, sous nos yeux, des êtres qui sont pourtant la définition même d’imaginaire: car dans une oeuvre filmique (en général) si la psychologie est fictive, le physique lui renvoie toujours à une réalité hors-caméra. Hosoda montre comme un respect envers ses protagonistes qui se laissent approcher. Il utilise aussi des plans surprenants pour l’animation: des plans d’ensemble, des plans dans lesquels les personnages déambulent de dos, ou encore des plans qui cachent leur visage. Il porte un regard sur eux qui leur donne une présence charnelle. Le visage est le maître du cinéma d’animation, c’est le moyen d’excellence pour que le spectateur comprenne l’émotion que le personnage doit faire transparaître. Mais Hosoda préfère à cela la retenue et les détails de la gestuelle, de la voix. Pourtant il s’inscrit dans l’art du manga où la finesse de l’émotion est la moins subtile, il dépasse les lacunes de ses prédécesseurs. Il crée des entités qui acceptent d’être le temps d’une oeuvre les sujets d’un récit qui leur est propre et il donne de l’humanité à ce qui en à le moins.

Les Enfants Loups, Mamoru Hosoda

Les oeuvres d’Hosoda sont singulières dans le monde de l’animation. Il transcende les genres cinématographiques, accouplant la beauté formelle de l’animation, la puissance de la mise en scène et la finesse psychologique des grands observateurs de l’âme humaine.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆☆✖ – Excellent

L’Important, c’est d’aimer: Fantasque et Réaliste

Le film de Zulawski ressort sur les écrans français. 37 ans sont passés sous les ponts et pourtant, « L’Important c’est d’aimer » s’inscrit toujours autant dans l’histoire du cinéma français par sa singularité. Andrzej Zulawski est un réalisateur complexe qu’on pourrait rapprocher tantôt de Godard pour sa capacité à insuffler le cocasse et l’absurde dans une réalité banale, et tantôt de Lars Van Trier (même si ce dernier lui est contemporain) pour sa fascination pour les corps charnels et le sublime que dégage les déviances humaines. « L’important c’est d’aimer » brouille les limites entre un cinéma purement réaliste, j’entends par là qui parle de ce qui pourrait réellement et facilement se passer hors du spectre cinématographique, et le fantasque.

L'Important c'est d'aimer, Andrzej Zulawski

D’un point de vue du réel, Zulawski est un grand observateur des relations humaines. Il cerne avec justesse la complexité et les incompréhensions de l’homme en société face à ses semblables. Il dresse le portrait amoureux d’un trio dans lequel la femme est reine et centrale, mais aussi fragile et manipulable. Un « Carmen » à trois où flotte « Si tu ne m’aimes pas, je t’aime / Et si je t’aime, prends garde à toi ». L’amour est illusoire, la nécessité et l’argent viennent la quérir. « Une femme çà s’achète, quoi qu’elle en dise ». Ici, c’est un amour courtois moderne qui se met en place, l’honneur a disparu pour être remplacé par une dette de vie, une dette d’attention et de prise en charge. Zulawski dresse un portrait de l’amour désabusé et cruel, une vérité que la réalité tente de nous faire comprendre et dont l’homme refuse de croire par orgueil, voulant nier sa quête de l’intérêt. Nadine/Schneider et Servais/Testi seront la bouée de cette humanité à la dérive, l’apparition d’un amour qui malheureusement ne fonctionnera pas.

L'Important c'est d'aimer, Andrzej Zulawski

Zulawski ne déconstruit pas seulement l’amour, mais aussi toutes les relations qui lient les hommes. La figure du père apparaît ici comme un être parasitaire qui apporte l’insécurité et amène à une sorte d’esclavage sociale. L’amitié consiste en une simple trahison: Servais n’a-t-il pas couché avec la femme de son meilleur ami ? Et l’absurdité de la figure d’une grand-mère prévenante apparaît à travers le personnage de Madame Mazzeli. Elle permet et tolère une violence (un passage à tabac) qu’elle teintera presque d’ironie en y ajoutant  un dérisoire « Prends soin de toi, je t’aimais ». A travers eux, Zulawski est fasciné par la marginalité dont l’homme est capable. Ces êtres pourtant si ancrés dans la société et dont le regard des autres permet de vivre (actrice, photographe, collectionneur)  sont alors les fers de lance d’une humanité qui choisit de vivre comme elle l’entend, une humanité où l’homme est laid, immoral et méprisable. Cette vision atteindra son paroxysme à travers l’entreprise fantasmatique du personnage de Mazzeli où l’avidité sexuel de l’homme est comblée. La société se résumerait à un groupe d’illuminés sexuels qui prendrait place dans un « Sodome et Gomorrhe » général. Mais les Héros de Zulawski se limitent dans la société dépravée qu’il crée à une vie simple. C’est leur rejet de la société qui leur permet d’avoir une meilleure compréhension de l’homme, de voir sa vrai nature. L’homme est secret, et ses secrets sont bien sombres. Leur désinhibition fait d’eux une sorte d’évolution de l’être humain. La suppression des tabous entraînent chez eux la fin des dérives.

L'Important c'est d'aimer, Andrzej Zulawski

Andrzej Zulawski approche, par le fantasque, au plus près de l’homme véritable, vicieux par nature. Ces marionnettes extravagantes mise à mal peinent étrangement à se frayer un chemin dans ce monde qui leur ressemble mais où l’ombre est pour eux lumière. Ils apparaissent d’abord comme des hommes de petites vertus, des ratés. Mais ce sont eux finalement qui par la pureté de leur mise à nu permettent une certaine rédemption de l’image humaine. Certes l’amour ne triomphe pas, mais c’est l’homme qui tient ici une victoire à travers leur moral et leur mode de vie.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆☆☆ – Chef d’Oeuvre

The Dark Knight Rises: Les Funérailles d’un Héros

Christopher Nolan est un réalisateur à part dans le cinéma mondial actuel. Il est la rencontre même entre l’art et le divertissement. Le renouveau des films de super-héros, c’est grâce à lui. Sa trilogie autour de l’homme chauve-souris est d’une telle qualité visuelle et scénaristique que les grands studios américains ont maintenant décidé d’aller chercher des réalisateurs de talent pour réaliser leurs films. L’explosion ne fait plus recette, il faut maintenant un scénario, ce que les producteurs auront mis du temps à découvrir.  Michel Gondry pour « The Green Hornet », Kenneth Brannagh pour « Thor », et dernièrement Marc Webb pour « Spider-man »… Impensable si Christopher Nolan n’avait pas amené le genre du super-héros dans un genre cinématographique et non seulement dans un genre économique. Il faut tout de même signaler que cette transformation est aussi due, avec moindre importance aux « Spider-man » de Raimi. Mais « The Dark Knight Rises » remet en question la puissance de la trilogie si bien amorcée par « Batman Begins » et sublimée avec « The Dark Knight » (le film manifeste d’un genre qui choisit enfin la qualité). Nolan met fin à Batman en se plantant une épine dans le pied.

The Dark Knight Rises, Christopher Nolan

Tout commence par un scénario, si ce dernier n’est pas bon, même le plus grand réalisateur du monde ne peut rien y faire. Mais que dire quand le scénario provient du réalisateur même, pourtant réputé ingénieux scénariste (« Inception », « The Dark Knight »). Sans doute, une manque d’inspiration, ou tout simplement une overdose de Batman. Il faut dire que Nolan était attendu au tournant après deux épisodes réussis. Ici, tout n’est que cliché et attendu: méchant musclé, héros qui chute pour renaître et se dépasser, le dépassement de soi pour faire comme un … enfant, les histoires d’amour grosses comme des buildings. C’est un retour au super-héros d’avant Nolan et Raimi. Il n’y a plus de psychologie propre aux personnages, plus de méchants psychopathes mais des camionneurs bodybuildés ex-taulard de pays exotiques ; plus de dialogues mais des explosions. Ici, Nolan privilégie l’action pure et dure en oubliant justement ce qu’il a réussi à créer avec les deux premiers opus. Bruce Wayne n’est qu’une sorte de faire-valoir pour montrer des gros engins, des explosions, des tirs et des coups de poing. Et ce n’est pas le pseudo retournement de la fin, si ridicule qu’imprévisible, qui sauvera ce navire qui coule.

The Dark Knigt Rises, Christopher Nolan

Un autre problème empêche le fonctionnement de « The Dark Knight Rises » et son rapprochement aux précédents opus: la disparition de Gotham. En effet, Christopher Nolan avait tout fait pour que le rapprochement entre Gotham (mégalopole verticale imaginaire) et New-York (mégalopole verticale réelle) ne puissent se faire. « Batman Begins » ne marquait pas encore cette envie de créer une nouvelle ville à la « Métropolis » de Lang, mais le but de « The Dark Knight » était de créer un Gotham à travers des images d’autres villes existantes et dont les images sont moins gravées dans l’imaginaire collectif. Le tournage aura alors lieu à Chicago, en ajoutant des visions de Los Angeles et de Baltimore et un soupçon de Hong-Kong qui attire par son ultra-verticalité les tournages du monde entier. Même si techniquement, le tournage de « The Dark Knight Rises » condense Pittsburgh, Los Angeles et New-York pour continuer de créer un Gotham unique. Le réalisateur fait l’enfantine erreur de faire des plans globaux vue du ciel de New-York pour montrer cette ville-île coupée du monde et qui doit se battre contre elle-même. Il ne faudra même pas une demi-seconde pour que le spectateur place le nom de « New-York » sur ces images et détruisent à tout jamais la ville crée par Nolan. Cette erreur est bien plus grave qu’il n’y paraît. Car l’univers de Batman fonctionne extraordinairement bien justement parce qu’il est situé dans une sorte de monde parallèle au notre où le fantastique est permis et où il peut s’épanouir. Mais par l’identification de ces images de New-York, le spectateur va se rendre compte de l’impossibilité d’un tel fonctionnement social au sein d’une réalité qui est la sienne. Les incohérences font surface, et ne pourront plus être mise de côté. Un super-héros dans un monde réel est dur à accepter et facilement pointer du doigt par son absurdité.

The Dark Knight Rises, Christopher Nolan

Nolan ne parvient pas à tutoyer les mêmes cieux que dans les précédents opus. Il enterre sa trilogie en détruisant ce qu’il avait pourtant si brillamment réussi à créer. Il n’arrive pas une troisième fois à créer la magie technique et scénaristique. Les funérailles de Batman sont alors douloureuses avec une pointe de regrets. C’est la dernière impression qui marquera la trilogie et elle est teintée d’amertume.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆✖✖✖ – Moyen