Reality: L’échec de la Réalité

La première pensée qui nous prend en quittant la salle, c’est que « Reality » n’est définitivement pas une dérivation de « Gomorra » (film coup de poing sur la mafia napolitaine – Grand Prix à Cannes en 2008). Naïvement, on voyait en Mattéo Garrone un porte-parole d’une Italie en perdition et gangrenée d’un côté par la mafia et de l’autre par une crise tant économique que sociale. Il n’est plus le représentant d’une Italie qui veut ressurgir des cendres d’un mal qu’elle exorcise. Mais, il devient un simple spectateur des bouleversements sociaux d’une nouvelle génération dont le fonctionnement lui échappe. Son dépassement est sa première faiblesse. L’avènement de la culture du voyeurisme, commencé en France au début des années 2000 par Loft Story, est déjà un fait avéré. Dix années sont passées. Ces phénomènes sont maintenant des banalités du quotidien qui font les choux gras des zappings du monde entier. Certes, la célébrité ne repose plus sur des qualités remarquables et sur un élitisme artistique et social, mais la volonté d’une reconnaissance de l’homme lambda se vérifie fréquemment, et il ne faut pas attendre la téléréalité pour s’en rendre compte. Rien de nouveau, si ce n’est que la nouvelle génération s’autorise tout ce qui lui permet d’atteindre cette gloire éphémère et dévastatrice. Mattéo Garrone esquisse assez bien les psychologies de ces personnages, faisant dégringoler son protagoniste peu à peu dans les méandres de la folie. Cependant l’exagération de certaines scènes et leur répétition font des personnages des pantins oscillant entre comédie et drame. Ne sachant pas sur quel pied danser, les portraits sonnent faux. Mattéo Garrone cherche à nous montrer que la société change, mais là encore, sa subtilité lui fait défaut: il suffit de voir la lourdeur des plans d’ouverture et de fermeture montrant d’un côté un Naples historique surveillé par le Vésuve et de l’autre un monde totalement artificiel provenant des studios romains – la longueur écrasante des plans illustre parfaitement le manque de finesse d’un réalisateur qui critique au final son propre travail. La téléréalité est théâtrale, « Reality » montre que le cinéma aussi ne repose finalement pas sur la spontanéité.

Reality, Mattéo GarroneCe manque de justesse et subtilité se remarque aussi dans sa mise en scène. Mattéo Garrone cherche avec « Reality » à faire la distinction entre deux réalités: la réalité « réelle » du quotidien fondé sur l’être et la réalité « faussée » fondée quant à elle sur le paraître. Le problème c’est qu’il applique à l’intérieur même de son film les deux notions troublant son spectateur et s’auto-contredisant. D’un côté, comme dans « Gomorra », il choisit comme fond scénarisitique les petits gens (de Naples) victimes de leur condition de vie et assis dans un réel pathétique fait de magouilles et d’arrangement. A ce traitement presque documentaire de son sujet, il associe non plus la notion d’une caméra témoin comme dans son précèdent long-métrage, mais les ficelles d’un cinéma pédant se réclamant un statut de grand cinéma. Mattéo Garrone prône ici le superflu cherchant, en vain, un onirisme cinématographique. Des mouvements amples, pour mieux montrer une aisance ou pour chercher de quelconques effets de style, malheureusement bien inutiles. Le spectateur n’a pas besoin d’une forme digne des grands péplums aseptisés pourcomprendre l’immersion d’un fantastique (ici une sortie de l’ordinaire). Ce choix de mise en scène plombe le film qui, bien que la caméra s’envole, ne décollera jamais.

Reality, Mattéo GarroneMattéo Garrone est, quand même, une fin perfectionniste qui donne un intérêt à son oeuvre par les détails qu’il sème au fur et à mesure. Il dresse le portrait d’une Italie bien mal en point. Economiquement d’abord puisque lors de la scène de l’appel entre la famille – au centre commercial – et Luciano, il met en toile de fond le passage de plusieurs candidats. Chacun diplômé d’économie, ils voient en la téléréalité une manière de gagner enfin de l’argent et de pouvoir se faire connaître des recruteurs. Le désespoir qui se dégage de la situation de l’emploi en Italie est alarmant. Mattéo Garrone en quelques secondes montre le passage d’une époque où le diplôme était roi à une époque où sa dévaluation est tel qu’il ne vaut plus rien. Les études seraient presque devenues inutiles et ouvrirait seulement les portes des métiers sous-payés et des shows télévisuels à bas ratio intellectuel. Enfin, Mattéo Garrone s’attaque à la crise de la culture en Italie, et surtout à la montée de produit culturel superficiel et formaté: la téléréalité. Il suffit de voir dans quel espace il décide de placer les dernières auditions pour le jeu « Grande Fratello »: dans les mythiques studios romains Cinécitta. Comme si l’avenir du cinéma déclinant (chaque année annoncé, mais peu vérifié) se ferait par la télévision, souvent jugé parent pauvre de la culture, et par le pire de ce qu’elle offre: la téléréalité. Le remplacement de la notion de culture serait-il arrivé ? 

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆✖✖✖✖ – Mauvais

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