Le malaise peut être créé par un réalisateur de plusieurs manières. D’un côté, il peut amplifier ses images et ses propos en cherchant l’insoutenable, cependant il ne doit pas tomber dans le malaise gratuit. De l’autre et c’est le chemin que prend Ulrich Seidl, un réalisateur peut prendre le parti d’une mise en scène épurée, voire clinique, pour amener son spectateur dans une vision d’une réalité presque documentaire. L’avantage principal étant de rendre plus tangible la critique que le réalisateur cherche à faire. Dans sa trilogie Paradis, dont Amour en est la première partie, Ulrich Seidl fait le croquis de l’utilisation d’un pays par une Europe qui, même si elle ne contrôle plus les espaces émergeant, garde une puissance économique et culturelle. Il s’appuie alors sur l’exemple du Kenya et son image d’exotisme paradisiaque. Ulrich Seidl ironise sur la dénomination de « paradis terrestre » de ce pays qui ne montre qu’une fausse façade occidentalisée et taillée dans le rêve des touristes. Il suffit de voir le folklore hôtelier passant de l’orchestre ressassant la même chanson dans des tenues zébrées à la décoration des chambres peuplées d’animaux exotiques. Mais Ulrich Seidl ne participe à l’émerveillement ambiant, il blâme ce tourisme artificiel. Du tourisme-usine, il montre le nombre des transats, un employé qui met des serviettes sur des sièges avec la même gestuelle du travail à la chaîne. Du tourisme d’hôtel, il place dans ses seconds plans des couples qui stagnent sur les balcons. Par des jeux de parallélisme et de miroir, le réalisateur autrichien ironise froidement de la rupture entre le Kenya créé pour les Occidentaux et la réalité miséreuse d’un peuple qui ne touche quasiment aucun retour de son attrait touristique. Ainsi, d’un côté de son plan le spectateur voit une rangée de chaises longues sur lesquelles se panent des touristes ; et de l’autre, des kenyans prêt à tout pour gagner quelques sous. Pour les séparer, ne se dresse qu’une pauvre cordelette rendue infranchissable par des militaires armés. Ainsi à l’image de « gated communities », l’hôtel s’ouvre par un check point. Ce qui dérange chez Seidl, c’est son aisance à créer des plans frôlant l’absurde de composition pour exprimer une réalité troublante et dérangeante. Sa caméra se pose comme un observateur immuable et impuissant regardant ce qui se présente devant lui comme un spectacle. Le soudain assourdissement qui entoure Teresa – incarnée par le talent de Margarete Tiesel – lorsqu’elle enjambe la cordelette pour entrer dans le véritable Kenya. L’un des autochtones dit alors en montrant l’hôtel « Là, Europe. Ici, Afrique » donnant alors au tourisme une impression de supercherie.
De la sollicitation du peuple kenyan découle un sentiment de domination et de supériorité qui fait écho à un racisme lattant fruit de la colonisation et des théories de classification des espèces. Apparaît alors un racisme basé sur un exotisme cliché : « les Nègres sentent la noix de coco » prononce Tereseas/Inge Maux. Mais aussi sur l’image qu’en a donné la société puisque dans une scène affligeante Teresa/Margarete Tiesel et une autre touriste autrichienne avilissent le barman en lui faisant répéter tel un singe savant des mots allemands sans sens pour lui dire au final : « Tu ressembles au bonhomme de Banania » symbole d’un racisme colonial. L’amalgame animal/noir continue à travers une discussion entre les deux Teresa(s) qui parle des Noirs comme on parle d’animaux au zoo : « Ils se ressemblent tous », « moi, c’est la taille qui me permet de les distinguer ». Du racisme, le personnage tire également la méfiance et la peur de la saleté en nettoyant à son arrivée sa chambre de fond en comble au désinfectant.
Cette surpuissance n’est pourtant qu’imposture puisque la docilité des Kenyans, ainsi que leur gentillesse envers les touristes, n’est pas dénoué d’intérêt. Les « sugar mama » – ces femmes quadra ou quinquagénaire qui viennent au Kenya pour faire du tourisme sexuel – sont des proies faciles. Petites gens chez elles, les « sugar mama » sont ici désirées et draguées comme elles ne le seront sans doute jamais en Europe. Elle ne réclame que de l’attention, de l’intérêt et du sexe que les escrocs donnent audacieusement cachant dans un premier temps la soif d’argent. Face à la misère qui leur est montré, les touristes sexuelles donnent des sommes rendues peu compréhensible par la conversion monétaire. Mais d’une excitation émotionnelle et sexuelle dont Ulrich Seidl tire des scènes cocasses comme lorsque Teresa apprend à son amant à malaxer un sein à « l’européenne », le réalisateur emprunt son film d’une solitude dévastatrice résultat de la désillusion. Certes la « sugar mama » à ce qu’elle veut, mais ce n’est qu’un subterfuge pour lui soutirer de l’argent. Les relations ne sont pas réelles et la découverte des regards fuyants et des mensonges est presque impossible à dépasser. « Je veux qu’il me regarde dans les yeux, qu’il voit en moi l’être humain » soupire Teresa. Paradis : amour se révèle finalement un long-métrage parcouru par une solitude à l’image des lits vides qui se succèdent ou dans lesquels les amants se séparent et qu’Ulrich Seidl unit que rarement.
« C’est ça l’Afrique » dit Teresas/inge Maux en désignant un strip-teaseur africain dansant nu sur le lit de la chambre d’hôtel. De ce triste constat d’un tourisme à l’inverse de la découverte ethnique, Ulrich Seidl signe un long-métrage corrosif. La raison lui aurait cependant évité de faire parfois tomber Paradis : Amour dans un malaise visuel gratuit et pornographique. Il est maintenant attendu de voir l’œuvre de Paradis dans son ensemble.
Note: ☆☆☆✖✖ – Bien
































