Flight : Une Amérique en plein Crash

Flight, Robert Zemeckis

Le cinéma de Robert Zemeckis représente une population américaine marginale qui vit en opposition constante au dogme patriotique et national. Il filme ainsi des vies (Forrest Gump) ou des solitudes (Seul au monde) qui mettent à l’épreuve le corps et le mental humain (ironiquement avec La mort vous va si bien). Si je fais un rapide rappel de la filmographie de Zemeckis, c’est pour deux raisons : premièrement, sa filmographie (Retour vers le Futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ?) est plus connue que sa personne ; deuxièmement car Flight est en quelque sorte la synthèse de l’œuvre de Zemeckis et c’est pour cela sans doute qu’il résonne avec force.

Flight, Robert ZemeckisAinsi, Flight pose une question sur la figure du héros. Faut-il ne voir que l’exploit qui fait d’une personne un héros en oubliant ses failles ou ne faire héros que la perfection humaine dont les défauts sont gommés par l’histoire ? Whip Whitaker (Denzel Washington) n’est donc pas la figure christique du sauveur de vie : il est alcoolique et drogué. L’intelligence de Zemeckis est d’alterner son propos dur de l’alcoolisme et de la fuite de la vie dans les addictions par des scènes cocasses. Alors qu’il est à l’hôpital après le crash, le commandant Whitaker a comme premiers reflexes de vouloir boire de l’alcool. Ainsi, lorsque son ami/dealer arrive sa première intervention sera de dire : « tu ne paieras plus aucun verre de ta vie », « connerie du culte du héros ». Zemeckis critique ainsi les médias qui effacent les imperfections humaines pour ne donner qu’une coquille vide quasi-mystique des hommes lors de chaque évènement « miraculeux ». Il y ajoute une critique brève de la quête ridicule du moindre scoop, de la moindre information comme le montre la crédulité du journaliste lorsque le dealer (John Goodman) se dit être le frère de Whip (Denzel Washington). Le réalisateur américain joue alors sur la double utilisation du glaçon : renvoyant au malheur de la blessure et au désir de boire. Ainsi, le personnage de Denzel Washington utilise les glaçons qui servent à désenfler son genou pour agrémenter son verre de Whisky. Ce dealer dont le fonctionnement est calqué sur celui d’un médecin pose d’ailleurs la question de la surconsommation de médicaments et antidépresseurs qui touchent la population américaine. Juger un drogué illégal en étant un drogué légal est un comble.

Flight, Robert ZemeckisPar le biais de l’hôpital, Flight insère son personnage dans une communauté marginale qui tente pourtant de retourner dans la norme puisqu’ici ce n’est pas la marginalité dans une définition qui pourrait être méliorative, mais bien l’exclusion sociale par des pratiques addictives. C’est par l’union que Zemeckis voit seulement un moyen de sortir de la spirale de l’addiction : Nicole (Kelly Reilly) doit son aide à sa marraine des alcooliques anonymes. Elle est la possibilité de rédemption de Whip mais ce dernier ne veut pas être sauvé pour rentrer dans une société faussement unie dans sa misère par le biais des Alcooliques Anonymes ou dans une société ultrareligieuse qui se voile la face.

Flight, Robert ZemeckisCes outsiders sont justement ceux qui on réussit à sortir d’un mysticisme superstitieux qui fragilise la société américaine. Ainsi, fumant dans l’escalier d’un hôpital, le personnage de Whip et Nicole rencontrent un patient avec un cancer en phase terminal qui dit ironiquement de son cancer qu’il est « très rare, Dieu m’a choisi ». Le personnage de Denzel Washington se heurte alors à des figures américaines typiques qui reposent la vie sur la gloire de Dieu. Robert Zemeckis fait déblatérer à ses personnages des inepties religieuses sans fondement et qui semblent être le fruit d’une répétition mécanique de phrases apprises dans une éducation moins laïc qu’elle veut l’être. La petit-amie du copilote ponctue alors la discussion de « c’est un acte de Dieu », « louons le seigneur ». Seul Whip réagit face à ces comportements en raisonnant : « Quel Dieu ferait çà ? ». La société américaine est alors une société qui utilise l’image de Dieu dans un but individualiste. En effet, Dieu permet de déresponsabiliser l’homme comme ici les dirigeants de la compagnie aérienne qui ne sont pas remis en cause alors qu’ils font voler des avions-poubelles. Cette ultra-religiosité n’est finalement que le symbole d’un manque maladif de foi en l’homme et en ce qu’il peut faire. L’acte miraculeux humain fait par le commandant Whip Whitaker est presque mis au second plan puisque « au royaume de Dieu, rien n’est fortuit ».

Flight, Robert ZemeckisFlight est une surprise. Il allie les genres cinématographiques pour accoucher d’une critique de la société américaine. Mais la force de cette critique réside dans le fait qu’elle repose sur un personnage réel, non-utopique, qui a ses propres failles. Ainsi, ce dernier ne se place pas en porte-parole mais en simple élément censé déclencher la réflexion globale de la société américaine.

Le Cinéma du Spectateur

Note: ☆☆☆✖✖ – Bien

2 réflexions sur “Flight : Une Amérique en plein Crash

  1. Je vais me contenter ici de remettre en question ton point de vue sur la morale du film puisque c’est ici ce sur quoi tu te concentres, au delà de ça j’admire fortement le film pour la maîtrise cinématographique dont fait preuve Zemeckis.

    Car que fais tu de la rédemption tout à fait chrétienne du personnage à la fin du film ? La critique faite par le scénariste s’adresse directement au personnage de Denzel Washington. Son acte est effectivement « un miracle », dans le sens où Whip il a du talent, un talent qui ne lui a néanmoins demandé ni effort mental ni personnel. Il a fait son métier en évitant le stress grâce à l’alcool. Justement ce qui aurait pu faire le sel du film, c’est à dire un personnage dont l’héroïsme réside dans la vocation de sa vie au plaisir, se transforme finalement en une mise en valeur du profil héroïque chrétien, du martyr. Le personnage n’est pas un héros parce qu’il a retourné un avion, mais parce qu’il a reconnu son alcoolisme et qu’il a accepté d’aller en prison pour se désintoxiquer. Ce n’est pas pour rien que la scène de l’avion se situe en ouverture et celle du procès en climax. Le procès constitue ce moment où le personnage arrive à la résolution de son parcours, où il atteint son objectif. Du coup c’est effectivement un miracle divin qui sauve les passagers du vol, et c’est grâce à ce même miracle que Whip prend conscience de son mal et choisit le sacrifice de 5 années pour finalement retrouver l’amour des siens et l’amour de soi.

    Peut-être que le rapport à Dieu est plus subtil que ça, mais ça n’empêche pas la morale totalement chrétienne du film d’être en réelle contradiction avec ce que tu cherches à montrer du personnage en tant qu’il serait subversif. Evidemment que d’autres personnages du film sont critiquables, mais pour revenir à d’autres détails que tu pointes les journalistes ne sont pas crédules en tant qu’ils gobent le fait que Goodman est frère de Washington, mais simplement en tant qu’ils prennent Washington pour un héros parce qu’il a retourné un avion. Et ce dealer qu’est Goodman n’a rien d’un médecin, il est introduit dès sa première apparition par la chanson des Rollings Stones « Sympathy For The Devil », ce mec est simplement un Diable sympathique, la version humaine des psychotropes et autres plaisirs de la chair.

    Le film n’est pas tant une critique générale de la société américaine qu’une critique d’un personnage qui représente certains des traumas de la société américaine.

    • Je vais également essayer de répondre à ce que tu dis point par point. (Désolé pour la clarté, la fatigue joue).

      Je commence juste par le côté médecin du Dealer. Cette référence de ma part ne se base (mais je ne l’ai pas dit) que sur la scène dans la chambre d’hôtel. Il entre avec sa sacoche noir comme un médecin, est traité comme un médecin, s’assoit, osculte Whip et prescrit son médicament (le drogue). Enfin, comme je le dis souvent le cinéma est basé sur des perceptions, sur ce qu’on fait des images et comment on les traite. Nous n’avons finalement pas vu le même film puisqu’il n’a pas été traité par le même cerveau. C’est pour çà que j’aime les commentaires que je reçois qui sont aussi construits que le tient. Je n’ai jamais dit que j’avais raison et je suis encore très jeune et inexpérimenté, je fais çà pour moi et pour m’entraîner, si çà marche (comme en ce moment) tant mieux.

      Enfin, je reviens à ce que tu dis. Pour la rédemption, elle n’est finalement qu’une contre-fin. La morale n’est pas forcément chrétienne, mais prône une recherche de la vérité. Je vois plus çà comme une rédemption sociale et non-religieuse. Je pense que je me trompe et que oui le scénario tend plus vers ce que tu dis, mais c’est comme çà que je le perçois et que je veux le percevoir car je trouve que çà donne plus de crédit au film.

      Il faut dire que pour moi, ce film est tout sauf une glorification de la morale chrétienne. Ce n’est pas chrétien de ne pas vouloir mettre la faute sur une morte. La religion est tournée en ridicule à plusieurs reprises: par les paroles de la petite-amie du copilote comme je l’ai dit, mais aussi par la vision des prêtres qui pris pour l’avion à côté, par le fait de placer Dieu au-dessus de tout. Pour moi, c’est bien Whip qui est l’instigateur du miracle. C’est un miracle totalement humain. Le sauvetage repose sur sa prise de décision, même alcoolisé. L’alcool permet ici pas d’être ailleurs et donc dicté par Dieu mais justement d’aller contre le conditionnement qui lui aurait fait dire que ce qu’il pensait faire est interdit.

      Je ne sais pas si j’ai été assez clair, je ne pense pas, mais j’espère avoir pu éclaircir ma pensée. Je me ferais une joie de la ré-expliquer au pire.

      Bonne soirée.

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